Saturday, 25 February 2012
Alix-Cléo Roubaud, Journal 1979-1983, 1984
Elle s’appelait Alix-Cléo Roubaud. Elle était photographe. Durant les quatre dernières années de son existence, elle a tenu la main courante de sa vie dans un Journal hanté par la maladie (asthme agravé), la mort, le suicide. Des cahiers sur lesquels, d’une écriture serrée, elle consignait tout, sans aucune forme de secret : peurs, tourments, addictions, intimité, projets et réflexions sur la photographie. Au fil des pages, on est précipité dans la vie, dans l’intensité d’une vie, dans la dépression, dans l’idée de la mort. On ne reculera pas. On lira tout jusqu’au bout.
Habitée par la peur de disparaître, elle pratiquait l’écriture au quotidien comme pour apprivoiser l’abîme, « elle écrivait dans l’ordre des jours, sans revenir en arrière, sans corriger, sans effacer ; pour elle-même ; et, peut-être, bien qu’elle n’ait rien dit à cet effet, ni pour ni contre, pour être lue après sa mort », commente son compagnon Jacques Roubaud. Elle aimait la vie de loin, passionnément, mais sans l’impression d’y être ni d’en faire partie. Une lente mélancolie qui la renvoyait à sa propre solitude. Une absence à soi qui trahissait la connaissance d'états limites : "Plus de jours, plus d’heures, plus d’amis, un effacement simple de ma personne, s’accomplissant lentement comme une gangrène." La vie vécue comme une longue dérive...
D’origine canadienne, Alix maîtrisait aussi bien l'anglais que le français. D’emblée, le Journal entremêle les deux langues. Mais très vite, l’anglais s’impose à elle comme la langue de l’impuissance, de l’inavouable. Alix donne libre cours aux désarticulations, aux contorsions poussant le langage au bord du balbutiement.
Journal bégayé, magnifique, dément, quelque chose de noir… parsemé ça et là des photographies d’Alix, images spectrales de sa propre mort. Elle qui écrivait, « l’horreur vient le matin. Elle ne vient pas du matin, elle vient de la nuit, et arrive quand elle survit de la nuit. Quant au matin, le monde a gardé son visage de nuit », s’en est allé à la rencontre de sa propre mort un matin de Janvier 1983, un de ses jours glacials et cristallins de ce mois d’hiver, emportée par une embolie pulmonaire, alors qu’elle venait à peine d’avoir 31 ans.
Alix-Cléo Roubaud, Journal 1979-1983, Seuil, 1984 (réédition seuil 2009)
A voir sur disorder in discipline le film de Jean Eustache, les Photos d'Alix tourné en 1980.
21h30 rue de la Harpe le 5.X.80
pas de timbres
« Bon,je vais rester.Il fait froid dehors,je n’ai pas froid. La maladie, n’est pas une seconde nature,elle abolit toute nature.Reste, pour une sorte de permanence,des traces :photos, papiers,ordres.les conversations ne sont rien.la conversation est l’art de donner ce qui ressemble à une nature.Je te parlerai toujours trop ou pas assez ou mal, enfin c’est comme ça.
Que vas-tu faire de moi,ma grisaille,mon manque de consistance,mon désir de me taire le plus possible,par la photo par exemple.Ou pourquoi la photo ?parce qu’elle est fragmentée et que,comme dans les aphorismes, la fragmentation laisse voir les blancs entre les morceaux et c’est très précisément là.Peut-être une esthétique de la ruine…
Des peurs pour rien, mais après tout tant de choses pour rien et c’est ainsi. ce soir je ne suis/rien du tout mais je t’écris comme je peux, avant de me mettre au lit, malgré les délires de fièvre des deux dernières nuits j’aime ce lit
A très bientôt,à très bientôt
(non envoyée)
29.X.80
« well haven’t we been through it all over again.A night shifted between rooms and night walks and my drunkedness and you came to pick me up at three in the morning sitting on the ground in the court-yard rue Vd T and the great vagueness of hangover through which one reconstructs each ever maddening sentence.
Begin again.Forget the pain.remember I dragged you,unshaven,out of bed at five in the afternoon to listen to Basil Bunting and you were so happy and I was so proud that you belonged there.
Still the buzz in my ears : « it like with Carnap ! »
Bought ? yesterday.One swallowed in the bus yesterday after days of hunger and depression ;then a couple more before sleeping.Today was Jean’s film :a couple more to keep away stage fright and to stay abreast of Jean’s frightening dpression »
7.VIII.81
«- I don’t understand
-Neither do I.
In the kitchen,on the table, terrified, death smell,a dead dormouse somehow,gray,I am going to break down entirely,the part of me that carries on the game works automatically and is hollow,meanwhile the grey summer leaks away ant I shall be thirty soon and I panic,sheer,steep panic as I am terrified of killing myself,as I listlessly watch myself building up to it,not daring to tell Jacques nor anyone as blank August creeps up, my family far away and not a single photograph in months except the bleak via crucis with the final blank wall and nothing else except a window which should end the whole thing and thank God, the God who stares blankly on me through that window, thank God the window is only two stories high,so frightened I don’t dare go to the doctor.
Nothing is real time receding into timelessness. »
19.1.83
« Il me fallait une maladie mortelle,ou répertoriée telle,pour guérir de l’envie de mourir.De la manière la plus oblique,organique,lente,j’ai inventé,en quelque sorte,ma maladie. –et celle dont je guérirai. »
Friday, 17 February 2012
Quote
Pix : Fernell Franco, Interiores
"J'étais au beau milieu de la chambre en train de feuilleter un livre ahurissant dérobé à ma bibliothèque de fortune quand cette maudite chose, en traître, m'a saisi. Froid dans les vertèbres et approche d'une mort qui n'était que de la fatigue. J'ai réussi à m'étendre sur le dos dans le hamac et j'ai été, je men souviens, assailli de questions dont je n'ai jamais su qui me les posait. J'ai commencé par me demander qui j'étais, parce que je ne suis pas quelqu'un d'autre, puis j'ai répété mentalement, à l'infini, mon véritable nom, jusqu'à ce qu'il perde tout sens, à la suite de quoi il y a eu un grand vide blanc dans le quel je me suis installé sans violence et qui était l'être et le non-être."
Juan Carlos Onetti, "quand plus rien n'aura d'importance", Christian Bourgois Editeur, 1994. p.155.
Tuesday, 14 February 2012
Henri Rollin, L’apocalypse de notre temps, 1939 (rééd. Allia)
Paru l’année dernière en France, le (pas très bon) roman d’Umberto Eco Le cimetière de Prague avait pour toile de fond la rédaction des Protocoles aux Sages de Sion, le plus fameux faux antisémite de l’époque contemporaine - un thème qui n’est pas nouveau pour Eco, qui en parlait déjà dans un chapitre de son recueil d’essais de 1994, Six Walks in the Fictional Woods, qu’il cite dans son introduction d’un autre livre consacré au même sujet, The Plot, l’ultime graphic novel de Will Eisner.
Dans la volumineuse bibliographie qu’a suscitée ce texte méphitique (rien moins que 43 titres cités à la fin de The Plot), on trouve aussi les pavés touffus de P-A Taguieff et Histoire d'un mythe, le livre aujourd’hui classique de Norman Cohn - un nom que les amateurs de littérature subculturelle connaissent au moins pour deux autres raisons (il est l’auteur des Fanatiques de l’Apocalypse, histoire du millénarisme révolutionnaire qui fut l’une des lectures capitales de Vaneigem lorsqu’il appartenait encore à l’IS ; et il est le père de Nik ‘Another Saturday Night’ Cohn, qu’évoque Pornochio dans son récent salut à Felt). Mais, bizarrement, on ne trouve pas dans ces 43 titres L’apocalypse de notre temps, somme de 740 pages du journaliste (et agent secret) français Henri Rollin publiée en septembre 1939, saisie par les Allemands en juin 1940, qui sera la source principale de Cohn mais ne sera rééditée qu’en 1991 grâce aux éditions Allia de Gérard Berréby.
C’est un livre au parfum vieillot, issu d’une époque tourmentée, peuplée de cauchemars et de démons que Rollin s’efforçait de combattre avec pour seules armes son érudition méticuleuse et son souci maladif du détail. Sous-titré « Les dessous de la propagande allemande d’après des documents inédits », L’Apocalypse se présente comme un texte de circonstance, la riposte d’un patriote français à l’arme idéologique principale de l’Allemagne nazie - ce « mythe du mystérieux complot judéo-maçonnico-bolcheviste » que Hitler était allé récupérer dans les poubelles du tsar, et dont il fera la source capitale de l’eschatologie du IIIème Reich.
Pourtant, malgré son titre, l’ouvrage ne s’appesantit pas sur la philologie de ce monument du conspirationnisme antisémite ; Rollin ne remonte pas la généalogie des Protocoles jusque dans les œuvres d’Eugène Sue (Le Juif errant) et d'Alexandre Dumas (Joseph Balsamo) comme Umberto Eco, préférant intégrer l’histoire de leur fabrication et de leur diffusion dans une vaste fresque des relations diplomatiques secrètes entre la Russie, la France, l’Angleterre et l’Allemagne depuis la fin du XIXème siècle. Et son livre est ainsi un labyrinthe d’intrigues obscures peuplé de personnages troubles, tous réunis au service de l’écrasement de la liberté : professionnels de la manipulation policière comme Ratchkovski, le chef de la police tsariste à Paris qui commandera la réalisation des Protocoles, faux anarchistes provocateurs tel Azev, terroriste meurtrier rémunéré par l’Okhrana, agents d’influence aux menées retorses comme Elie de Cyon, calomniateurs stipendiés comme Edouard Drumont, pour ne rien dire de Henry Ford, des voitures du même nom, inventeur du 20ème siècle industriel et réactionnaire au dernier degré, qui introduisit les Protocoles aux Etats-Unis en 1920.
L’approche totalement dépourvue de romanesque de Rollin fait de toutes ces figures des agents uniquement mus par leur position au service de la réaction, ce qui donne à son récit un côté béhaviouriste manchettien où les automatiques auraient été remplacés par la calomnie imprimée, les fausses nouvelles et les bombes opportunes. L’antisémitisme n’est ici traité que pour ce pourquoi il était utilisé : un mensonge, bien sûr, mais surtout une arme, au service d’un but : la défense de la Sainte Russie obscurantiste contre le premier ministre libéral Witté (contre qui fut rédigée la version « originale » des Protocoles), la défense de l’ordre établi contre la vague révolutionnaire de l’après Octobre 1917, l’expansionnisme nazi.
Et parfois l’intrigue vire de Manchette à Adèle Blanc-Sec, lorsque Rollin ressuscite le petit milieu de mystiques frappés et de charlatans de l’occultisme qui jouèrent un grand rôle dans l’inspiration ou dans la diffusion des Protocoles. On y croise ainsi le mage Philippe, prédécesseur français de Raspoutine auprès de Nicolas II, Gérard Encausse, alias Papus, fondateur du martinisme et figure du Paris fin-de-siècle, le moine fanatique Serguei Nilus, dont le traité antisémite Le Grand dans le Petit, qui contenait la première version intégrale des Protocoles, fut l’un des trois livres retrouvés dans les affaires personnelles de la tsarine après son exécution, ou encore Léo Taxil, l’incroyable mystificateur dont les faux pamphlets anti-maçons abusèrent jusqu’au pape dans les années 1880-1890.
J’ai lu ce livre il y a près de 15 ans, avec une curiosité mêlée d’incrédulité devant l’incroyable destinée de ces thèses détournées d’un texte anti-napoléonien des années 1860 devenues la Bible (ou plutôt, comme le dit Rollin, l’Apocalypse) des antisémites du monde entier. Mais entre temps sont passés « l’il-n’y-a-pas-eu-d’avion-dans-le-Pentagone » de T. Meyssan et les faux listings de l’affaire Clearstream et, en le reprenant pour écrire cette chronique, je me rends compte que c’est aussi de notre époque qu’il parle. Et que, si cette histoire invraisemblable est une fantastique matière à fictions, elle est aussi la démonstration du pouvoir dramatique que la fiction peut avoir sur la réalité. Car - et c’est que souligne pour sa part Eco lorsqu’il en dévoile les ressorts de roman feuilleton - qu’étaient au fond Les Protocoles aux Sages de Sion, sinon une histoire inventée, une fiction, dont ses auteurs firent une arme mortelle ?
Dans la volumineuse bibliographie qu’a suscitée ce texte méphitique (rien moins que 43 titres cités à la fin de The Plot), on trouve aussi les pavés touffus de P-A Taguieff et Histoire d'un mythe, le livre aujourd’hui classique de Norman Cohn - un nom que les amateurs de littérature subculturelle connaissent au moins pour deux autres raisons (il est l’auteur des Fanatiques de l’Apocalypse, histoire du millénarisme révolutionnaire qui fut l’une des lectures capitales de Vaneigem lorsqu’il appartenait encore à l’IS ; et il est le père de Nik ‘Another Saturday Night’ Cohn, qu’évoque Pornochio dans son récent salut à Felt). Mais, bizarrement, on ne trouve pas dans ces 43 titres L’apocalypse de notre temps, somme de 740 pages du journaliste (et agent secret) français Henri Rollin publiée en septembre 1939, saisie par les Allemands en juin 1940, qui sera la source principale de Cohn mais ne sera rééditée qu’en 1991 grâce aux éditions Allia de Gérard Berréby.
C’est un livre au parfum vieillot, issu d’une époque tourmentée, peuplée de cauchemars et de démons que Rollin s’efforçait de combattre avec pour seules armes son érudition méticuleuse et son souci maladif du détail. Sous-titré « Les dessous de la propagande allemande d’après des documents inédits », L’Apocalypse se présente comme un texte de circonstance, la riposte d’un patriote français à l’arme idéologique principale de l’Allemagne nazie - ce « mythe du mystérieux complot judéo-maçonnico-bolcheviste » que Hitler était allé récupérer dans les poubelles du tsar, et dont il fera la source capitale de l’eschatologie du IIIème Reich.
Pourtant, malgré son titre, l’ouvrage ne s’appesantit pas sur la philologie de ce monument du conspirationnisme antisémite ; Rollin ne remonte pas la généalogie des Protocoles jusque dans les œuvres d’Eugène Sue (Le Juif errant) et d'Alexandre Dumas (Joseph Balsamo) comme Umberto Eco, préférant intégrer l’histoire de leur fabrication et de leur diffusion dans une vaste fresque des relations diplomatiques secrètes entre la Russie, la France, l’Angleterre et l’Allemagne depuis la fin du XIXème siècle. Et son livre est ainsi un labyrinthe d’intrigues obscures peuplé de personnages troubles, tous réunis au service de l’écrasement de la liberté : professionnels de la manipulation policière comme Ratchkovski, le chef de la police tsariste à Paris qui commandera la réalisation des Protocoles, faux anarchistes provocateurs tel Azev, terroriste meurtrier rémunéré par l’Okhrana, agents d’influence aux menées retorses comme Elie de Cyon, calomniateurs stipendiés comme Edouard Drumont, pour ne rien dire de Henry Ford, des voitures du même nom, inventeur du 20ème siècle industriel et réactionnaire au dernier degré, qui introduisit les Protocoles aux Etats-Unis en 1920.
L’approche totalement dépourvue de romanesque de Rollin fait de toutes ces figures des agents uniquement mus par leur position au service de la réaction, ce qui donne à son récit un côté béhaviouriste manchettien où les automatiques auraient été remplacés par la calomnie imprimée, les fausses nouvelles et les bombes opportunes. L’antisémitisme n’est ici traité que pour ce pourquoi il était utilisé : un mensonge, bien sûr, mais surtout une arme, au service d’un but : la défense de la Sainte Russie obscurantiste contre le premier ministre libéral Witté (contre qui fut rédigée la version « originale » des Protocoles), la défense de l’ordre établi contre la vague révolutionnaire de l’après Octobre 1917, l’expansionnisme nazi.
Et parfois l’intrigue vire de Manchette à Adèle Blanc-Sec, lorsque Rollin ressuscite le petit milieu de mystiques frappés et de charlatans de l’occultisme qui jouèrent un grand rôle dans l’inspiration ou dans la diffusion des Protocoles. On y croise ainsi le mage Philippe, prédécesseur français de Raspoutine auprès de Nicolas II, Gérard Encausse, alias Papus, fondateur du martinisme et figure du Paris fin-de-siècle, le moine fanatique Serguei Nilus, dont le traité antisémite Le Grand dans le Petit, qui contenait la première version intégrale des Protocoles, fut l’un des trois livres retrouvés dans les affaires personnelles de la tsarine après son exécution, ou encore Léo Taxil, l’incroyable mystificateur dont les faux pamphlets anti-maçons abusèrent jusqu’au pape dans les années 1880-1890.
J’ai lu ce livre il y a près de 15 ans, avec une curiosité mêlée d’incrédulité devant l’incroyable destinée de ces thèses détournées d’un texte anti-napoléonien des années 1860 devenues la Bible (ou plutôt, comme le dit Rollin, l’Apocalypse) des antisémites du monde entier. Mais entre temps sont passés « l’il-n’y-a-pas-eu-d’avion-dans-le-Pentagone » de T. Meyssan et les faux listings de l’affaire Clearstream et, en le reprenant pour écrire cette chronique, je me rends compte que c’est aussi de notre époque qu’il parle. Et que, si cette histoire invraisemblable est une fantastique matière à fictions, elle est aussi la démonstration du pouvoir dramatique que la fiction peut avoir sur la réalité. Car - et c’est que souligne pour sa part Eco lorsqu’il en dévoile les ressorts de roman feuilleton - qu’étaient au fond Les Protocoles aux Sages de Sion, sinon une histoire inventée, une fiction, dont ses auteurs firent une arme mortelle ?
Marc Behm, La reine de la nuit, 1977
ça commence comme ça:
"Je hais les meubles et les clowns.
Mon père m'a emmené au cirque, une seule fois, en mai 1922, et nous sommes ressortis presque immédiatement. Tout était si consternant. Et les clowns tellement macabres!
Et après la disparition de ma mère, en mars 1925, on a à peu à peu jeté toutes les chaises, armoires, tables, tabourets et chiffonniers jusqu'à ce que la maison soit pratiquement vide.
J'ai commencé à fumer à onze ans. des Wings, une marque américaine. Herr Dorpmuller nous en donnait chacune un paquet, à Lisa et à moi, chaque fois qu'on le laissait nous emmener dans son arrière-boutique de la Ludwigstrasse. On déboutonnait notre corsage pour lui montrer notre gorge et il se teanit là, devant nous, ses mains en mouvement dans ses poches, grognant et reniflant.
On s'y rendait le lundi et le vendredi.
Puis Lisa est partie à Dresde. Comme je redoutais de l'affronter seule, j'ai arrêté de fumer.
Lisa s'est pendue à Berlin, en 1945."
et ça ne s'arrêtera pas.
Pour son premier roman, Marc Behm fonce dans la grande histoire comme d'autres dans un mur. Pied au plancher. Aventures, tortures, pornographie et croix gammées, tous les ingrédients sont là pour perpétuer une tradition littéraire née des charniers: la nazisploitation. On y reviendra.
Marc Behm, La Reine de la nuit, traduit par Nathalie Godard, Rivages, Paris, 1998
"Je hais les meubles et les clowns.
Mon père m'a emmené au cirque, une seule fois, en mai 1922, et nous sommes ressortis presque immédiatement. Tout était si consternant. Et les clowns tellement macabres!
Et après la disparition de ma mère, en mars 1925, on a à peu à peu jeté toutes les chaises, armoires, tables, tabourets et chiffonniers jusqu'à ce que la maison soit pratiquement vide.
J'ai commencé à fumer à onze ans. des Wings, une marque américaine. Herr Dorpmuller nous en donnait chacune un paquet, à Lisa et à moi, chaque fois qu'on le laissait nous emmener dans son arrière-boutique de la Ludwigstrasse. On déboutonnait notre corsage pour lui montrer notre gorge et il se teanit là, devant nous, ses mains en mouvement dans ses poches, grognant et reniflant.
On s'y rendait le lundi et le vendredi.
Puis Lisa est partie à Dresde. Comme je redoutais de l'affronter seule, j'ai arrêté de fumer.
Lisa s'est pendue à Berlin, en 1945."
et ça ne s'arrêtera pas.
Pour son premier roman, Marc Behm fonce dans la grande histoire comme d'autres dans un mur. Pied au plancher. Aventures, tortures, pornographie et croix gammées, tous les ingrédients sont là pour perpétuer une tradition littéraire née des charniers: la nazisploitation. On y reviendra.
Marc Behm, La Reine de la nuit, traduit par Nathalie Godard, Rivages, Paris, 1998
Monday, 13 February 2012
quote
'I believe that banking institutions are more dangerous to our liberties than standing armies. If the American people ever allow private banks to control the issue of their currency, first by inflation, then by deflation, the banks and corporations that will grow up around [the banks] will deprive the people of all property until their children wake-up homeless on the continent their fathers conquered. The issuing power should be taken from the banks and restored to the people, to whom it properly belongs.'
Thomas Jefferson (attributed).
Saturday, 11 February 2012
Quote
"L'arrête était atteinte. le glacier vaincu ! Et il était midi...
D'abord ce fut l'épuisement qui domina. Il s'assit, s'allongea, ce qui était fort aisé sur les plates-formes rocheuses horizontales, larges d'un mètre et sèches, qui séparaient les dernières pentes adoucies du névé des précipices de la face sud.
Un grande chaleur, vraiment, se répandait au creux du rocher. Il avait ôté ses lunettes fumées, il but un coup, bourra sa gourde de neige et la coucha près de lui. Maintenant, à mesure que revenait le calme, s'éveillait la conscience, et, il en convenait lucidement, il était tombé dans un piège.
Car redescendre par le glacier, un glacier de ce genre, dans la neige à présent ramollie, et seul, il ne pouvait en être question aujourd'hui, c'eût été la mort à peu près assurée. Si, comme c'était prévu, il avait gravi le sommet de droite, (en escaladant deux à trois cent mètres de rocher difficile) et s'il était revenu de même (les autres voies de ce sommet étaient toutes plus dures et plus longues), la question fût demeurée identique : comment redescendre de l'arrête ? A gauche, elle se poursuivait sur une centaine de mètres, formant quelques brèches mais dans l'ensemble, horizontale et viable ; ensuite, elle s'élançait verticalement en un système de tours apparemment inescaladables et se terminait Dieu sait où. (Ull manquait d'informations à ce sujet car il n'existait à l'époque aucun guide pour cette partie des Alpes ; en tout cas, Ull n'en avait pas trouvé et s'était efforcé de rassembler des renseignements à partir de diverses publications.) Il ne restait donc plus que la face sud.
Elle avait l'air terrible".
FELT, the Felt Book, 1979-1989
« Not that many people heard it » écrit Paul Stanley dans la préface. Un euphémisme. La parution d'un Felt Book est une anomalie en soi, en regard des chiffres de vente de Felt à travers le temps. Mais c’est toute l’existence de Felt qui vaut pour anomalie : la fierté blessée de Lawrence, renforcée à chaque disque, au fur et à mesure que ses rêves de star (être Bowie ou rien) s’encastraient dans le mur de l’indifférence générale. Son exigence. Ses lubies capillaires (virer sur le champ un des membres du groupe sous le prétexte qu’il était frisé ou châtain), Sa logique folle – qui lui fit arrêter le groupe au moment même où ça aurait pu décoller un peu, sur la beauté amère d’une série de chiffres parfaits : dix albums et dix singles en dix ans. Sa peur maladive que quelque chose ne vienne contaminer ses rêves de pureté absolue. Son horreur du présent (forever divorced from reality).
A ce prix, je peux compter autour de moi pas moins de dix fans de Felt, autant de filles que de garçons, et je sais que d’autres –magiques- que je lis sans jamais les avoir rencontrés sont plus atteint que moi encore par le cristal de cette pop un peu maudite qui trouvait son éclat dans le dégoût.
Pour chacun d'entre eux, le FeltBook est arrivé par la poste ce matin. Il est rare (1000 ex, signés de Lawrence, disponibles chez Gibert ou ici) et beau, comme il se doit. Plus encore, je le trouve émouvant. On pourrait presque, en le feuilletant, entendre la mélancolie engorgée de Lawrence. Sans doute aussi pourrais-je y croiser le fantôme de mes années New Rose/Danceteria. Ou encore le fantôme de tous ceux qui ont frôlé d'un peu trop près le concept d'adolescence au plein coeur des années 80.
Évidemment, le fétichisme ahurissant dont Lawrence a toujours fait preuve nourrît de part en part ces 175 pages de photos - pas une qui ne calme sur le champ la moindre tentative de faire aujourd’hui une série mode qui ait du sens (ho boy, ce pantalon quasi chino p.106 ! et cette double page, p.146-147, où Felt est résumé à six chemises accrochées à leurs cintres). Tout ici est parfait, exténuant de classe - Lawrence, où l'itinéraire d'un jeune homme pauvre se sortant de sa condition par le maintient dans la tourmente d’une élégance à toute épreuve.
Comme les superstars de la Factory qui mesuraient leur suprématie à l’approbation de quinze personnes dont l’avis comptait plus que les moqueries du reste du monde, Lawrence a traversé dix années de désert Felt en laissant les photographes faire leur travail : capturer sur sa triste mine anémiée la légende indie en train de s’écrire. Persuadé qu’un jour un tel livre existerait, il a tout consigné : la liste de la maigre poignée de groupes amis dans lesquels il retrouvait quelque chose de son exigence de paria (The Fall, Echo, Prefab Sprout, Orange Juice, Pale Fountains), les héros -Scott Walker ou Laura Nylo - qu’il se découvrait; les films fondateurs (Christiane F, Pixote ou Contes de la folie ordinaire) et quelques livres nourrissants ses rêves (tiens, il y a quasiment tout Kerouac, la bio d’Edie Sedgwick, le I’m still the greatest says Johnny Angelo de Nik Cohn). Et puis, forcément, il y a ces étoiles contre qui se mesurer : Nastassja Kinski, Penelope tree, Esther Ofarim - ce genre. Sur la dernière image, il baisse la tête et ferme les yeux. Il tient dans ses mains une édition usée d’un roman de Herbert Gold : The man who was not with it.
Tout est dit, alors.
Felt, First Third édition, London/Paris, 2012
A ce prix, je peux compter autour de moi pas moins de dix fans de Felt, autant de filles que de garçons, et je sais que d’autres –magiques- que je lis sans jamais les avoir rencontrés sont plus atteint que moi encore par le cristal de cette pop un peu maudite qui trouvait son éclat dans le dégoût.
Pour chacun d'entre eux, le FeltBook est arrivé par la poste ce matin. Il est rare (1000 ex, signés de Lawrence, disponibles chez Gibert ou ici) et beau, comme il se doit. Plus encore, je le trouve émouvant. On pourrait presque, en le feuilletant, entendre la mélancolie engorgée de Lawrence. Sans doute aussi pourrais-je y croiser le fantôme de mes années New Rose/Danceteria. Ou encore le fantôme de tous ceux qui ont frôlé d'un peu trop près le concept d'adolescence au plein coeur des années 80.
Évidemment, le fétichisme ahurissant dont Lawrence a toujours fait preuve nourrît de part en part ces 175 pages de photos - pas une qui ne calme sur le champ la moindre tentative de faire aujourd’hui une série mode qui ait du sens (ho boy, ce pantalon quasi chino p.106 ! et cette double page, p.146-147, où Felt est résumé à six chemises accrochées à leurs cintres). Tout ici est parfait, exténuant de classe - Lawrence, où l'itinéraire d'un jeune homme pauvre se sortant de sa condition par le maintient dans la tourmente d’une élégance à toute épreuve.
Comme les superstars de la Factory qui mesuraient leur suprématie à l’approbation de quinze personnes dont l’avis comptait plus que les moqueries du reste du monde, Lawrence a traversé dix années de désert Felt en laissant les photographes faire leur travail : capturer sur sa triste mine anémiée la légende indie en train de s’écrire. Persuadé qu’un jour un tel livre existerait, il a tout consigné : la liste de la maigre poignée de groupes amis dans lesquels il retrouvait quelque chose de son exigence de paria (The Fall, Echo, Prefab Sprout, Orange Juice, Pale Fountains), les héros -Scott Walker ou Laura Nylo - qu’il se découvrait; les films fondateurs (Christiane F, Pixote ou Contes de la folie ordinaire) et quelques livres nourrissants ses rêves (tiens, il y a quasiment tout Kerouac, la bio d’Edie Sedgwick, le I’m still the greatest says Johnny Angelo de Nik Cohn). Et puis, forcément, il y a ces étoiles contre qui se mesurer : Nastassja Kinski, Penelope tree, Esther Ofarim - ce genre. Sur la dernière image, il baisse la tête et ferme les yeux. Il tient dans ses mains une édition usée d’un roman de Herbert Gold : The man who was not with it.
Tout est dit, alors.
Felt, First Third édition, London/Paris, 2012
Saturday, 4 February 2012
Birthday
Friday, 3 February 2012
William S. Burroughs , Le Temps des Assassins, 2011
"Dans ces autres professions, vous pouvez toujours faire semblant. Par contre, si vous écrivez sans y croire, vous ne produirez que de la merde. Le métier a beaucoup d'inconvénients ? Bien sûr, vous pouvez sortir d'une villa aux Bahamas en chevauchant un requin blanc ou vous pouvez passer vingt ans à écrire Le Grand Livre que personne ne pourra lire. James Joyce a écrit quelques unes des meilleures pages de prose en littérature - Les Morts, Les Gens de Dublin - mais pouvait-il en rester là et se cantonner à des histoires délicieuses à propos des Catholiques irlandais malheureux ? Si ça avait été le cas, le monde l'aurait récompensé en lui accordant le prix Nobel. Maintenant personne n'a jamais dit à un docteur : "Ecoute, toubib, tes opérations du cul sont vraiment extra, beaucoup de tantouzes te sont reconnaissantes de pouvoir continuer à se faire enculer mais faudrait qu'tu trouves quelque chose de nouveau" -. Naturellement, il n'a pas à trouver quelque chose. C'est toujours le même bon vieux cul. Mais un écrivain doit produire du neuf, ou il doit standardiser son produit - l'un ou l'autre. Ainsi je pourrais standardiser le produit Peter Pan-Pédé-Garçon Sauvage, et en sortir un tous les ans comme la série des Tarzan ; ou bien je pourrais écrire un Finnegans Wake. Aussi, j'ai cette idée au sujet d'un privé et des Cités de la nuit rouge. Quien sabe ?" (pages 13 et 14)
William S. Burroughs, Le Temps des Assassins, Mona Lisait, Books Factory Collection, 2011
William S. Burroughs, Le Temps des Assassins, Mona Lisait, Books Factory Collection, 2011
Wednesday, 1 February 2012
Abécédaire Gilles Deleuze. R comme Résistance
En 1988, le philosophe Gilles Deleuze, resté volontairement dans l'ombre des médias, accepte l'idée d'un enregistrement fleuve pour la télévision, à condition qu'il ne soit diffusé qu'à titre posthume. L'entretien mené par Claire Parnet, ancienne élève et amie, prend la forme d'un Abécédaire. S'il connaissait à l'avance les titres des séquences, Deleuze ignorait le contenu même des questions.
Dans l'intimité de l'appartement du philosophe, place Clichy, l'échange tourne à l'improvisation mi-socratique mi-écheveulée. Deleuze tisse une toile sur laquelle viennent aussi bien s'accrocher ses concepts, ses idées, ses goûts personnels sur la culture...
Film testament du philosophe, l'Abécédaire est l'expérience d'une pensée à l'oeuvre. Cette parole qui fit dire à Michel Foucault : "Un jour, peut-être, le siècle sera deleuzien".
Abécédaire de Gilles Deleuze, film d'entretiens avec Claire Parnet, Editions Montparnasse 2004.(Durée : 8h)