Il y a quoi dans cette pile? Des volumes entamés, pas finis, pas ouverts, lus ou relus... A quoi ça sert de parler d'un bouquin qu'on n'a pas encore fini? A plein de trucs.
Les premières lignes/pages suffisent souvent, sont bien assez parfois.
On parlera de la 'chose' qui nous a poussé a l'acheter, ce bouquin dont on n'a jamais besoin. Nos vieux amis: hasard, impulsion, accumulation, télépathie (voir plus bas)... Pathologie? Peut-être. Le moment, en tout cas. Une trouvaille, ça fait un souvenir (ils se perdent dans l'Amanazisme ambiant, attention!).
Puis, il y a les connections, un livre pointant vers un autre. Bien moins que six degrees of separation en tout cas
La critique ne parle pas de ce pourquoi 'non imprimé' de l'acquisition, ce n'est pas son propos. Nous, avec nos doigts poussiereux, on peut se le permettre...
Sur cette pile, on ne va pas s'attarder, avec l'excuse de se dire que certains choix ci-dessous n'auraient jamais passé le final cut. On va vite. Et on va se tromper, c'est sur. Mais on les a quand même choisi. Vous avez bien compris, entre indicatif et ego-concentrique, tout est ici divagation.
Dust Trap #1 donc...
I would not be stranded in The Strand so I stuck to Brooklyn.
Autour, mais non limité à (format oblige), d'un dimanche en hipster hedge monkey land. 2 adresses quand même: Book Thug Nation (North 3rd, entre Wythe et Berry) et Spoonful & Sugartown (sur Bedford). Neufs et vieux, cherché-trouvé, lu de suite et renvoi at the bottom of the pile.
KATE ZEMBRANO-HEROINES-SEMIO(TEXTE)(2012)
She looks like a nice girl, Kate. Assez proche, un peu comme Quintane dont on reparlera bientot, une amie possible. Ecrire en tant que fille-post chick-lit : ce que ça pose et eut posé pour certaines. En l'occurence, (auto-)portraits de femmes d'écrivain (le mec de Kate écrit aussi), tendance rehab. Zelda Fitzgerald, Vivienne Eliott devant (et hop, leurs biographies s'ajoute a la tour*), les histoires de cul glauques de la Partisan Review, Jane Bowles... Longtemps enfermées dans l'ombre de leur homme, Kate-coup de lumière propose un joli sitcom universitaire.
*Sally Cline, Zelda Fitzgerald, Arcade
Carole seymour Jones, Painted Shadow, Robinson,.
David Laskin, Partisns-Marriage, Politics and Betrayal among the New York Intellectuals (what a title!!!!), Simon & Schuster
Reste le Millicent Dillon sur Jane Bowles...
RICHARD RHODES-HEDY'S FOLLY-VINTAGE (1979)
Spotlight again. Acheter une biographie de 'la plus belle femme du monde', Hedy Lamarr par l'auteur du magistral The Making of The Atomic Bomb? Of course! Hedy Lamarr, shame on us for not knowing, etait aussi une inventeur (inventrice) de premier ordre, jusqu'a remettre au point le systeme de défense de l'US Navy avec une torpille radio controlée.
En avancant dans le livre, je me rends compte avoir presque tout dit ici ce qui comptait. Anecdotique c'est ça? Déjà pas mal.
RODRIGO QUIAN QUIROGA-BORGES AND MEMORY-MIT PRESS-2012
On ne savait pas non plus qu'un neurologue avait trouvé une description de 10 années de travail scientifique dans la nouvelle de Borges, 'Funes'. On n'est pas étonné non plus, remarque, mais ça s'enchaîne bien avec les deux précédents, surtout que c'est encore Chloé qui l'a trouvé en bas d'une étagère de Thug a Book. Je ne sais pas si ça vaut la peine d'aller plus loin.
TAMMI WYNETTE with JOAN DEW-STAND BY YOUR MAN-SIMON & SCHUSTER (1979)
Là, pas besoin d'éclairage. Une obsession a part entière les biographies 'mainstream'. Pas forcement mon truc comme ça peut l'etre pour notre ami Marc Pinol (qui m'offre le deuxième volume, sur 4 ou 5, je ne sais plus, de celle de Dirk Bogarde quand il est vient me voir a Londres) mais Chloé , qui l'a dénichée, a eu une larme dès le premier chapitre*. Il faisait beau pourtant, nous étions au parc, je regardais le base ball.
*Pour inspiration, elle a plutôt choisi ce DEATH HOUSE LETTERS, la correspondance des époux Rosenberg attendant leur execution. C'est chez Jero Publishing (1953) et l'eau n'est pas de rose.
MACEDONIO FERNANDEZ-THE MUSEUM OF ETERNA'S NOVEL (THE FIRST GOOD NOVEL) (1952-2012)
On peut se mefier face à tant de 'ahead of its time', 'redefined litterature' blah blah blag, mais sous patronage Borges (élève pour une fois), difficile de ne pas plonger. Ca a l'air très meta-compliqué, vous verrez ce que l'auteur veut dire. Premiere traduction en Anglais. Vérifiez pour le Français. Si ils ne nous mentent pas, c'est le Jackpot.
IVAN KLIMA-JUDGE ON TRIAL-VINTAGE (1986)
Thug-A-Book ,occases only, tient à la disposition du hipsterburg moyen des piles, just pick up, du ba-ba de 'ce qu'il faut avoir lu' pour etre qualifié de. Hunter Thompson, Kerouac, Salinger... Ca vole pas très haut. Mais dans les 'staff picks', on trouve des trucs : Air Guitar de Hickey (5 copies), Greasham et puis Klima, que je connaissais pas. Vu ce que j'en lis en quatrième de couverture et ma récente obsession avec les effets du stalinisme sur la littérature, j'ai honte mais je suis content.
*Voir aussi une copie des Selected Writings de John Reed et du 'The General in his Labyrinth' de Garçia Marquez,juste en dessous. La lecture de l'intégrale Patrick Deville (Pura Vida en l'occurence) laisse de traces. Mais chez qui? Chloé m'a tendu le Reed, elle ne savait pas pour Patrick Deville (Cf télépathie plus haut).
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KENNETH PATCHEN-THE JOURNAL OF ALBION MOONLIGHT-NEW DIRECTIONS (1941)
Perdu dans la montée? Je remonte le temps (Garçia Marquez au Lycee, Louis Ferdinand un peu après).Le post de Philippe qui m'avait mis Celine dans la tête (plus renvoi a mes études). Je crois qu'Henry Miller avait dit ne connaître que deux génies : Céline et Patchen. Enfin je suis sur qu'il l'a dit de Patchen, et, si je me rappelle bien, question antimilitarisme visceral/guerre du langage, c'est equivalent. A relire. Et on voit bien ici que ça ne tient pas forcément à grand chose, ce pourquoi on achète un livre...
Monday, 22 October 2012
Sunday, 14 October 2012
Jean Echenoz, 14, 2012
Écrire la guerre de 14 après Céline est une forme avérée de suicide littéraire – autant partir au front, la fleur au fusil, avec l'assurance d’en revenir battu. 14 pourtant, ou l’histoire de la Grande Guerre en quinze chapitres : le plus beau roman français (ou squelette de roman français) de ces dernières saisons sera le plus elliptique aussi : 123 pages presque maigres, toujours précises. Où une bataille est comparée à un Opéra. Mais c’est la photographie que le livre convoque. Parce que l’un des personnages (Charles, le noble Charles, Charles le dédaigneux) transporte avec lui un appareil photo, par goût de pratiquer une activité pas encore démocratique, et par pressentiment qu'il y a urgence à tirer le portrait des poilus dans ce qu’ils ont encore de vivant. Charles, ses photographies tendant déjà à précipiter l'équipée vers la mort. Eux, ils pensaient partir pour deux semaines.
C’est la totalité de 14 qui est une grande photographie, c’est-à-dire cet espace-temps court, un enclos où la vie est décrite dans son passage hâtif. Une vie, quatre vies, cinq vies flashées dans la détresse fugitive de la tragédie. Une image juste avant que la vie ne soit fauchée, amputée. La vie dans son déroulé blanc brumeux. La leçon du livre c'est qu'à terme, ça fait peu de mots, ça pèse léger à terme, toute cette jeunesse finie. La modernité de 14 tient dans sa précision de tir. On a pu lire qu’Echenoz travaillait en pointillé – mais encore faut-il rajouter que chacun de ces pointillés pèse le poids mort d’un concentré d’existence. Pour sa concision à dire la mort qui vient, 14 rappelle ce que Pialat avait pu faire d'Abel Gance et d'Alfred Machin dans sa série de 1974 La Maison des bois, ou ce que Mark Hollis fit en 1998 de l'héritage Ravel pour son unique album solo: dans les deux cas, une sorte d'amaigrissement des évènements. L'équarrissage de la langue même.
D’une perfection comme nulle pareille en cet automne (pas même le Modiano, pourtant si beau) allant toujours à l’essentiel – soit au cœur du point de détail, la main d’Echenoz ne tremble pas, ne faillit pas. Elle rentre peu à peu dans le déroulé de sa scène jusqu’à faire croire, sur dix lignes, que son écriture pourrait se confondre toute entière avec celle du personnage. Une fois cette illusion atteinte, Echenoz retourne la phrase, comme on retourne une photo, une carte à jouer, se met à écrire comme une caméra qui s’élèverait pour, dans un dernier panoramique, exécuter un demi cercle. Tout le livre est écrit comme ça, mis en scène comme ça, regardé comme ça. Quand le mince chapitre se termine, rien ne manque et rien ne saurait se rajouter
14 fait l’effet d’avoir été rédigé dans une langue étrangère, l’usage de mots fantômes revenus d’un autre temps, blessants comme des armes de précision. Tout un français oublié, fracassé en quatre mois de novembre contre les tranchées, toute une langue qui servait à décrire des objets et des actions qui n’existent plus, toute une langue qu’Echenoz est allé déterrée de la boue de Verdun.
«Puis, la manille à trois n’allant pas de soi, Padioleau s’endormant et Bossis dodelinant lui-même, Anthime a mis un terme au jeu et pris le parti d’aller explorer les wagons voisins, recherchant vaguement Charles sans vraie envie de le voir, le présumant seul dans un coin, toujours dédaigneux de ses semblables mais forcément au milieu d’eux. Or pas du tout : bien installé dans une voiture à sièges, il a fini par l’apercevoir assis près d’une fenêtre, photographiant le paysage, en compagnie d’une grappe de sous-officiers dont il tirait également le portrait, relevant ensuite leur adresse pour faire parvenir ultérieurement le cliché. Anthime s’est éloigné.
Dans les Ardennes, à peine débarqués du train, à peine a-t-on eu le temps de se faire à ce nouveau paysage – sans même savoir le nom du village où se trouvait ce premier cantonnement, ni combien de temps on allait y passer – que des sergents ont miq les hommes en rang, puis le capitaine a fait un discours au pied de la croix, sur la place. On était un peu fatigués, on n’avait plus très envie d’échanger des blagues à voix basse mais on l’a quand même écouté au garde-à-vous, ce discours, en regardant les arbres d’un genre qu’on avait jamais vu, les oiseaux dans ces arbres commençant de s’accorder, s’apprêtant à sonner la fin du jour.» (p.29-31)
Jean Echenoz, 14, Minuit, Paris, 2012, 124 pp.
C’est la totalité de 14 qui est une grande photographie, c’est-à-dire cet espace-temps court, un enclos où la vie est décrite dans son passage hâtif. Une vie, quatre vies, cinq vies flashées dans la détresse fugitive de la tragédie. Une image juste avant que la vie ne soit fauchée, amputée. La vie dans son déroulé blanc brumeux. La leçon du livre c'est qu'à terme, ça fait peu de mots, ça pèse léger à terme, toute cette jeunesse finie. La modernité de 14 tient dans sa précision de tir. On a pu lire qu’Echenoz travaillait en pointillé – mais encore faut-il rajouter que chacun de ces pointillés pèse le poids mort d’un concentré d’existence. Pour sa concision à dire la mort qui vient, 14 rappelle ce que Pialat avait pu faire d'Abel Gance et d'Alfred Machin dans sa série de 1974 La Maison des bois, ou ce que Mark Hollis fit en 1998 de l'héritage Ravel pour son unique album solo: dans les deux cas, une sorte d'amaigrissement des évènements. L'équarrissage de la langue même.
D’une perfection comme nulle pareille en cet automne (pas même le Modiano, pourtant si beau) allant toujours à l’essentiel – soit au cœur du point de détail, la main d’Echenoz ne tremble pas, ne faillit pas. Elle rentre peu à peu dans le déroulé de sa scène jusqu’à faire croire, sur dix lignes, que son écriture pourrait se confondre toute entière avec celle du personnage. Une fois cette illusion atteinte, Echenoz retourne la phrase, comme on retourne une photo, une carte à jouer, se met à écrire comme une caméra qui s’élèverait pour, dans un dernier panoramique, exécuter un demi cercle. Tout le livre est écrit comme ça, mis en scène comme ça, regardé comme ça. Quand le mince chapitre se termine, rien ne manque et rien ne saurait se rajouter
14 fait l’effet d’avoir été rédigé dans une langue étrangère, l’usage de mots fantômes revenus d’un autre temps, blessants comme des armes de précision. Tout un français oublié, fracassé en quatre mois de novembre contre les tranchées, toute une langue qui servait à décrire des objets et des actions qui n’existent plus, toute une langue qu’Echenoz est allé déterrée de la boue de Verdun.
«Puis, la manille à trois n’allant pas de soi, Padioleau s’endormant et Bossis dodelinant lui-même, Anthime a mis un terme au jeu et pris le parti d’aller explorer les wagons voisins, recherchant vaguement Charles sans vraie envie de le voir, le présumant seul dans un coin, toujours dédaigneux de ses semblables mais forcément au milieu d’eux. Or pas du tout : bien installé dans une voiture à sièges, il a fini par l’apercevoir assis près d’une fenêtre, photographiant le paysage, en compagnie d’une grappe de sous-officiers dont il tirait également le portrait, relevant ensuite leur adresse pour faire parvenir ultérieurement le cliché. Anthime s’est éloigné.
Dans les Ardennes, à peine débarqués du train, à peine a-t-on eu le temps de se faire à ce nouveau paysage – sans même savoir le nom du village où se trouvait ce premier cantonnement, ni combien de temps on allait y passer – que des sergents ont miq les hommes en rang, puis le capitaine a fait un discours au pied de la croix, sur la place. On était un peu fatigués, on n’avait plus très envie d’échanger des blagues à voix basse mais on l’a quand même écouté au garde-à-vous, ce discours, en regardant les arbres d’un genre qu’on avait jamais vu, les oiseaux dans ces arbres commençant de s’accorder, s’apprêtant à sonner la fin du jour.» (p.29-31)
Jean Echenoz, 14, Minuit, Paris, 2012, 124 pp.