Monday, 25 February 2013

P. Bergounioux, Carnets de Note 2001-2010.

On est encore dans 30000 trucs en même temps... Nos meilleurs livres de 2012 sortiront peut-être en 2014. Les posts s'entassent á côté des livres...

Côme Martin-Karl, l'auteur du drôle et déprimant LES OCCUPATIONS (pas encore decidé lequel gagne mais on y revient vite) chez Lattés, fait plus simple. Toute son année dans un livre. La belle vie.

Merci à lui pour ce texte (même si ca va peser lourd sur la pile). Donc...

Ce n'est pas un roman, ce n'est pas un agenda, ce n'est pas un récit, ce n'est pas une liste. Ce n'est même pas vraiment un journal. C'est une litanie. Une longue litanie des jours emplie d'une description froide de la vie de Pierre Bergounioux. Tout y est énoncé sur le même plan, sans hiérarchie aucune. Parfois minutieusement détaillé. Parfois complètement elliptique. Un cours donné à des 6e, un repas, le 11 septembre, un texte, un événement météorologique, un trajet de RER, un coup de téléphone annonçant que l'auteur a la légion d'honneur, un enregistrement d'émission à la Maison de la Radio, un problème de carburateur de voiture. Et surtout l'heure à laquelle l'auteur se lève. Entre 5h et 7h, en général. Lorsqu'il s'éveille après 8h, il a l'impression de vivre comme un sauvage.
Il vit entre Gif-sur-Yvette et la Creuse où il passe ses vacances. Des contrées à rebours de toute excitation, de tout avenir. Tout y est austère, sauf l'amour intacte que Pierre Bergounioux porte à sa femme Cathy et pour laquelle il s'inquiète dès qu'elle prend un moyen de transport quelconque. Sauf l'amour inconditionnel qu'il porte à sa mère et à ses enfants qui ont des surnoms ridicules comme Bilou. Tout le reste n'est que contrainte, tâches à remplir, gens à voir, livre à écrire, dîner à avaler, route à prendre, lettres à poster.

Pierre Bergounioux est très maigre, il est sec comme son texte. Quand il en parle cependant, sur des vidéos, il est souriant, lyrique même. Bien qu'il soit désespéré par le temps qui passe et qu'il essaie de contenir, de ralentir peut-être avec ces paragraphes à la date du jour et qui expose la banalité difficilement soutenable de son quotidien.

Comment un projet aussi ennuyeux s'étalant sur des centaines et des centaines de pages en papier bible peut-il être aussi fascinant ? C'est ce mystère qui est bouleversant.


Côme Martin-Karl

Sunday, 17 February 2013

BIFUR, 1929-1931


Un dimanche après-midi pas comme les autres : commencé dans les salons du Bristol, à boire des jus de pamplemousse avec Harmony Korine, et l’entendre se réjouir que lui comme moi soyons encore vivants, dix ans après une après-midi, humm, homérique, dans la cour ensoleillée de la galerie Agnès B.
Une fois cela entendu, filer en quatrième vitesse voir ce qu’il reste de la braderie Mona Lisait, et toucher pour une somme ridicule le rarissime fac-similé en deux volumes de la revue BIFUR que Jean-Michel Place avait réédité en 1976.
BIFUR ? BIFUR fut le plus exacte des revues d’avant garde de la France de la fin des années 20. En une poignée de numéros parfaits, elle a eu le temps de croiser la poésie avec la « nouvelle photographie », la philosophie avec la littérature, la politique et le cinéma.
Ce qui veut dire en 1929, parier sur Heidegger, promouvoir Varèse, demander à Eisenstein qu’il explique ce qu’est le montage cinéma, laisser Henry Michaux s’amuser en écrivant une pièce de théâtre en un acte, aller interviewer à L.A. Buster keaton parce que son non-rire est un cataclysme (et que dit Keaton : qu’il aime beaucoup Marx – pas impossible que l’entretien soit un fake), passer une image de Joris Yvens (ainsi est orthographié le flying dutchman), demander à Alejo Carpentier d’écrire depuis les Antilles et à André Delons de décrire l’Homme désert aux portes de Constantinople…
Et demander à tous les russes qui comptent ce que devient l’homme nouveau de l’autre coté de la Volga.
Mais aussi pourquoi pas traduire quelques pages de cet allemand, Alfred Döblin, qui vient de faire un bouquin énorme sur la Alexanderplatz à Berlin qui n’a pas encore trouvé éditeur à Paris. Klossowski, s’il est bien luné pourrait introduire sur Kafka ou sur la folie chez Hölderlin, non? Hey, Il paraît que la nièce de Michaux, la petite Claude Cahun au crâne rasé, fait des photos…
In extrémis, dans son dernier numéro, BIFUR passera même le premier texte d’un jeune prof de philosophie du Havre de 26 ans, Jean-Paul Sartre. Peu avant, ils avaient invité l’ambitieux Malraux à passer un fragment inédit de son premier roman, les Conquérants, et à Paul Nizan, qui n’a pas encore écrit Eden Arabie, de philosopher comme on peut le faire à 24 ans.
BIFUR avait le nez, BIFUR allait plus vite que tout le monde, BIFUR bifurquait.
BIFUR avait, il faut le dire, une rédaction à se pâmer, avec pour rédacteur en chef Georges Ribemont Dessaignes (dada de la première heure qui venait, en 29, de quitter le giron surréaliste après sa brouille avec Breton), et pour « conseillers étrangers" les jeunes et prometteurs James Joyce, William Carlos William ou Ramon Gomez de la Serna.
Ce rêve de revue a duré huit numéros, de 1929 à 1931.

De la même façon que l’avenir dure longtemps, l’avant-garde quand elle a ce goût là se paye d’éternité.

BIFUR, n*1-8, 1929-1931, deux volumes, Jean-Michel Place, Paris, 1976

Wednesday, 13 February 2013

J-B Harang, Bordeaux Vintimille, 2012

J'avais 12 ans en 1983, vivant au sein d'une famille de gauche atypique, famille faisant souvent l'envie, dans le bon sens, de mes amis aux parents plus pauvres ou plus conservateurs. Je savais déjà  que tout le monde n'était pas comme nous (le père de mon meilleur ami était un lieutenant colonel de cavalerie à l'usage extra-professionnel de la cravache un peu lourd). Le 14 novembre 1983, 3 jours après mon anniversaire, j'ai vraiment compris pour la première fois que je vivais dans une belle famille mais dans un sale pays.
Pour les plus jeunes, dans la nuit du 13 au 14, trois légionnaires en route vers leur centre d'incorporation croisent la route de Rachid Abdou à bord du Bordeaux Vintimille. Coup de boule, coup de couteau et hop, on balance le bicot hors du train.
Chez moi, surtout chez mon père, c'était aussi Libé donc le nom d'Harang m'était familier avant la lecture de ce livre (j'étais aussi peut-être amoureux de Patricia Tourancheau, que je n'ai jamais vue, simplement elle écrivait sur les faits divers).
c'est un truc court, anti-démonstratif puisque de toute façon  on n'a jamais su pourquoi. Pourquoi défoncer la gueule de Rachid? Pourquoi le balancer hors du train? Pourquoi la presque centaine de passagers qui ont du voir quelque chose ont fermé leurs gueules (seul 3 dont deux 'resquilleurs' ont témoigné)? Harang n'a pas la réponse et moi, je me suis retrouvé a chialer dans l'Underground (le métro), je ne suis pas sur non plus de savoir pourquoi.
J'ai cherché une photo de Rachid Abdou sur le net, voila le résultat. Rien ou rien. Harang dit aussi avoir eu du mal. Lui a une belle gueule de vrai journaliste, écrit comme ça (« dans les trains, tout est organisé pour que rien n'arrive.Sauf les trains »). Rachid Abdou gardera donc tristement la gueule de l'acteur Karim Allaoui dans Train d'Enfer, nanar bien-pensant du beauf de la momie, Roger Hanin (Harang le dit très bien: 'Au fond, pas grand chose a voir avec notre affaire).
J'ai donc chialé sur mon pays de merde a la mémoire décidemment courte, juste consolé par la simple existence de gens comme Harang (oserais-je 'de vrais français eux'?). Je dois devenir chochotte parce qu’il n'y a rien de nouveau sous le soleil d'Aubagne.



'Vingt-cinq minutes plus tard, le train repart vers Vintimille.Les autres jours, les jours ou des candidats légionnaires ne balancent personne par la portière, il y a treize minutes d'arrêt. La mort de Rachid Abdou n'a coûté que douze minutes de retard aux voyageurs de l'express 343.' p 5