"Les Buzzcocks et Linder étaient assez soudés, très sympathiques, mais ils étaient plus vieux que moi et ils avaient légèrement l’air de faire partie de l’ancienne génération – ils aimaient Van Der Graaf Generator et Captain Beefheart, des trucs que je n’ai jamais compris et qui n’étaient pas académiques. Le seul album de prog rock que j’ai acheté de toute ma vie, c’est Second Album de Curved Hair, que j’adore encore aujourd’hui. Howard Devoto écoutait Iggy, mais j’avais l’impression que, sans le punk, il serait devenu professeur de sciences. Les Buzzcocks s’habillaient comme des maîtres d’écoles des années soixante, et ça leur donnait un côté pervers aux yeux des jeunes des années soixante-dix. Il n’y avait aucun endroit où s’acheter des vêtements à Manchester. Tout ce qu’il restait à faire, c’était d’inventer son propre look bizarre, comme The Fall un peu plus tard. Ils avaient ce côté gamin-des-rues-rescapé-de-la-seconde-guerre-mondiale.
Vers 1979, beaucoup de gamins de Manchester se teignaient les cheveux en gris. C’était génial, surtout dans un environnement sinistre et industriel. Je préférais ça au chic de Vivienne Westwood. Ça, c’était l’uniforme de ceux qui n’avaient rien compris.
Les Clash étaient là aussi pendant la balance. Mick Jones est venu vers moi et m’a demandé si j’étais… Morrissey. J’ai répondu que oui, c’était bien moi… Il avait passé une annonce dans le Melody Maker pour recruter un chanteur pour les Clash. Je lui avais téléphoné, mais ils avaient déjà trouvé quelqu’un… de toute façon, Londres, pour moi, c’était la planète Mars. Il a été très sympa et m’a rappelé une semaine plus tard. A l’Electric Circus, j’ai eu l’impression que les Clash étaient habillés en uniforme de collégiens. J’ai aussi parlé à Johnny Thunders et à Jerry Nolan. Eux n’étaient pas sympas, mais rien ne les obligeait à l’être. Et puis qui j’étais, moi, de toute façon ? Je me demandais juste si tout cela allait m’arriver un jour à moi aussi."
Morrissey in John Robb, Manchester Music City 1976-1996 (T.O.: The north will rise again), p.84-85, RivagesRouge, 2010.
Saturday, 24 April 2010
Saturday, 17 April 2010
Richard Price, Les seigneurs, 10/18 (2007, e.o. 1974)
Je me demande comment j’ai pu passer aussi longtemps à côté de ce livre. Cela doit bien faire 15 ans que je tourne autour de Richard Price sans jamais me décider à entrer dans l’un de ses livres. J’ai dû entendre parler de lui pour la première fois à l’occasion du Clockers de Spike Lee. Le film était plutôt raté, mais ses personnages tristes et leur sombre environnement m’avaient à l’époque beaucoup frappé (il y avait également ce monologue anti-Public Enemy au début du film, que Chuck D reprendra en exergue de son premier album solo, quelques années plus tard).
Puis, attiré par son titre, j’ai acheté il y a trois ou quatre ans Ville noire ville blanche, qui a dormi sur les rayonnages de ma bibliothèque jusqu’à cet hiver. Et c’est finalement parce que j’étais en manque de junkies et de désespoir urbain, après en avoir fini avec les cinq saisons de la série The Wire, à laquelle Price a collaboré, que je me suis finalement décidé à ouvrir Ville noire ville blanche. Et c’est dans une sorte d’épisode de The Wire au ralenti que je me suis enfoncé, un cauchemar de dénuement, de détresse humaine, de haine sociale et raciale, et pourtant trempé d’humanité. Jamais je n’ai ressenti de manière aussi physique cette impression de noyade, de lente asphyxie que suscite la grande pauvreté (matérielle ou morale) chez ceux qui la subissent.
C’est donc comme un nageur désespérément à la recherche d’oxygène que je suis sorti de ce livre, et Les seigneurs aura été le bol d’air dont j’avais besoin. Ecrit alors que Price avait 24 ans, le livre suit la trajectoire d’un groupe de jeunes Italiens membres d’une bande du Bronx, les Vagabonds, en 1962, à ce moment-charnière de la vie qu’est la dernière année du lycée. Les Américains appellent « coming-of-age » cette thématique douce-amère de l’entrée dans l’âge adulte qui a donné tant livres et suscité probablement plus encore de films, dont une adaptation assez amorphe du récit de Price par le faiseur Phil Kaufman, en 1979. Malgré une (prude) scène de sexe en ouverture, le film ne rend pas justice à la vivacité et à l’humour d’un livre qui, comme ses héros, ne pense qu’à ça. Et qui, comme ses héros, ne parle que de ça – du pucelage, de la taille et de la forme de la bite, de ce qu’il faut faire avec les filles, quand, comment et jusqu’où (les dialogues sont à pisser de rire, comme si Selby s’était mis à écrire un épisode de Happy Days).
Sauf que, en fait, le livre ne parle pas que de ça. Il parle aussi d’amitié, de mort, de ces chansons qui vous parlent directement, à vous, à travers la radio ; il parle des parents qui ne voient rien, qui ne comprennent rien ou qui s’en foutent ; il parle des communautés qui se croisent, se jaugent et se défient autour des terrains de jeux du Bronx, Asiatiques, Noirs, Irlandais, tous aux marges de l’Amérique WASP. Et il fait vivre en peu de mots toute une galerie de personnages burlesques et tragiques (ce gang d’Irlandais ultra-violents, tous en dessous d’1 mètre 50 ; ce père ex-culturiste, narcissique et abusif ; ces proto-skinheads qui s’enrôlent tous dans l’armée un soir de beuverie). Le tout respire la vie, l’instant crépitant des premières fois, et m’a fait repenser à un livre que j’ai découvert à 13 ans, et qui fut l’une de mes premières lectures vraiment libres d’adolescent : Les Ritals, de Cavanna. Je n’ai jamais rouvert le livre de Cavanna, qui n’est pas un auteur que l’on cite volontiers dans nos listes de lecture, mais les Vagabonds de Richard Price sont un peu les cousins d’Amérique de ses Ritals terrifiés par la chaude-pisse et l’appareil à couper la bite en quatre. Ils n’avaient pas beaucoup plus d’avenir, mais ils avaient un plus beau blouson. Et de la meilleure musique (Dion, The Wanderer, le nom de la bande en VO).