Saturday, 28 February 2009

Roberto Baldazzini, Casa Howhard, 2007, 2009


La pornographie, c'est un peu la vie inversée, là où tout est possible, démesurément possible surtout en bande dessinée. Et l'italien Baldazzini applique cela mieux que personne dans sa série Casa Howhard qui met en scène un monde à la géographie minimale - on n'en connait que l'intérieur d'une poignée d'appartements, le hall d'un immeuble, un théâtre, une émission de télévision et une jungle surréelle. Un monde peuplé d'une seule sorte de créatures : des filles, belles à pleurer, toutes dotées d'un sexe masculin. Au premier regard, on pourrait croire qu'il s'agit de transsexuels. Mais pas du tout : Baldazzini a réellement inventé (et inventorié) un genre à part, tout fantasmé, dont il use pour représenter d'incroyables scènes de cul et surtout pour s'attaquer, au-delà de la pornographie, à des questions plus tranchantes - la virilité, l'amour, la beauté, la représentation de soi, etc. Surtout, il parvient à la faire avec une joie incommensurable et sa pornographie n'a rien de glauque, fade ou rédhibitoire. Graphiquement, elle évoque les traits de la ligne claire, version Ted Benoit ou Floc'h, ou encore ceux d'un Charles Burns qui aurait sombré dans une douce démence plutôt que dans des visions punk en noir et blanc. Deux volumes, reprenant chacun 2 épisodes de la série, sont sortis en France. Le premier est préfacé par Moebius, le second par Jean-Pierre Dionnet : la filiation est dévoilée.

Roberto Baldazzini,Casa Howhard,Editions Dynamite, 2007 (T1 + T2)et 2009 (T3 et T4)

Ishiuchi Miyako, Endless Night 2001, 1978-2001




Une collection de murs lépreux, de vernis écaillés, de cuirs foutus. Sur les pans de la devanture en vieux bois de cyprès, on a posé des clôtures. On pourrait presqu'entendre la voix de Jean Noël Picq dans Une sale histoire, le film d’Eustache : «je suis retourné dans ce café, mais il était entouré de palissades, ça ressemblait à la fermeture d’un théâtre porno... ».
Endless night est le genre d’objet rare pour lequel on peut aller très loin. L’exemplaire que je tiens entre les mains, il m’a fallu aller le chercher sur place, à Tokyo, à la Rat Hole gallery, une galerie de photos du quartier d’Omotesando qui vend assez peu de livres, 250 à tout casser, mais pour lesquels on se damnerait. Précision d’usage: les gens du Rat Hole demandent en général aux photographes de leur signer les exemplaires en vente. C’est ainsi que je regarde la signature, nerveuse, atypique pour une japonaise, d’Ishiuchi Miyako, cette femme que je n’ai jamais rencontrée, sur laquelle je ne sais rien (elle est inconnue en Europe) sinon qu’elle a commencé à faire des photos au mitan des années 70, qu’elle est née en 1947 tout comme les modèles féminins dont elle photographie chaque année les mains et les jambes. Elle n’a donc jamais photographié que ça : les marques du temps, sous toutes ses formes. Ce livre sur des lieux de nuits fermés depuis longtemps n’y échappe pas : c’est une série de photos d’une cruauté infinie sur le temps qui passe, sur le désir qui s’éteint, sur la détérioration des pulsions intimes. L’architecture des bordels, leur rococo, leur fonctionnalisme exigu, leur parfum de sordide , tout cela qui intéresse de prime abord, sinon excite, ne fait pas illusion longtemps : Endless night épie la mort au travail, afterhour.
Cette série sur la nuit endormie, Ishiuchi Miyako l’a entreprise de 1978 à 1980, mais elle a attendu 2001 pour en développer les négatifs, les exhumant quelque temps après la mort de sa mère. C’est dans le sillage de cette absence-là que ce projet, laissé en sommeil pendant 20 ans, prenait désormais sens pour elle. Les japonais sont des gens patients. D’une patience exquise et vénéneuse.

L’ensemble tient en 87 photographies noir et blanc : cabarets louches, bars mal famés, love hôtels des Akasen-ato (quartiers rouges, en japonais) de Tokyo, d’Osaka, de Sendai ou de Nagoya - des lieux de nuits saisis brutalement en pein jour. Ces emblèmes de l’industrie du plaisir (pas forcément illicite, au Japon ces endroits permettent juste de s’aimer en dehors de l’exiguïté du domicile conjugal) sont vidés de leurs couleurs, de leur énergie, du désir qui d'ordinaire les habite. Regardés mais au moment où il ne le fallait pas, froidement, à la lumière de l’après-midi, à l'heure de la fermeture, ou au crépuscule de leur vie, quand l’endroit, faute de clientèle ou pour satisfaire des versements de fonds crapuleux, a cessé depuis longtemps d'exister. Maison close. Ça n’a pas marché, plus de rires arrosés de saké bière, plus d’entraîneuses pour croiser leurs jambes sur les banquettes en simili skaï. Une crasse obstinée a fini par s’incruster dans les interstices des carreaux de faïence. L’hygiénisme en règle autrefois pue désormais le cafard. Il n’y a plus d’amour qui tienne. La lumière blanche du jour a jeté toute sa dureté sur ces endroits rouges.

(…à les regarder, ces clichés hantés appellent à remettre le même disque, encore et encore: Endless sleep, hit creepy de Jody Reynolds sorti chez Demon en 1958. Les japonaises aiment tellement le rockabilly…).



Ishiuchi Miyako, Endless Night 2001, WIDES shuppan Co ; Ltd, Tokyo, 2001.

Thursday, 26 February 2009

Donald Ray Pollock, Knockemstiff, 2008

En lisant l'incroyable entretien d'Agata/Delory Momberger dont parlait P.A. , en decouvrant les images d'enfance du Jerome de L' Amant des Morts, la blessure s'est rouverte. Ca pisse encore . Knockemstiff, Ohio, litteralement defonce-les raides, livre et hometown de Donald Ray Pollock.

Knockemstiff existe bien, Donald Ray Pollock a travaille trente ans dans une usine de pate a papier avant d'ecrire ce (remarque) premier recueuil de nouvelles, de poemes redneck en prose. Palaniuk est fan, on le comprend, je le soupconne un peu d'etre jaloux de la vie meme de Pollock, qui, lui n'a pas a gerer les deformations d'un prisme made in LA, ou pire, N.Y. La, par contre, c'est beau, ce truc super americain ("tout les americains viennent de l'Ohio, meme brievement"), cette hyper-realite touchant a l'absolu, l'egout et le paradis, la campagne en enfer.

Vous allez me dire que ces tres upper middle class europeenne cette fascination/complexe pour les ploucs white trash. Certes. Et pour le coup tout y est: inceste, speed, teenage pregancies, alcool, violence, trucks... la panoplie complete. Exploitation de notre fascination pour ce lumpenproletriat "tres exotique ce cowboy chic" ... ou idealisation ruralo-ouvriere (no comment), tout ca aurait pu tres tres mal finir, suicide annonce plutot qu'accident en beaute.

Pollock a tout compte fait, de la chance, il peut juste parler de ce qu'il est (au pire de ce qu'il fut), il est (de) Knockemstiff. Comble, cette position ultra-privilegiee est doublee d'une sincerite. et meme triplee par une langue assez etrange: vitriol, queues de poissons, mais aussi poesie d'atelier d'ecriture, grand guignol. Si l'on veut jouer du couteau: Pollock est un vrai plouc avec une tres belle voix, un bouseux qui a trouve sa langue. Dangereux le monsieur.

Alors la, un truc se passe indubitablement: la crasse brille, l'alcool se met a bruler, le meth monte. C'est le feu de joie de tristesse donc vous et nous: Suons ! Pleurons!

"When people in town said inbred, what they really mean was lonely.Daniel liked to pretend that anyway. He needed the long hair. Without it , he was nothing but a creepy country stooge from Knockemstiff, Ohio, old people glasses and acne sprouts and a bony chicken chest. You ever try to be someoe like that? When you're fourteen, it's worse tha being dead. And so when the old man sawed off Daniel's hair with a butcher knife, the same one his mum used to slice rings of red bologna and scrape the pig's owl, he might as well have cut the boy's ugly head off, too.
The old man had caught Daniel playing Romeo in the smokehouse with Lucy, Daniel's little sister's carnival doll.Daniel was giving to her good, making believe she was Goria Hamlin, a snotty, bucktoothed cheerleader who'd spit chocolate milk on him last year in the school cafeteria"

Donald Ray Pollock, Knockemstiff, Harvill Secker.

Wednesday, 25 February 2009

Alexei Plutser-Sarno, Notes From Russia, 2007





L'âme slave... d'autant plus énigmatique que mon arbre généalogique s'arrête mystérieusement a Saint-Petersburg il y a trois générations.
Alors j'observe les soviétiques par des trous de serrures comme 'Notes From Russia'.
Il s'agit d'un portrait unique de la Russie au travers (essentiellement) de textes trouvés dans la rue: petites annonces, mots doux, messages placés dans les entrées d'immeubles ou bien même morceaux de carton au bout d'une ficelle port
és par les mendiants. Alexei Plutser-Sarno y dépeint des usages assez inhabituels (pour qui a plutôt grandit de notre cote du mur) et les aberrations d'un système social a bout de souffle. On apprend beaucoup sur ces auteurs anonymes de l'Est, leurs façons de penser, le monde dans lequel ils évoluent.
Difficile ici d'extraire des exemples qui, éloignes de leurs explications, prêtent plutôt a sourire tant cela peut paraître étranger a nos manières mais les quelques images extraites du livre devraient suffire a vous interpeller. Le graphisme de ces notes (dont un très grand nombre sont reproduites) est assez génial ! Un recueil et une édition vraiment réussi sur lequel on revient a l'infini pour une anecdote et surtout une inspiration visuelle.

"The dilapidated Russian infrastructure is a rich source for all manner of warning notices:
Attention! The lifts are old and might get stuck. Don't get in with more than four people, because if you get stuck you'll suffocate."

"It is common for banks to have no money at all:
We are out of Roubles"

"Here's another detail to round out the economic picture of our vast Motherland, an ad for something that isn't. A note posted on an empty shelf of a store read:
Vodka coming soon"

Alexei Plutser-Sarno, Notes From Russia, Fuel 2007

Tuesday, 24 February 2009

message*3: special guests

=====================================================nos chers redacteurs/rices aimeraient ils/elles demander a des auteurs, alors qualifies de special guest, qu'ils aiment de parler d'un livre qu'ils aiment. Ils sont souvent bien plus dispos pour ce genre de truc qu'on ne le croit. Textes en anglais, pas de probleme. ce serait quand meme la classe non? merci merci===================================================================

Monday, 23 February 2009

Paul Hoffman, the Golden Age of Censorship, 2007


C'est cette histoire de masse dans le livre sur le Komintern poste hier qui m'a rappelle cette autre histoire de catalogue. Voila, comme on dit, un livre qui nous parle
(si comme moi, vous vous etes demande longtemps si vous n'auriez pas du travailler dans un video-club). 1984: la video arrive en Angleterre, tout les films (toutes les videos pour etre plus precis) doivent etre revues, et reclassees. C'est le travail du British Board of Film Classification, le B.B.F.C dont Hoffman fut un des visionneurs.
Les plus jeunes imagineront mal l'impact de la video grand public, cette disponibilite nouvelle, l'acces aux "carres blancs" de Pariscope, pouvoir voir Mad Max a huit ans, La Luna a 13. Je me demande parfois si certaines amities ne reposerent pas un moment sur le liberalisme VHS de mon pere, le mercredi apres-midi dans la "piece video" ouvrant nos yeux, desormais post Grande Vadrouille/007/Spielberg a l'interdit un peu mais surtout, pour des petits banlieusards pas encore abonnes aux cinemas Action, a la cinephilie.
Si le bouquin d ' Hoffman est aussi une satire de la politique de bureau, une histoire d'amour ratee, c'est aussi un flashback sur des polemiques oubliees: la vague nasty cannibale, les films d'action musulmans anti-Rushdie, Chucky est il montrables a des ados... Outre le plaisir popcorn du truc, le bouquin touche evidemment parfois a des trucs rabattus sur la censure elle meme (peut on aller plus loin si c'est de art etc..., mais c'est dans la gestion du tout voir (la matinee a visionner des dessins animes pour tout petits, l'apres midi des videos over 50 ) qu'il est le plus touchant. Difficile de ne pas etre fasciner par ces septs mercenaires qui auront, un temps, tout regarde.
voila donc un truc type, comme ces serie juste au dessus du B: un bouquin en mode mineur/sujet majeur, donc non negligeable, .

"Although to the uninitiated this film may appear to be an unconvincing farce, it speaks to an informed Pakistani or Indian viewer i n a familar language of exxagerated symbols, meaningless to westerners, laden with significance to us. Within generic terms it is no more exaggerated than Greek drama for example. Any number of people who would find International Guerillas laughable and ridiculously childish would happily pay fifty pounds to sit reverently through an opera full of monsters, flying rhinemaidens and over weight middleaged divas pretending to be innocent virgins."

Paul Hoffman, the Golden Age of Censorship, Black Swann, 2007.


Herbert Lieberman, Nécropolis, 1976


Ivan, avant-hier, se demandait si Discipline & Disorder devait s’étendre aux films. Pornochio, plus mal placé que d’autres pour répondre à cette question, s’en tirera par une pirouette : laissant traîner sur la table un livre qui touche avant tout par la façon qu’il a de retrouver la toute puissance climatique d’un certain cinéma américain. Un livre moins découpé en chapitres qu’en SEQUENCES.

Quand j’avais dix ans, Nécropolis était un tube. Il était partout. Il me faisait peur. Je ne saisissais pas bien le titre (encore que la lecture limite identificatoire d’Elric le Necromancien, figure maudite de l’Heroïc Fantasy, m’avait quand même fait entrevoir que Nécropolis devait puer la mort). Son épaisseur, 600 pages, était monstrueuse pour un gosse. Mais la couverture de la version poche Point Seuil m’attirait comme aucune autre. Je n’avais sans doute pas l’âge de comprendre Nécropolis, mais je n’avais même pas besoin de lire pour savoir que tout ce qui m'attirait en lui tenait en une photo : New York, la nuit, les phares arrières d’une voiture de Police, un parfum d'Amérique late 70’s.
Qui a dit qu'il ne fallait pas juger un livre sur sa couverture? J’imaginais des hommes dangereux aux USA ou au Moyen Orient, (mon imaginaire n’a jamais réussi à s’incarner en France, sorry) lisant cela entre deux avions, ou à l’arrière de la voiture qui les emmenait vers un rendez vous incisif. C’est dire si j’avais dix ans, c’est dire si je me faisais des films (mais, dans un sens, quand je lis Don Delillo aujourd’hui, c’est le même phantasme que je perpétue).
En 1981, j’ai beaucoup regardé la couverture de Nécropolis, je n’ai jamais osé prendre le livre avec moi, je ne l’ai ainsi jamais lu. (Mais c’est parfois comme ça, les livres que l’on préfère sont aussi ceux que l’on n’a pas lus).

J’ai fini par me l’acheter le mois dernier, dans cette même version poche Point Seuil 1981, toujours dans cette ville du sud de la France où 27 ans plus tôt il me faisait si peur. Il me fait encore peur,mais il faut parfois apprendre à reagrder la mort en face. alors, disons qu'il y a un mois, son titre tout à coup m'a regardé.
J’ai contemplé une fois encore cette couverture qui ressemble tant à un photogramme tombé de Taxi driver. Et sans doute, le livre de Lieberman m’a-t-il appâté pour mieux me décevoir, exactement comme Taxi Driver me décevrait quand je le découvrirai enfin cinq ans après l’avoir rêvé. C'est chaque fois la même chose : le film intérieur que je m’en faisais par avance était mille fois plus dangereux, malsain.
Mais Nécropolis procure quand même le même plaisir torve et nocturne que Taxi driver. Même ville, mêmes rues, mêmes néons lights sur les pavés trempés, même folie qui rôde, même danger. C’est un polar oui et non, c'est un polar et encore pas tant que ça. C’est surtout un grand livre sur New York. Cadavérique, lardé, massacré. 600 pages « découpées » (hummmm) en 65 séquences (extérieur/nuit, 2h du matin) pour décrire la journée merdique du plus grand médecin légiste de New York, d’un New York d’avant le grand nettoyage de Guiliani (tout ça a été écrit entre 1974 et 1976). La plongée à la morgue d’un homme qui se concentrera sur des morceaux dispersés de cadavres comme d'autres jouent au puzzle afin d'oublier le désastre autour de lui.

Il manque peu de choses à ce grand roman américain. Sans doute aurait-il gagné à être plus documentaire encore, jusqu’à la folie, à la façon d’un Tom Wolfe. Sans doute aurait-il été immense s’il avait été tout le temps rédigé au scalpel ou en cut-up, dans une langue froide et délictueuse, celle d’un JG Ballard par exemple (qui l’aurait élevé au rang de "littérature légiste"). Sans doute croit-il encore trop dur comme fer au scénario et aurait-il mérité davantage de dérives : il aurait peut-être fini par ressembler à un mélange DOA entre Taxi Driver, The Gambler et Meurtre d’un bookmaker chinois. On a rêvé, on rêve.

PS : En passant dans une librairie il y a deux jours, j’ai vu qu’ils avaient réédité Nécropolis. La nouvelle couverture est hideuse. J’ai appris aussi que Lieberman avait écrit d’autres romans qui se sont vendus par cargos. Je sais que je ne les lirai jamais. Tout cela ne me concerne pas. Je tiens farouchement à ce que Nécropolis reste en moi comme cet objet unique.

«4 heures 45. Laboratoire de toxicologie.
Alambics. Vase à filtration. Fioles. Cornues remplie de liquides bouillonnants. Bacs en carton où nagent des cerveaux, des foies, des reins, des estomacs. Sacs en plastique pleins de sang et d’urine ; bocaux pleins de matières fécales, de matières vomies, de résidus de bol alimentaire. Sachets de cheveux, d’ongles, de membranes, de rognures d’ongles. Ronronnement aigu des broyeurs électriques qui liquéfient les cerveaux et les foies destinés aux alambics et aux chromatographes qui les distilleront ; ensuite les extraits seront analysés en quête de traces d’alcool, de morphine, de barbituriques, d’hypnotiques, d’amphétamines, de vapeurs d’acide cyanhydrique, de cyanure de potassium, de chlorure d’éthyle, de phosgène, d’hydrocarbure, d’éthylène, d’Avertine ; toute la gamme des acides dérivés du phenol. »

Herbert Lieberman, Nécropolis, Point Seuil, 1981

Saturday, 21 February 2009

Collectif – Komintern : L’histoire et les hommes – Dictionnaire biographique de l’Internationale communiste – Les Editions de l’Atelier, 2001



C’est un gros ouvrage de 600 pages à la mise en page sommaire, qui doit prendre la poussière dans les bibliothèques des facs d’histoire, d’où personne, sans doute, n’a jamais imaginé le faire sortir pour le plaisir.

Et c’est un tort : il y a 100 films d’aventures ou 1 000 romans dans ce livre ; Roda-Gil y aurait trouvé plus qu’une poignée d’idées de chansons, Pierre Christin quelques héros tragiques à magnifier. Mais on y trouvera aussi l’empreinte glacée de la dictature ; le goût amer des espoirs brisés ; la furie de l’idéologie « mise au poste de commandement » ; la Sibérie du goulag, la Hongrie de Bela Kun, l’Espagne républicaine, l’Europe sidérée par le Pacte germano-soviétique. Et 500 histoires de vie proprement extraordinaires. Des vies de salauds, des vies de héros, qui parfois se confondent, en fonction des revirements de l’Internationale Communiste ou de leur propre conscience.

Démonstration. Ouvrons le dictionnaire au hasard. Presque à coup sûr, on tombera sur une vie qui épouse les tourments, les passions, les tragédies du XXème siècle :

Page 146, Raoul Beck (1897-1943) : exclu du PCF en 1935 à la demande du Komintern pour lui faire animer un réseau clandestin d’aide aux républicains espagnols, puis un réseau d’espionnage en France occupée ; arrêté par la police française, fusillé par la Gestapo en 1943.

Page 350, Joseph Jacob (1896-1976) : il mena de dangereuses missions pour l’Internationale dans l’Italie fasciste de 1925 ; écarté dans les années 1930, il rejoignit Doriot en 1941 et sera condamné en 1945 à l’indignité nationale

Page 581, Marc Willems (1906-1968) : dirigeant du PC belge au début des années 1930 (à moins de 30 ans !), il est contraint à l’auto-critique et rappelé à Moscou en 1935 ; ouvrier dans une usine soviétique, il se distingue par son zèle stakhanoviste ; purgé en 1937 il est envoyé au goulag où il restera jusqu’en 1955 ; jamais rentré en Belgique, il meurt en URSS en 1968

Il n’y a aucun romantisme dans ces destinées toutes entières marquées par la politique, par la froide rationalité de la raison d’Etat, par la dure réalité du communisme soviétique – son fanatisme mâtiné de bureaucratie, son cynisme arrogant, la brutalité avec laquelle il broyait les hommes, les idées, les pays. Il n’y a aucun romantisme dans ces destinées, mais il y a du romanesque. Parce que ces hommes n’étaient pas n’importe quels communistes : ils étaient ceux qui sautaient d’un pays à un autre, la police bourgeoise à leurs trousses, pour exporter la révolution ; ils étaient ceux qui vivaient le choc entre les mots d’ordre édictés à Moscou et la complexité des réalités locales, à Shanghai en 1927, en France en 1934, ou à Barcelone en 1937 ; ils étaient ceux qui faisaient le sale travail – remettre au pas les déviants, éliminer les traîtres ou les souvenirs d’un passé devenu honteux – et souvent, pour cette même raison, ils finissaient par devenir eux-mêmes des proies, un sale travail à faire pour d’autres qu’eux, plus jeunes et plus dévoués au Chef.

La Révolution bolchevique fut un désastre pour la gauche russe, dès le début, mais il est difficile de ne pas vibrer à ses dix premières années, vues du point de vue du Komintern : à cette époque, Moscou n’était pas encore la capitale du nouvel empire russe, mais s’imaginait toujours comme le foyer ardent de la Révolution mondiale. Un homme nouveau y était en train de naître, dont la patrie était une Idée, et non un Etat, et les kominterniens étaient l’incarnation de cet homme nouveau. Du moins le crurent-ils tous, jusqu’à ce que, pour la plupart, un changement de ligne de trop ne finisse par leur déciller les yeux – et leur laisse le choix, s’ils n’étaient pas déjà morts, entre la rupture dramatique (et dangereuse) avec toute leur vie d’avant, ou la lâche abdication de l’apparatchik. Tel était le prix à payer : leur vie, leur confort, ou leur conscience.

Après la guerre, le communisme international devint cette mécanique bureaucratique alliant le conformisme culturel le plus extrême à l’efficacité militaire des services secrets. Il ne s’agissait plus de faire la révolution mondiale, mais de consolider l’impérialisme soviétique. Le système n’avait plus besoin d’aventuriers de la révolution, mais de technocrates de la manipulation – ces agents du KGB qui se sont si bien reconvertis à l’économie de marché et à la « démocratie dirigée » de la Russie d’aujourd’hui. Komintern : L’histoire et les hommes parle d’une toute autre époque, dont ces quelques 500 notices ne donne que le squelette ; où sont les romanciers, les cinéastes, les artistes qui sauront en restituer la chair et l’âme ?

Thursday, 19 February 2009

message*2: reels ?

=====================================================Est ce qu'on etend "Discipline & Disorder" aux films, sur le meme simple principe? je le voulais au depart et puis j'ai laisse tomber, surtout par peur d'etre indonde de films et trop pauvre en bouquins? vos idees en "comment"... on verra.

Andrew Hodges, One to Nine, 2007

Je me suis rendu compte recemment que je ne detestais pas les maths et que finalement, un bon livre de popular science (tellement plus beau qu'"ouvrage de vulgarisation") offre des plaisirs inconnus de la litterature. Je sais, j'aimerais bien que ce soit Badiou et son mathematisme politique qui soit responsable de ca mais j'ai bien peur que ce soit juste reposant, des chiffres, Alors oui, Badiou, les maths, c'est la verite pure, on ne ment pas... Et poutant, meme s'agissant des plus simples, 1 a 9, leur innerlife est un vrai roman.

One to Nine est un bouquin finalement assez etrange, beaucoup plus litteraire (quand meme) que la plupart, assez drole, et comme les mathematiques (j'ose) parfois poetique. Comme avec la poesie et certaines philosophies, je prends du plaisr a ne pas tout saisir dans l'instant (voir ne pas saisir tout court). Et puis Hodges est un mathematicien-auteur (incroyable biographie d'Alan Turing- encore un heros, genie proto-informatique et cryptographique, mort seul,suicide, apres des annes de traitements officiels pour le "guerir de son homosexualite"), l'aridite des signes est un peu temperee par la langue...
Batifolage alors? un peu oui... Mais sortir de son sentier battu (encore plus si l'on se tourne vers , pour une fois, la rigueur), ca ne se refuse pas.

"But One-ness can also carry with it the ideal of integrity, as opposed to conventional duplicities. Writing in 1956, Constance Reid may well not have been aware that ONE, Inc. was then the name of a first American organisation for homosexual rights. It was an unloved One in the Eisenhower era, but since then, there have been great changes in the perception of what 'to thine own self be true' should mean - and contrary to Jane Austen's supposedly universal truth, it is now acknowledged that a single man may not be in want of a wife.

Andrew Hodges, One to Nine-The inner Life of Numbers, Short Books, 2007.


Monday, 16 February 2009

Antoine d’Agata & Christine Delory-Momberger, Le Désir du monde (entretiens), 2008

C’est un livre d’entretien assez récent (un an, par là) mais dont personne n’a osé rendre compte. Un livre impossible, aberrant – par essence et par définition. 120 pages de mise au point entre un photographe et une universitaire, mais sans aucune photographie, une tentative de dialogue avec quelqu’un qui s’est toujours méfié de la parole, de la photographie, du désir, du monde et, surtout, de lui-même(fuck à toute déontologie, je dois aussi avouer que cet homme est un de mes plus chers amis, ou sinon « mon ami le pire »… Un livre fait ensemble en 2004 existe, et d’autres aventures communes sont annoncées).
Antoine d’Agata (né à Marseille en 1961) a été ramassé (littéralement) vers 1990 par Nan Goldin au bas d’un immeuble new-yorkais qui servait aussi à l’occasion d’école de photographie. Il avait échoué là, par terre, au terme de 10 ans d’errances et de défonces. Relevé, il a appris (vite) la photographie et retourna aussitôt à l’enfer d’où il venait : Boystown, la zone à bordel la plus sauvage du Mexique. Un an à documenter le territoire de sa douleur, après quoi il renoncera pour sept ans à la photo (il sera serveur, maçon) avant d’y revenir : la nuit comme une addiction, ou fatalité. Et l’œil monoculaire de la photo pour objectif, dernier point de vue auquel s’accrocher pour ne pas sombrer. Discipline et désordre.
Chaque mot ici dit les lignes de vie (dure), les cicatrices (plein les bras), les marques des nuits blanches (irrécupérables), le ressassement lent. Antoine y explique enfin pourquoi il a, peu à peu, par souci de cohérence, renoncé à garder dans ses photos toutes traces vaguement documentaires, décidant de s’enfoncer dans une abstraction (gros plan de visages, de corps) seule capable de rendre compte d’une extase accouplée à l’horreur. Et comment la vie en dehors de la photographie en a souffert. Mais dans ce saccage planifié, il n’y a pas que du romantisme noir (ou de la ligne de conduite). Car contre ceux qui ne voient en lui qu’un junk fini photographiant des putes, ce petit livre rouge révèle A. dans toute sa dimension politique, concevant (tel un Badiou porno) les zones infâmes du monde comme autant de poche de résistance à une société qui n’accepte le désir que s’il est relié à la production marchande. Projet A. : se saisir de la jouissance comme d’un moment de force brute et de dépense hors de tout contrôle. C’est déjà un peu l’insurrection qui vient. Qui vient dans la bouche, qui vient dans la main.



« J’ai cherché tant bien que mal, au fil des années, de nouvelles formes d’engagement susceptibles d’exprimer ma révolte, mon rejet de la religion, le mépris de l’hypocrisie démocratique, la solidarité avec les mouvements armés des années 80, les rêves utopiques des révolutions impossibles en Amérique Latine, la guerre civile au Salvador, la vie dans la marge et les bordels avec les putes, les ivrognes, les exclus du monde de l’argent, la poursuite des idéaux de mon adolescence, le refus de rentrer dans le rang, le rejet de la médiocrité.

Plus tard, alors que je voyageais à travers le monde, je me suis enfermé dans un mutisme obstiné, rendu plus insupportable encore par une capacité naturelle à absorber comme une éponge la misère humaine. La consommation de drogues dures avait un pouvoir anesthésiant sur cette douleur qui m’envahissait de l’intérieur et de l’extérieur. L’héroïne, en particulier, a transformé ce qui était une forme de peur en indifférence et en dureté vis-à-vis de mes émotions et de mes réactions face aux sentiment d’autrui. Je me suis toujours battu pour ne pas verser dans le cynisme, mais j’ai perdu toute naïveté depuis longtemps. A l’école de la douleur, même les mauvais élèves apprennent à se battre.»

Antoine d’Agata & Christine Delory-Momberger, Le Désir du monde (entretiens), Téraèdre.


Joan Didion, The White Album, 1979

Je lis aussi mal l’Anglais que je le parle. Mais parfois, quand j’en ai marre d’attendre qu’on traduise des bouquins que je veux lire depuis un moment, je fais un effort. Il en va ainsi du White Album de Joan Didion. L’an dernier, les éditions Robert Laffont ont eu la bonne idée de rééditer son chef d’œuvre, Play It as It Lays, (en V.F. : Marie avec ou sans rien) ; plongée sidérée dans la psyché d’une actrice californienne qui perd complètement le contrôle sur sa vie et dont la réalité se dissout, se transformant peu à peu en un véritable marécage. La cloche de détresse à Malibu si vous voulez. J’ai toujours été attiré par les livres décrivant avec minutie les dérives mentales, Dostoïevski ou Selby en tête, mais Joan Didion a quelque chose en plus, une acuité face à ses propres névroses qu’elle met toujours au premier plan car intimement liée à « son cher sujet » : le gouffre qui s’est ouvert sous les pieds de l’ intelligentsia et du showbiz West Coast à la fin des années 60 (en attendant « the big one » qui nous débarrassera définitivement de la Silicon Valley et de ses millions de geeks). On retrouve ainsi dans The White Album quelques figurants/acteurs/fantômes/lieux/éléments clefs de cette période crépusculaire: John Phillips, Jim Morrisson, Roman Polanski et Sharon Tate, Linda Kasabian, Ronald et Nancy Reagan, Doris Lessing, Georgia O’Keeffe, des Black Panthers, des féministes, l’eau, le soleil, l’expérience quasi mystique des freeways et la désolation générale d’un état, la Californie, en passe de devenir un non-lieu. Je n’ai peut-être pas tout compris, mais le paysage dépeint en une suite d’essais, courts, concis, d’une intelligence fulgurante, constitue, il me semble, un autoportrait perturbé, parasité par la « disneyification » des esprits dont Joan Didion a su ici diagnostiquer les symptômes. Ceux de notre apocalypse où chacun se conforme désormais aux conventions dramatiques d’un script sans auteur dans l’espoir de devenir quelqu’un d’autre, célèbre de préférence.


« In the big house on Franklin Avenue many people seemed to come and go without relation to what i did. I knew where the sheets and towels were kept but i did not always know who was sleeping in every bed. I had the keys but not the key. »


« As i drove home that day through the somnolent back streets of Hollywood i had the distinct sense that everyone i knew had some fever which had not yet infected the invisible city. In the invisible city girls were still disappointed at not being chosen cheerleader. In the invisible city girls still got discovered at Schwab’s and later met their true loves at the Mocambo or the Troc, still dreamed of big houses by the ocean and carloads of presents by the Christmas tree, still prayed to be known »

Joan Didion, The White Album, First Farrar, Straus and Giroux, 1990.

Sunday, 15 February 2009

message *1: hi & up the ante.

-------------------------------------------------------Hello all- on est vraiment content de ce debut, et la reception est plutot bonne. Pour faire vivre le truc, ce serait bien que les personnes inscrites comme auteurs, et bien, ecrivent. Pas de pression, mais une fois que nous nous connaitrons un peu, on pourra up the ante. Idees parmi d'autres: un redacteur choisit un livre a lire (et a "chroniquer") par un autre , semaines "thematiques". je ne sais pas... a voir. Vos idees sont les bienvenues.
En tout cas, ca nous fait plaisir de vous avoir tous et toutes ici. On espere que c'est partage et que la famille va s'agrandir.

Autre chose: on ne vivra que si on nous lit, donc faites nous connaitre par tous vos moyens.------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Roberto Bolano, 2066, 2009.

On entretiendra une relation forcement une relation particuliere avec Bolano, heros mort , comme les vrais, trop jeune. De toute facon, comment pourrait il en etre autrement vis a vis de celui qui met au centre de son oeuvre l'oeuvre litteraire elle meme (si il n'avait pas d'humour et n'aimait pas autant le cul, on oserait presque un meta-fiction) et la violence; vis a vis de celui dont on a souvent jalouse les idees (les fausses biographies de La Litterature Nazie en Amerique du Sud), parfois meme la vie (emprisonne au Chili, poete post punk au Mexique, junk litteraire a Barcelone). Chez lui, tout est a ecrire et tout est a lire.

Avec Bolano, la disparition et la quete sont au centre de l'oeuvre. Mais si pour Les Detectives Sauvages, le picaresque dominait, 2066 est sombre et dantesque, comme si traces d'Ellroy ou Pearce noircissaient l'heritage sud -americain. Ce long livre post mortem, divise en cinq modules, n'est pas a resumer mais tout ce qui compte est encore une fois la: poesie, mort, sexe, politique.
Alors Borges, toujours aussi, mais peut-etre moins qu'auparavant, Bolano affinant plutot son "reportage fiction" qui nous touche tant, ce parler vrai sur ce qui n'existe pas. Les 300 pages de medecine legale qui constituent le pan central du bouquin peuvent sembler difficiles a avaler mais elles sont fondamentales: rarement la durete du monde, globale, et le comment y faire face intimemement auront eu une telle voix cinemascopique. Un vrai chef d'oeuvre, pas abordable, mais assez incroyable.

"[I]t was the fear that afflicts most citizens who, one fine (or dark) day, choose to make the practice of writing, and especially the practice of fiction writing, an integral part of their lives. Fear of being no good. Also fear of being overlooked. But above all, fear of being no good. Fear that one's efforts and striving come to nothing. Fear of the step that leaves no trace. Fear of the forces of chance and nature that wipe away shallow prints. Fear of dining alone and unnoticed. Fear of going unrecognized. Fear of failure and making a spectacle of oneself. But above all, fear of being no good. Fear of forever dwelling in the hell of bad writers."

Roberto Bolano, 2066, Christian Bourgois (fr.), Farrar/Strauss Giroux (eng), superbe edition en 3 volumes, 2009.

PS: Pour les fans, un bel article "a la maniere de":http://quarterlyconversation.com/roberto-bolano-the-geometry-of-his-fictions

Henri Chopin, Revue OU, 1964-1974


Une revue plutôt qu'un livre. Plus exactement, une anthologie, qui reprend des textes et enregistrements édités par le poète Henri Chopin dans sa revue OU (dont les numéros incluaient des vinyles au format 25 cm). L'anthologie comprend un historique, des textes reproduits, plusieurs feuillets et dépliants et quatre CD (il existe une version avec 6 LPs). On y lit et entend la poésie d'auteurs comme William Burroughs, Brion Gysin, Bernard Heidsieck. Je m'y suis intéressé surtout pour Burroughs dont j'aime suivre les méandres du travail. Ici, on peut le lire et l'entendre réciter un texte en deux versions d'à peu près 10 minutes chacune, de sa voix monochrome coupante et entrecoupée de bruits, échos, sonorités concrètes. Dans l'ensemble, toute cette poésie sonore raconte un monde qui n'existe plus : celui des années 60 et 70 ravies par les utopies, prédisant un avenir électronique pas forcément radieux mais sans doute bien moins sombre que celui qui est advenu.

Henri Chopin, Revue OU (Anthologie), Alga Marghen, 2002

Thursday, 12 February 2009

Tony Ward, Orgasm, 2000.

En chinant à l'excellente librairie d'occaz Parallèles,je suis tombé sur ce livre de photos de Tony Ward.Très beaux clichés(sans jeu de mot)en noir et blanc.Sublime lumière.Très jolies filles nues.Et un côté graphique assez inhabituel pour ce type de photos,dont je ne suis au demeurant pas spécialiste...C'est difficile de parler d'un livre de photos.Chacun inventera sa propre histoire...

Tony Ward.Orgasm.Alixe editions


Wednesday, 11 February 2009

Francois Dufay, Le voyage d'Automne, 2000

Ce livre raconte comment sept écrivains français se rendent en Allemagne à l'invitation conjointe d'Otto Abetz, ambassadeur du Reich à Paris et de G. Heller, responsable des questions littéraires à la Propaganda Staffel de Paris pour un voyage suivi d'un congrès d'écrivains où sont représentées quatorze nations européennes . Comme on s'en doute, les choses sont préparées de longue date, à Paris où Heller s'était fait fortde se présenter partout en censeur bienveillant, se frayant des entrées dans le Tout-Paris littéraire, rassurant les uns et les autres en faisant croire que si l'occupant sévissait, ce n'était pas contre les opinions des écrivains, mais contre les juifs.
A Berlin aussi où il s'agit d'accréditer l'idée d'une main tendue à la France, en obtenant en passant la docilité de quelques grands noms de sa littérature.Certains sont acquis à l'Allemagne depuis longtemps, tels Brasillach, Drieu la Rochelle, Bonnard, Fraigneau,D'autres se laissent attraper, et c'est cet itinéraire là qui est le plus intéressant à suivre,il s'agit de Jouhandeau, Chardonne, Fernandez.
Alors, bien sûr les ressorts qui vont jouer ne sont pas les mêmes pour chacun, mais tous à la fin du séjour qui dure une quinzaine de jours, qui les balade dans des sites spécialement choisis à leur intention et qui se termine en apothéose à Weimar, (patrie de Goethe), avec le discours de Goebbels leur laissant croire qu'ils sont invitésen avant première au banquet de l'Europe nouvelle, tous vont repartir, persuadés de faire partie de cette élite chargée de présenter l'Allemagne comme la seule nation capable de piloter avec détermination l'unité de la Nouvelle Europe. Pourtant, à ce congrès, après des dégoulinades de francophilie dontils auraient pu se méfier, était venu le temps de l'endoctrinement, puis l'artillerie lourde, puisque la guerre se trouvait réduite à la guerre entre deux livres: le Capital du juif Marx et Mein Kempf d'adolf Hitler. Les discours les ont séduit ou les ont intimidés, mais ce qui les a rattrapés aussi, c'est leur propre duplicité, leur complaisance à la flatterie, leur peu de consistance, leur égotisme, chacun suivant sa mauvaise pente.
L'alliance, en eux d'abord, s'est faite avec le pire. Malgré quelques sursauts de révolte sans suite, ou encore quelques moments où ils ont approché la vérité dans sa crudité, ils se sont prêtés à la mascarade. Rien ne les retenant plus, leur anti-sémitisme et leur anti-bolchevisme flambent de plus belle et à leur retour ils se feront les chantres de l'idéologie nazie. Desormais, ils se montreront convaincus que le péril judéobolchevique réclame l'union des destins de l'Allemagne et de la France, sans pour autant se sentir assignés à l'héroïque sous toutes ses formes, comme le leur a prescrit Goebbels. Goebbels, "ce preneur de rats" a gagné son pari: la France, nation littéraire entre toutes et dont il avait besoin de l'appui, est tombée dans ses bras, la race germanique devient créatrice de la culture européenne et le succès de ce congrès le renforce dans sa lutte contre "l'art dégénéré". Pour Hitler, Goebbels prenait bien trop de peine. Lui, qualifiait les artistes français d'"esthètes poitrinaires", "nul besoin de se préoccuper de leur santé spirituelle, laissez-les dégénérer, c'est tant mieux pour nous".
Jouhandeau et les autres ne pouvaient ignorer que la simple acceptation de l'invitation constituait une adhésion tacite à la politique de collaboration.Au retour, les sept "élus" reçoivent les bénéfices de cette collaboration, à la Libération, aucun ne consentira à en payer le prix. D'autres le payèrent. Dans le journal l'Université Libre du 16 décembre 41, s'adressant aux "anciens écrivains français"partis à Weimar, le scientifiqueJ. Solomon, le philosophe G. Politzer, le professeur et traducteur d'allemand J. Decour publient une lettre ouverte dont voici quelques extraits:

"Vous saviez -car les dirigeants hitlériens n'en font pas mystère- que l'"ordre nouveau" réserve à Paris un rôle d'obscure ville de province, que Berlin rêve de devenir la capitale intellectuelle d'une Europe asservie. Vous saviez que la plus grande honte pour un écrivain, c'est de participer à l'assassinat de la culture nationale dont il devrait être le défenseur. Vous ne l'ignorez pas. Mais vous êtes partis car vous ne vous ne vous souciez ni de la France, ni de sa culture... Vous avez mieux aimé vous attacher comme esclave au char de l'ennemi que de mener la lutte glorieuse contre la barbarie.Au reste, votre mission dans ce voyage, n'était que simple figuration. Plus précisément, vous avez servi de masque"...

Les auteurs de cette lettre seront arrêtés en février 42 et fusillés en mai.
En lisant ce livre on pense que malheureusement la culture ne garantit en rien une conduite éthique,ne protège pas du pire et que des faits comme ceux-là donnent raison à la Boétie pour avoir si bien formulé notre amour pour la servitude volontaire, notre amour pour le tyran.
M.F.B

Francois Dufay, Le Voyage d'Automne-Octobre 1941, des écrivains français en Allemagne, Omnibus, 2000.
Mathieu Riboulet, L'amant des morts, 2008

Voilà pourquoi j'adore bouquiner.
Un jour par hasard, un livre débarque.
Sur le moment je ne le remarque pas trop.
Il est juste une vague tache de couleur cartonnée.
Et puis un autre jour, je décide de l'ouvrir et là, c'est la claque. (vraiment)
L'Amant des morts
, c'est une écriture triturée, torturée mais toujours ultra poétique. On plonge dans le noir de la nuit, de l'inceste impossible, puis vient le sida parce qu'il fallait encore souffrir. On se dit que c'est pas possible tant de mal/maux. Mais Mathieu Riboulet rend son abyme, entre autobiographie et fiction, hyper étincellante. On ne peut plus s'arrêter de lire. On flippe carrément à l'idée que ce bouquin ne fait que 91 pages.
Les personnages passés à la moulinette du trouble affectif forment une famille ultra bancale à laquelle on s'attache forcément. Riboulet a une façon assez déconcertante de passer du eux, au je, au nous, au vous. Du coup on pense forcément aux copains, à ceux qui sont là mais que l'on pourrait subitement perdre et aussi aux autres qu'on a déjà perdu. Cette distance, cette proximité Riboulet la rend insupportable mais tellement réelle. Il ne dit pas «n'oubliez pas». Il dit seulement. Avec ses mots la douleur devient sublime voire subliminale. J'avoue qu'après ça je ne sais plus trop par quel livre recommencer ..... je crois que je vais y aller tout doux, peut-être guidée par les pages de ce blog .....

« Le fils, de temps à autre, couchait avec le père. La mère ne voyait rien. Il fallait bien répondre, et ça ne cessait pas. Les élans adultes, brusques du père avaient éveillé au creux du fils un écho aussi obscur qu'ancien d'animalité, un besoin de sueur séchée, de salive et de sperme venu du fond des temps. C'était effrayant mais souverain. Ils étaient au désert, cernés par la nuit, le vent des solitudes. On s'occupait de pulsions ataviques, on sculptait le revers invisible des jours idustrieux et mornes. »

Mathieu Riboulet, L'amant des morts, Verdier, 2008

Tuesday, 10 February 2009

Bilal/Christin, Les Phalanges de L'Ordre Noir, 1979.


C'est presque du sur-mesure: flingues, politique et romantisme (A quand le film?). Alors on j y crois encore aujourd'hui, alors que ce livre est un livre de mon enfance?
En 1979, annee de plomb, cette histoire d' ex des Brigades internationales reprenant du service, devait
certes avoir des resonances plus franches qu'aujourd'hui, le processus de ramollissement general n'en etait qu'a ses premices.
La facination pour l'action et une certaine envie envers ceux qui ont pris les armes ne sont pas chez moi des problemes nouveaux. On y travaille, on y travaille...
Pour aujourd'hui, J'en tirerai pour ma part, en vous renvoyant a Badiou, que la fidelite a une verite est une des conditions de l'existence. Pas d'ideal defendu, coco, vie a moitie vecue.

"-A quoi on boit? Au Passe? auFutur?
-Au Present, il ne nous reste plus que ca."

Enki Bilal, Pierre christin, Les Phalanges de L'Ordre Noir, Dargaud, 1979.

Monday, 9 February 2009

Bernd Bexte, Tierisch Tierisch, ?


Ce livre , on le gardera comme un mystere, on en parlera rapidement.
Je ne me souviens plus ou on l'a trouve mais la romance l'imagine abandonne dans une maison de vacances.
Je ne parle pas allemand et le livre n'en n'est que plus magique. Titre complet: Tierisch Tierisch, Zusammengestellt von Bernd Bexte fur den Deutschen Kinderschutzbund. En cherchant un peu, comme un livre pour enfants a but caritatif (leur faire aimer les pages). Choc: ce livre fut edite par Ikea. Oui, comme si l'uniformisation de votre mobilier devait passer par la fragmentation de l'esprit de vos enfants. Beau projet.
Livre d'images incroyables, manege de mutations animales, parfois effrayantes (voir a gauche), parfois droles, toujours etranges. Comme un freak show zoo, reminiscent des collages (ici cultes) de Norman Rubington pour Akbar Del Piombo
(aka Alexander Trocchi). Ces deux derniers on en reparle demain mais ce Tierisch Tierisch, Il faut le voir pour le croire. Malheureusement, le livre est epuise (fut il un jour reellement edite?) mais un chanceux pourra le trouver ici ou ailleurs.
Si un germanophone peut m'eclairer un peu plus, je lui en serai gre. Entendu qu'il ne brise pas le charme d'un vrai livre rare.

Bern Bexte,
Sachen machen : 2: Tierisch, tierisch / Zsgest. von Bernd Bexte für den Deutschen Kinderschutzbund. (Ikea-Verkaufs GmbH, Ikea-Family).

Sunday, 8 February 2009

Stephen J. Gertz, Dope Menace, 2008



Voilà un livre un peu rêvé, qui donne envie d'en acheter des milliers - ou alors, plus simplement, de se laisser entièrement happer par tout ce qu'il montre et raconte. Dope Menace, sorti vers la fin de l'année 2008, tente un exercice compliqué : compiler des couvertures de livres traitant de la drogue, entre 1900 et 1975. Drôle de tentative, qui s'avère tout à fait passionnante par les biais qu'elle adopte. Ici, pas d'exhaustivité réelle, mais plutôt un amour profond pour la littérature et les couvertures des récits de genre, les paperbacks américains, les romans de gare qui ne valent pas, dans l'inconscient collectif, davantage qu'un trajet entre deux villes dans un vieux train moribond. Pourtant, c'est l'accumulation des couvertures reproduites ici qui sidère : on y voit l'évolution, surtout entre les années 50 et 70, de la représentation de la drogue, liée au sexe, aux marginaux, aux artistes, aux beatniks de tout poil. Et dans ce lot de livres oubliés, il y a un ou deux vrais chefs d'oeuvre dont le premier livre de William Burroughs, Junkie, sorti sous le pseudonyme de William Lee dans une collection de poche. Un texte introductif permet de comprendre l'évolution historique de ces questions, depuis le début du XXème siècle. Surtout, le livre se regarde avec minutie : les dessins, photos et design obliques de ces livres de seconde zone demeurent impressionnants, au-delà de la nostalgie. Il faudrait qu'en France, quelqu'un se mette à rassembler les couvertures et références de tous les romans policiers érotiques écrits par les situationnistes : ça ferait un bel ouvrage labyrinthique.

Stephen j.Gertz, Dope Menace, Feral House, 2008.

Saturday, 7 February 2009

Daniel Depland, En voie de disparition,2009

2Pour commencer,je vais transgresser d'emblée,et parler d'un livre "d'actualité"(la mort est toujours d'actualité).
Je n'arrive pas à dormir dans l'avion,donc je lis;surtout la presse,et l'avion est peut être le seul endroit ou je puisse lire Le Monde de fond en comble.
Cahier littéraire,je tombe sur une critique d'un auteur qui m'est inconnu(et qui vit à Londres).Daniel Depland(le type écrit depuis 1969).Deja son nom me plait(et son rhytme de publication aussi:un peine à jouir).
On le compare à Violette Leduc(j'aime le nom aussi)que je ne connaissais pas non plus,mais le titre de son roman le plus connu "La bâtarde",ça me parle.(je suis dessus)
"En voie de disparition" est un roman d'outre tombe,court.
84 pages,pour décrire un entre deux.Le narrateur est mort,mais pas vraiment.Si ç'est l'enfer,ç'est horrible.On a plus de nom,juste de vagues souvenirs,et une sensation de son corps(en charpie).La mort est un prolongement de la vie,en perdition.La vie pendant la mort.La mémoire qui perdure.La memoire des souvenirs,mais une "mémoire molle".Très angoissant.Plus féroce que Houellebecq:"Quand j'étais vivant,j'avais tendance à me dire à quoi bon vivre.Maintenant que je suis mort,je serais enclin à me dire à quoi bon être mort."
Bon ça va va,je devrais me reveiller demain,tôt.Alors stop.
On dort quand on est mort?Demandez à Depland...

"Je me retrouve sur le seuil d'un dur réveil:rien de grandiose,de tragique ou d'inspiré dans l'ivresse dont je tirais gloire.Pas de recours du côté de l'oubli,je n'étais qu'un pitoyable pitre qui,de verre en verre,se noyait dans le ridicule en se prenant pour un maître à penser.Ma vanité s'en souvient très bien:se croire plus intelligent qu'on l'est est si enivrant qu'on ne peut s'arrêter d'arroser ça.C'est le ridicule qui a dû finir par me tuer"

Daniel Depland, En Voie de Disparition, Denoel, 2009.

Thursday, 5 February 2009

Sean O'Brien, The Drowned Book, 2007


J'ecris sur un clavier QWERTY, pas d'accent, pas de cedille.Il est d'essence ici d'aller assez vite, donc je laisse filer les erreurs.Pour l'instant.

Sean O'Brien me parait pas mal pour commencer.

The Drowned Book m'a touche, ce qui est devenu assez rare pour un ecrivain britannique. Parenthese: Un autre qui, lui, m'a carrement bouscule, c'est Dai Vaughan. Ni l'un ni l'autre ne sont traduits en francais. P.A. me racontait l'autre jour qu'une de ses amies en etait presque a monter une collection pour publier Vaughan, "rien que pour ca". Que font les autres? Les autres tant pis.

Je n'ai pas d'outils pour parler de la poesie, je n'en maitrise pas les codes.je ne sais pas qui fait quoi, qui revendique quoi, qui deteste qui... Cette innocence/license me convient, je vais pouvoir faire semblant d'etre honnete.
Je vous rassure ou je vous fais peur, Sean O'Brien est loin d'une poesie Rock n'Roll, d'un truc frontal et violent. Il m'apparait comme classique et reconnu mais j'espere peut etre, secretement, qu'il soit a part. Vieux reflexe.
Mais ca, ca doit faire partie du truc, cette satisfaction a etre emu par la rigueur et le travail (ah), un peu comme je fus emu, par exemple, par le Wallenberg d'Hedi Kaddour, un livre eminemment "IVe"republique". Si le labeur me touche, c'est que j'ai du trop manger de spontaneite, les deux n'etant pourtant opposes que dans l'esprit des cons. Alors oui,O'Brien sent la Culture: trois fois laureat du Forward Poetry Prize et n'etant le seul a l'avoir eu deux fois, traducteur de Dante, ailleurs (in The Silent Room, son recent recueil de nouvelles) ne parlant que de livres jusqu'a etre saoul de bibliotheques et de citation (Bolano? Borges?). Comme
O'Brien, je me reserve le droit et le plaisir, meme ephemere, de me sentir ex-"jeune homme en colere", meme si je pense bien que dans la naievete un peu passeiste de la politique du Drowned Book, elle est aussi la, la poesie.

Poesie=disques=peu de necessite de parler de ce qu'il y a dedans. On fera vite : un Southern Gothism rince par la pluie du Nord de l'Angleterre, la decreptitude naturelle et la violence sociale, Dean forest et egouts victoriens, ,l'entre-deux-eaux et le vert-de-gris, Thoreau et Thatcher, elegies et charclages, un peu l'amour, beaucoup (beaucoup) la mort...Le romantisme certain (def: venant avec l'age?)de la fatalite.

Je sens bien que les mots sont tout pour O'Brien, de "odalismes" a "fuck". On ne peut pas rater ca, meme en anglais. D'ailleurs, la poesie doit etre plus abordable que le roman dans une langue que l'on ne maitrise pas totalement. Peut etre que ca renforce la musique. Vous me direz.

From "Arcadia"


I woke the ferryman-Go On! Where next?
-There is no next, He said.This is the place.
We slid beneath the footbridge and emerged
Beside an island thick with snowy laurels,
Where he beached.-Get out and walk from here.
I entered that enormous miniature
And as in childhood forced my way among
the hypertrophied bushes and the drifts,
Until at what I knew must be the island's heart
I found myself once more beside the lake,
where he was waiting patiently, as though
We'd never met, and roused himself to push
The iron coffin from shore again.

Sean O'Brien, The Drowned Book, Picador Poetry, 2007.