Tuesday, 22 December 2009
Quote
Dans quelques semaines, il ne sera plus possible, à Paris, d’échapper à Entrée des fantômes – qui n’est jamais que le quatrième livre de Sir Jean-Jacques Schuhl en quarante ans. Il faudra subir une cohorte de commentateurs, des éternels déçus aux sempiternels amoureux ébaubis. DiD vous propose d’en lire quelques lignes au calme – celui qui précède la fatigante tempête médiatique. Quelques lignes qui décrivent une photographie de Christine Keeler nue sur une chaise Arne Jacobsen rouge - photo que Schuhl attribue à David Bailey, bien qu’elle soit en fait de Lewis Morley. Aucune importance : le style n’est jamais affaire de précision, de vérité, et l’amnésie –toujours elle – est le fantôme même qui hante ce passage. Quand vous l'aurez lu, vous vous apercevrez, mais trop tard, que la reproduction de la planche contact ci-dessus est un contre-sens total... but she’s so a keeler…
« Je l’avais lu, ce mot, pour la première fois au beau milieu des si jolies années swinging sextiz quand les filles nouvelles n’avaient pas encore enfilé les armures, elles dansaient fragiles, avec un spleen impérial, sur les airs ironiques des Kinks, She’s bought a hat like Princess Marina, Good Golly Miss Molly, La la la la Potatoes.
« Ah… oui ? »
Je revois encore les photos et leur légende chaque matin dans France-Soir, cette merveilleuse et quotidienne machine à rêves en papier de quatre sous… une villa avec piscine dans l’ouest de Londres… un club de jazz la nuit non loin de la Tamise, un attaché naval soviétique et espion, le très distingué « ministre de la Défense de Sa Majesté » et un ravissant mannequin vedette – dont la photo, toute nue, avait, au moment du scandale, fait le tour du monde, en quelques heures. (….)
Je me rappelais très bien ses yeux verts, la finesse de ses traits, bouche ironique, pommettes légèrement saillantes, la chevelure de jais abondante et soyeuse qui accentuait sa pâleur et aussi les jambes : le profilage, l’évidement qui file vers l’inconnu : le con nu ?… elles enserraient le dossier noir comme si c’était son partenaire ou une armure. De la pure dynamite ! Enfin ! on peut toujours taper Keeler sur Google, peut-être que la célèbre photo de David Bailey apparaîtra sur l’écran. Mais moi je crois que la beauté, le charme est lié à une époque, tout ce qui est autour, la vibration du temps, une sorte de musique muette. Je n’aime guère les photos, les enregistrements. Je préfère les images que j’ai gardées dans la tête, même si elles sont imprécises et lacunaires… Ce sont les miennes, elles sont un peu vivantes. »
Jean-Jacques Schuhl, Entrée des fantômes, Gallimard, L’Infini, 2010.
Sunday, 20 December 2009
Patrick Modiano, Du plus loin de l'oubli, 1996
Je voudrais trouver le moyen de vous parler de Modiano, mais les jours passent sans que je sache comment procéder. Peut-être je me trompe, peut-être l’image de l’éternel jeune homme français sous influence Nouvelle Vague, sentimental par essence, vous séduira… Mais je vous connais un peu maintenant, et j’en doute. Et puis Modiano n’est pas si sentimental que ça, c’est une couverture qui lui permet d’avancer, sous des allures de fausse douceur, dans le dur de l’histoire : les rafles à Paris à l’époque où Pétain pactisait avec ses amis nazis, et cet autre massacre dont personne ne veut endosser la responsabilité, et qui s’appelle l’oubli. Modiano écrit blanc. Livres courts, livres secs, livres décidés, livres concis : chaque mot est à sa place, portés par une obsession de précision (à la limite de la folie pure, c'est pourquoi il me fait penser, toujours, au détective malade errant dans les ruelles sordides du XIIIème que l'on rencontre dans Brouillard au pont de Tolbiac de Léo Malet) : adresses, numéros de rues, livrets de famille, pédigrée, odeurs.
Je n’aime pas me raconter, je ne crois pas qu’on fasse des blogs pour ça, mais on ne s'approche vraiment de Modiano qu’à travers une description des lieux dans lesquels on l’a invité à nous accompagner. C’est une écriture de saison et de compagnie, sans doute faut-il qu’il fasse froid (il existe aussi des Modiano de juin/juillet, d'une tristesse ensoleillée), sans doute son style givré appelle-t-il une vision brouillée par l’humidité glacée et inspire-t-il la volonté de se réfugier dans un café, un de ceux - de plus en plus rares - qui ouvrent à l’aube, ou bien les cafés de 15h, à l'heure où tombent sur les insomniaques des effondrements propres aux après-midi vides... Là on sait qu’il est un partenaire d’exception. Il ne pardonne rien, il cherche. Il n’a jamais écrit que des polars tordus, entêtés, trop parcellaires pour la Série Noire. J'ai lu d'une traite Dora Bruder, livre central, déchirant, cœur d’œuvre, mais surtout je l'ai lu dans un café des Gobelins (je veux dire par là que, sans explication aucune, j'ai fait 30 minutes de métro juste pour aller le lire à cet endroit exact de Paris). Je pensais au départ envoyer à message à une personne pour qu’elle me rejoigne, mais entre temps j'ai commencé le livre, assez vite j'ai su que je n’appellerais pas, que je ferais le mort et ne sortirais du café qu'une fois le livre achevé, à la nuit tombée.
Ma solitude volontaire (autre chose qu’une paranoïa quotidienne) m’incite à taire le nom d'un autre café, près de St Michel celui-ci, où un soir de décembre il y a deux ans j’ai lu, en planque comme toujours, celui des Modiano que je préfère, mais qu’on ne cite jamais, un Modiano mineur dit-on (mais Modiano écrit tout en mode mineur...): Du plus loin de l’oubli. Casting: un narrateur faible, timoré, adolescent, qui survit en revendant des livres chez Gibert, un couple de jeunes gens étranges, inquiets, une odeur d’éther sur ses vêtements à elle, une liaison qui se passe de mots, des voyages express et nocturnes à Dieppe ou à Forges-le-Eaux pour se refaire au casino, des histoires de société secrètes qui n’ont rien à proposer que le secret de leur propre existence indéfinie. Ces silhouettes anciennes et floues qui disparaissent dans la brume des quais de Seine : la fin des années 60. L’oubli est rattrapé au vol, mais il réchappe une fois encore. La main de l'écrivain, qui trente ans plus tard se croyait capable de tout dire du souvenir, subitement relâche sa proie, laisse faire l'enlisement... « la main qui efface est la même que celle qui écrit »… C’est Godard qui nous a appris ça. Il l’avait vu dans M le Maudit, et sans doute l’avait-il lu dans l’Évangile. Oh et puis "le cinéma, cette boite à conserver, ne fabriquera jamais en réalité que de l’amnésie" avait pris position de dire André Delons, un beau surréaliste oublié à son tour, car disparu très jeune, en mer (la guerre). Je crois savoir que Patrick Modiano est cinéphile.
«Le clocher de l’église se découpait dans le cadre de la fenêtre, et aussi les branches d’un marronnier dont je regrettais qu’elles ne fussent pas couvertes de feuillage mais il faudrait attendre encore un mois le printemps. Je ne me rappelle plus si je pensais à l’avenir, en ces temps-là. Je crois plutôt que je vivais au présent, avec de vagues projets de fuite, comme aujourd’hui et l’espoir de les retrouver, Jacqueline et lui, tout à l’heure, au café Dante.»
Patrick Modiano, Du plus loin de l’oubli, Gallimard, 1996.
Sunday, 13 December 2009
Alexander Trocchi – A Life in Pieces, Rebel Inc. 1997
Depuis quelques temps, il est beaucoup question d’Alexander Trocchi sur ces pages. Junkie, pornographe, situationniste, censuré, Trocchi aurait pu être l’un des héros majeurs des années 1960 – l’égal d’un Ginsberg ou d’un Burroughs, ces vieux types à la plume dégueulasse qui à l’époque fascinèrent les Dylan et McCartney tout en leur ouvrant les portes de la respectabilité « artistique » (celle qui se mesurait dans les librairies et les galeries, pas dans les hit-parades).
Et un héros, Trocchi en fut un pour moi pendant longtemps, parce qu’il était l’unique lien tangible entre la pureté enragée de la première IS (et, plus encore, de ces jeunes lettristes saisis par Ed van Elsken) et le bordel pop des Swinging Sixties. Je ne sais plus si j’ai découvert son nom dans le Lipstick Traces de Greil Marcus (qu’un membre de ce blog avait fait acquérir à la Fondation Nationale des Sciences Politiques dès 1991) ou dans le recueil de l’Internationale Situationniste des éditions Gérard Lebovici (le tract de 1960 Hands Off Alexander Trocchi), mais pour moi, il commença par être l’un de ces mystérieux compagnons de route de Debord, un fantôme marchant aux côtés d’André-Franck Conord, Ivan Chtcheglov ou Ralph Rumney…
Je découvris ensuite son nom aux côtés d’autres noms, qui eux n’étaient jamais cités dans Internationale Situationniste (ou alors pour y être insultés) – Ginsberg, Burroughs, Beckett… Et il y avait ce texte, découvert dans l’IS, Technique du coup du monde, dont le titre anglais semblait résumer à lui tout seul toute la magie du mouvement qui souleva le monde entre 1965 et 1970 : Invisible Insurrection of a Million Minds. Puis j’ai enfin pu lire Cain’s Book. Qui confirma pour moi la place centrale de Trocchi aux confluents de tous les radicalismes de son temps – et l’existence bien réelle de cette chose apparemment impossible : un roman situationniste.
Pourquoi, alors, Trocchi n’a-t-il pas eu le destin d’un Ginsberg, ce fétiche cabotin de trois ou quatre générations d’activistes pop ? C’est ce qu’explique A Life in Pieces, compilation de témoignage et d’extraits des principaux textes de Trocchi réalisée à l’occasion de la production par la BBC d’une émission (pas vue) sur lui, à la fin des années 1990. Si vous cherchez l’équivalent sur Trocchi des livres d’Allia sur Rumney ou JM Mension, ce livre est pour vous. Et il est déprimant : on y voit l’un des plus brillants esprits de son époque, un homme qui partagea la chambre de Peggy Guggenheim à Venise (l’héritière esthète qui fut un temps la belle-mère de Ralph Rumney, mais ceci est une autre histoire), qui fut salué par Mailer et Leonard Cohen (dans l’un de ses premiers recueils de poésie, Flowers for Hitler, 1964) et figura parmi les organisateurs du légendaire Poets of the World / Poets of Our Times au Royal Albert Hall en 1965, qui marqua la jonction entre la Beat Generation et le Swinging London naissant, se perdre dans ses névroses, sa dépendance, son égoïsme de camé prosélyte (Burroughs le présente ainsi, à un moment du livre : « ce bon vieux Alex pouvait trouver une veine à piquer même sur une momie »). Héros de l'underground littéraire du Paris cosmopolite et souterrain de l'après-guerre, on le voit lentement plonger dans le malheur, l'angoisse de la page blanche, et une addiction dévorante pour lui comme pour son entourage - et tous ceux qu'il entraînait dans son culte de la seringue. Et lorsque James Campbell interrogea James Baldwin en 1980 sur l’auteur de Cain’s Book, qui avait totalement disparu de la circulation depuis plus de 10 ans, l’écrivain américain lui répondit, « les narines frémissantes et les yeux exorbités » : « Trocchi ? Le camé ? Je le hais. Je le hais ! Dis-lui ça de ma part ! »
Pendant des années, Trocchi vendit le même livre à tous les éditeurs qui étaient encore disposés à lui filer une avance. Un livre au titre incroyable de simplicité évocatrice, le genre de livre fantasmatique sur lequel on écrit des centaines d’autres livres, sur lequel on bâtira une religion rien que pour oublier qu’il n’existe pas, mais qu’on aurait tant voulu qu’il existât : The Long Book. Les extraits qu’en donne A Life in Pieces dessinent une sorte de suite autobiographique et délirante à Cain’s Book, dans laquelle passent le double de l’auteur (Necchi) et un lettriste historique, Mohammed Dahou, rêvé à Tanger, dans la lentille du télescope d’un espion allemand au service du péril jaune (si vous croyez que j’invente, la référence est à la page 205). On n’en saura pas plus, on n’en aura pas plus. Alexander Trocchi est mort le 15 avril 1984.
Sunday, 29 November 2009
quote
"Ce [nouveau] langage permettrait-il de composer de nouvelles significations que l'ancien langage ne permettait pas ? Rendrait-il compte d'un rapport singulier au réel dont l'ancienne langue était incapable? En aucun cas, puisque il suppose le figement dans la glace des signifiés auxquels il renvoie. Il s'agit au contraire de ce qui reste du langage quand on en a tout a fait soustrait et hypostasié le sens ou le faire-signe. Il est l'expression la plus efficace de l'ordre Nouveau, et du pur Zéro de la mobilité techniciste: zéro de la memoire, zéro de la transmission-et par consequent acquittement généralisé a l'égard de ce qui, dans l'être, résiste à la "recuite" techniciste, à la reconstitution pure et simple, en fin de compte à l'actualité pure.
Cedric Lagandré, L'Actualité Pure-Essai sur le Temps Paralysé, PUF, 2009, pp 42-43.
Thursday, 26 November 2009
Les Alligators souriants, 1992 (cd)
Cet audiobook rare est plus rare qu'un livre rare. Les Alligators souriants se présentait sous la forme d’un cd protégé par une couverture carton orange qui, une fois dépliée, nous laissait coi. Il y avait, en 70 minutes et 23 hypnotiques secondes, un télescopage de voix : 22 écrivains se lisant... Soit un croisement NASA entre les époques, les régions, les langues. Jean Genet présentait son pedigrée, Pasternak s’exprimait en français, Joyce récitait Finnegans wake, Gombrowicz fustigeait les prix littéraires, Kerouac jazzait, Artaud hurlait: asilaire, Pound, Schmidt et Celan sonnaient poétiques, Müller théatral et Bret Easton Ellis exposait le tout frais cadavre d’American Psycho…
Personne ne parlait encore de sampler. Et tout ça avait littéralement valeur de manifeste. Voilà plus qu'un simple disque: un mauvais coup porté à la bêtise et à la laideur, fomenté en attelage par les éditions Tristram (Jean-Hubert Gaillot et Sylvie Martigny, qui depuis Auch nous sauvent en éditant ceux qui comptent – Vollmann, Ballard, Lester Bangs, Bourgeade, Schmidt…) et l’éphémère revue L’immature (émanation littéraire des Inrockuptibles, qui ne connut – hélas- qu’une poignée de numéros au début des années 90; elle était dirigée par Hadrien Laroche et Michel Jourde). L’objet n’était pas à vendre : Tiré à très peu, il était offert à ceux qui lisaient les livres Tristram et la revue L’immature. Souvent, il s'agissait des mêmes.
Paradoxe (pour qui sait ce que font certains membres de ce blog dans le civil), en dix mois et 80 posts, on n’avait encore jamais mis de sons à disposition sur Discipline in Disorder. C’est un peu Noël en novembre.
(Les Alligators... était divisé en 6 tracks/chapitres. Il vous suffit, as usual, de cliquer sur le titre. La tracklist des auteurs est dans l'ordre des apparitions et mentionne, quand c'est possible, la date des enregistrements. Les titres sont de l'éditeur).
(Very rare audiobook edited in France in 1992 in few copies by astonishing editor Tristram and born-dead revue L'immature: a compilation in six segments of 22 worldwide writters reading quotes of their own. Litterature from the vaults. Download.)
Planètes – Jean Genet (1949), Valère Novarina (mai 1983), Georges Cheimonas (1990), Boris Pasternak (automne 1958) ((9:54))
Euphoriques – James Joyce (1929), Pierre Michon (septembre 1992), Witold Gombrowicz (1967), Arno Schmidt (édité en 1977) ((16:19))
Arpenter – Jack Kerouac (no date), John Ashberry (1975), Jean-Loup Tassard (mai 1992) ((12:17))
Au Large – Pier Paolo Pasolini (Mai 1974), Ezra Pound (no date), Claude Minière (mai 1983) ((5:20))
Fouille – Maurice Roche (1990), Paul Celan (1958) François Bon (avril 1992), Jude Stéfan (mai 1992) ((14:19))
Coups – Antonin Artaud (Juillet 1946), Heiner Müller (Juin 1992), Christine Angot (Janvier 1990), Jim Thompson (only one line, no date), Bret Easton Ellis (avril 1992) ((11:53))
Les Alligators souriants (voix d’écrivains), Tristram/L’immature, CD, 1992
Tuesday, 24 November 2009
Quote
"À neuf heures, Mildred était poudrée, bichonnée, parfumée et parvenue à cet état de semi-transparence qu'une femme semble acquérir quand elle est vraiment habillée pour sortir. Ses cheveux ondulés la veille, moussaient doucement; sa robe ajustée jusqu'aux derniers plis et aux moindres volants; son visage apprêté jusqu'au regard de poisson mort qui indique le dernier degré de tel rites."(p.255)
James M. Cain, Mildred Pierce, L'Imaginaire Gallimard 2009
James M. Cain, Mildred Pierce, L'Imaginaire Gallimard 2009
Wednesday, 18 November 2009
Rory Hayes, Where Demented Wented, Fantagraphics, 2008
Certains livres ne vous lâchent pas, même si vous n'arrivez pas à les lire jusqu'au bout. Comme les meilleurs disques : difficile, pour moi, de les écouter d'une traite. J'ai souvent l'impression qu'ils sont mieux conservés en moi si je leur laisse le temps, si je laisse faire mon imagination tout autant, sinon plus, que mes oreilles.
Il y a plusieurs mois déjà, j'ai acheté ce livre, sorti par Fantagraphics : une anthologie des dessins et bandes dessinées de Rory Hayes. Ce que j'y ai vu m'obsède perpétuellement, chaque jour, chaque nuit, revenant inlassablement à la manière d'un écho, d'une mélodie dure, revêche, cassée en son milieu.
Rory Hayes était un de ces dessinateurs surgis dans la BD au moment du psychédélisme, en même temps que Crumb. Mais contrairement à ce dernier, Hayes avait un style tout brut, dessinant toujours comme lorsqu'il était enfant, des monstres et des paysages cosmiques, des créatures d'un Enfer dont on imagine qu'il n'est rien d'autre que le sien, tout intime.
Ses dessins et petites BD regroupées ici intégralement n'ont rien de commun avec qui que ce soit d'autre (mis à part un autre grand autiste de la BD américaine, Mark Beyer - j'en reparlerai un jour, lorsque je m'en serai extirpé). Rory Hayes dessine, gribouille, décadre, fait baver ses montres, déchire des univers entiers. Le traiter de fou serait un raccourci, une connerie : j'ai rarement vu, lu, fréquenté, d'univers aussi cohérent, aussi bien agencé et aussi habilement mis en place. Ce qui choque, c'est le grotesque, la vision démente d'une vie qu'il semble le seul capable de restituer avec justesse : une vie violente, délétère, impossible.
Rory Hayes était un oracle, un dessinateur rare. Crumb a été un des premiers à le publier dans les années 60 et même dans les années 80, il publiait des pages de Hayes dans son magazine Weirdo, dans un numéro spécial "Losers" assez inégalable. Lorsque j'ai rencontré Crumb en octobre dernier, je lui ai montré ce numéro pour qu'il me parle de Hayes. Crumb : "Hayes était un garçon très timide, pale, aux yeux bleux très éloignés l'un de l'autre, de sorte que l'on ne pouvait pas dire s'il vous regardait vraiment. Je l'aimais beaucoup. C'était une sorte d'ami à moi. Mais il s'est mis à la drogue et je crois qu'il est mort d'overdose. Dans les années 60, il travaillait dans une librairie de comics à San Francisco et c'est là que j'ai découvert ses premiers comics : ils étaient puissants, forts, étrange, fous et en même temps très organisés. Ils m'ont immédiatement plu et nous l'avons immédiatement publié dans Snatch. Ce qui a déplu à Janis Joplin qui est passé me voir à la maison pour me dire que c'était une énorme erreur de publier Rory Hayes, que c'était trop psychotique."
Where Demented Wented contient aussi un essai d'un fan de Hayes, Le grand Edwin Pouncey alias Savage Pencil (on en reparlera ici ou ailleurs un jour prochain) ainsi que des posters qui nous apprennent que Hayes avait aussi tourné des films, à la maison : on donnerait cher pour les voir, pour comprendre comment il transcrivait sur pellicule ses visions de violence cosmique.
Rory Hayes, Where Demented Wented, Fantagraphics, 2008
Il y a plusieurs mois déjà, j'ai acheté ce livre, sorti par Fantagraphics : une anthologie des dessins et bandes dessinées de Rory Hayes. Ce que j'y ai vu m'obsède perpétuellement, chaque jour, chaque nuit, revenant inlassablement à la manière d'un écho, d'une mélodie dure, revêche, cassée en son milieu.
Rory Hayes était un de ces dessinateurs surgis dans la BD au moment du psychédélisme, en même temps que Crumb. Mais contrairement à ce dernier, Hayes avait un style tout brut, dessinant toujours comme lorsqu'il était enfant, des monstres et des paysages cosmiques, des créatures d'un Enfer dont on imagine qu'il n'est rien d'autre que le sien, tout intime.
Ses dessins et petites BD regroupées ici intégralement n'ont rien de commun avec qui que ce soit d'autre (mis à part un autre grand autiste de la BD américaine, Mark Beyer - j'en reparlerai un jour, lorsque je m'en serai extirpé). Rory Hayes dessine, gribouille, décadre, fait baver ses montres, déchire des univers entiers. Le traiter de fou serait un raccourci, une connerie : j'ai rarement vu, lu, fréquenté, d'univers aussi cohérent, aussi bien agencé et aussi habilement mis en place. Ce qui choque, c'est le grotesque, la vision démente d'une vie qu'il semble le seul capable de restituer avec justesse : une vie violente, délétère, impossible.
Rory Hayes était un oracle, un dessinateur rare. Crumb a été un des premiers à le publier dans les années 60 et même dans les années 80, il publiait des pages de Hayes dans son magazine Weirdo, dans un numéro spécial "Losers" assez inégalable. Lorsque j'ai rencontré Crumb en octobre dernier, je lui ai montré ce numéro pour qu'il me parle de Hayes. Crumb : "Hayes était un garçon très timide, pale, aux yeux bleux très éloignés l'un de l'autre, de sorte que l'on ne pouvait pas dire s'il vous regardait vraiment. Je l'aimais beaucoup. C'était une sorte d'ami à moi. Mais il s'est mis à la drogue et je crois qu'il est mort d'overdose. Dans les années 60, il travaillait dans une librairie de comics à San Francisco et c'est là que j'ai découvert ses premiers comics : ils étaient puissants, forts, étrange, fous et en même temps très organisés. Ils m'ont immédiatement plu et nous l'avons immédiatement publié dans Snatch. Ce qui a déplu à Janis Joplin qui est passé me voir à la maison pour me dire que c'était une énorme erreur de publier Rory Hayes, que c'était trop psychotique."
Where Demented Wented contient aussi un essai d'un fan de Hayes, Le grand Edwin Pouncey alias Savage Pencil (on en reparlera ici ou ailleurs un jour prochain) ainsi que des posters qui nous apprennent que Hayes avait aussi tourné des films, à la maison : on donnerait cher pour les voir, pour comprendre comment il transcrivait sur pellicule ses visions de violence cosmique.
Rory Hayes, Where Demented Wented, Fantagraphics, 2008
Wednesday, 11 November 2009
Quote
"Et, lorsque la dépression arrive finalement, je suis aussi son esclave. Mon plus grand désir est de la retenir, mon plus grand plaisir est de sentir que tout ce que je valais résidait dans ce que je crois avoir perdu : la capacité de créer de la beauté à partir de mon désespoir, de mon dégoût et de mes faiblesses. Avec une joie amère, je désire voir mes maisons tomber en ruine et me voir moi-même enseveli sous la neige de l’oubli. Mais la dépression est une poupée russe et, dans la dernière poupée, se trouvent un couteau, une lame de rasoir, un poison, une eau profonde et un saut dans un grand trou. Je finis par devenir l’esclave de tous ces instruments de mort. Ils me suivent comme des chiens, à moins que le chien, ce ne soit moi."(p.17)
Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (Vart behov av tröst), traduit du suédois par Philippe Bouquet, Actes Sud, 1981.
Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (Vart behov av tröst), traduit du suédois par Philippe Bouquet, Actes Sud, 1981.
Saturday, 7 November 2009
Lisa Kahane, Do not give way to Evil: photographs of the south bronx, 1979-1987
Lost New York, suite. J’éprouve comme une mauvaise conscience de blanc-bec, à apprécier un livre remplis de photos de ruines, de décombres. De quel droit, assis chez moi, le chien pas loin, je peux trouver photogénique une telle collection de ravages? La fascination est pourtant là, palpable. Accentuée par le fait que je ne connais pour ainsi dire pas New York... Une seule visite, à une époque lointaine, si reculée que le Bronx ressemblait encore un peu à ce qu’il est dans ce livre. A ce qu'il était en 1978 donc, lorsque Lisa Kahane a entrepris de photographier pour la prospérité une zone qui avait connue successivement l’échec urbanistique, la fermeture des usines alentours, la défiguration – construction d’une voie express coupant en deux 113 rues et occasionnant des milliers de déplacements et un nouvel entassement humain-, l’arrivée massive des drogues dures, et enfin l’abandon total d'investissements financiers sans lesquels un quartier ne peut se survivre à lui-même.
Je me souviens mal de New York, mais les images de ce livre se confondent dans ma tête avec le souvenir très net de villes sortant toutes d’une guerre civile. Est-ce un hasard si Lisa Kahane est devenue photographe de guerre, par la suite ? Traverse-t-elle déjà ici un paysage en guerre. D'une autre guerre, économique, sociale?
Pourtant, il n’y a chez elle pas tant de désir que ça d’exagérer, de faire de toute cette dévastation un événement indépassable. C’est un Bronx niqué mais calme. Les photos noir et blanc sont de loin les plus belles, mais presque trop : les lignes de fuite glaçantes, les artères désertées, les amas de décombres composent une nature morte. La beauté désespérée des ruines... que l'on contemple à deux fois, une pour y croire (documentaire), l'autre pour repérer au milieu de ce no-man's land l'impasse d'où surgiront des gangs de warriors façon Walter Hill ou Carpenter, venus crever une fois pour toute ce silence (fiction). New York en 1978 ressemblait comme une soeur à New York 1997. Magnifier les débris est un projet hypnotisant mais discutable à long terme, que Kahane a eu l’intelligence de compenser par des tirages couleurs néo-réalistes, clichés moins puissants à première vues mais qui, en douce, donnent à voir la chaleur – celle, étouffante, du ciel défunt qui possède une couleur que je ne sais pas définir : bleu délavé, bleu trempé, bleu sale des mauvaises canicules. Et celle, moins indirecte, des gens, qui tous, de façon spontanée, posent sur ses photos en souriant. Histoire de nous dire qu’ils vivent là et qu’ils nous emmerdent.
Lisa Kahane, Do not give way to evil : photographs of the South Bronx, 1979-1987, powerHouse, 2008.
Wednesday, 4 November 2009
Luc Sante, My Lost City, 2007
Il sait à quel numéro de venelle se cachait tel boxon en 1890, mais il est incapable de nostalgie. Tant mieux, puisque c’est sous couvert de nostalgie qu’est apparue sous Giuliani la gentryfication, l’aseptisation, l'embourgeoisement – peste moderne, blanche, neutre, propre, sécuritaire qui a transformé la ville connue sous le nom de New York en autre chose - un supermarché bio pour adolescents à la coule?
Déjà cité ici, ça et là, en filigrane par Garnier comme par Ivan (en général, le nom de Dave Hickey n’est jamais loin), Luc Sante (critique littéraire, journaliste, écrivain, éditeur de polars "hard boiled", prof d’histoire de la photo) est cet homme qui, selon son ami Jim Jarmush, possède «l’érudition la plus excitante qui soit». Soit. Sante est né en Belgique, ses parents ont migré aux USA quand il n’avait que cinq ans. Il découvre NY à 14 ans, en 1968, et entame avec elle une relation d’amour/haine de plus de trente ans, placée sous le sceau de la déception. Jusqu'à ne plus vouloir (ni pouvoir?) y vivre depuis dix ans (a-t-il a perdu sa ville, ou s'est-elle perdue?). Sante reste toutefois, pour une génération entière de provinciaux épris d’underground ayant échoués dans les années 70 dans le Lower East Side, le seul historien total de New York. Le seul en tout cas (avec le Nik Cohn de Broadway la grande voie blanche) à restituer cette ville dans sa dimension de pourriture, de violence quotidienne et de subculture attractive.
Low life : lures and snares of old new york, son livre phare,dont s'est beaucoup nourri Scorcese pour Gangs of New York (ok, le film était méchament raté), n’en finit plus d’attendre une traduction française - qui le hisserait au niveau de popularité d'un Greil Marcus... mais comme rien n’est annoncé pour les quarante prochaines semaines, vous pouvez toujours vous rabattre sur My lost city, un chouette mais mince recueil d’articles dessalés traduit, il y a six mois, en français. Woody Allen peut toujours jouer du pipeau...
«Tandis que nous somnolions, l’argent s’insinua lentement, imposant peu à peu sa présence, de mille manières étrangement disparates et apparemment périphériques. Le phénomène nouveau des vendeurs de rues fut le premier signe. Avant le début des années 80, vous n’auriez jamais vu de gens vendre de vieux livres ou des ordures variées au milieu du trottoir dans des boîtes en carton. Si vous vouliez vraiment vendre quelque chose, vous pouviez toujours louer une devanture pour presque rien, à condition de ne pas faire trop le difficile sur l’emplacement. Mais désormais, avec une grande célérité, Astor Place devenait un vaste marché aux puces, plein de vendeurs qui allaient de collectionneurs de vieux comic books aux optimistes essayant de se débarrasser de ce qu’ils pouvaient bien avoir tiré des poubelles la nuit précédente. Ce que cela signifiait, cependant, c’était que tous ceux qui, jusque-là, s’en étaient sortis au petit bonheur la chance ou grâce à leur charme avaient désormais sérieusement besoin de cash. Il existait à présent des consommateurs disposés à débourser des billets pour des babioles jadis disponibles gratuitement pour qui savait lire le langage de la rue. La raison pour laquelle les luftmenschen avaient besoin de dollars était en partie la hausse considérable du trafic de l’héroïne, causée par une chute abrupte des prix. Tout d‘un coup, des gens qui n’avaient été que des consommateurs occasionnels se retrouvaient accros.»
Luc Sante, My Lost City (Kill All Your Darlings), 2007, édition française : Inculte, 2009.
Déjà cité ici, ça et là, en filigrane par Garnier comme par Ivan (en général, le nom de Dave Hickey n’est jamais loin), Luc Sante (critique littéraire, journaliste, écrivain, éditeur de polars "hard boiled", prof d’histoire de la photo) est cet homme qui, selon son ami Jim Jarmush, possède «l’érudition la plus excitante qui soit». Soit. Sante est né en Belgique, ses parents ont migré aux USA quand il n’avait que cinq ans. Il découvre NY à 14 ans, en 1968, et entame avec elle une relation d’amour/haine de plus de trente ans, placée sous le sceau de la déception. Jusqu'à ne plus vouloir (ni pouvoir?) y vivre depuis dix ans (a-t-il a perdu sa ville, ou s'est-elle perdue?). Sante reste toutefois, pour une génération entière de provinciaux épris d’underground ayant échoués dans les années 70 dans le Lower East Side, le seul historien total de New York. Le seul en tout cas (avec le Nik Cohn de Broadway la grande voie blanche) à restituer cette ville dans sa dimension de pourriture, de violence quotidienne et de subculture attractive.
Low life : lures and snares of old new york, son livre phare,dont s'est beaucoup nourri Scorcese pour Gangs of New York (ok, le film était méchament raté), n’en finit plus d’attendre une traduction française - qui le hisserait au niveau de popularité d'un Greil Marcus... mais comme rien n’est annoncé pour les quarante prochaines semaines, vous pouvez toujours vous rabattre sur My lost city, un chouette mais mince recueil d’articles dessalés traduit, il y a six mois, en français. Woody Allen peut toujours jouer du pipeau...
«Tandis que nous somnolions, l’argent s’insinua lentement, imposant peu à peu sa présence, de mille manières étrangement disparates et apparemment périphériques. Le phénomène nouveau des vendeurs de rues fut le premier signe. Avant le début des années 80, vous n’auriez jamais vu de gens vendre de vieux livres ou des ordures variées au milieu du trottoir dans des boîtes en carton. Si vous vouliez vraiment vendre quelque chose, vous pouviez toujours louer une devanture pour presque rien, à condition de ne pas faire trop le difficile sur l’emplacement. Mais désormais, avec une grande célérité, Astor Place devenait un vaste marché aux puces, plein de vendeurs qui allaient de collectionneurs de vieux comic books aux optimistes essayant de se débarrasser de ce qu’ils pouvaient bien avoir tiré des poubelles la nuit précédente. Ce que cela signifiait, cependant, c’était que tous ceux qui, jusque-là, s’en étaient sortis au petit bonheur la chance ou grâce à leur charme avaient désormais sérieusement besoin de cash. Il existait à présent des consommateurs disposés à débourser des billets pour des babioles jadis disponibles gratuitement pour qui savait lire le langage de la rue. La raison pour laquelle les luftmenschen avaient besoin de dollars était en partie la hausse considérable du trafic de l’héroïne, causée par une chute abrupte des prix. Tout d‘un coup, des gens qui n’avaient été que des consommateurs occasionnels se retrouvaient accros.»
Luc Sante, My Lost City (Kill All Your Darlings), 2007, édition française : Inculte, 2009.
Wednesday, 28 October 2009
Ed Van Der Elsken, Love On The Left Bank, 1956
Il traînait Love On The Left Bank, l’autre soir chez Gilb-r.. occasion rêvée de lui proposer officiellement d’investir dans une galerie de photo DiD/Versatile, aussitôt qu’il sera devenu multimillionaire grâce aux ventes des albums de Jaumet et de Joakim (lol?).
En fait, on ne devrait pas se réjouir que Gilb-r, homme de goût, ait ça chez lui. On devrait se désoler qu’il n’y ait ça QUE chez lui. Car Love On The Left Bank est un morceau de mur arraché à l’histoire de Paris. Et si on nous bassine à longueur de journée avec l’histoire du punk et de la révolte où que ce soit, de NY à Santiago du Chili, qui ici soupçonne qu’il y ait eu un moment, entre 1952 et 1957, où Paris a été loin devant dans la course à l’électricité? Ok, ça ne s’est pas représenté souvent depuis, et ce livre (épuisé, bien sur, pas réédité, bien sûr, en tout cas pas en France, comme si Paris ne devait surtout pas trop en savoir sur elle-même) en est le témoignage brut, donc bouleversant.
Ed Van Der Elsken a quelque chose comme 27 ans en 1952. Il fait des photos, ses premières (il n’a jamais arrêté, jusqu'à sa mort en 90). Et il les fait avec ce qui l’entoure : un café, un peu maudit, situé 22 rue du Four : Chez Moineau. Là, des garçons, des filles - une fille... dont il tombe dingue raide. Une voyelle. Voyelle, c’est le féminin de voyoux. Pas dans le Littré , mais chez les fugueurs qui occuperont Moineau pendant les cinq six années à venir. «C’étaient des enfants déracinés venus de tous les coins de l’Europe. Beaucoup n’avaient ni toit ni parents, ni papiers. Pour les flics, leur statut légal était celui de vagabond. On vivait dans la rue, les cafés comme une bande de chiens bâtards. On avait notre hiérarchie, nos codes à nous. Les étudiants, les gens qui travaillaient en étaient exclus.» C’est elle qui dit ça, la fille : Vali Myers. Australienne, artiste, atterri là on ne sait comment, parmi les orphelins de la seconde guerre mondiale. Presque dangereusement belle, 22 ans & l’allure d’aucune autre cette saison-là. On pourra, pour approcher d’une description passable, invoquer les visages de Tina Aumont, de Margareth Clementi, de Nico, de n’importe quelle femme-chat qui peuple le cinéma de Garrel à partir de 68-69. Mais là, on est en 1952, et personne au monde, ni en France ni ailleurs (pas même Edie Parker et Joan Vollmer, les femmes de la Beat génération) ne s’habille comme ça, ne se coiffe comme ça, ne se maquille comme ça. Chez Moineau, outre Vali, il y a Eliane, Michèle B. et autour d'elles une bande de garçons assez sauvages, ivres morts souvent. On a dit (Greil Marcus, entre autres) qu'il s'agissait là peut-être des premiers punks, portant des slogans peints sur leurs vêtements élimés, vendant du hasch, et se faisant coffrer pour ivresse sur la voie publique et cheveux longs. Mais franchement, la culture ils s’en contrefoutaient - ça na valait pas le vin. Il n’y avait pas de mouvement derrière eux. Pas de musique, pas d’art, pas de littérature, pas d'horizon pour Pierre Feuillette, Fred, Mohamed Dahou, Jean Michel Mension - que de la survie.
L’art, chez Moineau, ça n’existe que dans la tête de deux personnes.
Le premier s’appelle Ivan Chtcheglov, il lit, il écrit et détruit ses écrits. En 1952, Ivan apprend à marcher à Guy. La nuit, dans Paris. Il l'initie à la "Dérive". Guy, c’est Debord. Il apprend vite.
A deux, plus d’autres (Serge Berna, Jean Louis Brau, Gil J. Wolman), ils vont fonder l’Internationale Lettriste, publier des bulletins renéotypés, faire des coups. Ed Van der Elsken, pour les beaux yeux en amande de Vali, prend Chez Moineau les photos du Mouvement – qui n’en est pas un. Pas même le temps d'en être un: Trop de dérives, de disputes, de chaos. Très vite ils se brouilleront les uns les autres (trop de vin aussi), il y aura des exclusions à la pelle, tout ce réflexe de gens de parti qui, chez Debord, en dehors de l’admiration que je peux avoir pour la force décapante de sa pensée et l’âpreté de son style seigneurial, m’emmerdera toujours : Sans doute je hais les maîtres – donnez-nous plutôt des héros. Ivan Chtcheglov deviendra fou à lier, interné, délirant. Debord dessinera sans lui, mais à partir de ce qu’Ivan lui aura enseigné, les plans d’une attaque en règle de la société du vide et de l’indifférence transformée en marchandise. «Mais puis-je oublier celui que je vois partout dans le plus grand moment de nos aventures ; car personne d’autre le valait, cette année-là ? On eût dit qu’en regardant seulement la ville et la vie, il les changeait. Il découvrit en un an des sujets de revendications pour un siècle ; les profondeurs et les mystères de l’espace urbain furent sa conquête.» (Debord, sur Chtcheglov, In Girum…)
Debord avait une expression pour se souvenir de l'année 52, une formule empruntée comme souvent chez lui au dialecte militaire: "On avançait, disait-il, en «enfants perdus». L’attaque finale de cette brigade légère aura pour nom de code : Internationale Situationniste // I.S.
On connaît les livres (La Société du Spectacle, en tête), écrits comme on dresse des plans stratégiques, on connait les situations qui ont pris tout le monde de cours (Mai 68...). On connaît mieux encore ce beau film arrogant et blessé, qui en donne l’histoire, entre les lignes : In Girum Imus Nocte Et Consumimur Igni. Nous tournons en rond dans la nuit et sommes consumés par le feu.
Et puis, si jamais on éprouve devant ce programme politique qui n’a fait que s’enfoncer dans le dur, un reste de romantisme, de mélancolie ou de lyrisme, on rouvrira Love On The Left Bank – et tant pis si Van Der Elsken a voulu monter les photos les unes après les autres comme dans un roman, comme dans un roman-photo… Il y a dans chacun de ses instants saisis, éclairés à la lumière des cafés et des éclairages de villes, un truc qui manque trop souvent à la photographie et qui tient au commencement d’une époque, au brouillon de quelque chose. Où comment s'enregistre, à un moment donné, l'émergence d'une force irréductible à tout, faisant dos au monde, et qui redonne à penser le présent. Et si ça ne suffit pas à calmer notre curiosité, on cherchera une explication plutôt vive et chaude à cette histoire clandestine. Et pour ça, autant ouvrir dare dare La Tribu, un mince mais riche bouquin d’entretien avec Jean-Michel Mension, tête brûlée de chez Moineau, exclu un beau jour de l’IL par Debord, qui le trouva tout à coup « décoratif ». La Tribu n’explique pas les Situs, le livre dit d'autres choses, essentielles au Situationnisme : la vie hors les rangs, l'ivresse hardcore, la liberté. C'est, avec Love On The Left Bank, la chose la plus heureuse qui ait été jamais formulé sur le passage de quelques personnes en 1952 à l’intérieur du «café de la jeunesse perdue» (oubliez en revanche, sur la période, le livre éponyme de Modiano, faible de partout, et pourtant Modiano est un magnifique écrivain…).
Booo… Je vous parle beaucoup (trop, et trop longuement, pardon) de Debord et des Situs en ce moment. Il y a des raisons à cela (des trucs de boulot...), mais l’une d’elle est peut-être que je regarde Paris, la nuit qui tombe de plus en plus tôt, et je ne sais pas où aller -----------
Ed Van Der Elsken, Love On The Left Bank, 1956, réédition Dewi Lewis Publishing, UK, 1999
Jean-Michel Mension, La Tribu, Allia, Paris, 1998
Ivan Chtcheglov, Ecrits retrouvés, Allia, Paris, 2006
En fait, on ne devrait pas se réjouir que Gilb-r, homme de goût, ait ça chez lui. On devrait se désoler qu’il n’y ait ça QUE chez lui. Car Love On The Left Bank est un morceau de mur arraché à l’histoire de Paris. Et si on nous bassine à longueur de journée avec l’histoire du punk et de la révolte où que ce soit, de NY à Santiago du Chili, qui ici soupçonne qu’il y ait eu un moment, entre 1952 et 1957, où Paris a été loin devant dans la course à l’électricité? Ok, ça ne s’est pas représenté souvent depuis, et ce livre (épuisé, bien sur, pas réédité, bien sûr, en tout cas pas en France, comme si Paris ne devait surtout pas trop en savoir sur elle-même) en est le témoignage brut, donc bouleversant.
Ed Van Der Elsken a quelque chose comme 27 ans en 1952. Il fait des photos, ses premières (il n’a jamais arrêté, jusqu'à sa mort en 90). Et il les fait avec ce qui l’entoure : un café, un peu maudit, situé 22 rue du Four : Chez Moineau. Là, des garçons, des filles - une fille... dont il tombe dingue raide. Une voyelle. Voyelle, c’est le féminin de voyoux. Pas dans le Littré , mais chez les fugueurs qui occuperont Moineau pendant les cinq six années à venir. «C’étaient des enfants déracinés venus de tous les coins de l’Europe. Beaucoup n’avaient ni toit ni parents, ni papiers. Pour les flics, leur statut légal était celui de vagabond. On vivait dans la rue, les cafés comme une bande de chiens bâtards. On avait notre hiérarchie, nos codes à nous. Les étudiants, les gens qui travaillaient en étaient exclus.» C’est elle qui dit ça, la fille : Vali Myers. Australienne, artiste, atterri là on ne sait comment, parmi les orphelins de la seconde guerre mondiale. Presque dangereusement belle, 22 ans & l’allure d’aucune autre cette saison-là. On pourra, pour approcher d’une description passable, invoquer les visages de Tina Aumont, de Margareth Clementi, de Nico, de n’importe quelle femme-chat qui peuple le cinéma de Garrel à partir de 68-69. Mais là, on est en 1952, et personne au monde, ni en France ni ailleurs (pas même Edie Parker et Joan Vollmer, les femmes de la Beat génération) ne s’habille comme ça, ne se coiffe comme ça, ne se maquille comme ça. Chez Moineau, outre Vali, il y a Eliane, Michèle B. et autour d'elles une bande de garçons assez sauvages, ivres morts souvent. On a dit (Greil Marcus, entre autres) qu'il s'agissait là peut-être des premiers punks, portant des slogans peints sur leurs vêtements élimés, vendant du hasch, et se faisant coffrer pour ivresse sur la voie publique et cheveux longs. Mais franchement, la culture ils s’en contrefoutaient - ça na valait pas le vin. Il n’y avait pas de mouvement derrière eux. Pas de musique, pas d’art, pas de littérature, pas d'horizon pour Pierre Feuillette, Fred, Mohamed Dahou, Jean Michel Mension - que de la survie.
L’art, chez Moineau, ça n’existe que dans la tête de deux personnes.
Le premier s’appelle Ivan Chtcheglov, il lit, il écrit et détruit ses écrits. En 1952, Ivan apprend à marcher à Guy. La nuit, dans Paris. Il l'initie à la "Dérive". Guy, c’est Debord. Il apprend vite.
A deux, plus d’autres (Serge Berna, Jean Louis Brau, Gil J. Wolman), ils vont fonder l’Internationale Lettriste, publier des bulletins renéotypés, faire des coups. Ed Van der Elsken, pour les beaux yeux en amande de Vali, prend Chez Moineau les photos du Mouvement – qui n’en est pas un. Pas même le temps d'en être un: Trop de dérives, de disputes, de chaos. Très vite ils se brouilleront les uns les autres (trop de vin aussi), il y aura des exclusions à la pelle, tout ce réflexe de gens de parti qui, chez Debord, en dehors de l’admiration que je peux avoir pour la force décapante de sa pensée et l’âpreté de son style seigneurial, m’emmerdera toujours : Sans doute je hais les maîtres – donnez-nous plutôt des héros. Ivan Chtcheglov deviendra fou à lier, interné, délirant. Debord dessinera sans lui, mais à partir de ce qu’Ivan lui aura enseigné, les plans d’une attaque en règle de la société du vide et de l’indifférence transformée en marchandise. «Mais puis-je oublier celui que je vois partout dans le plus grand moment de nos aventures ; car personne d’autre le valait, cette année-là ? On eût dit qu’en regardant seulement la ville et la vie, il les changeait. Il découvrit en un an des sujets de revendications pour un siècle ; les profondeurs et les mystères de l’espace urbain furent sa conquête.» (Debord, sur Chtcheglov, In Girum…)
Debord avait une expression pour se souvenir de l'année 52, une formule empruntée comme souvent chez lui au dialecte militaire: "On avançait, disait-il, en «enfants perdus». L’attaque finale de cette brigade légère aura pour nom de code : Internationale Situationniste // I.S.
On connaît les livres (La Société du Spectacle, en tête), écrits comme on dresse des plans stratégiques, on connait les situations qui ont pris tout le monde de cours (Mai 68...). On connaît mieux encore ce beau film arrogant et blessé, qui en donne l’histoire, entre les lignes : In Girum Imus Nocte Et Consumimur Igni. Nous tournons en rond dans la nuit et sommes consumés par le feu.
Et puis, si jamais on éprouve devant ce programme politique qui n’a fait que s’enfoncer dans le dur, un reste de romantisme, de mélancolie ou de lyrisme, on rouvrira Love On The Left Bank – et tant pis si Van Der Elsken a voulu monter les photos les unes après les autres comme dans un roman, comme dans un roman-photo… Il y a dans chacun de ses instants saisis, éclairés à la lumière des cafés et des éclairages de villes, un truc qui manque trop souvent à la photographie et qui tient au commencement d’une époque, au brouillon de quelque chose. Où comment s'enregistre, à un moment donné, l'émergence d'une force irréductible à tout, faisant dos au monde, et qui redonne à penser le présent. Et si ça ne suffit pas à calmer notre curiosité, on cherchera une explication plutôt vive et chaude à cette histoire clandestine. Et pour ça, autant ouvrir dare dare La Tribu, un mince mais riche bouquin d’entretien avec Jean-Michel Mension, tête brûlée de chez Moineau, exclu un beau jour de l’IL par Debord, qui le trouva tout à coup « décoratif ». La Tribu n’explique pas les Situs, le livre dit d'autres choses, essentielles au Situationnisme : la vie hors les rangs, l'ivresse hardcore, la liberté. C'est, avec Love On The Left Bank, la chose la plus heureuse qui ait été jamais formulé sur le passage de quelques personnes en 1952 à l’intérieur du «café de la jeunesse perdue» (oubliez en revanche, sur la période, le livre éponyme de Modiano, faible de partout, et pourtant Modiano est un magnifique écrivain…).
Booo… Je vous parle beaucoup (trop, et trop longuement, pardon) de Debord et des Situs en ce moment. Il y a des raisons à cela (des trucs de boulot...), mais l’une d’elle est peut-être que je regarde Paris, la nuit qui tombe de plus en plus tôt, et je ne sais pas où aller -----------
Ed Van Der Elsken, Love On The Left Bank, 1956, réédition Dewi Lewis Publishing, UK, 1999
Jean-Michel Mension, La Tribu, Allia, Paris, 1998
Ivan Chtcheglov, Ecrits retrouvés, Allia, Paris, 2006
Sunday, 25 October 2009
Alfred Bester, Terminus les Etoiles, 1956.
Suite au post de Mickey Moonlight, j'ai rouvert un poussiereux The Stars are my Destination d'Alfred Bester (a lire aussi son The Demolition Man).Ado, pas trop SF , enfin pas plus que ca, plutot polar. Mais meme en faisant tres attention a ne pas etre geek (la SF c'etait ca), il y avait quelques bouquins quand meme. Dont celui la, lie dans ma memoire a ce qui se faisait a l'epoque, Gibson en tete, quand cyberpunk ne sonnait pas pour nous comme une insulte. Quelques suprises a le reelecture par contre, c'est vraiment un chouette et etrange bouquin. D'abord, c'est un bouquin nerveux, pas une sage pleine de tomes et d'emphase. C'est presque un polar de serie B en fait, une simple histoire de vengeance (le meilleur sujet de serie B comme chacun sait) avec un non-heros, Gully Foyle dont la violence et la froideur rappelle etrangement le Carter de Get Carter, Mike Hammer et son amour des femmes ou, plus encore, le Walker de Point Blank.
Le futur datant tres vite, la SF vieillit mal. Paru en 1956 (je n'avais aucun souvenir et l'avais surement lu a l'epoque comme un roman du futur) contemporain, Tiger Tiger (son beau titre, emprunte a Blake), se joue de cet ecueil. Sa technogoree a bien plus qu'un charme desuet et les ellipses (ni sexe ni violence graphique) propre a l'epoque de redaction en affine encore la nerveuse symmetrie. Tout compte fait, ce court traite de morale hard boiled/straight edge (ta rage primordiale tu canaliseras) dame encore le pion a tous ceux qu'il a inspire. Si vous n'en lisez qu'un dans le genre, il y aurait pire choix.
Alfred Bester, Terminus les Etoiles, Denoel, 1989.
Le futur datant tres vite, la SF vieillit mal. Paru en 1956 (je n'avais aucun souvenir et l'avais surement lu a l'epoque comme un roman du futur) contemporain, Tiger Tiger (son beau titre, emprunte a Blake), se joue de cet ecueil. Sa technogoree a bien plus qu'un charme desuet et les ellipses (ni sexe ni violence graphique) propre a l'epoque de redaction en affine encore la nerveuse symmetrie. Tout compte fait, ce court traite de morale hard boiled/straight edge (ta rage primordiale tu canaliseras) dame encore le pion a tous ceux qu'il a inspire. Si vous n'en lisez qu'un dans le genre, il y aurait pire choix.
"Gully foyle is my name
And Terra is my nation,
Deep space is my dwelling place
And death is my destination"
And Terra is my nation,
Deep space is my dwelling place
And death is my destination"
Alfred Bester, Terminus les Etoiles, Denoel, 1989.
Thursday, 22 October 2009
Akbar Del Piombo & Norman Rubington, Fuzz against Junk, 1960
Il y a ambiguïté sur la personnalité d'Akbar Del Piombo (juste le meilleur pseudo de tous les temps). Ivan, qui me l’a fait découvrir, est intimement persuadé qu’il s’agit ni plus ni moins d’Alexander Trocchi – et de fait, tout y fait songer : la thématique junk, l’éditeur (Girodias, pour qui Trocchi écrivait des romans pornos sous pseudos), le détournement façon Situ (on pense ici à Fin de Copenhague de Asger Jorn et Guy Debord). Style sec et humour « tongues in cheek ». De la férocité, partout. Mais les infos glanées ça et là sur le net laissent plutôt sous-entendre qu’Akbar Del Piombo et son illustrateur Norman Rubington ne feraient en fait qu’un. C'est pas impossible... Rubington, peintre alors un peu en vogue, spécialiste du grand écart (à la fois prix de Rome 51 et habitué du Chelsea Hôtel) faisait partie de cette coterie d’américains férocement tox réfugiés à Paris dans les années 50 (Trocchi, Burroughs...) et s’agitant autour de la revue Merlin (crée par Trocchi). Sans doute, partageait-il les gouts et les manies de Trocchi (lequel, en 1960, avait quitté Paris pour New York depuis trois ans, même s'il y gardait des amitiés littéraires). Trocchi ou pas, on se demandera quand même pour quelle raison celui qui a déjà son nom sur la couverture pour ses collages emprunterait en plus un nom de plume pour en signer les textes?
Aka Akbar? Il est surtout possible qu’Akbar Del Piombo, qui aimait tant écrire des histoires de harems lubriques, soit un nom ouvert, un nom générique sous lequel se couvraient, quand ça les arrangeaient, plusieurs personnes en même temps(remember Joe Staline, dans Métal...).
L’essentiel n'est pas là: si Fuzz against Junk est, depuis 50 ans, le roman graphique ultime, c'est parce qu’il détourne sans vergogne le trait innocent des vignettes XIXème siècle peuplant les éditions Hetzel des Voyages extraordinaires de Jules Vernes (Rubington utilisait la même méthode de collage que Max Ernst) et le ton badin, très pipe au bec, des Blake & Mortimer, pour les mettre au service d’une imagination dépravée, débordante, accélérée : les vingt-cinq pages où Akbar Del Piombo recense cent farfelues méthodes de fakir pour se défoncer – ruban injectant de l’héroïne liquide directement dans le crâne!, bain de vapeur à l’opium!, méthode dite ophtalmologique! - ridiculisent en beauté toute littérature trash. A ce stade d’inventivité camée, à ce niveau de virtuosité dans l’élaboration de machines de machines, seul Burroughs pouvait rivaliser. Chez Akbar, tout est d'une fumisterie raffinée, chaque page possède une splendeur pré-Monty Python, avec quelque chose en dedans de plus incisif. By Jove! on voudrait pouvoir ingérer ces images à l’heure du thé, dans un club victorien, tout de bois, avec un disque de Lord Sabre en fond discret, oui.
Ps : l’édition Girodias, belle, verte, culte, est devenue rare et (un peu) chère. La réédition française, Mille et une nuits, sous le titre L’Anticame ou les Exploits de Sir Edwin est laide, pas vraiment recommandable, mais elle a l’avantage d’être encore dispo pour une somme ridicule (2 euros, ce genre) .
Akbar Del Piombo & Norman Rubington, Fuzz against Junk/ The Hero maker, The Olympia Press, Paris, 1960.
Sunday, 18 October 2009
Quote
Entre ces deux phrases de Guy-Ernest Debord, il a passé vingt ans. On les sent pas vraiment.
Obsession partagée, sinon....
"le principal drame affectif de la vie, après le conflit perpétuel entre le désir et la réalité hostile au désir, semble bien être la sensation de l'écoulement du temps."
Guy Debord, Rapport sur la construction des situations, Belgique, Juin 1957 (réédition Mille et une nuits, 2000)
"La Sensation de l'écoulement du temps a toujours été pour moi très vive, et j'ai été attiré par elle comme d'autres par le vide et l'eau."
Guy Debord, In Girum Imus Nocte Et Consumimur Igni, Oeuvres Cinématograpiques complètes, Champ Libre, Paris 1978
Obsession partagée, sinon....
"le principal drame affectif de la vie, après le conflit perpétuel entre le désir et la réalité hostile au désir, semble bien être la sensation de l'écoulement du temps."
Guy Debord, Rapport sur la construction des situations, Belgique, Juin 1957 (réédition Mille et une nuits, 2000)
"La Sensation de l'écoulement du temps a toujours été pour moi très vive, et j'ai été attiré par elle comme d'autres par le vide et l'eau."
Guy Debord, In Girum Imus Nocte Et Consumimur Igni, Oeuvres Cinématograpiques complètes, Champ Libre, Paris 1978
Thursday, 15 October 2009
BELLOW THE BOTTOM SHELF with...MICKEY MOONLIGHT
Many would think Mickey Moonlight is a strange character. I think he is a really nice person. One of the few in the small electronic music world you can have a decent conversation with. And not only about obscure italian 12"s but also about horror movies, neo-paganism, Dennis Potter and... of course, brilliant books.
That said, I've known Mickey since his Midnight Mike days and yet do not really know him, which I quite like. As he tells me (it will explain the abruptness of his answers), "he doesn't like much to express his opinion publicly". Hence by having him here, we feel both privileged and tantalized.
have a listen to Mickey Moonlight's music and watch his incredible shoestring videos here: www.myspace.com/mickeymoonlight/.
That said, I've known Mickey since his Midnight Mike days and yet do not really know him, which I quite like. As he tells me (it will explain the abruptness of his answers), "he doesn't like much to express his opinion publicly". Hence by having him here, we feel both privileged and tantalized.
have a listen to Mickey Moonlight's music and watch his incredible shoestring videos here: www.myspace.com/mickeymoonlight/.
Can you name a book you always recommend because you think nobody else does?
Meatphysics by Jake Chapman
Which author, dead or alive, has the best dress sense?
W. S. Burroughs
What book title would you wear as a tattoo?
None
One of your favorite quote?
not sure, maybe something from Kurt Vonnegut
Your own self help book would be titled...
Please Help Yourselves.
The most shocking book you own?
Not sure, maybe Bataille's Story of the Eye.
Your favorite non-fiction book?
Quantum Psychology and Prometheus Rising by Robert Anton Wilson
A book that has turned you on (after 13)?
Again, Prometheus Rising.
Your fave book about cinema?
Sin in Soft Focus by Mark. A. Vieira.
What book would you like to make as a movie?
The stars my Destination by Alfred Bester.
Quote
« Fascination pour les couteaux. Pour les aiguilles. Aiguilles du temps apprivoisant le cadran du sang. Il y a dans l'injection l'idée d'une circulation d'envergure. Atteindre les lointaines terres féeriques. Y allumer un feu et se geler, tester les contraires en quelque sorte. Minuscule trou écarlate au coeur du mouvement. Soleils las, blocs de glace peints par Gaspar-David Friedrich charriés par le sang, masques terrifiants, rituels paradoxaux des sectes mortes. » (p.24)
Michel Bulteau, A New York au milieu des spectres, La Différence, 2000.
Michel Bulteau, A New York au milieu des spectres, La Différence, 2000.
Wednesday, 14 October 2009
TROIS...autres bons bouquins sur la junkitude.
[Autre nouvelle rubrique, "Trois.." bouquins, choix de D in D sur un sujet comme un autre, en rapport ou pas avec un autre, chroniques plus courtes ne voulant pas dire bouquin moins important...]
William Burroughs Jr., « Kamé Kazé (Kentucky Ham) », Flammarion 1975
« Le passé n’est que fiction » dit mon père et j’aurai tendance à le croire. Junky accompli à 16 ans, William Burroughs Jr. a également hérité de son père un certain goût pour l'écriture. Loin du psychédélisme glacial du vieux Bill, Junior a trouvé sa propre voie, drôle et féroce, pour nous raconter comment après plusieurs arrestations pour usages de stupéfiants, il est envoyé en détox à la ferme de Lexington dans le Kentucky (The Narcotic Farm dont on vous parlait il y a quelque temps), établissement model où ils sont censés traiter les drogués « non comme des criminels, mais comme des personnes entières ». Vue de l’intérieure, la ferme ressemble à un zoo où l’on parque les toxs telle une espèce dont il faut cacher l’existence. Visite interdite au public. Amenez plutôt les gosses à Disneyland. Dans cette jungle peuplée de zombies, Jr ne trouvera pas sa place. La route de la détox le mènera dans une communauté hippie, sur un bateau de pêche et enfin en Alaska. Plus « Rehab book » que « Junky book », Kentucky Ham vaut également le détour pour sa première partie où Junior parle avec pas mal de tendresse et d’humour de sa famille et de ses frasques d’apprenti toxico entre New York, Tanger et Miami.
Alexander Trocchi, Caïn’s Book, 1960 (Le Livre de Caïn, traduit par Edoardo Diaz, Edition du Lézard, 2000).
Quand Trocchi publie The Caïn’s book en 1960, il n’a peut-être que 35 ans mais sa réputation de trou du cul n’est déjà plus à faire : Glasgow boy passé par Paris, il y crée une revue, Merlin, qui publie Beckett, Genet, Miller, Sartre, écrit sous pseudos des livres sexys pour Girodias (procés en veux-tu en voilà) et se permet même un premier chef d’œuvre, Young Adam. Puis, comme de juste, se lie aux Situationistes notoirement alcooliques - on ne saurait être tout à la fois, Trocchi sera héroïnomane. Son addiction deviendra notoriété publique (avec les emmerdes qui vont avec) à la sortie du Livre de Caïn, livre même plus à clé, jeté à la flotte comme un (dernier : il n’écrira plus ensuite) journal d’exil : ce Joe Necchi enfoncé dans la défonce sur une péniche amarrée en baie d’Hudson, qui cherche ses plans dans Harlem pendant que sa fiancée, tox aussi, fait des passes, c’est lui - jusqu’à l’os : affirmation, après De Quincey, après James Lee, après Kavan, après Burroughs, d’une vie (possible ?) de junk littéraire. Qu’est-ce qui en fait, de surcroit, le meilleur livre sur la junk écrit par un junk ? Son refus de plaire, sa froideur totale. Quand les phrases tombent, elles font un drôle de bruit blanc qui ne cherche plus depuis longtemps sa once minimum d’émotion. Dedans, c’est tout.
Ann Marlowe, How To stop Time-Heroin From A to Z, Virago, 2002
Certes l'air de pas grand chose, mais un des rares qui sonne juste, ce bouquin. Peut-etre parce que Marlowe a compris qu'on devait parler de l'heroine comme on aime a parler d'autre chose, avec la distance de celui qui sait vraiment de quoi il parle (l'autre n'est il pas trop fascine?), avec les justes hesitations (derniers remparts contre le discours) qui vont avec la sensibilte, avec la lucidite de ceux qui ne refusent jamais de "plaisanter sur un sujet grave" . Devrait etre prescrit d'office aux parents inquiets, artistes maudits, moralistes cokes et autres junkies repentis.
Trois bons bouquins sur la junkitude, c'est deja pas mal..Franchement, on ne sait pas si il est un autre sujet qui attire autant la mauvaise litterature (mauvaise en tout genre: normative, self-indulgent, pseudo-trash...). On a sauve, entre autres quand meme, ces trois volumes la.
William Burroughs Jr., « Kamé Kazé (Kentucky Ham) », Flammarion 1975
« Le passé n’est que fiction » dit mon père et j’aurai tendance à le croire. Junky accompli à 16 ans, William Burroughs Jr. a également hérité de son père un certain goût pour l'écriture. Loin du psychédélisme glacial du vieux Bill, Junior a trouvé sa propre voie, drôle et féroce, pour nous raconter comment après plusieurs arrestations pour usages de stupéfiants, il est envoyé en détox à la ferme de Lexington dans le Kentucky (The Narcotic Farm dont on vous parlait il y a quelque temps), établissement model où ils sont censés traiter les drogués « non comme des criminels, mais comme des personnes entières ». Vue de l’intérieure, la ferme ressemble à un zoo où l’on parque les toxs telle une espèce dont il faut cacher l’existence. Visite interdite au public. Amenez plutôt les gosses à Disneyland. Dans cette jungle peuplée de zombies, Jr ne trouvera pas sa place. La route de la détox le mènera dans une communauté hippie, sur un bateau de pêche et enfin en Alaska. Plus « Rehab book » que « Junky book », Kentucky Ham vaut également le détour pour sa première partie où Junior parle avec pas mal de tendresse et d’humour de sa famille et de ses frasques d’apprenti toxico entre New York, Tanger et Miami.
Alexander Trocchi, Caïn’s Book, 1960 (Le Livre de Caïn, traduit par Edoardo Diaz, Edition du Lézard, 2000).
Quand Trocchi publie The Caïn’s book en 1960, il n’a peut-être que 35 ans mais sa réputation de trou du cul n’est déjà plus à faire : Glasgow boy passé par Paris, il y crée une revue, Merlin, qui publie Beckett, Genet, Miller, Sartre, écrit sous pseudos des livres sexys pour Girodias (procés en veux-tu en voilà) et se permet même un premier chef d’œuvre, Young Adam. Puis, comme de juste, se lie aux Situationistes notoirement alcooliques - on ne saurait être tout à la fois, Trocchi sera héroïnomane. Son addiction deviendra notoriété publique (avec les emmerdes qui vont avec) à la sortie du Livre de Caïn, livre même plus à clé, jeté à la flotte comme un (dernier : il n’écrira plus ensuite) journal d’exil : ce Joe Necchi enfoncé dans la défonce sur une péniche amarrée en baie d’Hudson, qui cherche ses plans dans Harlem pendant que sa fiancée, tox aussi, fait des passes, c’est lui - jusqu’à l’os : affirmation, après De Quincey, après James Lee, après Kavan, après Burroughs, d’une vie (possible ?) de junk littéraire. Qu’est-ce qui en fait, de surcroit, le meilleur livre sur la junk écrit par un junk ? Son refus de plaire, sa froideur totale. Quand les phrases tombent, elles font un drôle de bruit blanc qui ne cherche plus depuis longtemps sa once minimum d’émotion. Dedans, c’est tout.
Ann Marlowe, How To stop Time-Heroin From A to Z, Virago, 2002
Certes l'air de pas grand chose, mais un des rares qui sonne juste, ce bouquin. Peut-etre parce que Marlowe a compris qu'on devait parler de l'heroine comme on aime a parler d'autre chose, avec la distance de celui qui sait vraiment de quoi il parle (l'autre n'est il pas trop fascine?), avec les justes hesitations (derniers remparts contre le discours) qui vont avec la sensibilte, avec la lucidite de ceux qui ne refusent jamais de "plaisanter sur un sujet grave" . Devrait etre prescrit d'office aux parents inquiets, artistes maudits, moralistes cokes et autres junkies repentis.
Sunday, 11 October 2009
Afred W. McCoy, The Politics of Heroin, Lawrence Hill Books, 1972. Rev. 2003
Mon amitie pour ce bouquin date de mes annees d'etudiant. Romantisme (et autres) oblige, McCoy ne pouvait que fasciner. Wow, ne serait-ce qu'imaginer la redaction d'une these sous-titree The CIA Complicity in the Global Drug Trade... Loin loin de ma bibliotheque du Quartier Latin. C'est le texte de notre chere Karine sur la Narcotic Farm qui me l'a rappelle... En y rejetant un oeil, je comprends toujours pourquoi j'avais accroche (Etudes et Aventure)... Mais ce pave vaut plus que la nostalgie que chez moi il suscite.
Cette chronique restera de signalisation, il est difficile de bien (au sens de faire un beau texte sur) en parler: son poids reside dans les details, le style importe peu. Tant mieux presque parce que c'est dans la froideur que l'investigation prend a la gorge.
Rien de tres nouveau et tres frime chez McCoy, juste la mise en lumiere effrayante de la Real Politik (pas seulement americaine) que constitue l'articulation d'une War on Drugs hypocrite et de l'utilisation des agents/argents du traffic pour le financement et l'organisation de la lutte inavouee contre les ennemis du monde libre.
Le livre aurait pu etre destine directement a la poubelle Conspiracy Theories. Mais il ne'st pas assez flemmard et vague pour ca (170 pages de notes ca fait beaucoup pour un redneck/geek illumine)... Et puis, c'est aussi la pluie de merde administrative (these annullee, vexations multiples, garde a vue= effrayante preface du bouquin) tombee sur McCoy entre 1972 et 2003 qui temoigne en sa faveur... Mais finalement, c'est de se voir decortiquees scientifiquement des scenarios paranos (le bouquin rappelle Pakula ou Frankeinheimer plus qu'autre chose), des trucs tellement rabattus qu'ils en etaient devenus presque du folklore pseudo-historique: les corses en Indochine, Air America, la deferlante blanche in the UK apres l'ouverture des canaux pour financer la resistance afghane (j'en discutais recemment avec quelqu'un qui a vecu le truc de pres, le milieu punk londonien fut decime en 6 mois), l'apparition du crack aux USA, le contragate.. Etc etc..On en viendrait presque a rever, en glissant justement vers la conspiration, que cette mise en abime hollywoodienne de l'histoire noire de nos gouvernements, meme celle denoncant fut elle aussi planifiee. Et que McCoy paya cher son petit travail de detective... Mais je m'egare, pas la peine d'en arriver la pour avoir froid dans le dos...
Comme le New Journalism (autre renvoi), mais d'un autre angle, The Politics of Heroin fait aussi un clin d'oeil au roman. On peut le voir comme ca ... Sans que cela ne lui enleve sa valeur scientifique. Et comme avec The Narcotic Farm,la meme rengaine, cette vieille scie ce dont on a tristement l'habitude: les victimes sont toujours les memes. Et, bien sur, on attrappe rarement les vrais mechants...
Alfred W.McCoy, The Politics of Heroin, Lawrence Hill Books, 1972. rev 2003. Traduit en 1992 chez Flammarion sous le titre La Politique de l'Heroine en Asie du Sud-Est, donc ne comprendra pas les revisions eclairantes de l'edition anglaise.
Cette chronique restera de signalisation, il est difficile de bien (au sens de faire un beau texte sur) en parler: son poids reside dans les details, le style importe peu. Tant mieux presque parce que c'est dans la froideur que l'investigation prend a la gorge.
Rien de tres nouveau et tres frime chez McCoy, juste la mise en lumiere effrayante de la Real Politik (pas seulement americaine) que constitue l'articulation d'une War on Drugs hypocrite et de l'utilisation des agents/argents du traffic pour le financement et l'organisation de la lutte inavouee contre les ennemis du monde libre.
Le livre aurait pu etre destine directement a la poubelle Conspiracy Theories. Mais il ne'st pas assez flemmard et vague pour ca (170 pages de notes ca fait beaucoup pour un redneck/geek illumine)... Et puis, c'est aussi la pluie de merde administrative (these annullee, vexations multiples, garde a vue= effrayante preface du bouquin) tombee sur McCoy entre 1972 et 2003 qui temoigne en sa faveur... Mais finalement, c'est de se voir decortiquees scientifiquement des scenarios paranos (le bouquin rappelle Pakula ou Frankeinheimer plus qu'autre chose), des trucs tellement rabattus qu'ils en etaient devenus presque du folklore pseudo-historique: les corses en Indochine, Air America, la deferlante blanche in the UK apres l'ouverture des canaux pour financer la resistance afghane (j'en discutais recemment avec quelqu'un qui a vecu le truc de pres, le milieu punk londonien fut decime en 6 mois), l'apparition du crack aux USA, le contragate.. Etc etc..On en viendrait presque a rever, en glissant justement vers la conspiration, que cette mise en abime hollywoodienne de l'histoire noire de nos gouvernements, meme celle denoncant fut elle aussi planifiee. Et que McCoy paya cher son petit travail de detective... Mais je m'egare, pas la peine d'en arriver la pour avoir froid dans le dos...
Comme le New Journalism (autre renvoi), mais d'un autre angle, The Politics of Heroin fait aussi un clin d'oeil au roman. On peut le voir comme ca ... Sans que cela ne lui enleve sa valeur scientifique. Et comme avec The Narcotic Farm,la meme rengaine, cette vieille scie ce dont on a tristement l'habitude: les victimes sont toujours les memes. Et, bien sur, on attrappe rarement les vrais mechants...
"At 6.00 pm, an aide ushered me into a darkened hearing room beneath the Capitol dome, the gold leaf on the walls glittering in faint light. As I summarized my findings, the senator, face shrouded in darkness, cut me off with a tired tremolous voice, saying that he had known about the CIA complicity in the drug trade for years, years. But it was hopeless, hopeless. Nobody, nobody, he said, could do anything"
preface p. xx
preface p. xx
Alfred W.McCoy, The Politics of Heroin, Lawrence Hill Books, 1972. rev 2003. Traduit en 1992 chez Flammarion sous le titre La Politique de l'Heroine en Asie du Sud-Est, donc ne comprendra pas les revisions eclairantes de l'edition anglaise.
Wednesday, 7 October 2009
BELOW THE BOTTOM SHELF avec ... DIDIER PERON
Nouvelle rubrique sur D in D, BELOW THE BOTTOM SHELF, un questionnaire -changeant- envoye a des gens que l'on aime bien, a des gens qui pourraient nous conseiller des livres, a des gens qui pourraient avoir des choses a dire. Le nom l'indique, les choix sont personnels (obscurites, classiques mal connus, lubies, etrangetes ou simples livres oublies...) et l'invite en parle comme il veut. Presentation de ce dernier: Mr Pornocchio.
-Quel titre de livre pourriez vous faire tatouer? Extinction (un effondrement) (le dernier livre de Thomas Bernhard)
-Hors fiction, quel est votre livre fetiche? Question compliquée…Je dirai tous les livres hors romans de V.S Naipaul, en particuliers An area of darkness (l’illusion des ténébres). Naipaul, de famille indienne venue s’installer dans les caraîbes (Trinidad) pour y trouver du travail, éduqué en Angleterre, fait le récit de son premier voyage en Inde où tout, absolument tout, qui lui rappelle ses origines perdus, incompréhensibles, honteuses, l’horripile au dernier degré. Mon goût pour le Naipaul voyageur (en Inde, en Amérique du Sud, dans les contrées islamiques…) a été néammoins fortement ébranlé par la lecture des essais de l’intellectuel palestinien Edward S. Said (Réflexions sur l’exil, chez Actes Sud) où il régle son compte à celui qu’il considère comme un maitre de l’ethnocentrisme dédaigneux : « il s’appuie sur la tradition européenne soit disant directe qui a toujours été dangereusement prompte à transformer des impressions désenchantées en une généralisation à l’emporte-pièce.»
-Ou lisez-vous? Chez moi, au lit ; dans le train ; dans les restaurants ou les cafés à l’étranger quand je voyage seul, ce qui m’arrive assez souvent. Jamais dans les cafés parisiens.
-Une ligne d'un poeme? « Déjà la nuit contemplait les étoiles. Et notre joie se métamorphose vite en pleurs. Jusqu’à ce que la mer se fut refermée sur nous » (Dante cité dans Le Mépris de Godard)
-Quel livre est a adapter au cinema en urgence? D’urgence, Mason and Dixon de Thomas Pynchon (mais pas par Terry Gilliam par pitié, plutôt Paul Thomas Anderson) ;
-S'il ne restait qu'un livre sur le cinema? Je crois que je n’aime pas du tout lire de livres sur le cinéma (les trucs théoriques, les monographies, ça me tombe des yeux, un peu moins les bio…). Je citerai pour ceux qui ne l’auraient pas lu, le petit livre de Samson Raphaelson, Amitié (chez Allia), sur sa relation à Ernst Lubitsh dont il fut scénariste.
-Quel livre vous definirait le mieux? C’est totalement présomptueux mais je dirais La période bleue de Daumier-Smith de JD Salinger (in Nouvelles).
-Votre Audiobook ideal ? Les Alligators Souriants, éditions Tristram, un CD d’écrivains (Genet, Kerouac, Celan…) lisant des extraits de leurs œuvres concoctés par le duo Hadrien Laroche et Michel Jourde, créateurs de l’éphémère revue de litterature l’Immature rattachée aux Inrockuptibles première période.
-Un livre ayant suscite chez vous un emoi sexuel (apres l'adolescence)? Vous voulez vraiment savoir ça ? well, well, New-York Rage de Bruce Benderson, série de nouvelles sur le New-York d’avant le nettoyage Giulianni, des histoires de traders hétéros qui s’envoient en l’air avec des gigolos latinos bourré de crack dans des chambres d’hôtel sordides. Enfin dans mon souvenir…
-L'ecrivain dont le style (ecriture) vous touche le plus? Il y a eu Claude Simon, j’ai tout lu dans un état de fascination totale. Actuellement, et il y a une logique, c’est Faulkner mais pas tout (je n’arrive pas à lire De bruit et de fureur par exemple, encore essayé cet été, pas plus que Tandis que j’agonise), mais Lumière d’aôut, les Palmiers sauvages, Absalon, Absalon, c’est grisant. En fait je me suis aperçu que ceux qui me plaisaient le plus, que je lisais avec avidité était tous traduits (en Pleiade) par un certain François Pitavy, à tel point que j’ai fini par me demander si j’aimais peut-être par dessus tout le style de Pitavy bien plus que Faulkner en définitive .
-Un livre qui vous a fait pleurer? Dora Bruder de Patrick Modiano, Un autre d’Imre Kertesz, La mort en Arabie de Thorkild Hansen, La litterature nazie en Amérique de Roberto Bolano (mais de rire, cette fois là).
-Un heros litteraire de votre enfance, un pour maintenant et un pour vos vieux jours? Enid Blyton (Club des Cinq et Clan des sept) + Rahan + Joana Lumley (as Purdey dans Chapeau melon et bottes de cuir dernière période…) ; Lester Bangs + le narrateur détraqué de la Recherche du temps perdu (jetez lui l’eau froide !) + Walter Benjamin ; moi, jeune + Ian Curtis + Blake Edwards.
-Vous devez ecrire un titre de la serie SAS. Quel serait son titre? Quelle actrice pour la photo? SAS s’passe à Las Platas (et c’est la tasse !) avec Megan Fox en couve (mais décolorée en blonde avec du dentifrice au coin de la bouche)
-Quel livre choisir pour "choquer le bourgeois"?
Salope de Dennis Cooper monté en spectacle de marionnettes dans une école maternelle. Ou Tombeau pour cinq cent mille soldats de Pierre Guyotat lu à haute voix à la télévision par Claire Chazal pendant le 20h de TF1.
-Un grand roman de droite? A la recherche du temps perdu. Et puis comme chacun sait la litterature n’est pas de gauche, la bonne s’entend.
-Votre Blake et Mortimer (ou Tintin) favori? J’ai un faible coupable pour Tintin et les picaros, que les puristes n’aiment pas, Hergé tardif, mais c’est le premier que j’ai lu. Hergé est un génie à l’état pur, tout est bien, et plus que bien et je voudrais qu’on fasse tirer au canon sur les crétins qui essaient de se rendre interessants en fustigeant le racisme dans les premiers Tintin (notamment le volume africain). J’ai entendu encore ça à la radio récemment. Quelle époque lamentable.
-Un critique litteraire que vous pourriez suivre les yeux fermes? Mon ami Michel Jourde qui n’écrit plus d’article, hélas ! (cf plus haut, Immature)
-Que lisez vous en ce moment et quel fut votre dernier choc litteraire? Je lis La ville de Faulkner, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte de Marx, La prospérité du vice de Daniel Cohen…Dernier choc : Vie d’Arseniev d’Ivan Bounine, autobiographie romancée de ce russe issu de l’aristocratie en voie d’être ruinée de la fin du XIXème siècle, il a fui la révolution et s’est installé dans le sud de la France où il est mort (non sans avoir reçu le Nobel auparavant). Un chef d’œuvre. L’exemple même de la conscience lyrique, obsédée par la nature, les détails sensoriels de l’existence et qui bute contre un fait historique massif, les débuts de la contestation du régime tsariste, y compris au sein de sa propre famille puisque son frère est envoyé au bagne pour activités séditieuses.
-les trois livres que vous recommandez toujours parce que vous pensez que personne d'autre ne les connait? Je ne suis pas le seul à les connaître car je ne suis pas très bon à ce jeu là mais dans la catégorie peu exposée, je suis tombé sur quelques livres qui m’importent beaucoup Enterrement à Therisienbourg de Miroslv Krleja, Histoire d’un allemand de Sebastian Haffner et Safari Noir de Paul Theroux.
-Quelque chose de redhibitoire dans un livre? Tout ce qui a trait à l’imitation des choses les plus prosaîques et éphèméres d’une époque, l’argot, le parler-jeune, la mode,le style journalistique, l’exposé des petits drames familiaux ou conjugaux.
Je n’ai jamais osé lui poser la question de front, mais il n’est pas impossible que la scène primitive esthétique de Didier Peron soit un incident méconnu concernant Lawrence Felt, lequel aurait en 1985 viré son bassiste sous prétexte qu’il était frisé. D.P. m’a raconté ça au moins 20 fois, ce qui n’étonnera pas ceux qui depuis le mitan des années 90 lisent (en se mordant les joues) ses articles dans Libération (où il est responsable des pages cinéma), tout en guettant le moment où, au tournant d’un paragraphe, tombera sans justification donnée une remarque décapante sur tel acteur affligé d’une cascade capillaire pas possible. Si ce n’était que ça…. Il est le seul critique de cinéma en France à parvenir à vous décrire un spleen new wave dans toute sa profondeur, à être juste jusque dans l’exagération … pour toujours conclure sur une accélération assassine et drôle, histoire de replacer l’affect à son niveau de dérisoire, sinon de ridicule avoué. Nous a, comme cela, réconcilié avec David Lynch, avec David Bowie, avec cette vielle pomme au four de Robert Smith, avec l’adolescence en province et les manteaux feutre, avec Kubrick, avec Bergman - mais toujours pas avec Mylène Farmer, malgré un papier d’anthologie sur son live à Marseille 99. Nous a aussi appris à voyager loin, très loin, et plutôt seul. Mais voilà, à jouer les incarnations d’un journalisme cassant (aimant et exigeant, donc) se tenant d’instinct à distance de tout, il ne se passe plus un mois sans qu’un critique (envoûté ?), une attachée de presse (exaspérée ?), un directeur de festival (le fusil à la main) ne nous saute dessus pour nous demander à quoi, bordel de merde, ressemble Didier Péron ? Johnny Deep mâtiné Another Country shooté au tofu, ça vous va ? On le voit peu. Sa férocité légendaire s’en trouve renforcée, et notre admiration avec. Pour DiD, il essuie - et bien - les plâtres du Questionnaire. Maintenant, Coco, on attend les chroniques.
-Quel ecrivain est-il le mieux habille et lequel a la meilleure coupe de cheveux? Le mieux habillé c’est sans l’ombre d’un doute Paul Bowles qui portait d’incomparables costumes rose pâle. Pour la coupe de cheveux, je penche pour Emile Nelligan à 19 ans, garçon aussi beau que Rimbaud, poéte quebecquois né à Montréal en 1879, interné en 1899 dans un asile où il a passé 42 ans, « dégérescence mentale, folie polymorphe ». « Ma vie est un blason sur des murs de ténèbres/Et mes pas sont fautifs où maintenant je vais. » -Quel titre de livre pourriez vous faire tatouer? Extinction (un effondrement) (le dernier livre de Thomas Bernhard)
-Hors fiction, quel est votre livre fetiche? Question compliquée…Je dirai tous les livres hors romans de V.S Naipaul, en particuliers An area of darkness (l’illusion des ténébres). Naipaul, de famille indienne venue s’installer dans les caraîbes (Trinidad) pour y trouver du travail, éduqué en Angleterre, fait le récit de son premier voyage en Inde où tout, absolument tout, qui lui rappelle ses origines perdus, incompréhensibles, honteuses, l’horripile au dernier degré. Mon goût pour le Naipaul voyageur (en Inde, en Amérique du Sud, dans les contrées islamiques…) a été néammoins fortement ébranlé par la lecture des essais de l’intellectuel palestinien Edward S. Said (Réflexions sur l’exil, chez Actes Sud) où il régle son compte à celui qu’il considère comme un maitre de l’ethnocentrisme dédaigneux : « il s’appuie sur la tradition européenne soit disant directe qui a toujours été dangereusement prompte à transformer des impressions désenchantées en une généralisation à l’emporte-pièce.»
-Ou lisez-vous? Chez moi, au lit ; dans le train ; dans les restaurants ou les cafés à l’étranger quand je voyage seul, ce qui m’arrive assez souvent. Jamais dans les cafés parisiens.
-Une ligne d'un poeme? « Déjà la nuit contemplait les étoiles. Et notre joie se métamorphose vite en pleurs. Jusqu’à ce que la mer se fut refermée sur nous » (Dante cité dans Le Mépris de Godard)
-Quel livre est a adapter au cinema en urgence? D’urgence, Mason and Dixon de Thomas Pynchon (mais pas par Terry Gilliam par pitié, plutôt Paul Thomas Anderson) ;
-S'il ne restait qu'un livre sur le cinema? Je crois que je n’aime pas du tout lire de livres sur le cinéma (les trucs théoriques, les monographies, ça me tombe des yeux, un peu moins les bio…). Je citerai pour ceux qui ne l’auraient pas lu, le petit livre de Samson Raphaelson, Amitié (chez Allia), sur sa relation à Ernst Lubitsh dont il fut scénariste.
-Quel livre vous definirait le mieux? C’est totalement présomptueux mais je dirais La période bleue de Daumier-Smith de JD Salinger (in Nouvelles).
-Votre Audiobook ideal ? Les Alligators Souriants, éditions Tristram, un CD d’écrivains (Genet, Kerouac, Celan…) lisant des extraits de leurs œuvres concoctés par le duo Hadrien Laroche et Michel Jourde, créateurs de l’éphémère revue de litterature l’Immature rattachée aux Inrockuptibles première période.
-Un livre ayant suscite chez vous un emoi sexuel (apres l'adolescence)? Vous voulez vraiment savoir ça ? well, well, New-York Rage de Bruce Benderson, série de nouvelles sur le New-York d’avant le nettoyage Giulianni, des histoires de traders hétéros qui s’envoient en l’air avec des gigolos latinos bourré de crack dans des chambres d’hôtel sordides. Enfin dans mon souvenir…
-L'ecrivain dont le style (ecriture) vous touche le plus? Il y a eu Claude Simon, j’ai tout lu dans un état de fascination totale. Actuellement, et il y a une logique, c’est Faulkner mais pas tout (je n’arrive pas à lire De bruit et de fureur par exemple, encore essayé cet été, pas plus que Tandis que j’agonise), mais Lumière d’aôut, les Palmiers sauvages, Absalon, Absalon, c’est grisant. En fait je me suis aperçu que ceux qui me plaisaient le plus, que je lisais avec avidité était tous traduits (en Pleiade) par un certain François Pitavy, à tel point que j’ai fini par me demander si j’aimais peut-être par dessus tout le style de Pitavy bien plus que Faulkner en définitive .
-Un livre qui vous a fait pleurer? Dora Bruder de Patrick Modiano, Un autre d’Imre Kertesz, La mort en Arabie de Thorkild Hansen, La litterature nazie en Amérique de Roberto Bolano (mais de rire, cette fois là).
-Un heros litteraire de votre enfance, un pour maintenant et un pour vos vieux jours? Enid Blyton (Club des Cinq et Clan des sept) + Rahan + Joana Lumley (as Purdey dans Chapeau melon et bottes de cuir dernière période…) ; Lester Bangs + le narrateur détraqué de la Recherche du temps perdu (jetez lui l’eau froide !) + Walter Benjamin ; moi, jeune + Ian Curtis + Blake Edwards.
-Vous devez ecrire un titre de la serie SAS. Quel serait son titre? Quelle actrice pour la photo? SAS s’passe à Las Platas (et c’est la tasse !) avec Megan Fox en couve (mais décolorée en blonde avec du dentifrice au coin de la bouche)
-Quel livre choisir pour "choquer le bourgeois"?
Salope de Dennis Cooper monté en spectacle de marionnettes dans une école maternelle. Ou Tombeau pour cinq cent mille soldats de Pierre Guyotat lu à haute voix à la télévision par Claire Chazal pendant le 20h de TF1.
-Un grand roman de droite? A la recherche du temps perdu. Et puis comme chacun sait la litterature n’est pas de gauche, la bonne s’entend.
-Votre Blake et Mortimer (ou Tintin) favori? J’ai un faible coupable pour Tintin et les picaros, que les puristes n’aiment pas, Hergé tardif, mais c’est le premier que j’ai lu. Hergé est un génie à l’état pur, tout est bien, et plus que bien et je voudrais qu’on fasse tirer au canon sur les crétins qui essaient de se rendre interessants en fustigeant le racisme dans les premiers Tintin (notamment le volume africain). J’ai entendu encore ça à la radio récemment. Quelle époque lamentable.
-Un critique litteraire que vous pourriez suivre les yeux fermes? Mon ami Michel Jourde qui n’écrit plus d’article, hélas ! (cf plus haut, Immature)
-Que lisez vous en ce moment et quel fut votre dernier choc litteraire? Je lis La ville de Faulkner, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte de Marx, La prospérité du vice de Daniel Cohen…Dernier choc : Vie d’Arseniev d’Ivan Bounine, autobiographie romancée de ce russe issu de l’aristocratie en voie d’être ruinée de la fin du XIXème siècle, il a fui la révolution et s’est installé dans le sud de la France où il est mort (non sans avoir reçu le Nobel auparavant). Un chef d’œuvre. L’exemple même de la conscience lyrique, obsédée par la nature, les détails sensoriels de l’existence et qui bute contre un fait historique massif, les débuts de la contestation du régime tsariste, y compris au sein de sa propre famille puisque son frère est envoyé au bagne pour activités séditieuses.
-les trois livres que vous recommandez toujours parce que vous pensez que personne d'autre ne les connait? Je ne suis pas le seul à les connaître car je ne suis pas très bon à ce jeu là mais dans la catégorie peu exposée, je suis tombé sur quelques livres qui m’importent beaucoup Enterrement à Therisienbourg de Miroslv Krleja, Histoire d’un allemand de Sebastian Haffner et Safari Noir de Paul Theroux.
-Quelque chose de redhibitoire dans un livre? Tout ce qui a trait à l’imitation des choses les plus prosaîques et éphèméres d’une époque, l’argot, le parler-jeune, la mode,le style journalistique, l’exposé des petits drames familiaux ou conjugaux.
Monday, 5 October 2009
Ernest Ernest, Sexe & Graffiti, 1979
1977 est l’année où un homme raconta devant une caméra qu’il existait un café, dans Paris, où pour peu que l’on accepta de prendre la position de la prière musulmane, au risque de tremper ses cheveux dans la pisse, il était possible de regarder des femmes uriner à travers un trou creusé dans la porte des chiottes. Un jour on se prendra par la main à DiD, et on vous offrira la retranscription d’Une sale histoire, un des textes les plus cramé qu'ai eu à affronter le cinéma français.
Deux ans après le film d’Eustache, toujours à Paris, un zélé fonctionnaire remettait à un éditeur un choix parmi des dizaines de carnets annotés tout au long d'une décennie: Cet homme (qui avait préféré prendre le pseudonyme presque situ d'Ernest Ernest) avait reporté des milliers de graffitis sexuels rencontrés ici et là où c'est sale, dans les toilettes des cafés, dans les toilettes des campings, des bordels, des pensionnats, des cités U. Après quoi, exquise maniaquerie, il classait sa grande collecte de sex graffitis selon des catégories éprouvées : hétérosexualité, amour en groupe, bisexualité, homosexualité masculine, sadomasochisme homosexuel, homosexualité féminine, onanisme masculin, onanisme féminin, zoo – bien que… de son propre avis, le graffiti sexuel soit finalement toujours peu ou prou d’origine homosexuelle (on vous laissera mordre le crayon sur la question, il y a un espace Comments pour ça).
Il voyagea aussi en fonction de ce qu’on lui vantait des toilettes de telle capitale. On croit savoir qu'il a toujours évité Londres, connue pour sa littérature vespasienne, de peur de manquer de courage au moment d’avoir à retranscrire tout ça, toute cette écriture du soulagement.
Un meurtrier ne revient jamais sur les lieux de son crime, un scribe oui. Ernest Ernest retournait plusieurs fois par an à la source, retrouver avant qu’ils ne soient ensevelis ces jets de phantasmes et leurs bouillantes réponses. Il a gardé les fautes d’orthographe, les aberrations syntaxiques : il y a des textes qui ne se retouchent pas.
Sexe & Graffiti (Sexe égale Graffiti ?) se lit d’une main, plutôt au lit finalement qu’au cabinet – où l’on aime bien lire, mais où ces moments de poésie pure, giclées de rage amère, n’ont soudain plus leur place, puisqu'un livre les a sorti de là, du dazibao et de la merde, pour qu'enfin leur beauté malade saute aux yeux: Je suis habillé comme une fille moderne et je suis amoureuse de toi. Certains grands textes épiques de Guyotat mis à part (Eden Eden Eden, Prostitution…), aucune littérature de cette période ne saurait faire face à ce livre – peut-être parce que ce livre précipite la littérature au-devant d’un trou plus grand qu’elle.
« L’homo est révolutionnaire ! Branlez vous les couilles - - -
(Neuchâtel, été 74)
Ma queue raide dépasse le nombril
(Paris, Sorbonne, printemps 67)
Vous êtes des déchets, vous allez tous crever
(Paris, Sorbonne, automne 1973)
JH 20 ans cherche 99 mecs et 100 nanas pour faire happening orgiaque monstre au Luxembourg R.V. bassin le 27 mai 11h p&tantes Faire passer (Paris, hiver 71)
Femme noire cherche femme blanche pour gouiner
(Paris, Censier, 1978)
Cherche amateur photos d’hommes nus –criminels de guerre en cage – prisonniers – Donner RV
(Paris, hiver 74)
Amateur lavements à celui qui avait répondu en novembre ; va voir le WC de la gare que tu disais, je t’ai écrit sur le mur, car je voudrais te voir. J’ai été trois mois en province. J’irai voir ta réponse avant vendredi prochain (Paris, printemps 1974)
Je suis habillé comme une fille moderne et je suis amoureuse de toi
(Fribourg, été 1974)
Ernest Ernest, Sexe & Graffiti, Alain Moreau, 1979
Friday, 2 October 2009
(Nouveau) Journalisme (1) : The New Journalism, Anthologie de Tom Wolfe et EW Johnson, Harper & Row 1973
Comme beaucoup ici, j’ai lu cet été le Freelance de Philippe Garnier. Je ne reviendrais pas sur le livre (je l’ai fait en longueur le mois dernier sur www.chronicart.com), mais sur cet objet bizarre qu’il ressuscite merveilleusement : le Nouveau Journalisme, à travers la fameuse anthologie de Tom Wolfe. J’avais découvert l’existence de ce livre au début des années 1990, en lisant Hunter S. Thompson, qui se vantait d’être le seul journaliste à y avoir deux textes publiés, mais il aura donc fallu plus de 15 ans pour qu’enfin je me décide à mettre la main dessus.
En 1973, ce livre était d’abord un fantastique coup publicitaire de Tom Wolfe, qui se posait ainsi en prophète de cette nouvelle secte littéraire (le livre se referme sur un extrait de son célèbre article « Radical Chic »). Mais relu aujourd’hui, son introduction apparaît surtout comme une auto-célébration verbeuse et théorique. Les seuls moments où Wolfe se montre vraiment intéressant sont d’ailleurs ceux où il abandonne la théorie pour retrouver son métier de journaliste : lorsqu’il parle de ses débuts avec Jimmy Breslin (qui recevra plus tard la correspondance délirante de David Berkowitz, alias Son of Sam), et dans ses petites anecdotes avant chaque article de l’anthologie (John Sack qui, après avoir été accusé d’avoir inventé les pensées qu’il mettait dans la tête de ses GIs au Vietnam, les retrouva tous et leur fit confirmer que tout ce qu’il racontait à leur propos était exact).
L’anthologie donc : on y trouve de tout (interviews, portraits, reportages de guerre…), sur tous les sujets (Hollywood, Nixon, la macrobiotique…), avec presque tous les usual suspects (Norman Mailer, Hunter S. Thompson, Joan Didion avec un extrait de L’Amérique…) – mais pas Grover Lewis, ni aucun « critique rock » (les tristes Christgau et Goldstein y sont représentés par leur travail journalistique antérieur à leur mue rock’n’roll), signe que les Meltzer, Bangs & Co. étaient alors encore plus bas dans l’échelle de la respectabilité littéraire.
Mais ce n’est pas grave : le livre est plein de moments de bravoure et il se lit comme une sorte de magazine idéal, en picorant ici ou là selon l’humeur et l’envie. On y trouve la folie et les brumes de la jungle vietnamienne dans l’article de Michael Herr sur le siège de Khesanh ; Ava Gardner en train de se cuiter en interview ; les gonzoteries de Thompson ; Joe Eszterhas à l’époque où il était d’abord un journaliste spécialiste des articles-fleuves ; et le légendaire article où George Plimpton se fait démonter la gueule sur le terrain des Detroit Lions, avec qui il jouait un match exhibition. Autant d’exemples qui expliquent pourquoi, quand on me demande ce que je lis, je réponds : « du journalisme, principalement ».
Extrait de Paper Lion de George Plimpton (ou comment expliquer le football américain à un ignorant en deux phrases) : “the play patterns run with such speed along routes so carefully defined that if everything wasn’t done right and at the proper speed, the play would break down in its making. I was often reminded of film clips in which the process of a porcelain pitcher, say, being dropped by a butler and smashed, is shown in reverse, so that the pieces pick up off the floor and soar up to the butler’s hand, each piece on a predestined route, sudden perfection out of chaos.”
Wednesday, 30 September 2009
Nancy D. Campbell, JP Olsen, Luke Walden, The Narcotic Farm: The Rise and Fall of America's First Prison for Drug Addicts, 2008
On aime bien par ici les histoires de junky, de caniveau, de descente aux enfers. Ces histoires qui finissent mal (overdose, suicide, abandon, trahison...) à l'aube, au crépuscule, rarement en plein soleil, à l'heure de la messe ou à celle du thé. Une seringue dans le bras, un couteau dans le dos: voilà, c'est fini. Pas de rédemption, pas de deuxième acte. Le néant, c'est tout. On aime bien ces voyages immobiles, ce romantisme poisseux qui grésille au creux des petites cuillères, ces images misérables éclairées à la lumière des réverbères qui font frétiller nos pupilles de jeunes filles rangées. La drogue fait partie de nos vies car elle occupe nos esprits. Si l' on se laisse parfois tenter, ce n'est pas pour ce qu'on nous vend (toujours la même histoire), mais pour ce qu'on nous offre: une dramaturgie, sans doute un rituel, dans laquelle nous ne sommes plus que des voyeurs. Nous sommes ici dans la fiction, nous jouons gentiment avec des allumettes sans nous brûler les doigts. D'autres ne jouent pas, ne regardent pas leur vie comme une série B, souffrent et tentent d'échapper à la mort.
The Narcotic Farm raconte en textes et en images, l'histoire de la première institution américaine, The United States Narcotic Farm, ouverte en 1935 à Lexington dans le Kentucky, ayant pour but de soigner et de comprendre l'addiction aux drogues dures. The Narcotic Farm fonctionnait à la fois comme un centre de cure pour des volontaires au bord du gouffre (c'est souvent leur dernière solution) et comme une prison pour drug addicts. Pour la première fois les junkies ne sont plus considérés comme des sujets pathologiques mais comme des gens normaux. Noirs, blancs, cadres, fermiers, la drogue touche ici tout le monde. Pour s'en sortir il faut arriver à se parler. Mais si l'utopie fonctionne dans les premières années, à partir des années 50 The Narcotic Farm s'engage dans un programme d'expérimentations de drogues sur des détenus volontaires (l'un d’eux témoigne: "Later on I came to grips with the fact that I was used. Being a young man, I was very vulnerable in the sense that if it's about drugs, I wanted drugs") qui deviennent dès lors de véritables cobayes humains. Cette dérive culmine jusqu'au scandale: au plus fort de la guerre froide la CIA subventionnait The Narcotic Farm pour faire des expérimentations sur le LSD afin d'élaborer une drogue capable de contrôler les esprits. The United States Narcotic Farm doit fermer ses portes à la fin des années 70.
Ce livre magnifique (iconographie incroyable, mise en page impeccable) raconte avec tact et humanité le destin de ces hommes et d’une institution qui a échoué à les soigner. En le refermant on se demande encore quelle est leur place dans le monde. Nulle part ? Ailleurs ? A coté ? De l’autre coté ? Aucune idée.
The Narcotic Farm: The Rise and Fall of America's First Prison for Drug Addicts
Nancy D. Campbell, JP Olsen, Luke Walden, Abrams 2008
The Narcotic Farm raconte en textes et en images, l'histoire de la première institution américaine, The United States Narcotic Farm, ouverte en 1935 à Lexington dans le Kentucky, ayant pour but de soigner et de comprendre l'addiction aux drogues dures. The Narcotic Farm fonctionnait à la fois comme un centre de cure pour des volontaires au bord du gouffre (c'est souvent leur dernière solution) et comme une prison pour drug addicts. Pour la première fois les junkies ne sont plus considérés comme des sujets pathologiques mais comme des gens normaux. Noirs, blancs, cadres, fermiers, la drogue touche ici tout le monde. Pour s'en sortir il faut arriver à se parler. Mais si l'utopie fonctionne dans les premières années, à partir des années 50 The Narcotic Farm s'engage dans un programme d'expérimentations de drogues sur des détenus volontaires (l'un d’eux témoigne: "Later on I came to grips with the fact that I was used. Being a young man, I was very vulnerable in the sense that if it's about drugs, I wanted drugs") qui deviennent dès lors de véritables cobayes humains. Cette dérive culmine jusqu'au scandale: au plus fort de la guerre froide la CIA subventionnait The Narcotic Farm pour faire des expérimentations sur le LSD afin d'élaborer une drogue capable de contrôler les esprits. The United States Narcotic Farm doit fermer ses portes à la fin des années 70.
Ce livre magnifique (iconographie incroyable, mise en page impeccable) raconte avec tact et humanité le destin de ces hommes et d’une institution qui a échoué à les soigner. En le refermant on se demande encore quelle est leur place dans le monde. Nulle part ? Ailleurs ? A coté ? De l’autre coté ? Aucune idée.
The Narcotic Farm: The Rise and Fall of America's First Prison for Drug Addicts
Nancy D. Campbell, JP Olsen, Luke Walden, Abrams 2008