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Disorder in Discipline-



Saturday 16 November 2013

Quote : Heliogabale ou l'anarchiste couronné, Antonin Artaud, 1934

C'est un livre fou, furieux comme un torrent en crue, plein du rire dément d'Artaud complètement fondu dans son sujet : Heliogabale, enfant-empereur couronné à 14 ans, trucidé à 19, puis jeté dans les égouts de Rome (mais non, son corps d'adolescent était encore trop gros, même écorché, et le peuple déchaîné finalement jeta la dépouille bafouée du monarque honni dans le Tibre, "à quelques remous de distance" du corps de sa mère ; "et une telle vie, qu'une telle mort couronne, écrit Artaud, se passe, il me semble, de conclusion."


Quote :
Lorsqu'il fait nommer un danseur à la tête de sa garde prétorienne, il réalise là une sorte d'anarchie incontestable, mais dangereuse. Il bafoue la lâcheté des monarques, ses prédécesseurs, les Antonin et les Marc Aurèle, et trouve que c'est assez d'un danseur pour commander à une troupe de policiers. Il appelle la faiblesse : de la force, et le théâtre : de la réalité. Il bouscule l'ordre reçu, les idées, les notions ordinaires des choses. Il fait de l'anarchie minutieuse et dangereuse, puisqu'il découvre aux yeux de tous. Il joue sa peau pour tout dire. Et cela est d'un anarchiste courageux.
Il continue enfin son entreprise de rabaissement des valeurs, de monstrueuse désorganisation morale, en choisissant ses ministres sur l'énormité de leur membre.
(...) Cela ne l'empêche pas de profiter lui-même de ce désordre, de ce relâchement éhonté des moeurs, de faire de l'obscénité un habitude ; et de mettre au jour, obstinément, comme un obsédé et un maniaque, ce que d'habitude on garde caché.

Monday 11 November 2013

Signifying Rappers - David Foster Wallace / Mark Costello - 1990 (rééd. Back Bay 2013)

Découverte lors d'une anachronique flânerie au WH Smith de la rue de Rivoli (remember l'époque où nos excursions dans les librairies anglaises de Paris -RIP the Village Voice- étaient déjà un petit voyage à l'étranger, coût du trajet inclus - le livre de poche à 80 francs), cette réédition ressuscite une curiosité - un essai vieux de presque 25 ans, exalté et maladroit comme une copie d’étudiant, signé du héros tragique des hipsters littéraires des années 1990-2000, David Foster Wallace, et de son colocataire de l'époque Mark Costello. Les poches remplies de figures de style, Wallace s'y livre à un exercice inattendu de défense et illustration de ce qu’il appelle le "Hard Rap", vu du point de vue du jeune nerd blanc élevé à la French Theory, téléspectateur compulsif, théoricien solitaire de la pornographie-comme-spectacle qu'il était alors.
Signifying Rappers, qui emprunte son titre à un des morceaux de bravoure salace de Schoolly D et est dédié à Lester Bangs, cherche à expliquer cette étrange fascination. Pour ce faire, Wallace et Costello se sont faits journalistes, historiens, critiques. En journalistes et en historiens, ils ne sont pas très bons. Leurs références sont approximatives, leurs informations souvent erronées.
Le livre ne vaut en réalité que lorsqu’ils font ce que les blancs surdiplômés fans de rap font encore de mieux : de la théorie. Et en matière de théorie, DFW était un virtuose. Fasciné par le narcissisme autoréférentiel des rappers, il construit une théorie du « rap comme synecdoque » qui lui permet de déployer toute sa créativité d'amoureux des mots, mais aussi de la chose : "Our point of view, essay-wise, was always less what we knew than what we felt, listening"
Au fil des chapitres, « D. » se livre ainsi à une longue défense en forme de ruban de Möbius, où chacune des limites du rap de 1989 se transforme en atout - jusqu'à ce que la mélancolie existentielle de l'auteur ne reprenne le dessus (Costello ne le savait pas à l'époque, mais son ami sortait juste d'une tentative de suicide, et ne tarderait pas à sombrer de nouveau), et le ruban de Möbius se retourne, chacune des forces des rappers se transformant tout à coup en faiblesse - bêtes noires du système, Chuck D, Schooly-D, Slick Rick et tous les autres étaient aussi ses plus sûrs soutiens. Signifying Rappers se referme sur cette conclusion désabusée, que le G-Funk habillera bientôt de ses mélodies sucrées. Quant à David Foster Wallace, il n’écrira plus jamais sur le rap.

L'article initial qui a servi de trame à l'ouvrage a été publié dans la Missouri Review à l'été 1990 et est lisible ici.

Friday 8 November 2013

Quote: George Bataille, Manet, Skira, 1955



"Au surplus, l'élégance sobre, l'élégance dépouillée de Manet atteignit vite la rectitude, non seulement dans l'indifférence, mais dans la sûreté active avec laquelle elle sut exprimer l'indifférence. L'indifference de Manet est l'indifference suprême, celle qui sans effort est cinglante, celle qui, scandalisant, ne daignait pas savoir qu'elle portait le scandale en elle. Le Scandale se voulant scandale manquerait à la sobriété. La sobriété est néanmoins d'autant plus parfaite qu'elle agit, qu'elle intervient activement. L'intervention résolue est le propre de Manet; elle le fit parvenir à l'élégance suprême."........p 73.


         

Wednesday 6 November 2013

Quote: Simon Leys, The Hall of Uselessness, NYRB, 2011


"Traditionally, Chinese Scholars, Men of letters, artists, would give an inspiring name to their residences, hermitages, libraries and studios. Sometimes, they did not actually possesses residences, hermitages, libraries or studios-not even a roof over their heads-but the existence or the non-existence of a material support for a Name never appeared to them a very relevant issue".

Sunday 3 November 2013

Diane Keaton, Reservations, 1980


On parlait l’autre jour de Looking for Mr Goodbar, un Richard Brooks de 1977 qui ressort à Paris en une seule salle quasi comble tous les soirs. On a même vu revenir, au bureau, des débats qui vous redonnent envie d’être cinéphile : sans vouloir trop spoiler, deux camps se sont affrontés. Ceux qui pensent (un peu vite, je crois) que Diane Keaton est sacrifiée à la fin pour maintenir intacte la morale américaine, et ceux (Joe et moi) persuadés que Diane Keaton se voit rattrapée par la violence et la connerie aveugle des mecs. Elle meurt d'avoir eu sur eux des années d’avance. Son personnage n’est pas sauvé, mais il n’est sûrement pas jugé. D’avoir voulu vivre comme elle l’entendait, elle n’avait d'ailleurs pas de faute à expier.
Et tout ça m’a fait repenser à ce livre acheté 10$ il y a un peu plus d’un an à New York, un dimanche, tôt le matin. Un livre sous estimé, si tant est qu'il soit même connu. Le seul livre de photos de Diane Keaton.
Je vous vois déjà venir, vous qui n’avez jamais supporté ce type de bouquins de stars/caprices des dieux. Je le sais parce que là dessus on est pareils. Encore pire si ces stars appartiennent à l’intelligencia new yorkaise (toute la vieille douleur ressurgie cette semaine avec la mort de Lou Reed ne nous fera pas admettre pour autant qu’il fut un bon photographe).
Pourquoi alors ce Keaton là ? Pour sa réussite, unique en son genre. Pour son intelligence et son ironie. C'est une collection (au sens sériel du terme) de photos de lobbies d'hôtels, d’entresols et de salles réservées pour les interviews, pour les congressistes et les réunions des Rotary’s.



Keaton les a photographié vides, le matin quand il n’y a pas un chat. Lieu vidé, plantes vertes, moquettes panthères, espaces sans fenêtre, perspectives foutues à plat, des bouts de décors plantés là comme des autels dérisoires à la gloire d’un truc qui ne portait pas encore le nom de lifestyle.
Ensuite, elle a sorti ça en 1980, chez Knopf (elle a toujours eu l’art de l’entregent). Ce qui peut vouloir dire que la majorité de ces photos ont pu être prises durant la promo américaine de Hannie Hall, ou de Mr Goodbar, ou de Manhattan ou d’Interiors.
La liste des hôtels, en légende, est déjà en soi une forme de déclinaison post-moderne : le Crow hôtel (Miami Beach), le Plaza (New York) le Warwick (Philadelphia), le Sheraton (Pasadena), le Deauville Hôtel (Miami Beach), le Ashley (New York), l’Embassy (LA), le Caesars Palace (Las Vegas),le Ritz-Carlton (Boston), le Palm Springs Biltmore, le Pierre (NY), le Waldorf Astoria (NY), le Fontainebleau Hilton à Miami ou encore le Sterling Hôtel (Miami Beach).

Je ne me fais aucune illusion: Le même livre, sorti à tirage limité, signé d’un jeune portugais vaguement hipster ou d’une pointure type Martin Parr ou Asger Carlsen flirterait déjà avec les 400 euros. Et vous tueriez pour l’avoir.





Diane Keaton, Reservations, Alfred A. Knopf, New York, 1980