Tuesday, 19 April 2016


Piero Holiczer – L’Underground à Préaux-du-Perche – éditions Les Bain-Douches d’Alençon (2015)

C’est un petit trésor déniché sur les étals de la libraire éphémère qui conclut l’exposition Velvet Underground – New York Extravaganza de la Philharmonie de Paris. Le genre de découverte qu’habituellement on ne fait qu’en rêve, quand les différents plans étanches de nos vies bien rangées s’inclinent et s’entrecroisent pour faire naître des rencontres impossibles.

Imaginez : le fils d’un martyr de l’antifascisme italien, devenu cinéaste underground à New York – où il fut le premier à filmer le Velvet Underground –, et qui alla s’échouer dans la campagne normande où il projetait ses films en hommage à Allen Ginsberg dans des salles communales, pour un public de villageois tout droit sortis des pages du journal Le Perche (les articles sont en facsimile dans le livre).

C’est l’histoire de Piero Holiczer, héros méconnu des sixties devenu clochard céleste au fin fond de l’Orne, racontée en 70 pages et presque autant de documents dans cette émouvante brochure éditée par les Bains-Douches (centre d’art contemporain d’Alençon).

On y voit les flyers surréalistes que Holiczer produisait pour annoncer ses « festivals » aux habitants de Préaux-du-Perche, ce petit village normand où il s’était installé à la fin des années 1960 après ses aventures américaines. Là-bas, il avait croisé Angus McLise, Jonas Mekas, Andy Warhol ; ici, il était désormais « Piero », l’original qui ne manquait jamais une fête communale, qui faisait la conversation à tout le monde mais qui vivait farouchement seul dans sa ferme délabrée ; et ceux qui étaient depuis longtemps à Préaux se souvenaient qu’un jour de l’été 69 il avait présenté un film avec des femmes à poil à tous les habitants du village (c’était son film sur Jeanne d’Arc, il avait fait scandale, mais les gens avaient fini par lui pardonner).

Ce petit livre nous donne aussi le témoignage de ses voisins et voisines, qui parlent de ses habitudes étranges – quand il ne faisait pas les marchés de la région avec sa charrette de livres d’occasion, il régnait sur son domaine vêtu d’un simple short qui lui donnait un faux air de Tarzan, si Tarzan avait été un clochard allogène dans la campagne normande. Ecologiste radical avant l’heure, il ne supportait pas que l’on coupe des végétaux – les fermiers du coin attendaient qu’il soit parti pour aller tailler en douce les haies autour de son terrain.

Son histoire est tragique, évidemment. Sa lente dérive le mena de la marginalité poétique aux rives sombres de la maladie mentale : il sera interné pendant six mois en hôpital psychiatrique pour avoir planté un rival avec un tournevis ; et il finit sa vie renversé par un camion en 1993, alors qu’il roulait sur les routes du Perche avec sa mobylette.

Piero Holiczer (1937-1993), un destin à la Nico, à la Angus McLise, à la Barbara Rubin, ces étoiles filantes de l’Underground qui se sont toutes éteintes loin, très loin de New York, bien des années après leur moment d’incandescence au cœur des sixties tumultueuses. Dans l’exposition sur le VU, Piero Holiczer a son totem, comme Nico, comme Angus McLise, comme Barbara Rubin (qui joue les premiers rôle dans l’histoire alternative des débuts du Velvet que j’ai donnée au magazine de la Philharmonie, ici).

De lui on parle encore, parce qu’il a produit quelques œuvres qui n’ont pas été perdues, parce qu’il a été là à un moment décisif de l’histoire subculturelle du siècle écoulé, quand d’autres ne sont plus que des silhouettes floues dans la mémoire de ceux qui se souviennent encore de cette époque. Il y a au début du livre une très belle lettre de Jean-Jacques Lebel, cette figure trop peu célébrée de l’Underground français, qui parle de « Piero » comme faisant « partie de cette tribu d’ombres flottantes qui peuple [ses] souvenirs, avec d’autres nommés Dave Berry, Jacques Gabriel, Mason Hoffenberg, Roz Payne, Pierrot Blachier, Nina Thoeren, Charles Henri Ford, Candida Schell, Bernard Saby, Serge Bricianier, Etienne O’Leary, Emilio Villa, Christian Lagant, Bob Thompson, qui n’ont laissé que de fragilissimes traces, quasiment imperceptible ». Recherchez chacun de ces noms sur Internet, et c’est toute une histoire alternative du 20ème siècle que vous découvrirez, entre conseillisme, surréalisme et psychédélisme.

Aujourd’hui, un sentier de promenade de Préaux-au-Perche passe au lieu-dit « Les Friches », là où était la maison de Piero Holiczer. Sa masure est toujours là, en ruine. Les gens du coin l’appellent « la maison du poète ». On peut toujours y voir une presse à imprimer, qui ne marche plus depuis longtemps.