Sunday, 30 January 2011

Ceesepe, Barcelona by night, 1982

En décembre 1982, les Humanoïdes associés furent la risée de tout le gratin junky arty de la Movida pour avoir sortis une anthologie Ceesepe et l’avoir baptisée Barcelona by night, alors que Ceesepe est de Madrid, sa violence est de Madrid - et peu de villes se méprisent autant que ces deux villes-là.
En décembre 1982, les Humanoïdes associés firent la fierté du Madrid junky arty pour avoir publiés avant tout le monde Barcelona by night, la toute première anthologie consacrée à Ceesepe, son héros – illustrateur star d’El Vibora, l’homme au talent de peintre mais qui n’acceptait que l'étiquette de dessinateur – un diburante. El mejor de entras todos.
Cette histoire de titre mis à part, les Humanos firent les choses en grand, comme si l’impressionnant format des albums de la collection Pied Jaloux avait été inventé pour imprimer dans les plus belles conditions qui soient des dessins qui avaient cette puissance de frappe que la peinture avait complètement perdu en 1982. Il y eut quelques années comme ça, entre 1976 et 1985, où, en Europe, les peintres les plus intéressants choisissaient la bd.
Chez Ceesepe, il y a un retour à la figuration mais libre, affolée, bizzaroïde, proliférante. Ça doit venir de son colorisme givré, fauve, sa propension aux amours tragiques, mélange moite d’héroïne, de femmes fatales, de flamenco et de rock garage. Tout cela ciselé avec une arrogance inouïe : regardez comment il dessine les jambes, jusqu’à quel point le trait se resserre au niveau du genoux, si bien que les chevilles occupent deux fois moins de place que la cuisse qu’elle est sensée supporter. Sans parler des vulves des filles quand elles font l’amour, ce qui arrive souvent dans les dessins de cet esthète qui ne raconte, peu ou prou, que des histoires de prostituée triste et de revendeur de poudre, amants de la nuit voulant échapper à un mac violent, à des fratries de gitans, ou à un destin sans point de fuite .
Comme le dit Willem dans sa préface à Barcelona by night, «C’est lui qui a introduit l’Élégance dans la Dégueulasserie. Ivrognes, violeurs, victimes avec des sous-ventres sanglants, drogués, assassins, tout le monde semble être en train de danser un ballet étrange.»
On peut essayer des milliers de formules, combiner tous les mots, mais si on voulait dire le hiératisme de mannequin des personnages de Ceesepe, ses perspectives fausses, son futurisme, le primitivisme de ses couleurs, sa façon de reprendre Chagall en le projetant sur les trottoirs de la Movida, on trouvera jamais mieux que ce titre d’une pièce au piano de Pascal Comelade (qui avait demandé à Ceesepe de faire la pochette d’El Primitivismo, en 1987) : «BOLERO CUBISTE».

PS : Impossible d’évoquer Ceesepe sans passer par son amitié de toujours avec Alberto Garcia Alix. Le récit de leurs débuts conjoints est dans ce livre-là. Mais qui savait que Garcia-Alix et Ceesepe avaient co-signé des courts-métrages naïfs et beaux ? L’art fauché au maximum de son innocence est là, dans ce magnifique El dia que muera Bombita (1983) –cherchez aussi Amor apache, un peu moins bien, mais on y croise Alaska et deux trois idées rigolotes piquées au Almodovar de Pepi, Luci, Bom... - dont l’affiche et le générique étaient également signés Ceesepe.

Et surtout, histoire de ne pas mourir idiot, vous ne louperez pour rien au monde cette rare, et super drôle, interview de Ceesepe (précédée d’une présentation de ses meilleurs dessins) donnée en 83 à l’hallucinante Paloma Chamorro, dans ce qui restera comme le programme rock le plus, hum, stupéfiant de toute la télévision occidentale La Edad de Oro (manière de Grand Echiquier movidien qui entre 83 et 85 invita dans ses studios madrilènes Gun Club, Johnny Thunders, Alan Vega, Birthday Party, les Smiths, Violent Femmes, Cabaret Voltaire, etc...)


Besos.

Ceesepe, Barcelona by night, Les Humanoïdes associés, Paris, 1982

Saturday, 29 January 2011

Quote

Le quote Budd Shulberg posté la semaine passée par karine m'a fait penser à ça...

« On le connaissait sous le surnom du Balafré et il suggérait une époque qui était devenue rapidement reculée avec son feutre gris des faubourgs et son grand foulard blanc en guise de cravate.
La piste restait vide, avec des femmes et des clients en bordure pour l’admirer. Chaque soir il honorait, l’une après l’autre, les pistes de danse de la ville et touchait à chaque représentation les vingt pesos stipulés.
Et chaque soir cette marée sonore, visuelle et distrayante qui nous emportait, culminait et prenait gracieusement congé sur quelque chose appelé Conga et qui consistait en un défilé où chacun, derrière l’autre, serrant les flancs de celui qui était devant et serré de la même manière par un autre être humain, parcourait la piste en formant un grand serpent d’imbéciles heureux qui criaient « Conga, conga, conga » jusqu’à ce que les musiciens en aient marre et rangent leurs instruments. »

Juan Carlos Onetti, C’est alors que, traduit de l’espagnol par Albert Bensoussan, Gallimard, 1989.

Destroy All Monsters, Geisha This, 1975-1979

DAM! Passant hier à l’expo Musique Plastique (jusqu’au 2 avril, à la Galerie du jour, 44 rue Quicampois, Paris), revu – encadré sous verre, telle une pure œuvre d’art-, le livre Geisha This! Soit le reprint des six premiers numéros du fanzine que les Néo Stoogiens du Destroy All Monsters auto-éditaient dans le Michigan entre 1975 et 1979 – au même moment, ils sortaient une poignée de singles abrasifs au tranchant punk providentiel.
Fin 1976, le groupe se scindera en deux entités: deux des membres originaux, Mike Kelley et Jim Shaw arrêteront de jouer, laissant la place à Ron Asheton orphelin des Stooges, pour ne plus se consacrer qu'à la propagande visuelle du groupe. Puis devenir à terme les artistes que l'on sait.
Geisha This a été édité une première fois en 1995, et réimprimé deux fois depuis, toujours à moins de 1000 exemplaires – si bien que même cette 3ème édition trouvée chez Colette un après midi de glande il y a six ou sept ans vaut aujourd’hui souvent plus de 100$. Mais on y trouve, la tête dans le sachet pour vomir, toute la subculture rock n’ roll : Erotisme vintage, films de monstre, comics cons comme les pieds, collages abracadabrants, couleurs lysergiques et agressivité maximum. Et puis surtout surtout surtout des dessins... certains faits par un tout jeune Mike Kelley, et d'autre par la chanteuse du groupe, l'exubérante Niagara.













Drôle de dessinatrice, Niagara... en découvrant ce qu'elle faisait en 1974 déjà, vous vous rendrez compte que sans elle Charles Burns ne serait pas le cauchemar cyberpunk qu’il est aujourd’hui. Si bien que vous regardez toute cette tambouille proliférante, et cela vous fait à peu près le même effet que si vous sirotiez à la paille le jus de cervelle d’un étudiant en art d’Ann Arbor assis au dernier rang des années 70, faisant des disques et griffonnant des dessins dans le seul but d’emmerder le monde.

«Destroy all monsters was formed in Ann Arbor, Michigan in the winter of 1974. The founding members were : Cary Loren, Niagara, Jim Shaw, and Mike Kelley.
I am Mike Kelley. Shaw, Niagara, and I met as fellow students at the art school of the University of Michigan in 1972. In fact, Niagara was one of the first people i met in Ann Arbor. I sat next to her on a bus ; she was the only freak in a denim sea of laid-back hippiedom. The early Seventies was a period of hippie blandness, the external sign of which was cliched notions of the « natural ». The farmer look was in ; « wood music » was its soundtrack. In contrast, Niagara had an alluring in-your-face drag queen kind of beauty. She was a « superstar ». Niagara drop out after her first year of school. Her aesthetic was already formed. She ignored classes to spend time on her strange morbid little drawings. »

Destroy All Monsters, Geisha This, Book Beat Gallery, 1995

Audio Bonus:
Destroy All Monsters – Bored
Destroy All Monsters – November 22, 1963

Wednesday, 19 January 2011

Quote

"Le Back Lot était un exemple tapageur et jovial de ce que la plupart des gens imaginent qu'est Hollywood la nuit tombée. Mais, à part la présence, ici et là, d'une vague tête célèbre, cela ressemblait à n'importe quelle boîte d'Amérique. C'était un montage de musique hot, de rires ivres, de blagues assourdissantes et d'entraîneuses pareilles à des bonbons fondants dans leur enveloppe rouge, verte ou jaune. La musique tombait à bras raccourcis sur les vieilles et douces mélodies sans défense et les tordait comme des bigoudis. C'était, à strictement parler, une symphonie de la faim, faim de l'âme et du ventre, au rythme de laquelle toute cette bande de gens battait du pied, dans une frénésie du désespoir, s'efforçant d'oublier les caprices de son roi: le hasard, trop cruel ou trop bon; d'oublier l'ambition, comme une plaie qui s'infecte et qui cuit, ou le son creux du succès. Et je me rendis compte, une fois de plus, à quel point la musique de jazz est vraie, à quel point elle reflète tout ce remue-ménage qui est en nous, toute cette rage à vif de désirs et de regrets insensés"

Budd Schulberg - Qu'est ce qui fait courir Sammy? 10/18 2005

Sunday, 16 January 2011

Marilyn Monroe, Fragments 1943-1962


















Fascinante, sulfureuse, artificielle.... Au-delà des clichés de la pin up blonde platinée, pur-produit des studios Hollywoodiens, Marilyn incarne le paroxysme de l’énigme. Elle écrivait. Ces fragments - lettres, journaux intimes, notes prises aux hasards et poèmes - illustrent la dualité de cette actrice hors norme, dressent le portrait intimiste d’une femme à l'inquiétante fragilité. La prose est ensorcelante et hypnotique. Assurément dépressive : icône tragique des années 50. Comme produits par elles, pour elles. Et sacrifiée comme telle.
Devenue comédienne un peu par hasard, Norma Jeane Mortenson connut une ascension fulgurante à laquelle elle n’était mentalement pas préparée, et qui ne fit qu’accroître un malaise développé depuis l’enfance. Une jeunesse difficile faite de rejet, une relation névrotique avec la mère seront à l'origine du sentiment d'abandon et d'angoisse qui se lit en filigrane dans ses écrits.
Calmée aux barbituriques, épaulée tant bien que mal par la psychanalyse, Marilyn écrivain lutte ici avec ses propres mots pour ne pas sombrer dans l'abîme où sa psyché voudrait l'enfermer... Journal d'une prisonnière, analyse sauvage plus encore, fragmentaire et continu, il nous plonge au coeur de la vie intérieure de cette femme lunaire - cette « femme radieuse » telle que la nommait Truman Capote -, qui lutta quotidiennement contre elle-même et n'eut de cesse à transformer en mots la réalité.
Mystérieuse, poétique, curieuse, mais aussi fragile.... La voilà, la véritable Marilyn, telle que révélée par ses écrits. Une Marilyn éprise de littérature – lisant ses contemporains Carson McCullers, Blixen, Nabokov, Beckett, Pavese, Kerouac, dévorant les classiques Dostoïevski, Kafka, Rilke-, de poésie, mais aussi de peinture. Les Peintures Noires de Goya en lesquelles elle se projetait: «Je fais les mêmes rêves depuis que je suis enfant». Sa vie ressemble à une fiction dramatique, une vie faite d'isolement volontaire - tout comme le fut celle de la poétesse Sylvia Plath enserrée dans « sa cloche de détresse ». Et en cela, désaxée... Il faut revoir la dernière scène des Misfits de John Huston - que je tiens pour son chef d'oeuvre fatal- où éclate la solitude, le désespoir d'une femme Roslyn - soeur jumelle de Marilyn?- Une paumée, perdue dans l'immensité du désert qui hurle son mal-être. John Huston dira d'elle : « Elle était merveilleuse. Elle ne jouait pas. Elle vivait vraiment son rôle. »
Poursuivre une chimère… Marilyn a désespérément cherché sa place dans le monde, a appelé à l'aide... Help! - Titre d'un de ses poèmes. Trop tard.


















« Help
After one year of analysis

Help help
Help
I feel life coming closer
When I all want
Is to die

Scream –
You began and ended in air
But where was the middle ? »
(1956)



...


« I can and will help
myself and work on
things analytically no
matter how painful – if I
forget things (the unconscious
wants to
forget – I will only try to remember)
Discipline – Concentration

my body is my body
every part of it. »
(1955).


Marilyn Monroe, Fragments (poèmes, écrits intimes, lettres), Editions du Seuil, 2010.