Wednesday, 25 August 2010
Alberto Garcia-Alix/Xila, No me sigas… Estoy perdido (1976-1986)
La photo ci-dessus porte un titre qui a le mérite d’être net : Esperando al dealer. En attendant le dealer. Ce que le sous-titre ne dit pas, c’est que ce garçon de Madrid rogné par le manque se prénomme Willy. Et sa copine, dont on ne sait pas, spatialement, si elle est à ses cotés ou si elle se sent très seule, a pour prénom Reyes. Willy était le petit frère du photographe Alberto Garçia-Alix et il mourut au début des années 80 d’une overdose, soit quelque temps après que cette photo ne fut prise. Willy et Alberto étaient frères mais ce n’est pas seulement pour cela qu’il n’y a aucune distance dans cette photo aux regards si honnêtement maudits et au monde derrière si intangible : juste qu’Alberto Garcia-Alix était lui-même à ce moment précis sévèrement dedans. Comme durant toutes les années que couvre ce livre, et qui vont de la fin du Franquisme 1976 jusqu’au moment où la Movida est devenue un folklore à touriste : 1986, Soit une décade lâchée à l’imagerie du rock n’ roll : fix me, demande la photo au bain révélateur… Fix me, demandent uns à uns les acteurs du petit monde de ces photographies.
Ceux qui ont connu l’Espagne des années 80 – et Madrid a toujours eu plus mauvaise réputation encore que Barcelone- savent combien les Espagnols ne rigolent pas avec la défonce qu’ils ont toujours envisagé comme un défi (on dit que que ça n’a plus rien de comparable, mais après-demain je m’envole pour Madrid : où il est toujours conseillé d’aller vérifier les choses par soi même…). De toute façon, les Espagnols n’ont jamais rigolé ni avec les rituels, ni avec les amours, ni avec les disques qui se situaient dans le dur du truc (pourquoi croyez-vous que des spécimens hautement toxiques tels que les Spacemen 3 ou les Scientists n’étaient pour ainsi dire vénérés que là-bas?), ni avec la panoplie vestimentaire (le vestiaire que déploient ici les photos relève de l’hallu) : du cirque rock considéré comme une tauromachie. Comme il n’y a pas de hasard, la première photo de Garcia-Alix pour laquelle j’eus le choc était un portrait tardif (circa 1988) de Johnny Thunders exposé à Arles il y a quatre ans. Un simple portrait mais dans lequel pouvait se lire une compréhension mutuelle entre le musicien et son photographe. Elle se passait de mots, Sad vacation.
« No me sigas… Estoy perdido » (« Ne me suis pas.. ; je suis perdu ») est le moto que Garcia Alix se fit tatouer sur le bras au pire moment du n’importe quoi de ses vingt ans, une façon indélébile de « se maudire lui-même » : c’est ainsi que le raconte son ami Xila dans le texte qui accompagne ce livre composé de photos chacune plus surpuissantes - et ce, en dépit du fait qu’elles étaient faites par un branleur madrilène qui ne savait pas encore qu’il était photographe (comment pouvait-il le savoir : tout le monde lui refusait d’exposer ses photos ?). Il avait juste trouvé ça – qui aurait pu être chose : la réparation de moto, par exemple – à quoi se raccrocher.
Il existe pas mal de bouquins de Garcia-Alix en circulation, mais celui-ci est de loin mon préféré, tout simplement à cause de ce texte de Xila que je pourrai relire vingt fois et qui me touchera toujours. C’est peut-être une chose bizarre d’aimer un livre de photos autant sinon plus pour le texte qui en soutient les images – qui préfère l’esclave au maitre ? -, mais le témoignage de Xila possède quelque chose d’authentiquement émouvant. Sa façon de raconter une génération n'est pas si éloignée des Détectives Sauvages.
Xila fut depuis la fin du franquisme et l’apparition du punk rock (1975) l’ami, voire l’ombre de Garcia-Alix, celui qui ne se défonçait pas mais qui était toujours là, dans la pièce à coté, notait tout, se souvenait de tout, des rires, des disques qui passait à telle ou telle occasion, des prénoms des nombreuses petites amies, des modèles de moto, du commencement comme de la fin, mainte fois frôlée, d’une vie qui aurait du finir très mal mais qui a trouvé la photographie sur son chemin. Ce qui explique sans doute que Garcia-Alix soit toujours vivant, de même que Ceesepe l’illustrateur soit lui aussi en vie (on reparle bientôt de Barcelona by night, promis), quand tant d’autres de cette bande des quartiers de la Latina, de Legazpi ou de la Puerta de Toledo ont été fauchés. La discipline au milieu du désordre.
Et puis on entend là, coincé entre les lignes de ce beau texte et entre les mailles de ces photographies nues, la transformation d’une génération entière de garçons et de filles qui ont subitement, et sans qu’aucun mot d’ordre n’ait été donné, troqué le punk pour le rockabilly originel. Tout comme aujourd’hui, il est permis de se reposer de tant d'insomnies technoïdes en remettant en début d’après-midi sur la platine le rock primitif... Toujours lui, encore lui… Pourquoi lui ? No lo sé, guapa, no lo sé...
«Ceesepe fit à cette époque sa première exposition. Les Rolling Stoens jouèrent à Madrid et Alberto se perça une oreille pour y accrocher un anneau. Les amies se trémoussaient avec leurs chaussures des années 50 achetées au Rastro, et la Bovia était toujours notre port d’attache le dimanche. Pour le reste de la semaine, de nouveaux bars s’ouvrirent. La musique sonnait plus fort, et David grandissait heureux en écoutant Gene Vincent. Fernando faisait claquer ses doigts. Il sifflait. Il riait. Rosa l’aimait. Et Guillermo cousit son nom de guerre dans le dos de son blouson de cuir : Willy. Tout le groupe se lança sans parachute dans ce tourbillon amené par les temps nouveaux.
Mais le bonheur n’eut qu’un temps. Peu à peu la consommation d’opiacés devient plus quotidienne et commença à causer des problèmes entre rires et foires.»
Alberto Garcia-Alix – Xila : No me sigas… Estoy perdido (1976-1986), No Hay Penas/La Fabrica/Kamel Mennour, 2006
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