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-But if you'd rather watch a movie, you're also welcome at
Disorder in Discipline-



Thursday 25 June 2009

Quote

"Lorsqu'il eut donné à ses troupes l'ordre d'avancer vers Torreon, Pancho Villa s'arrêta à Camargo où il devait être garçon d'honneur au mariage d'un de ses anciens compadres. On raconte qu'il dansa vaillamment, sans s'arrêter, toute la nuit du lundi, tout le mardi et toute la nuit du mardi, avant de rejoindre le front le mercredi matin, les yeux injectés de sang, l'air extrêmement las."

John Reed, Insurgent Mexico, 1914, un chapitre a été traduit en France chez Allia sous le titre Pancho Villa, traduction de Sylvain Prudhomme, Paris, 2009.

Monday 15 June 2009

Dan Jenkins, Semi-Tough, 1972


Devrait-on consacrer un blog a part entiere aux notes de bas de pages, aux references, aux films et aux bouquins, aux personnages croises dans l'immense Freelance de P.Garnier. Apres Harford et son Merdier, auquel Garnier, consacre un bon chapitre, Jenkins et son Semi-Tough. Qualifie en note, page 32 de "meilleur roman sur le foot americain". Bof, ca suffit largement quand on sait que Jenkins frequenta Grover Lewis a Fort Worth et quand on lit "meilleur..." sous la plume de Garnier. Ca fait un peu fan, vrai mais pas beaucoup de journaliste/critique nous auront fait decouvrir autant de trucs. Dont acte. "Meilleur roman sur le foot americain", on ne dispose pas de point de comparaison, affaire reglee. Roman sur le sport? je cherche, je ne trouve pas grand chose non plus.
Donc reste juste, un chouette chouette bouquin, bien plus touchant qu'on ne voudrait le croire. En effet, Billy Clyde Puckett, football stud, phallocrate texan, raciste ricain de base, qui se la raconte sur 200 pages, en vrai, dur dur. En faux aussi, dur dur, cible trop facile. Semi-Tough (tout est dans le titre, presque faux dur) n'est pas une denonciation pseudo ironique des horreurs (rassurez-vous, il y en a des belles quand meme) pre et post-vestiaire de la NFL. Non non. C'est un roman super americain, un peu comme on qualifiait un certain cinema US 70's (parenthese: Semi-Tough fur adapte en 1975 par Michael Ritchie, cineaste tellement bien en debut de carriere, Prime Cuts, Smile, et un autre bon film de sport, Downhill Racer avec Redford). On y croise ce qu;'on y croise ailleurs : malaise du male, malaise racial, pouvoir du sexe et du fric... Mais comme Jenkins/Puckett a le point de vue d'un footballer Texan, la weltanschauung est plus nouvelle (et, et oui, plus drole) que celle d'un weathermen westcoast ou un intello NYC. Le roman passe la barre de la comedie trash et intelligente (c'etait deja pas mal), et miraculeusement, touche. Je l'avoue, j'ai eu du mal a me separer de mes nouveaux amis, totalement infrequentables, Puckett, Shake et Barb. Les presentations sont faites...

"Shake Tiller has said that if I was black I would not be though of so much as any kind of hell and it would hurt me in the pocketbook. He's probably right.I wish that I was black sometimes, not because it would make me any faster, but becasue lot of my buddies on the Giants are spooks who don't really enjoy being spooks. I don't think I'd let the worldjack me around so much if I was a spook, but then I can't really say."

Dan Jenkins, Semi-Tough, Signet.

Wednesday 10 June 2009

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"L'étui à violoncelle s'ouvre, sur la doublure de velours d'un vieux rouge vineux repose une mitrailleuse toute neuve. A l'aube grise, on découvre les cadavres : au cours de sa ronde, le laitier les trouve auprès des bouches à incendies, le lift boy dans le hall de l'hôtel, la magasinier dans le hangar, entre les bidons d'huile. La plus grande teinturerie de la place a mis dans sa vitrine un écriteau sur lequel on lit: "Ici, on répare et stoppe les trous de balles dans les vêtements. Invisibilité garantie." - p.7

Hans Magnus Enzensberger, Chicago-Ballade, modèle d'une société terroriste, (in Politique et crime, 1964), traduit de l'allemand par Lily Jumel, Editions Allia, 2009.

Tuesday 9 June 2009

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"Boy, I just wish you had got this bank here 'fore it went busted and took my wad. I'd rather for a poor boy like you to have it than them goddamned bankers. Both of them bankers are out of prison now and still living swell on what they stole from me and about four or five hundreds more folks here" -p.87

Edward Anderson, Thieves Like Us, 1937.

Sunday 7 June 2009

Yussef Bazzi, Yasser Arafat m'a regardé et m'a souri, 2005


Le texte de Pornochio sur le Liban, sur Beyrouth, publié hier, m'a fait penser à tout un tas de livres sur le même sujet : livres de photos, livres d'artistes, livres de fiction, de souvenirs, de lamentations et de recherches sur une guerre qui n'en finit plus de revenir par le biais ou l'absence de sa mémoire. Parmi tout ce qui a été publié sur le sujet, il y a ce livre court, comme un journal de guerre, exactement comme un journal de guerre, qui relate les souvenirs d'un combattant adolescent et soldat de fortune qui n'avait même pas quinze ans lorsqu'il prenait les armes la journée dans Beyrouth Ouest et repartait le soir dormir chez sa mère. Du coup de feu contre les phalangistes aux virées dans les cinémas pornos du quartier de Hamra, l'écriture est rapide, sèche et assénée à la façon d'une rafale de kalashnikov tout en saccades et meurtrissures soudaines.

"Été 1981. J'ai quatorze ans. Mahmoud al-Tapi inscrit mon nom dans le registre avant de m'accompagner au dépôt. On me remet une paire de rangers, un uniforme kaki, une "tornade rouge" (l'insigne du Parti) à mettre sur l'épaule, une ceinture avec trois chargeurs, deux grenades et une kalachnikov, dont l'extrémité du canon -acier russe, 11 mm de diamètre- est sciée. Je suis affecté aux Forces centrales d'intervention du Parti social nationaliste syrien à Beyrouth. Le salaire est de 600 livres libanaises et un paquet de cigarettes par jour. "

Yussef Bazzi, Yasser Arafat m'a regardé et m'a souri, Verticales, 2007

Grisélidis Réal, Suis-je encore vivante?, 1963


Dès que j’ai lu ce livre, j’ai su qu’il viendrait rejoindre la pile des «fondamentaux» qui couvre les murs de ma chambre, cet«abri absolu» dont parle Erri de Luca…. et que je le placerai au côté de son frère d’armes le Journal du voleur de Jean Genet. Suis-je encore vivante ? La question sonne comme un leitmotiv. Elle est, depuis, devenue avec l’énergie du désespoir une raison pour ne pas crever…

A l'heure de son incarcération en 1963, dans la prison pour femmes de Munich, Grisélidis Réal - future « grande putain révolutionnaire » du Mouvement des prostituées des années 70 - a déjà vécu une vie hors du commun. Elle attendra dix ans avant d'en faire le récit dans Le Noir est une couleur, roman autobiographique dans lequel elle décrira son départ précipité pour l'Allemagne en 1961, en compagnie de deux de ses enfants et de Bill son amant «schizophrène ». Une fois à Munich, elle se livrera deux années durant à la prostitution, ainsi qu'à de menus trafics de kif acheminé depuis Tanger. Dénoncée par un certain P. surnommé le «Judas», la voilà arrêtée puis mise en cellule « pour détention et commerce de drogue ». Transférée dans une cellule individuelle pendant sept longs mois, elle va maintenir une discipline quotidienne : tenir le « Journal d'une désespérée » qu'elle rebaptisera plus tard Suis-je encore vivante ?. Elle y décrit minutieusement le quotidien de la vie carcérale avec tous ses désagréments et ses contraintes, le désespoir «redurci» qui fait bloc avec la cellule, les suicides manqués, les rêves d’évasion, les rapports difficiles avec les gardiennes - ces faces jaunies et boursouflées par la froideur de leur vie trop lâche, «momies gardant d’autres momies »-, les privations absurdes, la confusion du temps, des jours et des nuits...
« Ici, l’innocence ne paie pas »...
Journal d'internement, entre peinture d’une âme et chronique de captivité... document brut, écrit sur des feuilles volantes..., Suis-je encore vivante ? est une mélopée sur la solitude la plus impitoyable, celle d'une claustration inexorable à la prison... vie enfermée où l’on est comme dans une tombe... et où on lutte, lente, contre l’asphyxie et l’envie de tout lâcher...
Ultime survie : Faire rendre gorge au silence.

NB: En 1981, Grisélidis Réal confira à nouveau ses mémoires de la passe à Jean-Luc Hennig dans Grisélidis, courtisane, beau livre sur le quartier des Paquis à Genève devenu, c’est triste, introuvable… La Passe imaginaire et son Carnet de bal d’une courtisane ont eux aussi été réédités chez Verticales.

« Je suis là, j’étais là toute la journée, assise à cette même table sur ce banc dur, trop éloigné de la table ou couchée sur le lit et hier, et demain, et depuis trois mois, et pour combien de mois encore. Je hais toutes ces choses, et je voudrais hurler jusqu’à ce que je ne sache plus où je suis, qu’on me sorte, qu’on m’emmène d’ici, même folle, même morte, mais que je sois enfin ailleurs. Cela ferait tant de bien d’être folle, de tout casser et de crier, et de frapper, de blesser même ces êtres mécaniques à panoplies de lourdes clés. J’ai peur de ne plus pouvoir me retenir et que tout cela se passe véritablement et que ce soit la fin de tout espoir. J’ai peur, en ce moment même, de regarder les objets, de les toucher, de savoir que je suis enfermée ici avec eux et avec moi, j’ai peur aussi de mes mains, de mes yeux et de mes dents, j’ai peur de ce qu’il y a dans ma tête-je ne veux pas y penser-, je ne veux pas y faire attention, mais parfois ce sont les objets qui pensent, et leur langage insidieux, leurs ordres à peine dissimulés, leurs contacts, tout cela ronge, ronge, grignote quelque part dans mon cerveau une petite place où déjà quelques-unes de leurs idées ce sont insinuées.
Mais je NE VEUX PAS ENCORE. »

Grisélidis Réal, Suis-je encore vivante, Verticales, 2008

Zeina Maasri, Off the Wall, 2009

Inquiétude sourde en ce matin électoral : on ne saura sûrement que tard dans la nuit, et pas avant, les résultats des élections législatives libanaises, les premières sans la lourde tutelle syrienne, un scrutin hautement risqué (la menace plane d’une victoire possible du Hezbollah, aux conséquences géopolitiques inconnues). Au téléphone, les amis me décrivent une Beyrouth étrangement calme, et ce n’est jamais bon signe dans cette ville qui ne connaît que l’hystérie. Ils avouent aussi qu’ils ne savent toujours pas s’ils vont aller voter, dégoûtés par des politiciens archaïques et claniques, retourneurs de vestes professionnels qui ne disent rien de leurs vies, ne feront jamais rien pour une société civile – la seule révolution désormais enviable dans ce pays, son ultime utopie. Je ne sais pas. Je me souviens juste que la dernière fois, c’était à la toute fin du mois d’avril, il n’y avait soudain plus trace d'affiches évoquant les guerres passées, elles qui d'habitude recouvraient les moindres murs de la ville. L’amnésie encore une fois au service du futur - Chaque bord trouvant, comme par miracle, un intérêt spécifique à ne plus réveiller, comme il en a toujours été l'usage, la mémoire des morts. Certains visages, fixés au béton armé pour l’éternité, et qui, j’en étais certains, me contempleraient pour toujours, ont été effacés au Carsher. Je pourrais aussi bien m'en foutre, car je sais qu’au même moment Zeina Maasri, une jeune prof en graphisme de l’AUB (American University of Beirut) a enfin sorti en volume son essaie sur les affiches politiques de la guerre civile, établi à partir de sa propre collection de posters propagandistes et guerriers. Collection qui avait fait au printemps 2008 l’objet d’une expo difficile à oublier: sur les murs d'une galerie de fortune s'affrontaient dix neuf principales factions politiques, les mêmes qui ont mené la guerre civile de 1975 à 1990 – et comme le résumait si bien Mike Davis dans sa Petite histoire de la voiture piégée: «On ne connaît pas d’autre exemple historique d’une ville ayant servie de champ de bataille à un nombre aussi grand d’idéologies, d’allégeances confessionnelles, de vendettas locales, de conspirations et d’interventions étrangères »… Non... On cherche, mais on n’en connaît pas.
A comparer les affiches, leur graphisme, leur évolution dans la chronologie, que voit-on voit s’élaborer sur 15 ans ? Rien d’autre que l'apprentissage d‘un savoir certain quant à la manipulation des esprits. Les premiers posters, très marqués seventies avec des colombes dans tous les coins, avaient encore cette naïveté un peu baba dans le dessin (d’inspiration perse ou importé des luttes gauchistes d'Amérique du sud), cette candeur dans le message qui pouvait même choquer, vu les circonstances, mais qui fait aussi partie de l’enthousiasme spontané des libanais pour toute forme d’autodestruction envisagée comme une façon de vivre l’instant plus intensément. Tout ça mêlé d’un fort symbolisme religieux, sans lequel l'ensemble manquerait quand même d'exaltation. L’arrogance publicitaire (le poids des mots, le choc des photos) et l’invention du martyr kamikaze seront le lot des sauvages années 80; l’invasion israélienne de 1982 marquant un pas dans l'escalade meurtrière et donnant désormais aux affiches une fonction de résistance teintée d'orgueil (à quoi servirait sinon de couvrir une ville d'images de mort quand cette même ville embrasse la mort nuit et jour?).
Je regrette de ne pas retrouver dans Off the Wall l’affiche (insoutenable) du kataeb (chrétiens phalangistes) qui m’avait tant impressionnée à l’expo : retournant le cynisme publicitaire de l'industrie du tourisme, elle détournait le slogan «This summer, you have to visit Lebanon» en le plaquant sur une photo de corps d’enfants déchiquetés (les médias libanais ne censurent aucune photo de cadavres, aucun détail de membres amputés : les livres sur la guerre sortis durant la guerre, sorte d’almanachs de l’horreur interminable, livres que je collectionne sans fierté, se font un point d’honneur à restituer la violence libanaise dans l’intégralité de son effroi. C’est d’ailleurs là qu’ils sonnent justes : ils se situent tout à coup, et exceptionnellement, par-delà les clivages politiques ou confessionnels. Dans son horreur pure, le corps sacrifié, mutilé, amputé devient celui de tout le pays. C’est le paradoxe du truc : aussi incroyable que cela paraisse, il faut aussi croire très fort en une unité nationale possible, la regarder comme un idéal à portée de main, pour se lancer sans le moindre doute dans une guerre civile longue de 15 ans et des poussières – interminables, les poussières).
A la lecture d’Off the wall (judicieusement édité dans un format essaie, hors de question de faire un indécent coffee table book avec ça, et doté d'un titre à tiroir bien choisi - oui, le LP séminal de Michael Jackson a beaucoup beaucoup tourné dans les soirées de la guerre), c’est le chapitre baptisé Martyrdom qui retient mon attention. J'y retrouve ces visages devenus familiers, gardiens fantômes des murs de la ville. Ils sont tous là, partis par partis, quartier par quartier: Bashir Gemayel, Kamal Jumblatt (toujours aussi classe), Mussa al-Sadr, Abu Hassan : les leaders assassinés. Chacun le sien. Mais les leaders n’auront jamais le mystère insondable des visages, jeunes, fous et anonymes des martyrs à qui on a « vendu » l’éternité, une éternité imprimée et collée à même les murs. Il y a ce garçon qui porte encore le duvet, ce qui atteste de son trop jeune âge, et dont on a souvent réédité le portrait, toujours nimbé d’une aura divine, photoshopé juste au dessus d’une image d’immeuble en décombres. Garçon au regard doux, qui a la même bouche épaisse que moi et dont je devais partager au même âge l’allure de bon élève… je sais maintenant son nom, ses faits de guerre : il s’appelait Ahmad Kassir, il est entré dans la légende en devenant le premier kamikaze chiite mort dans un attentat à la voiture piégée en 1982 lorsque sa voiture chargée de dynamite fit exploser le quartier général de Tsahal à Tyr, tuant d'un souffle 141 personnes… Et cette jolie brune aux yeux noirs grands et pétillants, vêtue d‘un treillis et coiffée d’un béret rouge, qui en avril 2008 me regardait soir et matin entrer et sortir de mon hôtel dans Hamra, au point que j’avais pris l’habitude, en passant, de la saluer en couvrant sa paupière d'un baiser ? C’est Sana’a Mehaidli, photographiée le 9 avril 1985, tout sourire à quelques secondes de devenir, à 16 ans, la première femme prête à se sacrifier dans un attentat-suicide, sa Peugeot bourrée d’explosif lancée sur un convoi israélien à un carrefour de Jezzin, une petite ville du Sud Liban que je connais bien, mes racines familiales prenant source dans un village dont je porte aussi le nom, situé à trois kilomètres de là. J’ai froid dans le dos, tout à coup (mais il a plu ce matin, et ça doit être sûrement pour cela).














"The great wars of this century are extraordinary not so much in the unprecedent scale on which they permitted people to kill, as in the colossal numbers persuaded to lay down their lives. »

Off the wall (Political posters of the lebanese civil war), Zeina Maasri, I.B.Tauris (www.ibtauris.com), 2009

Gustav Hasford, Le Merdier, Stock 1985

C’est évidemment l’incroyable Freelance de Philippe Garnier (bouquin de l’année pour pas mal de participants de ce blog il me semble) qui m’a donné envie de me plonger dans celui-ci (et tant d’autres livres et films). J’avais loupé Le Merdier lors de la sortie de son adaptation ciné par Kubrick (Full Metal Jacket étant déjà assez lourd à digérer). J’ai bien fait d’attendre. Après la lecture hypnotique de The Short-Timers (titre original) on entend encore les balles siffler et l’on mesure le nettoyage par le vide opéré par Kubrick et Michael Herr (co scénariste et grand écrivain/témoin de la guerre du Vietnam, son Putain de Mort/Dispatches est un autre chef d’œuvre sur le sujet). Autant Full Metal Jacket est un monstre froid et abstrait, autant Le Merdier est un bouquin viscéral et organique qui fait appel à nos cinq sens pour tenter de nous faire vivre l’expérience physique de la guerre. Gustav Hasford réussi ici son pari : le lecteur se retrouve à terre, la tête écrasée dans la boue sous la botte d'un Marines. K.O.

« Après ma première victime confirmée, j’ai commencé à piger qu’il n’était pas nécessaire de piger quoi que ce soit. On devient ce qu’on fait. Ce que l’on saisit à un moment donné est effacé de la conscience par les événements suivants. Et l’intelligence la plus pénétrante ne pourrait jamais abolir la réalité froide et opaque de l’acte que je venais de commettre. Et comme le vieux paysan, j’étais tout à coup très calme – de même que lorsque la mine avait explosé – parce qu’il n’y avait rien à faire. Je me définissais avec des balles de fusil-mitrailleur : et ces balles venaient de ternir à jamais mon rêve de Yankee optimiste que tout finirait bien et que, lorsque la guerre serait finie, je rentrerais chez moi en Amérique, dans un uniforme de soie blanche, la poitrine ornée d’un arc-en-ciel de glorieux rubans, en héros sublime, en Jésus conquérant. »

Gustav Hasford, Le Merdier, Stock 1985

Saturday 6 June 2009

Antoine Chainas, Anaisthesia/ D.O.A., Le Serpent aux Mille Coupures, Serie Noire, 2009.



Sauf affaire exceptionelle, on doit parler des polars comme on parle de serie B, on doit les lire comme on regarde un film l'apres-midi. On sait depuis longtemps qu'ils constituent un medium facilitant la critique sociale, qu'ils sont un tableau de notre temps. On parle ici du roman noir evidemment, pas du thriller capitaliste ou de l'enquete religio-historique. Lu vite, expedie presque, petit shot/shoot.
Les polars, c'est un fix dont j'ai un peu reussi a me debarasser (meme vite lus, ils peuvent bouffer rapidement vos autres lectures), les claques sont devenues rares. Apres, la claque (Mc Coy, Grady, Ellroy, Manchette) n'est pas forcement ce qu'on cherche. Ici aussi, le pas mal, c'est parfois aussi bien que le tres bon.
J'avais encore plus laisse tomber le polar francais que US (laissant de cote les modes de type "polar scandinave") mais il se rappelle parfois a moi (avant de prendre le train generalement). Le Serpent Aux Mille Coupures de D.O.A (bonne serie B mais pourquoi un tel nom d'auteur?) est un appendice sec comme une trique a son remarque Citoyens Clandestins. On fait dans le court et nerveux. Evidemment, le maitre Manchette (celui de Nada ou de l'Affaire n'Gustro) n'est pas loin, mais comme imitation, c'est vraiment pas mal. Un peu plus complique pour le cas Antoine Chainas. Anaeisthesia est une vraie saloperie, pas de sortie, pas de lumiere mais manifestement un certain sens du style. A des annes lumieres du behaviorisme Manchette/DOA, Chainas, c'est le baroque de l'abime, quete/chute d'un flic/dealer black defigure et insensible a la douleur (miroir de Matuzzi, flic tres blanc de son precedent roman, Versus), portrait hallucine d'une societe encore plus pourrie que la notre. On a lu quelque part une comparaison avec Palahniuk. Faudrait pas abuser mais ca donne une idee de la direction, entre sauvagerie ultra-realiste et cauchemar eveille.

Chainas, Anaisthesia, D.O.A., Le Serpent aux Mille Coupures, Serie Noire, 2009.

quote

[Apres la liste, autre ouverture: la citation pure et simple. comme pour les reviews, vous avez toute lattitude. PAr contre, cette citation a pour but de diriger vers le livre que vous aimez mais dont , peut etre, vous ne savez pas comment parler , elle n'est pas pour frimer seule, en elle meme. Simples regles: titrer votre post "quote", tabulez a droite, n'oubliez pas les references et , afin de ne pas noyer l'histoire, ne postez pas de citation/extrait a la suite d'un autre.]

"Considered non-productive and somehow irresponsible, a compulsive player of destruction, Being-on-drugs resists the production of value which, on another, more Batallean register,indicates that it disrupts the production of meaning. [...] Obsessed and entranced, narcissistic, private, unable to achieve transference, the writer often resembles the addict. This is why every serious war on drugs comes from a community that is at some level of consciousness also hostile to the genuine writer, the figure of drifter/dissident, which it threatens to expel. Like the addict, such a writer is incapable of producing real value or stabilizing the truth of a real world."

in Avital Ronell, Crack Wars-Litterature Addiction Mania, University of Illinois Press, p 106, 2004. Traduction Francaise: Addict, Fixions et Narcotextes, Bayard/Centurion, 2009.

Ma tour de pise

Voilà, il y a trop de livres et d'abord ceux à côté de mon lit. Ce soir, il y en a deux tours. J'en prends une au hasard et voici ce qui la compose :

Sunnymoon de Blutch (L'Association, 2009)
Réédition des pages de Blutch dessinées au début des années 90, avec une nouvelle couverture pop.

Black Star de James Sturm et Rich Tommaso (Delcourt, 2009)
Un joueur de base ball qui aurait mieux fait de chanter du blues. Les années 30, 40, les Etats-Unis.

Younger Than Jesus (Steidl, 2009)
Catalogue très riche d'une expo à NYC, consacrée à une jeune génération d'artistes. Plus de textes que d'images, parfait.

Une dernière danse de Philippe Morillon (Edition Z, 2009)
Dans les années 80, j'étais un gamin, mais je suis allé au Palace 2 fois. Peut-être 3. Une dernière fois, je me suis fait jeter, j'en suis sûr. Quoi qu'il en soit, je n'avais sûrement aucune chance de croiser Philippe Morillon. Alors, son livre de photos, rythmé par des textes de Barthes (bel article écrit pour Vogue Hommes en mai 1978) ou sur Pacadis et Yves Adrien, ne m'émeut pas par nostalgie ou fantasme. Il me touche par ce qu'il raconte et montre : des histoires de gens qui auraient pu être ceux qui écrivent ou lisent ce blog.

Temps Gelé de Thierry Acot-Mirande (Monsieur Toussaint l'Ouverture, 2009)
Pas d'histoires : en France, il n'y a que trois éditeurs qui savent fabriquer des livres de littérature que l'on a envie d'acheter rien que pour leur design. Deux d'entre eux font de la BD. Le troisième est un éditeur inconnu, mais dont j'adore chaque livre. Celui-ci, dédié à Lydia Lunch, est un recueil de nouvelles. J'en ai lu quelques-unes. Je ne veux pas les lire trop vite. Dans la même maison, je recommande d'urgence la lecture du recueil de nouvelles de Julien Campredon dont le titre seul lui vaut tous les prix de la Terre : Brûlons Tous Ces Punks Pour l'Amour des Elfes.

Freelance de Philippe Garnier (Grasset, 2009)
Bon, rien à dire, sinon que je rechercherais ce livre partout, si les autres disparaissaient et que j'attends de lire Philippe A. à son sujet. Et qu'il faut aussi lire son précédent, Caractères.

Profanations de François Rivière (Seuil, 1982)
Je vais encore chez Gilda et Parallèles, parfois. Parce qu'à chaque fois j'y trouve un livre dont je n'avais jamais entendu parler alors qu'il aurait déjà dû être dans ma tête. La dernière fois, je suis tombé sur ce roman de François Rivière (dont j'adore les BD avec Floc'h) en hommage à HP Lovecraft (je ne peux rien dire sur Lovecraft, je pourrais pleurer).

Arbre du Fumée de Denis Johnson (Bourgois, 2008)
Je veux lire ce livre, je ne trouve pas le temps. Tout comme Zone de Mathias Enard, que j'ai fini par ranger, sans y arriver. Il faut que je le ressorte.

Les Déserteurs de Christopher Hittinger (The Hoochie Coochie, 2009)
Grand format à l'italienne, un dessin par page, un ensemble qui raconte une histoire de gladiateurs et de fauves en Syrie il y a 1700 ans. J'avais adoré la précédente BD de Hittinger, Jamestown, pour son sens du récit et de l'historiographie. Celui-ci m'a l'air plus terrible encore...

Le Cheval Blême de David B. (L'Association, 1992)
Suite de bandes dessinées inspirées par les rêves de l'auteur. Un livre fondateur et toujours poignant. Je le lis chaque soir, par petits bouts, espérant rêver aussi profondément que le noir des récits reproduits ici.

Le Roman Graphique des origines aux années 1950 de David A. Beronä (La Martinière, 2009)
Tout juste acheté, à peine regardé, cet après-midi, au Monte-en-l'air.

Engin Explosif Improvisé de Loulou et Kiki Picasso (l'Association, 2009)
Le livre du mois, de l'année, qui reproduit les Animaux Malades de 1977 et des travaux actuels.

Wednesday 3 June 2009

time is the essence

Voici dix Livres dont je parlerai un jour. Ou pas. La pile grandit toujours. Tous sont quelque part remarquables, en un sens tant mieux si la liste parait mysterieuse. Si ce minimum n'est pas assez, vous savez où demander.
Ceci est un essai d'ouverture. Autres listes, avec ou sans trame, bienvenues.


Alfred W. McCoy, The Politics of Heroin-CIA Complicity in the Global Drug Trade, Lawrence Hill Books, 2003.
Incroyable these d'histoire sur un dossier qui schlingue. On savait, mais pas autant...

Wyatt Wyatt, Catching Fire, Random House, 1977.
Branque histoire d'amour sudiste. see Dodge and co.

Jed Mercurio, American Adulterer, Jonathan Cape, 2009.
Apres The Ascent, drole de livre sur la conquete sovietique de l'espace ,une fiction docu sur Kennedy , le cul et le reste. Etrange.

Ian Sinclair, Lud Heat and Suicide Bridge, Granta, 1975.
Le pere fondateur du neo-occultisme psycho geographique londonien.

Alex Ross, The Rest is Noise, Harper Perrenial, 2008.
Je n'aime pas trop les livres sur la musique mais la... l'histoire de la musique contemporaine en societe.

Victor Serge, Les Annees Sans Pardon, Maspero, 1971.
Un beau roman par un vrai revolutionnaire.Un vrai roman par un beau revolutionnaire.

Slavoj Zizek, Violence, Picador, 2007.
Pas encore traduit en francais? Plus light que Badiou certes, parfois plus stimulant aussi.

Lotringer/Marazzi Ed, Autonomia, Semiotext(e), 2004.
Les belles annees de la politique italienne? Documents a foison.

Barryl Hannah, Bats out of Hell, Grove Press, 1993.
Recueuil de nouvelles par un redneck intello oublie (see Dodge, Wyatt, Pollock...)

Steve Hodel, L'Affaire du Dahlia Noir, Points, 2005
Une enquete personnelle et dementielle. la claque.

Tuesday 2 June 2009

Guillermo Fadanelli, Boue, 2009.

Je ne sais pas comment j'ai pu me retrouver si au Sud (vous aurez remarque peut etre, je m'etais bien perdu)...
Bon, je traine un petit bagage de predilection, malle de livres, pour le sudisme. Pas forcement celui de O'Connor ou de Faulkner. Mais Jim Dodge (est-il Vraiment sudiste?), Harry Crews, les trop meconnus Wyatt Wyatt et Baryl Hannah (encore dans la pile), Tosches, ou plus recemment Donald Ray Pollock . Vous me direz, l'Ohio (dont vient Pollock et "dont viennent tout les americains") ce n'est pas le sud. Note. Mais ce Sud, je l'ai surement construit un peu tout seul avec des films (pas forcement sudistes non plus comme Prime Cuts qui me vient a l'esprit), pas mal de musique (la lsite est trop longue) et, oh la, un imaginaire litteraire: la route, le blues, la defonce (bourbon and crystal), la zone, la religion ravalee, les histoires d'amour qui finissent mal... Grand exemple recent dont tous on parle ici, le bouquin de Garnier sur Grover Lewis. Sud non-sud.
Alors si on pusse la voiture jusqu'a la peine d'essence, on tombera en rade au Mexique. coince dans la Boue de Guillermo Fadanelli. Tout ce qui nous tient est la: mysanthropie d'un heros trop cultive pour ce qui est malheureusement notre monde, la route, la violence sauvage et inattendue, le romantisme impitoyable, celui qui fait mal tellement heureux. Pour faire vite, on croisera Lolita avec Badlands de Malick mais avec ce plus au Sud, mais ce ne serait qu'un raccourci pour ce batard avec lequel il faut se perdre. Je vous ai juste indique la route, pour celui la, ca suffit largement...

"A mon age, on se soucie peu d'etre agreable aux gens.Etant jeune, on desire avec vehemence augmenter la liste de ses amities. Vingt ans plus tard, notre unique preoccupation consiste precisement a imaginer des methodes pour s'en detacher."

Guillermo Fadanelli, Boue, Christian Bourgois.


Jim Marshall, Proof, 1959-2003


Dans l'indispensable Freelance (on y revient en détail très bientôt), Garnier le considère comme "LE photographe rock de l'époque", au détriment d'Annie Leibovitz. Jim Marshall avait commencé dans le sillage de Walker Evans, marqué au fer rouge par la vérité sociologique des portraits de métayers qui parsèment Louons maintenant les grands hommes. Puis ce fan de blues, de jazz et de soul s'est laissé volontiers rattrapé par la pop culture et sa demande d'icones différentes, déglinguées, arrogantes. Dylan lui a servi de passeur. Son meilleur livre s'appelle Proof: une anthologie de portraits ravageurs exécutés pour Rolling Stones, City (le mensuel éphémère lancé par Francis Ford Coppola au milieu des années 70 en pleine euphorie American Zoetrope), Life, Teen set, le Saturday Evening Post ou encore Rags, le premier magazine de San-Francisco à mélanger mode et contre culture (et parution de comète: juin 70- juin 71). Le truc de Marshall, c'est le cirque rock, mais scruté avec la puissance de feu du photojournalisme.
Et puis...face aux 200 bouquins de photos inutilement identiques qui sortent chaque mois, Proof oppose un éditing de génie: Sur la page de droite, un portrait pleine page au Leica M4, favorisant souvent le grand angle : Dylan se faisant masser par Joan Baez, Janis Joplin beurrée comme un coing, Jim Morrison tirant une taffe dans un parc, Mick Jagger en pleine parano, tête rentrée dans les épaules, claquemuré dans le siège du jet privé qui l'emmène à Los Angeles, Johnny Cash s'apprêtant à pénétrer dans l'enceinte de la prison de Folsom, Ray Charles dans une détresse noire, Miles Davis les bras en croix sur un ring de boxe, short Lonsdale et poutre apparente... ce genre. Sur la page de gauche, la planche contact d'où est extraite la photo. La séquence dans son intégralité, les 30 images nécessaires pour arriver à saisir enfin, dans sa perfection, quelque chose de la personne en face, sa prégnance. Mine de rien un truc qu'on ne voit (presque) jamais: le photographe au travail, avec ses images qui ne marchent encore que sur une patte. Tout ce processus panique qui prouve combien les photographes avancent à l'aveugle.

Quelque part vers le milieu du livre, on tombe sur le chef-d'oeuvre de Jim Marshall: une composition intimiste de 1968 montrant les trois soeurs Baez, acollées les unes aux autres sur une minuscule banquette. Elles sont toutes les trois chapeautées, elles paraissent si sages... sages comme des images. A gauche Joan, très sure d'elle, petite star (c'est la seule, vous l'aurez remarqué à avoir gardé ses chaussures... c'est à ces détails qu'on reconnait les divas). Au centre Pauline, la timide, qui a choisi de cacher ses yeux sous un chapeau années 30 tout tordu. Pauline, qui a si peur du vedettariat que ses jambes sont tendues, à la limite de craquer (pourtant, sur la planche contact c'est elle que l'on voit rire aux éclats, c'est elle la soeur décontractée, the sister no-star...). Et à droite, exténuante d'élégance dans sa robe tee-shirt rayée: Mimi. Mimi Farina, la plus mutine des trois soeurs Baez. Surtout ne pas se fier à ses mains croisées de petite fille modèle : la soeur sauvage, c'est elle. Un parangon de coolitude aux dires de tout ceux qui l'ont approchée. En 1963, à 17 ans, en fugue à Paris elle avait épousé Richard Farina, le meilleur ami de Dylan, qui en avait fait son modèle en tout: en défonce comme en radicalité (le freewheeler lui aurait, dit-on, beaucoup fait les poches sans toujours lui rendre la monnaie de sa pièce). Richard Farina s'est tué en moto le 30 avril 1966. Deux jours avant sortait son premier roman, tout en excès et rebellion (avec rien moins que Pynchon pour premier fan) qu'il avait eu l'ironie suicidaire d'intituler L'Avenir n'est plus ce qu'il était. Tu disais...?



Jim Marshall, Proof, Chronicle Books, San Francisco, 2004