Sunday, 30 October 2011

Jean Depara, Kinshasa Night and Day, 1951-1975

Entrer dans l’arène à Kinshasa, c’était faire la tournée des bars dancing : les noceurs commencaient par le Siluvangi puis tout le monde descendait direction le Congo Bar, le Air France, l'Amouzou. Pour se finir au Quist, au Ok Bar, chez Macauley. Plus loin, sur Tshoapa, c'était les boites : le Champs-Elysées, l’Afro Mogenbo, le Djambo-Djambu, la Perruche Bleue, Chez Fifi, le Show Boat, le Opika, le Binga Bar, le Oui. On dit qu’à l’emplacement du Congo Bar se tient désormais une église.
Jean Depara a photographié les viveurs de Kinshasa tous les soirs de 1951 à 1975. Sur ses photos, les filles portent des robes cloches à imprimées fleuris, et juste un soutien gorge. Les garçons roulent en décapotables, qu’ils soient noirs ou qu’ils soient blancs. A une époque, tout le monde sortait habillé en Bills... oui, en totale panoplie Buffalo Bill.
Depara est mort en 1997. Une grande partie de ses négatifs ont été détruits. On redécouvre aujourd’hui ce qui a pu être sauvé : c’est l’or noir.

Jean Depara, Kinshasa – Night and Day, 1951-1975, Revue Noire, Paris, 2010.

Saturday, 29 October 2011

Quote

"Et c'est comme ça que cet admirateur avoué d'Hemingway (surtout celui des débuts) a toujours décrit le tapis vert: comme une aire esthétique, délimité par un carré de lumière qui estompe le reste du monde - un terrain parfait où se joue le jeu de la vie. C'est son arène à lui, et personne n'en a parlé aussi bien que lui , même si beaucoup ont essayé (Don Carpenter, en 1968 dans son ambitieux roman Hard Rain Falling, s'en est approché). Comme les courses de taureaux, le billard et les échecs sont des jeux brutaux, avec une geste précise et maniaque qui fait parfois écran à ce qui importe réellement et n'est perceptible qu'aux vrais connaisseurs. Après toutes les simagrées, toutes les arnaques et rodomontades, le joueur se retrouve finalement seul, et il doit assurer. Le billard à poches, le straight pool, a ceci de paniquant: tant que l'autre joue, vous ne pouvez rien faire. Il ne suffit jamais d'être le plus fort, il faut le rester le plus longtemps"

Philippe Garnier à propos de Walter Tevis. Before and after: L'oreille d'un sourd, L'Amérique dans le retro: 30 ans de journalisme Grasset 2011

Dario Fo, Franca Rame, Moi, Ulrike, je crie..., 1978-1984

En 1978, moins de deux ans après qu'Ulrike Meinhof ait été retrouvée morte dans sa cellule au septième étage de la prison de Stuttgart-Stammheim, Dario Fo et Franca Rame ont écrit une courte pièce en un acte intitulée Moi, Ulrike, je crie…
En 1984, ils en proposaient une seconde version, totalement différente dans sa dernière partie. Le léger déplacement, sinon recul, dans la façon dont ils envisagent désormais, en 1984, le cas Meinhof est passionnant. Car on les voit cherchant une formulation possible à cette amertume que portaient en eux tous ceux sur qui la voie pavée de mines du terrorisme s’était refermé comme un "piège" (le mot est d’eux) sans que soit pour autant résolue la question de réveiller, d’une façon ou d’une autre, une société engoncée dans sa propre apathie.

A la question de la fin, je ne suis pas certain de pouvoir répondre Oui.

*Les extraits de la version 1984 sont en italiques.

« Vous avez porté à son comble l’émancipation de la femme : car bien que je sois une femme, vous me punissez exactement comme un homme.Je vous remercie.
Vous m’avez gratifié de la prison la plus dure : aseptisée, froide, mortuaire. Vous me soumettez à la torture la plus criminelle, qui est « la privation des perceptions. (…)
Et si vous m’avez enfermé dans cet aquarium, c’est seulement parce que je ne suis pas d’accord avec votre vie. Non, je ne veux pas être une de vos femmes sous cellophane. Je ne veux pas être tendrement présente, avec de petits rires et des sourires bêtement aguichants, à votre table du samedi soir, dans un restaurant exotique, sur fond de musique stupide mais en haute fidélité. Ni devoir m’efforcer d’être triste ce qu’il faut , et complice, et tout à la fois imprévisible et folle, puis enfantine et sotte, et fouettée et frustrée, maman et putain, et prête au quart de tour à rire pudiquement en fausset de vos trivialités éculées.
Geôliers, juges, politiciens, je vous ai bien eus… vous serez obligés de me tuer en pleine santé… en pleine santé mentale et spirituelle… vous devrez m’assassiner.
Déjà je vous vois accourir pour cacher mon cadavre, arrêter mes avocats à la porte… « Non, on ne peut pas voir Ulrike Meinhof… Oui, elle s’est pendue. » (…)

Nous autres du groupe Baader-Meinhof nous sommes sans doute tombés dans le piège que nous nous sommes construit. Nous nous sommes peut-être isolé nous-même par l’idéologie de la lutte armée.
Mais prenez garde, libres démocrates ! Votre sort ne vaut pas mieux. La peur dont on vous a aspergés avec l’atomiseur « Achtung Terroristen » (« Gare aux terroristes ») a glacé en vous tout mouvement, toute pensée, toute participation à une attitude civilisée. (…) L’Etat a découvert le miroir paralysant de la terreur. Dans ce miroir on voit le reflet de nos cadavres. A ceux qui acceptent ces conditions, qui font le noir dans leur cerveau, qui endorment leur conscience pour vivre sans problème, pour la douceur de vivre, je demande :
Etes-vous sûrs d’être encore vivants ?
"


Dario Fo & Franca Rame, Moi, Ulrike, je crie… (1978-1984), in Récits de Femmes IV, traduit par Valeria Tasca, Dramaturgie, Paris, 1986.

Friday, 28 October 2011

Andrey Tarkovsky, Bright, Bright Day, 2007

Dois-je l'avouer ici ? Honte à moi, de Tarkovski je n'ai vu que Solaris, et ce quelques temps après la sortie du remake de Soderbergh, juste histoire de comparer la copie à l'original. La mélancolie bleue de Clooney en lover de l'espace m'avait fait forte impression. Avec le recul, je crois surtout avoir été marqué par la partition écrite pour le film par Cliff Martinez.

Tout ça pour dire que le Tarkovski qui, pour l'instant, me touche vraiment (en attendant de trouver le courage de me plonger sérieusement dans sa filmographie) n'est pas cinéaste mais photographe. Bright, Bright Day est un très beau catalogue, supervisé par le (sur)coté Stephen Gill, d'une exposition qui s'est tenue fin 2007 à Londres, à la White Space Gallery.

C'est pour la préparation de son film Nostalghia que le réalisateur s'est entiché, à la fin des années 70, d'un appareil polaroid, mitraillant à tout va, sa famille, son chien, sa maison en Russie mais aussi la région de Sienne où il comptait tourner son film. Des clichés d'une Italie impossibles à distinguer de ceux pris dans son pays natal, preuve que la photo n'est qu'une question de regard, s'il y en a qui en doutait encore. Étrangement, ces photos de familles, au premier abord anodines, arrivent à toucher au delà du cercle des intimes, plus que leur indéniable qualité formelle, c'est ce voile de tristesse qui les recouvre, comme cette brume omniprésente dans toutes ses photos prises dans la campagne, qui émeut dès la première vision. Comme si en figeant l'instant présent, la nostalgie maladive de Tarkovski (enfin ! j'imagine !) avait immédiatement déteint sur ses polas. Au final, en feuilletant ce livre, j'ai l'impression d'en apprendre bien plus sur ce réalisateur, qui m'est presque inconnu, qu'en lisant une biographie de 500 pages.

Il faut absolument que je vois Nostalghia.





Andrey Tarkovsky, Bright, Bright Day, White Space Gallery, 2011

Monday, 24 October 2011

Alec Soth, La Belle Dame Sans Merci, 2011

Le 2 avril 2005, j’étais à Rome, où j’avais rendez-vous avec le Diable. J'étais venu là visiter la maison de Mario Praz, via Zanardelli. Praz était le plus grand érudit italien en ce qui concerne la littérature romantique et décadente du XIXème siècle. Alors que cette période était mal-aimée, fuie, abandonnée, Praz l’a décrite, exhumée, traduite, expliquée. Ce travail il l'a mené seul. Seul encore, dans la folie de son érudition, il s’est mis à tisser des ponts insensés entre les poèmes romantiques noirs, la peinture préraphaélite, la sculpture néo-classique et la décoration art nouveau du XIXème siècle – il y voyait une sublime agonie. Jusqu’à sa mort en 1982 (à 85 ans), Praz était un type réputé si étrange, pour ne pas dire malsain, si hanté par ses passions morbides qu’aucun romain n’osait plus prononcer son nom. Tout Rome (en dehors de Visconti qui lui vouait une inquiète fascination) s’était persuadé qu’il s’était établi là, dans la cité du Vatican, comme une sorte d’antéchrist, collectionnant en fétichiste tout ce qui touchait au Mal ou évoquait un érotisme malade. Depuis son Palais, il bravait les Papes. Le Diable incarné, pas seulement son thuriféraire.
La coïncidence est troublante, c’est en atterrissant ce jour-là à l’aéroport de Malpensa que j’appris la mort du Pape, survenue dans la matinée. La ville était paralysée, je regardais durant des heures à la télévision, sur toutes les chaînes, la longue procession des croyants venus se rendre spontanément au chevet du mort. J’ai traversé la ville vide le matin des funérailles, le son de la cérémonie sortait de toutes les maisons, si fort que ça en recouvrait le bruit des hélicoptères sécurisant le ciel autour du Vatican. Le lendemain, j’ai pu enfin pénétrer chez le Diable, entrer dans le Monde du silence. admirer sa collection d’objets d’art néo-classiques et de meubles Biedermeier.

Au printemps dernier, en résidence à Rome à l’invitation du festival Fotografia, le photographe Alec Soth (né à Minneapolis en 1969) s’est lancé dans une exploration de la ville avec dans la poche, pour seul aimant, un poème de Keats vieux de presque deux siècle : La Belle dame sans merci.

« I saw pale kings, and princes too,
Pale warriors, death pale were the all ;
Who cry’d – « La Belle Dame sans merci
Hat thee in thrall ! »


« Je vis de pâles rois, et des princes aussi, - de pâles guerriers, tous étaient pâles comme la mort, - et s’écriaient : « La Belle Dame sans merci – te tient en son pouvoir ! »


Ce poème, Soth l’a trouvé, tiens donc, en ouverture du chapitre 4 de la Chair, la Mort, et le Diable : le Romantisme Noir, la pièce essentielle de l'oeuvre critique de Mario Praz, publiée pour la première fois en 1930 (se trouve facilement en TEL Gallimard). Ah Soth aussi, donc... Bah, on ne vit au fonds que pour ce genre de correspondances.
Est-ce aussi pour cela que pour la première fois un livre de Soth me touche à ce point? Jusqu’ici, disons qu'il… m’intéressait (vous vous souvenez de ce que disaient les Cramps : « Si quelqu’un un jour à la sortie d’un concert nous disait qu’il nous a trouvé… intéressant, on lui ferait sa fête. Nous NE sommes PAS intéressants».) Je trouvais qu’il photographiait l’Amérique un peu comme un mec de 35-40 ans ayant appris par cœur les œuvres d’Eggleston ou de Stephen Shore et les soumettant désormais à une forme de froideur post-moderne.
Ce livre mince (19 photographies seulement), grand, tout jaune de peau, m’apprend autre chose. Il me dit que finalement tout ce autour de quoi Alec Soth tournait depuis des années dans ses portraits, cette sorte de candeur inexplicable, toute cette lumière bleue et glaçante qui vidait les sujets de leur sang, répond à un sens profond, intime, de la chair morte. Les femmes sont ici comme des gorgones trop belles, suffisamment dangereuses pour qu’on ne se retrouve pas saisi dans le marbre d’avoir osé les contempler trop fixement. Et naturellement, Soth, qui sait de quelle médusance il parle, place derrière chaque photo de ces filles dangereuses, une photo de statue, une ruine inachevée, un visage saisi pour l’éternité dans le gris givré. On rencontrera une fois un garçon, pâle comme un mort, mal en point, déjà mort. Au XVIème « chapitre », Soth insère l’image insensée d’une fille à quatre patte dans les herbes offrant son derrière. L’image qui suit est celle d’un ananas explosé au parterre d’une rue saturée de soleil blanc. Mort du désir. Rome sans pitié, Rome des serments perdus, sensation de marbre froid, de morsure des serpents, de chair pourrie, de décadence à l’œuvre. D’enlisement lent.

J’aime bien, dans le fonds, l’idée que ce soit dans la Rome de Mario Praz que Soth, que l’on connaît avant tout pour son travail sur le Mississipi, ait enfin trouvé sa filiation : plus encore un enfant de Burne Jones, de Swinburne, de D’Annunzio que de Raymond Carver.



Alec Soth, La Belle Dame Sans Merci, Punctum, Rome, 2011

ps: Il a été publié 250 exemplaires de ce livre en anglais et 250 en italien. Tous ont été signés par Soth. Mis en vente au début du mois, l’ensemble serait, dit-on, d’ores et déjà épuisé.

Sunday, 23 October 2011

Rainer Werner Fassbinder, sur la R.A.F., 1974

En 1974, en réponse au Nada de Chabrol adapté de Manchette où il est dit que « le terrorisme gauchiste et le terrorisme étatique sont les deux mâchoires d’un même piège à con», Rainer Werner Fassbinder formulait pour la première fois un avis sur Baader-Meinhof, groupe dont il avait croisé vaguement la route en 1968, du temps d'Anarchie en Bavière, soit donc à l’époque du Antitheater et de l'Action-Theater (salle incendiée par Horst Söhnlein, futur artificier de la bande à Baader, parce qu’Ursula l’avait quitté pour aller vivre avec Irm et Fassbinder…). On sait aussi qu’en 1970, depuis sa clandestinité, Ulrike Meinhof avait cherché à rencontrer Fassbinder (laissant des mots sur son pare-brise durant une semaine, puis envoyant un messager armé d’une seringue hypodermique!), Fassbinder ne répondra jamais au rendez-vous, persuadé que Meinhof avait projeté son rapt. Il envoie Ingrid Caven à sa place (moins célèbre, du coup désamorçant toute chance d’être enlevée). En 1977 pourtant, dans l’Allemagne en automne, film collectif réfutant la thèse du « suicide » collectif d’Andreas Baader. Gudrun Ensslin et Jan-Carl Jaspe à la prison de Stuttgart-Stammheim le 18 octobre 1977, Fassbinder se mettra lui-même en scène dans une sincérité proche des limites du supportable. Assis nu dans son appartement, à donf' de coke, affrontant son amant et sa mère sur la question du terrorisme et de la démocratie libérale, pris dans ses propres contradictions bourgeoises, à bout, lessivé, en parano, dans le même état de fatigue physique et morale que toute sa génération, dix ans après 68. Les questions fusent: Quel état a le droit de donner la mort sans jugement? En quoi les terroristes ne sont pas des criminels comme les autres (comprendre: ils ont droit à un procès, eux aussi, pas à une exécution maquillée en suicide)? Parce que leurs raisons pourraient être aussi les nötres? les raisons oui, mais pas la manière, répond la mère de RWF
Quatre ans après cet entretien de 1974, et un an après l'Allemagne en automne qui accompagnait la fin de la séquence Baader-Meinhof, RW Fassbinder réalisera un portrait essentiel sur un groupe anarchiste durant les années de plomb la Troisième génération.

« A l’époque du Soldat américain, je n’aurais pas pu faire un film concret sur Baader-Meinhof, parce qu’ils étaient mes amis, et même aujourd’hui je trouverais ça assez difficile – et ce que Chabrol a fait avec Nada, c’est complètement faux. Ce n’est pas un film sur des anarchistes, comme je l’avais imaginé. J’ai beaucoup d’estime pour Chabrol, et c’est la raison pour laquelle j’ai été très déçu par son film, parce qu’il est cynique aussi bien à l’égard des anarchistes qu’à l’égard de la société et je trouve ça un peu facile.

Q- Moi non plus je ne suis pas convaincu par Nada, mais il y a quand même quelque chose de juste dans la position de Chabrol quand il critique la violence folle de ces anarchistes qui utilisent les mêmes méthodes que la société qu’ils veulent transformer.

Oui, peut-être. Mais Chabrol ne dépeint absolument pas le désespoir qui s’est emparé de ces gens. Même si on utilise les méthodes de cette société, on vit, quand on fait ce genre de choix, en dehors de la société, on risque sa vie et sa liberté. Et pour ça, il faut un désespoir énorme et il y a, dans nada, une attitude ironique en face de cela, et c’est exactement ça l’erreur du film. Car ce désespoir pourrait être productif, mais chez Chabrol il est hors de question qu’il puisse y avoir là quoi que ce soit de positif.

Q- Pourquoi tu ne tournes pas toi-même un film là-dessus ?

C’est très diffile pour moi aussi, parce que je n’arrive pas à définir clairement ma position par rapport à ça. Mais si un jour j’y arrive, je ferai certainement un film sur des anarchistes. (…) Ils ont eu recours à ces méthodes insensées, parce que malgré la force et la sensibilité qui sont les leurs, ils n’ont pas avancé. Ils étaient terriblement impatients. Ils pensaient que la révolution était pour demain, et comme la révolution a tardé à venir, ils ont pété un plomb. Il faut compter cela en siècles, et eux, ils ont voulu compter en décennies. Comme beaucoup de gens manifestaient dans les rues, ils ont cru à un vrai mouvement des masses, et puis au moment crucial, ils ont réalisé que ce mouvement n’existait pas. C’est pour cette raison qu’ils ont fini dans cet isolement désespéré où ils ne pouvaient plus avoir recours qu’aux moyens les plus extrêmes. Mais très sincèrement, je ne vois pas ce qu’ils auraient pu faire d’autre. Je ne sais pas comment ils auraient pu transformer leur désespoir en quelque chose de positif, et c’est pour cela que je n’arrive pas à faire un film sur eux aujourd’hui, mais toujours est-il que Nada n’est pas le bon film, car Chabrol ne montre pas ce désespoir. Il observe les deux côtés de manière cynique, et cela ne m’intéresse pas, je ne trouve pas ça drôle. »


Fassbinder par lui-même : entretiens (1969-1982), édition établie et présentée par Robert Fischer, G3J éditeur, 2010, p.249-251, interview avec Christian Braad Thomsen : « Je veux qu’on lise ce film » (1974)

La première moitié (seulement, sorry) de l'hallucinant court-métrage de Fassbinder in Deutschland Im Herbst (en vo/vo, sorry again).
Un dvd du film existe, avec sous titres (français, espagnols, anglais), éditions filmmuseum. Cherchez le, ça vaut vraiment la peine, on croise rarement la route des films d'une telle sincérité/cruauté/intelligence sur les limites de l'engagement.

Wednesday, 19 October 2011

Quote

Un passage (je devrais dire une séquence) que j'aime beaucoup dans un livre que j'aime un peu moins (mais pourquoi est-ce une fiction?)...

"En rentrant à Paris, après la grande marche d’août 1980, je transportais une sacoche d’argent. Jim et un dublinois me l’avaient remise la veille de mon départ. Nous avons compté les billets ensemble, derrière le bar d’un pub fermé. Il y avait 30 000 livres et 10 000 dollars. J’ai pris le train avec, l’avion avec. J’ai gardé la sacoche à la main, comme un sac de voyage. A Paris, le rendez-vous était le même, dans le café de Saint-Lazare. Deux hommes étaient à table, au fond, qui attendaient. (...)
Je suis ressorti dans la rue le vide en tête. Je n’étais ni fier, ni content, ni rien. J’avais fait ce qu’il fallait. Sans rien demander ni savoir. Cela m’allait. Je pensais à Tyrone, aux hommes sous les couvertures. Je trouvais qu’il était plus simple de marcher là-bas entre les patrouilles que de glisser de l’argent ici. je trouvais étrange que la guerre déborde ainsi de ses frontières. Je savais que l’IRA ne frapperait jamais les intérêts britanniques sur le sol français. La France n’était qu’une base arrière. Un lieu de passage, de repli ou de repos. Mais l’IRA opérait en Allemagne, aux Pays-Bas, ailleurs que sur sa terre. Et que, peut-être, cet argent y aidait. Et qu’il aidait à tuer. Et qu’il tuerait. Et que ces hommes qui dormaient dans ma chambre tueraient aussi peut-être. Mais voilà. C’était comme ça. J’étais entré dans la beauté terrible et c’était sans retour.»
Sorj Chalandon, Mon traître, Grasset, 2007

Wednesday, 12 October 2011

Il était une fois... Samuel Fuller, 1987


On y croyait fort, on a eu tort. On s’est même obstiné (abandon à la 500ème page - call me an idiot), juste parce que la 4ème de couverture valait pour motto (« On n’avale jamais la fumée d’un cigare »… really ?)… mais voilà un cinéaste génial (revoyez Verboten illico presto, ça se trouve pour 5 euros dans les stores de dvd d’occase) + une vie féroce + un bon éditeur ne font pas forcément un bon livre : Un 3ème visage, l’autobiographie de Samuel Fuller sortie en août chez Allia est nulle. 700 pages d'anecdotes gagas, radotage partout... Tout ça sent la pisse de vieux.
On a une règle à DinD: ne jamais parler des livres que l’on n’aime pas. Chacun sait que plus on lit plus on a de (mal)chance de tomber sur des trucs nazes. Aussi, le mot d’ordre ici est de ravaler sa colère. Pas de temps à perdre avec ça, leur médiocrité. Mais notre autre idée fixe c'est de vous conseiller d’aller voir ailleurs, là où c’est mieux. Alors, on se souvient qu’en 1987 les Cahiers du Cinéma avaient sorti un livre d’entretien formidable intitulé Il était une fois… Samuel Fuller, mené par Jean Narboni et Noël Simsolo. C’est la même chose, les mêmes anecdotes, la même vie cabossée mais en mille fois mieux dirigés. Ça a même été réédité dans les années 90 en Ramsay Poche Cinéma. C’est dire si vous devriez trouver ça on line en moins de deux clics.

Jean Narboni et Noël Simsolo, Il était une fois... Samuel Fuller, Cahiers du Cinéma-éditions de l'Etoile, 1987

Sunday, 2 October 2011

Heinrich Von Kleist, Michael Koohlhaas, 1808

or A Tale From an Old Chronicle...

I sometimes pretend to my girlfriend that I envy her for not having read this or that. De bonne guerre, stupide but with a tiny ring of truth to it in that there are books that I wish I'd discover tomorrow morning on my non-way to non-work. I'm a good audience but I rarely get knocked out anymore, la tristesse ou le privilege de l'age. And this week, this damned cursed week which started by a close friend being torn out of our lives, ripped off at 25, well I found a book. A real one. One that would have shaken me but that, for these days, turned the storm around, a maelstrom that would have lost me but, then, stabilized me.

About the joy and shame of discovering Heinrich Von Kleist's Mikhael Kohlhaas at nearly 40 then...

I know Kafka talked about Mikhael Kohlhaas in one of two only public appearances. I understand why. He probably did it justice, I could not find a transcript of the talk anywhere. I may do not achieve that as my rain has seriously been blown way by those short 100 pages. Shall I wait and recompose. Nah, composing is for appointed critics, we are proud amateurs.

I will not tell you about the plot of M.K (basically revenge/justice) but how many things I love and was impressed to find in a 1808 German novella. Almost, The last place I'd have looked

I see so many ways to make it as a movie. But more. I see the Western reduced to its purest, an injustice to be repaired, a just man torn between violence and legality. I see the Roman Noir in the incredible behavioral writing of H.P. Von Kleist , as I see George McCready as the evil Squire (Que Garnier pensera de cela?).

I see the beauty of Guerilla and the scum/schemes of (court) power.
I see lengthy and hypnotic pages of german genaologo-geo-legalism that entranced me (!!!), the labyrinth of legality (where K got lost ?) and it's absurdity. I saw a German ding with a South American picaresque ring (what did Borges thought of this book? I'd pay to know), Bergman and Leone.

Susan Sontag, Rodrigo Fresan mention this absolute masterpiece in their papers. But this is not enough. This is should be compulsory reading.nI don't know, I may raise a few ruffians like Mikhael Koohlhass did, burn a few banks and castles, and force the word onto the people.
Or you can simply get it, it will end my dream of heroic death on the scaffold once and for all... I'll pay you back in despise if you do not like it.

[a quote is not a good way to testify of the immense quality of Mikhael Koohlhas. So For once I'll pass, scared to give you wwrong impression of a book that really lost me.]

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PS: Volker Schlondorff adapted it in 1969 (to be seen soon). HBO made a shit western out of it, Jack Bull and Bruno Ganz/madds mykkelsen will be in a 2012 adaptation by...Arnaud des Pallières (not the worst choice?). To be continued.

PS': This book got me in to German/Swiss 19th century dark (but not gothic) novellas. Soon coming: Theodor Storm's Der Schimmerlreiter and Jeremiah's gotthelf's Die schwarze Spinne. Funky is not the word.

Viva - Superstar - Putnam 1970




C’est en lisant les articles sur le dernier Garrel (Rome, un jeune premier, une star internationale...) que j’ai repensé à ce livre. Le « roman » de Janet Susan Mary Hoffmann, alias Viva, l’une des superstars de la Factory, dans lequel elle raconte sa vie depuis ses premiers fantasmes de petite fille jusqu’à ses coups de fil sexuels à Jane Fonda, pardon, Jean La Fonce - c’est un roman à clé dont les serrures sont grosses comme des portes tellement les pseudonymes sont transparents. C’est en lisant les articles sur le dernier Garrel que j’ai repensé à ce livre parce que, entre autres hauts faits hautement comiques et underground on y retrouve la bande du Lit de la Vierge, Garrel, Nico, Pierre Clémenti, en plein trip christique à Rome sur le tournage de cette Passion envapée au LSD. Clémenti y est poignant de fragilité et de mélancolie solaires, comme toujours, le cerveau déjà un peu cramé, passif et masochiste lorsqu’il contemple sa femme coucher avec Gérard, le réalisateur (Garrel). « "No vonder he flipped out," said Olga [Nico]. "I would too if my wife slept with my director." »

Tout est comme ça : piquant, dévergondé, gossipy comme une feuille à scandale de Hollywood (ou plus justement comme une chute du Hollywood Babylon de Kenneth Anger) ; les stars et demi-stars de l’underground international baisent, se droguent, s’invitent les unes les autres de part et d’autre de l’Atlantique dans leurs appartements ou dans leurs films respectifs ; on se téléphone aussi beaucoup, et Viva reproduit in extenso ces coups de fil décousus à la façon de A, a Novel, l’illisible et très amusant « roman » (comme son nom l’indiquait) de Warhol entièrement fabriqué à partir de transcriptions de bandes magnétiques enregistrées à la Factory, à l’époque où ce qui deviendra le dispositif-type de la téléréalité était encore une déclaration d’avant-gardisme scandaleux. Et au milieu de tout ça, Viva nous raconte en direct l’attentat de Regina La Paz (Valérie Solanas) contre A (Warhol), avec lequel elle était en ligne quelques secondes avant qu’il ne se fasse descendre. Elle entendit les coups de feu alors qu’elle parlait avec Fred Morris (Paul Morrissey) à qui A avait laissé le combiné, et crut que c’était des coups de fouet : « "Oh, shit," I said, "they’re playing around with the whip I bought in San Diego and A is shouting, ‘Gloria.’ I guess they want to teach me a lesson about that whip. » Warhol gisait dans son sang, et elle pensait qu’il imaginait une mise en scène SM pour elle...

Tout cela fait déjà de Superstar une lecture obligatoire pour tous ceux que fascine la fluidité créatrice des années Factory, et plus qu’un tell-all à la Pamela des Barres. Mais le livre va plus loin encore, encouragé par la configuration astrale exceptionnelle dont bénéficiait à cette époque tout ce qui touchait à Warhol et à sa cour. Lorsque j’ai trouvé le paperback de ce livre, pour 1 franc dans un étal de vieux bouquins vers le Père Lachaise, j’étais en pleine phase Harmony Korine, qui venait de finir son premier film et de sortir son petit livre A Crack-Up at the Race Riots, et c’est à ses chroniques familiales désaxées que m’a fait penser toute la première partie du livre, lorsque la future Viva décrit son enfance peuplée d’adultes tous plus pervers et névrosés les uns que les autres. Et si l’on goûtera la suite parce qu’on y reconnaît la plupart des personnages, ici on ne connaît personne et on se régale juste du style, ce ton amusé et faussement détaché avec lequel elle raconte les pires incongruités - les bruits que fait son père lorsqu’il chie, les manières de tripoteur dégueulasse du médecin familial, les nonnes et les curés perturbés qui prétendirent l’éduquer.

A la fin du livre, on trouve une lettre de son père (ou du moins, du père de Gloria, l’héroïne) qu’il termine en citant Jésus Christ : « " ‘It would be better a millstone be tied around your neck and you be cast into the sea…than that ye create scandal.’ Yours, Dad. " Gloria thought about it all day. . . »