Wednesday, 24 February 2010

petit frere

la famille s'agrandit... Cela faisait longtemps qu'on se posait la question, on a finalement franchi le pas... Disorder in Discipline (pourquoi faire complique?) sera donc le jumeau exact (facon "salle obscure", pas "vilain petit canard") de Discipline in Disorder. Mais il parlera de Films, de tout les films. Ci dessous la petite introduction publiee il y a deux jours... si vous ne savez pas quoi regarder ce soir, les posts ont commence...

"Et bien surement parce que cela a fini par s'imposer... Il fallait s'y attendre remarquez. Nous voulions (et voulons toujours) parler de livres, mais on regarde tellement de films. L'opposition entre livres et films, lire et regarder, bof, elle ne compte pas beaucoup pour nous et les principes installes pour Discipline in Disorder sont ici encore valables. On parlera de films sans les limites que le critique parfois s'impose, nombreuses souvent, actualite et legitimite principalement. Commenter, certes, mais passer surtout, avec peut-etre un petit cote pratique ("Cherie, mon dieu, que regardez ce soir?").On devrait arriver assez facilement a balayer large, avec une predilection pour ce que l'on espere que l'autre n'a pas vu (notre seul reel snobisme fondamentalement): classiques oublies, etrangetes, films interdits, series de A a Z avec l'ouverture que l'on veut necessaire pour echapper au site nerd/geek (voeu pieu). Pour le reste, on verra avec le temps.
Un petit mot sur la disponibilite des films dont on parlera: Aujourd'hui, presque tout est disponible sur la toile justement. Nous n'inclurons pas les liens de download directement dans notre discours mais on vous indiquera surement ou chercher. Il est desormais presque facile de downloader en quelques minutes un film auparavant totalement indisponible (detail technique : un compte Rapidshare deviendra vite indispensable). On ne s'occupera pas ici du debat "sabotage de l'industrie cinematographique" vs "sauvetage culturel". Pas le temps, trop de films a regarder..."

Disorder in Discipline

Quelques mots pour vous annoncer la naissance d'un frère jumeau à Discipline in Disorder, Disorder in Discipline, où l'on essaiera de parler de cinéma, des films que l'on a pas oublié comme de ceux qui viennent de surgir dans nos disques durs. Hors actualité et dans la jungle des téléchargements nous tenterons de tailler notre propre chemin, en se souvenant qu'il n'y a pas si longtemps, les films se voyaient encore en salle.

Tuesday, 23 February 2010

Quote

"1945/KoKo. Donnie avait appelé Gibby pour qu'il vienne l'écouter, un disque qu'il avait acheté pour l'autre face, une ballade de Don Byas. Et puis voilà qu'il y avait ce type Charlie Parker et ses Re-Bop Boys qui jouait "KoKo". Ils se regardaient l'un l'autre, fumant une Wings à tour de rôle. Ils étaient presque effrayés. Rien à voir avec la rue, ou le quartier, ou le Yodel's, ou Al, ou Eddy. Ou les filles. Ou les bals du vendredi soir. Le Democratic Club local. Le billard à hui boules. Un monde de bouleversement et de ténèbres aux contours précis. Noir.
Un air étranger. cela aurait pu être Rimbaud venu à leurs oreilles en toute candeur. Que faisait le batteur? les notes compressées puis lâchées, filant, scintillant. Le son de ce métal brillant qu'on écorchait.
Ils s'abandonnèrent. Ils revinrent. Ils rirent et passèrent une heure de Benny Goodman et puis repassèrent Parker. La même joie éclatante. Ils sortirent et la rue leur parut différente. Ils la virent étroite. Avec des gens fermés à ce monde gigantesque. Ça avait fait sauter une partie du mur qui les entourait. Par le trou, Apollinaire, leur faisant signe de venir dans son fabuleux Texas. Charlie Parker jouant sous les tilleuls."

Gilbert Sorrentino, Steelwork, 1970, traduction Bernard Hoepffner, éditions Cent Pages 2003

*Kulchur était une revue poétique - beat, post beat, branchée aussi sur l'art et le jazz - fondée à New York en 1960, emmenée par Gilbert Sorrentino, Leroi Jones et Lita Hornick. Elle connut 20 numéros, du printemps 60 à l'hiver 65. More infos ici

Tuesday, 16 February 2010

50 for 10 - Déjà lu

Donald Ray Pollock, Knockemstiff, Harvill Secker, 2008.
voir d in d

Yussef Bazzi – Yasser Arafat m’a regardé et m’a souri (Verticales, 2007)
voir d in d

Roberto Bolano, 2666, Christian Bourgeois, 2008.
voir d in d

Antoine D'Agata/Christine Delory Momberger, Le Désir du Monde, Teraedre, 2008.
voir d in d

Sean O' Brien, The Drowned book, Picador, 2007.
voir d in d

Campbell/Olsen/Walden, the Narcotic Farm, Abrams, 2003.
voir d in d

John Barker - futurs- Grasset-2005
Philippe Garnier en a très bien parlé dans sa playlist...


Monday, 15 February 2010

50 for 10-finale

Suite et fin des 50 livres de la décennie version D in D. on vous renvoie au premier post de la série pour une liste complète, inclus les livres dont nous avions déjà parlé dans D in D. Cette liste fut réalisée par Pornochio, Karine Charpentier, xgatitox, Bazooka et Pierre Evil. On attend vos commentaires pour ceux que vous estimez manquer...


Jon Savage, Teenage- The Creation of Youth 1875-1945, Chatto & Windus, 2007.

Avec Marcus, le pape archiviste/compiler/historien des subcultures en Angleterre. Autorite sur la periode punk et sur la gay pop (joli cd), Savage sort un peu de ses sentiers battus underground pour tendre vers le legitime et les 80 pages de notes). Et oui, on remonte plus loin, on sort de Londres. Le fait que Savage s'arrete la ou generalement on commence rend le livre assez lumineux, son ton mi-universitaire, mi-autodidacte rock n'roll fait le reste. Et c'est justement, comme avec le Alex Ross, le transversal qui fait eviter l'infinitesimal nerd assez enervant pour le lecteur ayant passe 35 ans. Toutes ces histoires vraies (pas si connues) font un vrai livre d'histoire. On apprend, on apprend. Et presque en chantant.


Simon Reynolds, Rip it up and Start Again, aliia, 2007.

L’histoire du post punk de 1978 à 1984. Dans l’œil du cyclone, Simon Reynolds l’un des derniers grand rock critique, se demande si, entre expérimentions et pop, les véritables artificiers du rock ne furent-ils pas plutôt les héritiers que les pionniers.


Tim Brooks, Lost Sounds / Blacks and the Birth of the Recording Industry 1890-1919 (University of Illinois Press 2007)

Epais, austère, bourré de notes et présenté dans un emballage qui évoque davantage un manuel d’économie que le NME, Lost Sounds est un pur produit de cette bibliothèque d’Alexandrie moderne, l’université américaine. Où la géographie (sub)culturelle des Etats-Unis est minutieusement cartographiée par des érudits qui, de temps en temps, délivrent un catalogue de merveilles et d’histoires tel que Lost Sounds, recensement aussi exhaustif que possible de tous les enregistrements réalisés par des Noirs américains entre 1890 et 1919. En ces temps lointains, tous les enregistrements étaient exceptionnels, qu’ils saisissent un numéro de music-hall, un concert philharmonique ou un discours politique, et plus encore si leurs protagonistes étaient des Noirs, à l’époque de Jim Crow. En passant d’un enregistrement à l’autre, Tim Brooks nous offre ainsi un panorama baroque de l’Amérique du début du siècle, entre basse et haute culture, entre racisme et libération, entre Booker T. Washington, le respectable avocat de l’émancipation graduelle de son peuple, et George Washington Johnson, la star des minstrel shows des années 1890, dont le « désopilant » numéro The Laughing Coon fut le premier tube noir de l’histoire (Brooks nous apprend que, parce que les cylindres ne pouvaient être produits qu’en très petite quantité, Johnson enregistra ce morceau à l’hilarité navrante des milliers de fois). On croisera également le grand Jack Johnson, narrant son combat légendaire contre le « grand espoir blanc » Tim Jeffries, des chanteurs d’opéra noirs (remontant en sens inverse la route du métissage musical), des troupes de Negro Spirituals finançant des universités noires, et des quantités d’autres histoires d’un autre temps. Un double CD a été publié en 2007 par Archeophone. Son livret constitue une bonne synthèse pour ceux que rebuterait la taille de ce monument.



Don de Lillo, Cosmopolis, Actes Sud, 2003.

Sans être le meilleur DeLillo (Les Noms, Mao II restent indépassables), on garde en mémoire, de ce texte court et glaçant racontant de façon analytique - postmoderne - le début d'une journée d’un homme d’affaire américain, des descriptions d’aubes admirées depuis la fenêtre de la chambre d’hôtel, des moments brefs mais étirés sur un chapitre entier, quelques lignes comme ça dotées d’une puissance d’évocation telle qu’elles peuvent vous donner la sensation physique de caresser la froideur métallique des algorithmes qui, chaque seconde, estiment la hauteur des cours boursiers. Devenu indispensable depuis le krach de septembre 2008 - bientôt adapté par Cronenberg.


Charles Stross, Iron Sunrise, Orbit, 2005.

Certainement le seul ecrivain S-F qui nous aura marque (pour) la decennie passee. Mea Culpa, on n'en lit pas assez. Mais on a lu tout Stross, auteur, dans la grande tradition pulp, tres prolifique (un titre par an). On laissera de cote sa Fantasy (genre maudit?), reste deux categories: A lire tres tres vite (mais assez jubilatoire pour l'ado encore en nous), ses deux tomes d'espionnage post-Lovecraft (l'acne m'en pousse) : La Chambre aux Atrocites (avec ses mechants sorciers nazis) et Jennifer's Morgue (sympathique mise en abime, litteralement de Ian Fleming). On s'arretera surement plus longuement sur sa S-F "classique". La tendance est resolumment "scientifique", les livres plus complexes que pompeux (on y prefere les intrigues quantiques aux sagas space operas, le tout nerveux, bourre d'idees, souvent assez drole. Et parmi tout ceux-la? Ils se valent a peu pres, petit faible pour celui-ci et son uchronie bolcheviko-habsbourg pre 1917 resolumment chic.



Cedric Lagandré, L'Actualité Pure, PUF, 2009.

En me baladant cet ete dans le sud de la France, j'ai eu le plaisir de constater que la philosophie francaise de gauche prend de la place dans les rayons des librairies (la prime allant a Sauramps a Montpellier). Et puis Badiou dans les charts de la FNAC l'annee derniere, petit chaud au coeur. On vous presente un des derniers enerves (tendance raisonnable). Deux courts ouvrages (courts et accessibles), celui-ci et La Societe Integrale, et pas mal d'idees assez chics: le "tout vitesse" empeche tout mouvement, le "tout immediat" ("tutti medias": dirait l'autre) tentaculaire empeche la pensee, et participe aux moyens de controle social aujourd'hui en vigueur.Totalitarisme soft ? Totalitarisme quand meme...

Beatriz Preciado, Le Manifeste Contra-Sexuel, Balland, 2000.

Cruellement indisponible, la bible des annees queer. Les defauts de Preciado (neologismes/raisonnements a l'esbrouffe, narcissisme de la pensee et, sans jeu de mots, confusion des genres...) qui etouffent litteralement Testo Junkie sorti l'annee derniere etaient ici plutot de touchants et revigorants signes de "la pensee en marche" (Pour ceux qui preferent rester assis derriere leur bureau, on conseillera plutot Vamps et Tramps (Quel affreux titre), le recueil d'essais de Camille Paglia).Vu de loin (enfin de moins loin que beaucoup), la diffusion des idees issues de Preciado dans le monde under-intellectuel (moi aussi je m'y met au neologisme) est impressionant. Force des concepts ? peut-etre... Une parfaite adequation entre un parcours personnel et l'air du temps (on ne se prononcera pas sur l'equilibre du rapport) ? certainement... En tout cas, et, pour une fois, objectivement, peu de livres ont autant leur place ici que celui-ci.



Theodore Roszak, La Conspiration des Tenebres, Le Cherche Midi, 2004.

On est sur d'une seule chose, c'est d'avoir aimé ce livre... Mais c'est loin, on en vient a douter, on ne sait plus tres bien comment on s'est fait prendre. Jalouse- t'on les vrais critiques au cerveau Rolodex ? Bof, Eux couchent tellement que l'Amour, hein...
Bref, ce qui reste du pave : une histoire de critiques justement. Un truc qui nous touche forcement, la quete du film (livre/disque) perdu dont on a tous reve (la quete pas le mac Guffin. Polar, fantastique, metaphysique de comptoir et conspiracy theories? un peu tout ca et un "je ne sais quoi", recette pour Pulp Fiction un peu richard...

Sunday, 14 February 2010

50 for 10-part 4

4e partie de notre liste des livres recommandables de la décennie passée. Nos choix, dans le désordre.

Alain Badiou, Le Siecle, Seuil, 2005.

On ne pourra pas lui oter le titre de penseur de la decennie (je ne deteste pas son cote un peu star d'ailleurs, c'est assez contradictoire donc humain). Ou en serait-on s'il n'etait pas la ? Le succes "populaire" de De Quoi Sarkozy est il le nom ? fut une des rares bonnes surprises de cette fin de decennie. Pourquoi celui la ? Parce que L'Ethique (celui qui posa le plus clairement les bases de sa pensee politique) est 90's et que Logiques des Mondes, j'aurais vraiment aime pouvoir le lire. Enfin et surtout, la, sous sa froide et rigoureuse rage maothematique, pointe quand memele poete romantique...

Robert Fisk, La Grande guerre pour la civilisation, La Découverte, 2005.

Robert Fisk est un héros. Reporter star du quotidien britannique The Independent (pour lequel il avait interviewé trois fois Oussama ben Laden quelques mois avant le 11 septembre), il est basé depuis 20 ans à Beyrouth (où sa terrasse depuis un immeuble de Hamra donne, paraît-il, sur la corniche). Hanté depuis l’enfance par la guerre, ayant fait ses armes en Irlande du nord, il a ensuite « couvert » l’Afghanistan, le conflit Iran/Irak, la guerre du golfe et l’invasion américaine en Irak, la guerre civile libanaise, et ses interminables séquelles, sans oublier le conflit israélo.palestinien. Ce livre, tout comme Liban, nation martyre et The Age of the warrior qui lui font suites, passe au bain révélateur les enjeux mondiaux actuels. A Redinorep qui se demandait comment un seul homme pouvait avoir baigné autant d’années dans l’horreur sans sombrer mentalement, une copine libanaise répondait récemment qu’elle avait vu Fisk ingurgiter plus d’alcool en une matinée qu’un seul être humain sur une période d’un mois.

Philippe Garnier, Freelance, Flammarion, 2009.

Mort d'un mot: Pigiste. Où comment l’un des plus éminent journaliste français exilé à L.A. rend hommage à son ami Grover Lewis plume oubliée du Rolling Stone des années 70. Freelance est le mausolée de Grower Lewis mais aussi celui d’un métier, le journalisme indépendant, qui n’aura pas survécu à ses artisans. Dernier des mohicans, Garnier nous offre aussi un autoportrait en creux. Livre de l’année, haut la main.


Chuck Pahlaniuk, Lullaby, Vintage, 2002.

La culture populaire (celle du peuple, pas la culture pop) d'une debut d'une decennie appartient toujours a celle qui la precede. Les avants-gardes croient elles participer au mouvement inverse. Il est facile de hurler avec les chiens et qualifier Pa-Pahlaniuk d'auteur nineties. D'autant plus que les chiens ont raison. Culturellement, Pahlaniuk n'etait plus important en ces 00's, son grunge litteraire (realisme onirique trash) semblait bon pour le placard. Ce beau (et muscle-tellement...80's tout ca) prototype de l'auteurundergroundasucces aurait pu essayer de rattraper le temps qui fuit, changer la recette, ou du moins essayer. Non, il raffinera son truc, et donnera les (ses) deux meilleurs romans dans leur (son) style, celui-ci et Rant avant de se perdre un peu en fin de decade. Bientot, c'est a dire presque deja, Pahlaniuk nous rappellera notre jeunesse mais je ne parierai pas sur son absence dans les 50 meilleurs livres des 10's.


Iain Sinclair, London Orbital, Vintage, 2002.

Si l'on me demandait quel ecrivain serait Londres (c'est a dire un peu plus qu'etre londonien) ? Stewart Home, Colin McInnes, Robin Cook/Derek Raymond, et puis les classiques: Westerby, Silitoe, Kersh et son incroyable Night snd the City... Un Londres pluvieux, sale, beau comme seul les choses tristes le sont... Et bien sur l'Est (Soho n'est plus la pute qu'elle etait), l'Est et encore l'Est. Et la, On ne peut eviter Sinclair. Alors on aurait pu choisir son Hackney (pas encore digere) ou son precoce Lud Heat (trop tot), mais c'est le Greater London qui s'impose, son trip M25 qu'est London Orbital. Difficile de decrire Sinclair: entre reportage, histoire, psychogeographie, occulte, politique, hallucinations... Un vrai ton en tout cas, et un des meilleurs guide qui soit.

Conrad Williams, The Unblemished, Virgin books, 2008.

C'est en fait assez difficile de parler des bouquins "de genre" (ici "Horreur") quand on est pas specialiste du rayon concerne mais l'innocence permet d'eviter le discours "boutonneux". Une des idees derriere D in D etait justement que nous parlerions de livres sans que l'on nous donne la parole certes, mais sans que nous la prenions d'autorite non plus (nous nous sommes volontairement positionnes comme "non-critiques litteraires", essayons de ne pas reproduire leurs schemas autoritaires).
Il reste quoi a dire alors ici ? Simplement que cette histoire pourtant grand guignol (gore) a presque reussi a nous faire peur. C'est un peu leger comme fiche de lecture ? Ici justement non.


Mike Davis, Le Stade Dubaï du Capitalisme, Les Prairies Ordinaires, 2006.

Dubaï est aujourd’hui en faillite. Le « stade Dubaï » du capitalisme est donc advenu. Pour le reste, est-il encore utile de vous présenter Mike Davis? ancien ouvrier des abattoirs, ancien routier passé par le marxisme, il est devenu depuis 15 ans le plus lucide analyste post-moderne de l‘expansion « blade runnerienne » des mégalopoles, faisant voir comme personne ce que la Mégalopole -ce cauchemar de Quartz - recouvre comme exclusions sociales. On aurait pu craindre qu’il vire, au fur et à mesure des livres, cassandre professionnelle comme Paul Virilio (devenu un jour subitement gateux), mais non : chaque bouquin depuis l’indispensable City of quartz (paru aux USA à la fin des années 90) en passant par le Pire des mondes possibles, Petite histoire de la voiture piégée, et celui-ci (choisi presque au hasard) est là pour remettre les pendules à l’heure. Terrifiant mais juste. Terrifiant parce que juste.

Dominique Baqué : Histoires d’ailleurs (Artistes et penseurs de l’itinérance), Editions du regard, 2006

Plus connue pour ces études sur la photographie - La photographie plasticienne, l'extrême contemporain – et la question de l'image – Mauvais Genres : érotisme, pornographie, art contemporain - Dominique Baqué explore à travers une polyphonie de figures et de discours le thème de l'ailleurs au cours des 19e et 2O e siècles..
Depuis le détail de la fresque de Masaccio Adam et Eve chassés du paradis (circa 1425) - qui inaugure selon Daniel Arasse « une image de la marche humaine destinée à hanter, sous diverses formes, l'imaginaire européen pendant quelques siècles » -, en passant par les grands explorateurs de l'Orient, les errances de la Beat Generation, les exclus, les exilés, jusqu'aux « figures cheminatoires » - telles que les définit Michel de Certeau : marcher pour réactiver l'espace et réinventer l'ailleurs - l'auteure tente de cerner, à travers ces « histoires d'ailleurs », « le devenir en acte d'une pensée qui soit susceptible d'accueillir l'Autre : marcher, se décentrer, penser-autre ».

W.G. Sebald, Austerlitz, Actes Sud, 2002.

Les livres de Sebald (on peut aussi conseiller Les émigrants, Vertiges, De la destruction) ne ressemblent à aucun autre... Œuvres d'exception, ce sont de véritables curiosités où des documents - photographies, journaux, cartographies… - viennent scander le récit à la manière d'une investigation, d'une réminiscence...dans un vertigineux jeu d'érudition. A l'instar d'un archiviste, Sebald retrace avec minutie et patience la mémoire défaillante ou fragile de personnages hors du commun – ici celle d’un dénommé Austerlitz -, des déracinés, des fantômes à la recherche de leurs origines.
Mort accidentellement en décembre 2001, Sebald, cet exilé volontaire révolté par le silence de toute une génération sur les évènements de la Seconde Guerre mondiale en Allemagne, aura été hanté par une seule appréhension : la disparition.

Hedi Kaddour, Waltenberg, Gallimard, 2005.

Je l'ai offert a plusieurs personnes mais j'ai parfois l'impression que seul moi accroche vraiment... surement parce que c'est le livre le moins rock n'roll de cete decennnie, un fleuve tellement suranne qu'il en devient anti-conformiste. Litterature de genre et style ultra travaille (magnifique "faux naturel"), on n'aurait pas parie sur cette option "4e Republique" et pourtant... On y revient en parlant de Savoir-Vivre, son nouveau roman.

Saturday, 13 February 2010

50 for 10-part 3

Troisième partie de notre chart des livres de la décennie passée. Partial et dans le désordre.


Steve Hodel, L'Affaire du Dahlia Noir, Seuil, 2004.

Voila, un truc pris par hasard. N'etant pas fan de True Crime (a part quelques trucs comme Killing for Company) et assez fan ado de Ellroy, on en attendait pas grand chose. Puis la claque. Difficile d'en dire plus sans gacher le plaisir de la descente aux enfers. On a vu recemment que Steve Hodel a sorti un livre petage de boulons sur le Zodiac killer. A voir, cela pourrait donner une perspective encore plus deroutante sur le present ouvrage.

Gabrielle Wittkop, le Sommeil de la raison, Verticales, 2003.

Dérangeante, macabre, Grand-Guignol ET obscène ..., et pour tout cela fascinante, l'œuvre de Gabrielle Wittkop se situe largement au delà de toute morale. A la manière de Goya dans sa célèbre gravure Le Sommeil de la raison - représentant un homme endormi, cerné de créatures cauchemardesques -, Wittkop nous projette, dans de courts textes cruels et inquiétants, en des temps et des lieux surréels, là où les plus sombres passions se mettent en scène...

Stanley Cavell, La Projection du Monde, Belin, 2000.

Cavell, le sceptique. Celui qui a toujours douté du monde - pas appréhendable, toujours loin de nous -, et ne trouve son compte que dans la projection que lui en donne le cinéma. Un art populaire (il aurait tout aussi bien pu écrire sur le jazz) que ce brillant exégète de Wittgenstein, prof à Harvard, auteur d’une philo ardue, préfère entre tous par qu’il est le reflet de l’acceptation de l’ordinaire. Ses longues descriptions des scènes (écrites de mémoire) sont des moments de bonheur où il traque ce qu’il advient des choses à l’écran. S’il admet Rohmer, Godard ou Malick (sa note de bas de page sur Badlands est un des pics du livre), il n’est jamais aussi brillant que lorsqu'il regarde le cinéma classique hollywoodien (Hawks, Sturges, Vidor) - à tel point qu'il en a même identifié un sous genre : la comédie du remariage. Il voit en ce Hollywood grande forme une philosophie du bien, d’avant le fardeau du sérieux, où se dessine une acceptation de soi et un fin du romanesque. Écrit entre 1972 et 1976, c’est donc là, et dix ans avant les deux tomes indispensables de Deleuze, le premier livre de cinéma jamais rédigé par un philosophe.

J-B Thoret, 26 Secondes ou l'Amerique Eclaboussee, Rouge Profond/Raccords, 2003.

Le 22 février à Dallas aux alentours de 12H25 heure locale, le président Kennedy est assassiné. Du haut d’un muret à droite de Elm Street, Abrahm Zapruder filme la scène avec sa caméra. En 26 secondes et 477 photogrammes, il enregistre le basculement d’une nation dans la terreur.Jean Baptiste Thoret, l’un des critiques de cinéma les plus pertinents de l’époque, traque ici l’impact du Zapruder film sur le cinéma américain, analyse, de De Palma à Pakula en passant par Coppola, le développement d’une esthétique conspirationiste durant les années 70, la contamination (l’éclaboussement ?) de la fiction par l’horreur de la réalité.

Mary Woronov, Snake, Five Star Paperback, 2002.


Premier roman d'une actrice culte aux Etats-Unis en partie grâce aux films de Paul Bartel (Rock’n Roll High School, Eating Raoul), Mary Woronov est surtout l’une des figures emblématiques de la Factory de Warhol, jouant aux côtés de Nico dans Chelsea Girls et "dansant le fouet" avec Gérard Malanga pour le Velvet Underground période Exploding Plastic Inevitable. Snake, road-movie décapant dont l'histoire se dérobe au fil des pages, nous entraîne aux limites de la folie, flottant entre rêves et réalité.... Bienvenu ( ?) dans un monde à la fois inquiétant et envoutant. Reptilien, vraiment.



Dori Hadar, Mingering Mike, Princeton Architectural Press, 2007.

Mingering Mike : roi de la Soul et du Funk à l’âge d’or du Soul Power, seul vrai rival de James Brown, star internationale, il a dominé les années 60-70 avec ses albums-concepts socialement engagés, ses films auto-produits et ses nombreux concerts autour du monde. Mais personne ne s’en souvient. Pourquoi ? Probablement parce que Mingering Mike est d’abord un personnage dessiné au stylo à bille, aux habits coloriés au feutre et dont les disques sont des pièces uniques, découpées dans du carton. Probablement parce qu’il est le fruit de l’imagination délirante et joyeuse d’un garçon timide de Washington, Mike Stevens, qui l’a fait vivre dans le secret de sa chambre pendant dix ans, jusqu’à ce qu’il se lasse de cette carrière imaginaire. Et si Stevens n’avait pas un jour oublié de payer pour le loyer du local de stockage où il avait entreposé les œuvres complètes de Mingering Mike, celles-ci ne se seraient jamais retrouvées sur le marché aux puces où un crate-digger nommé Dori Hadar les découvrit un jour de 2003. Leurs pochettes et leurs rondelles sont aujourd’hui reproduites dans ce livre qui, avec tous ces numéros de catalogue, ces sous-labels et ces logos imaginaires, est un pur délice pour quiconque a un peu baigné dans la collection de disques. Mais ce qui émeut le plus dans l’improbable destin de Mingering Mike, ce n’est pas tant l’extraordinaire inventivité de son créateur, c’est qu’elle n’ait pas eu d’autres admirateurs que lui-même (et ses cousins) pendant plus de 30 ans. Ce qui fait de sa création le fantasme ultime de tout amateur de musique : un génie absolu dont on aurait perdu jusqu’au souvenir, et dont on redécouvrirait tout à coup l’œuvre entière, intacte et inouïe. Regardez, lisez ces disques. Et imaginez.


Gerard Naziri, Nazis on Speed-Drogen im 3rd Reich vol 1-2, Pieper Werner Medienexp, 2002.

ah ah... voila un livre qui "a l'air" d'avoir sa place ici. Cette "Histoire de la Drogue sous le IIIe Reich", c'est un vrai fantasme de nerd plus ou moins rock n'roll ou de punk plus ou moins intello (i.e. l'ensemble de la redaction ?). Fantasme, on en restera la pour l'instant puisqu'on ne lit pas l'allemand. Un reve parmi 50 realites, c'est acceptable.

Rajiv Chandrasekaran, Dans la zone verte, L’Olivier, 2008.

Irak 2004 - Pourquoi ça n’a pas marché, par un journaliste du Washington Post. Encore un non fiction book, mais écrit avec l’acuité féroce d’un JG Ballard. Preuve que la décennie passée a définitivement brouillé les pistes de la narration (comme chaque fois que le monde est en crise, non ?). La guerre en Irak ressemble donc tellement à celle du Vietnam qu’elle a même déjà son grand livre, son Putain de mort. Si jamais c’était celui-ci, sachez qu’il est amer comme l’époque. Qu'il s’ouvre par une description de GI terrorisés à l’idée de sortir de leur enceinte sécurisée et passant leurs après-midi en maillots de bain kakis à plonger dans la piscine aux reflets azur de l’ancien Palais de Saddam Hussein.


Dai Vaughan, Non-Return, Seren, 2005.

Voila une belle injustice de non-traduction... Une autre me direz vous... Mais je ne sais pas si celle la sera corrigee. Pour des livres un peu rock n'roll, un peu "cultes" (le monopole Claro, ou Knockemstiff traduit par Garnier), il y a souvent un petit editeur (modele Allia), un peu comme, en des temps revolus, il y eu des labels indes. La, Vaughan sent trop la litterature (Il est aussi poete-Courage fuyons!), est aussi glamour qu'un Bukowski a jeun et a une visiblite d'ermite en son propre royaume (ou, il est vrai, le peuple et la jeunesse ne lit pas).C'est mal parti pour le Femina. Son bouquin le plus accessible, Non-Return est une histoire de famille multi-portes, floue presque, la langue et le ressenti prenant d'assaut la genealogie. On aime un peu comme on aime le Waltenberg de Kaddour, c'est a dire en se demandant un peu pourquoi.Waltenberg lui, a ete traduit en anglais. Et oui, Si le peuple et la jeunesse britannique ne lit pas, elle n'en a pas moins plutot bon gout. Dont (en esperant) acte.



Compilation: Karine Charpentier, xgatiox, Pierre Evil, Pornochio, Bazooka.

Wednesday, 10 February 2010

50 for 10-part 2



Suite de notre Top 50 de la décennie passée. Sans objectivité, sans ordre. Mais là, fidèle a notre motto.





William T. Vollmann, Le Livre des violences, Tristram, 2009.

Bon, la version intégrale faisait plus de 3000 pages. La version française paru chez Tristram est la traduction de la version courte : 1000 pages. Vollman lui-même est obèse. Et complètement obsessionnel, comme garçon. Après l’avoir lu puis rencontré, on ne sait toujours pas de quel passage terrifiant d’un roman de James Ellroy ou de quel disque du Gun Club il nous est tombé. Déambule depuis 20 ans dans un monde de frontières et de clandestinité sociale, Erre. Parmi les putes, les cloches, les miliciens, les skins, les tox. En sort, une fois par an, des livres monstres écrits comme du James Agee sous GHB. Tous plus beaux (et déchirés) (et gros) les uns que les autres (Les Fusils !!! Récits arc en ciels ! Les Nuits du papillon !!). Va là où vous ne voulez pas aller (car sans doute sait-il qu’il est inutile de fuir ce monde que vous ne voulez pas voir, il viendra à vous plus tôt que vous ne le pensez). Les années 2000 ont fait émerger deux grands écrivains sauvages, deux Céline en puissance : Bolano et Vollmann.

Co-ed, Time Out Film Guide, chaque annee, 2000-2010.

Depuis dix ans au pied de mon lit... Evidemment des lacunes, mais 17500 vignettes quand meme. Pas (ou peu) de theorie mais une certaine liberte (aimer Ozu et Roadhouse), un ton, des enormites... Comme si quelqu'un avait condense tout les cahiers Cine de libe en un annuaire... Meme si internet l'a rendu un peu obsolete, il reste parfait quand le memoire se brouille pour choisir votre film du dimanche soir

Joseph Vacher, Ecrits d'Un tueur de Bergers, A Rebours, 2007.

(Ré)édité par une minuscule maison d’édition provinciale, sans code-barre, introuvable autrement que sur commande, ce tout petit livre reprend tous les écrits de l’un des plus célèbres tueurs en série français : Joseph Vacher, marginal, violeur, assassin, fou littéraire, guillotiné. Membre de la confrérie errante des chemineaux, ces vagabonds sans loi qui effrayaient le bourgeois du XIXème siècle, il laissa d’après la chronique une trentaine cadavres de femmes et de jeunes garçons sur sa route, entre 1894 et 1897. Et lorsqu’un juge intuitif l’arrêta enfin, la France découvrit un barbu puant au regard fou, dont la pauvre trajectoire excita les imaginations de la Belle Epoque : mauvais militaire, traîne-misère psychotique, « anarchiste de Dieu » à l’époque de Ravachol. En réalité, Vacher était surtout un paranoïaque asocial démangé de pulsions morbides. Et littéraires. Car, toute sa vie adulte, il laissa derrière lui des textes où il parlait de lui, de ses actes, de ses rancœurs et de ses obsessions. Il écrivait des lettres, il écrivait sur les murs, il écrivait dans la neige (Bertrand Tavernier a fait de cette anecdote la scène d’ouverture du film qu’il a consacré à Vacher, Le juge et l’assassin, où les dialogues de Michel Galabru sont presque tous tirés de ce livre). Lire ces brefs billets, ce n’est pas lire de la littérature ; c’est visiter un cauchemar, avec le propriétaire des lieux. Et le soin méticuleux de l’éditeur, Philippe Artières, à en conserver les fautes et la graphie délirante donne à cet objet une effrayante aura d’irréalité, de folie fin de siècle, dont on ne saura jamais si elle était réelle ou simulée.

Arlette Farge, Quel bruit ferons-nous ?, Les Prairies ordinaires, 2005.

« Dans l'analyse du petit moment singulier se découvre le cristal de l'évènement total. » Cette pensée de Walter Benjamin qui se déploie dans l'œuvre d'Arlette Farge est de l'ordre de toute une réflexion politique. Spécialiste du siècle des Lumières, l'historienne post-foucaldienne traque dans les archives de la police les petits faits – opinion publique, famille, sensibilités - des plus marginaux – fous, émeutiers, pauvres, hommes et femmes du peuple du 18e siècle -, dont « les paroles singulières sont des évènements ». Quel bruit ferons-nous? est une entrée sensible dans cet univers atypique et solitaire qui ne cesse d'ouvrir de nouveaux chantiers dans l'historiographie.


Craig Clevenger, The Contortionnist's Handbook, Fourth Estate.

Non traduit en francais, on s'habitue. Mais le plus surprenant concernant les deux romans de Clevenger (celui-ci et Dermaphoria) est qu'ils n'aient pas encore ete adaptes par un de ces wonder kids du new Hollywood (ceux qui ont construit un nouveau conformisme autour du cinema independant tendance jeuniste). Tant mieux, on est presque toujours decu de toute facon. Il y a pas mal de pa-Palahniuk dans Clevenger, mais quand Chuck peut se perdre dans ou dissoudre son white trash dream, Craig se maitrise dans une structure presque thriller. Ses deux livres sont de beaux exercices de suspense paranoiaque, petite preference pour celui ci (Dermaphoria se met en scene dans la drug culture californienne, un poil trop psyche pour nous), para-polar schizophrene totalement reussi. Mineur majeur, comme on dit.

Carl Wilson, Let's Talk About Love, Continuum, 2008.

Ayant laissé le soin à Nietzsche d’explorer les territoires par-delà bien et mal, Carl Wilson s’aventure aux frontières du bon et du mauvais goût en s’interrogeant sur le succès mondial de Céline Dion. Pourquoi lui, un blanc bec rock critique dressé dans le sérail Pitchfork, a été conditionné à détester un album comme Let’s Talk About Love ? Et si les millions de fans de Céline Dion avaient finalement raison ? Et si le mainstream était la dernière frontière de la culture pop ?


Georges A Reisch, How the Cold War Transformed Philosophy of Science, Cambridge university Press, 2005.


Alors quitte a faire dans le nerd, autant y aller carrement. JE l'avoue, je suis bien plus fascine par l'Histoire des Sciences que par celle du Paradise Garage... Voila une fascinante these sur les rapports entre Science et Politique, a ranger a cote du magistral The Making of the Atomic Bomb de Richard Rhodes.


Louis Skorecki, Les violons ont Toujours Raison, PUF, 2000.

Recueils des principales chroniques cinéphiles des années 90 publiées chaque matin par Skorecki (ex critique aux Cahiers du cinéma, cinéaste, romancier, bloggeur dylanien) dans Libération. Les violents ont toujours raison.

Hans Ulrich Obrist, Conversations, Manuella éditions, 2008.

A une époque, Hans Ulrich Obrist, curateur phare des années 2000, demandait systématiquement au concierge des hôtels de le réveiller toutes les heures - il avait peur du sommeil. Ce livre reprend sur 1000 pages ses entretiens fleuves avec des artistes (au sens large du terme: plasticiens, photographes, cinéastes, architectes, acteurs) et des philosophes : certains émergents (Sala, Dean, Tiravanija), d’autres consacrés (Gordon et Parreno, Höller, Hadid), beaucoup totalement légendaires (Ballard, Bourgeois, Richter, Parent, Oliveira). Jamais le discours sur l’art contemporain n’a été aussi vivant, ouvert.


Liste etablie par Bazooka, Pornochio, Karine Charpentier, xgatitox et Pierre Evil.

Tuesday, 9 February 2010

Quote

"... a well- known tragic figure from the Cold Car era : those western leftists who heroically defied anti-communist hysteria in their own countries with utmost sincerity. They were even reday to go to prison for their Communist convictions and their defense of the Soviet Union. Is it not the very illusory nature of their belief that makes their subjective stance so tragically sublime ? The miserable reality of the Stalinist Soviet Union renders the fragile beauty of their inner-conviction all the more majestic. This leads us to a radical and unexpected conclusion : It is not enough to say that we are delaing here with a tragically misplaced ethical conviction, with a blind trust that avoid confronting the miserable, terrifying reality of its ethical point of reference. What if, on the contrary, such a blindness, such a violent gesture of refusing-to-see, such a disavowal-of-reality, such a fetishistic attitude of "I know very well that things are horrible in the USSR but I nonetheless believe in Soviet Socialism" is the innermost constituent part of every ethical stance ?"

in Slavoj Zizek, In Defense of Lost causes, Verso, 2009.

Monday, 8 February 2010

50 for 10-part 1

Premiere partie de notre Top 50 de la décennie passée. Sans ordre, ni thématique, fidèle a notre motto.



Co-ed, Russian Criminal Tattoo Encyclopedia, vol 1-3, Fuel, 2003-2009.

Pendant 33 ans, après guerre, Danzig Baldaev a travaillé pour le ministère de l’intérieur de l’URSS afin de collecter des informations sur le folklore et les usages du monde criminel dans les prisons du pays. Dans ce monde-là, le tatouage est un langage. Répertoriés par ce véritable « technicien de surface », les tatouages des prisonniers furent redessinés par ses soins afin d’en décrypter signes et symboles. Une plongée radicale dans l’univers carcéral russe, l’un des plus violents, raciste et mystique qui soit.

Slavoj Zizek, Violence, Profile Books, 2008

Pas encore trop attaque en France pour son cote "Elvis des Culture Studies, poseur lacanien, touche-a tout a fond de rien" etc... Zizek peut-etre un vrai penseur, et surtout, comme ici, un vrai "passeur". Voila un quasi-manuel qui, le doigt sur notre apathie, refuse la victoire du "materialisme democratique" et recadre les modalites de la lutte (en particulier feroce contre la gauche bobo)... Un "petit livre rouge" generationnel quoi... Curieusement non traduit au pays de Badiou. On y reviendra en detail bientot puisque vient de sortir ici In Defence of Lost Causes , sa suite logique.



Pierre Guyotat, Coma, Mercure de France, 2006

Écrivain interdit à la fin des années 60,inventeur castré-maudit d’une langue orale folle, Guyotat s’est perdu quelque part entre 1981 et 1982 dans la foret de la folie, quelques mois à rêver d’un Livre absolu, texte inachevé qui épuisera ses forces, l’avalera, le déportera hors de la société – ironiquement, au même moment, ses textes connaissaient enfin la reconnaissance, Mitterrand, fan jusqu’à l’os, l’invitait même à sa première Garden Party, sans que Guyotat le sache, lui qui vivait alors dans un camping car, se lavait aux fontaines des villages sous les rires et les pierres que lui lancaient les gosses. Coma est ce récit d’un long long sommeil par celui qui est le dernier écrivain en France à obtenir de la langue des choses qu’elle ne veut plus livrer à personne. On a rarement lu quoi que ce soit d’aussi beau.


Joan Didion, L'Annee de La Pensee Magique, Grasset, 2007.

L’année de la pensée magique est le livre du deuil, celui de Joan Didion (la Duras américaine telle que la définit Philippe Garnier) face à la mort de son mari l’écrivain John Gregory Dunne. Comment affronter la mort des autres, sa menace (la fille de Joan Didion est dans le coma quand elle écrit ce livre) sans s’effondrer soi-même? Aucun pathos ici, Joan Didion tente de rester en vie en écrivant, en disséquant l’expérience de la douleur pour ne pas s’y perdre totalement. L’année de la pensée magique est une histoire sans fin. Notre histoire.

Arthur Danto , La Madone du futur, Seuil, 2003.

Critique influent aux Etats-Unis, Arthur Danto est une personnalité contemporaine majeure de la philosophie de l’art. Après une formation à la pensée analytique, la découverte des œuvres d'Andy Warhol, dans les années 60, l’a amené à se tourner vers une esthétique postmoderne. La madone du futur, qui rassemble une série d’essais consacrés à l’art contemporain parus à partir de 1993 dans The Nation, témoigne des théories savantes du philosophe. Contre le discours esthétique, l’interprétation historique et philosophique décide désormais du statut artistique des objets les plus banals, en opérant ce que Danto qualifie de « transfiguration » du présent.

Co-ed, Le Troisieme Oeil-La Photographie et l'Occulte, Gallimard, 2004.

Co-ed, Le Troisieme Œil-La Photographie et l'Occulte, Gallimard, 2004. Voilà un livre qui vous hantera. Littéralement. Catalogue de l’exposition du même nom, Le Troisième Œil est une plongée dans les collections de photographies les plus incroyables du monde ; un voyage étrange où l’on croise, des premières années de la photographie à l’âge du Polaroïd, une flopée de charlatans, de célébrités mondaines, de scientifiques plus ou moins naïfs, et de gens vraiment bizarres. Tous réunis autour de ce thème qui sonne comme le titre d’un article tiré d’un vieux numéro de Planète : la photographie et l’occulte. On y découvre donc au fil des pages : les différentes formes de la photographie spirite, la thoughtography (ou photographie de la pensée), des barbus qui lévitent, des clichés d’ectoplasmes (ce qui permet d’apprendre que les ectoplasmes sont des matérialisations solides en forme de boules de laine ou de toiles d’araignées sortant de la bouche, du nombril ou de l’entrejambes de médiums en transe…). A lire, c’est un épisode inédit de la Ligue des Gentlemen Extraordinaires (on y croise à plusieurs reprises Conan Doyle, notamment en défenseur de l’existence des fées, et une société savante anglaise au nom fascinant, la Society for Psychical Research) ; à voir, c’est tantôt risible (lorsque les supercheries sont trop évidentes), tantôt troublant. Car, alors que l’occulte des occultistes est en général chiant, Le Troisième Œil adopte une attitude d’agnosticisme (ni sceptique, ni croyant) qui laisse le lecteur libre de ses interprétations sur certaines des images les plus spectaculaires de l’ouvrage, et qui ne les rend que plus poétiques (sur l’air du « et si c’était vrai… »). Typiquement le genre de livre à laisser dans sa bibliothèque jusqu'à sa mort, histoire que vos arrières-petits-enfants soient ravis de le découvrir dans le bazar de la succession..



Alex ross, The Rest is Noise, Fourth Estate, 2008.

Il me semblerait presque que les anglais apprecient la vulgarisation a sa juste valeur quand chez nous, on s'y force. Les snobs rechignent, les specialistes s'isolent, les "passeurs" se font rares (Qui ? on accordera au moins ca a Onfray, peut-etre a Obalk, sinon on glisse vite vers les freres bogdanoff ou , au mieux, Taddei). Les leurs sont nombreux, sympathiques et chic (De Attenborough a Fry). Comme l'est surement Alex Ross d'ailleurs. Son Projet est transversal: une Histoire de la musique classique au XXe siecle. Constat de depart : Au XXe siecle, l'art se diffuse. Dans tout les sens. La peinture contemporaine touche le grand public, la culture populaire devient un sujet d'etude legitime, le cinema independant rentre au box-office etc etc...
Pourtant, Malgre son influence sur toute la musique populaire (explicitee sans jargon technique), la musique classique contemporaine reste un sujet un peu tabou, hors "guides" d'achat de CDs. Cela tombe sous le sens quand on lit le livre (mais personne ne l'avait decrit), c'est dans son rapport a la societe que cette histoire est la plus interessante. Ross s'en sort bien, meme si l'ampleur du sujet force parfois a l'apercu rapide. Critique ou compliment: le bon bouquin au bon moment (plus que le bon bouquin tout court). On verra si Ross a ouvert une porte... En cours de traduction, a sortir cette annee chez Actes-Sud (et pas Allia).

50 for 10

Un peu en retard (ce ne fut pas si facile) mais voila notre top 50 de la décennie passée. Choix personnels, livres qu'on considère (ou a considéré) importants, ovnis remarquables... Et une absence de remarques "générales" sur la décennie qui vient de se clore (à quoi bon?).
Par souci de digestion, on divisera la liste en plusieurs posts. La voila pour commencer dans sa totalité, mais sans commentaires.
Plusieurs ouvrages (marqués ***) ont deja fait le sujet d'un post sur D in D. Dans ce cas, on vous renvoie vers ce dernier, ça vous fera l'occasion de vous balader un peu...

Tout ceci n'a bien sur pas d' ordre particulier...Discipline dans le désordre once again.


Antoine D'Agata/Christine Delory Momberger, Le Désir du Monde, Teraedre, 2008 ***.

Slavoj Zizek, Violence, Profile Books, 2008

Pierre Guyotat, Coma ,Mercure de France, 2006

Steve Hodel, L'Affaire du Dahlia Noir, Seuil, 2004.

William T. Vollmann, Le Livre des Violences ,Tristram, 2009

Donald Ray Pollock, Knockemstiff, Harvill Secker, 2008 ***.

Gabrielle Wittkop, le Sommeil de la Raison ,Verticales, 2003.

Yussef Bazzi, Yasser Arafat m’a regardé et m’a souri, Verticales, 2007***.

Joan Didion, L'Année de La Pensée Magique, Grasset, 2007.

Tim Brooks, Lost Sounds / Blacks and the Birth of the Recording Industry 1890-1919 University of Illinois Press 2007

Co-ed, Time Out Film Guide, chaque année, 2000-2010.

Roberto Bolano, 2666, Christian Bourgeois, 2008***.

W.G. Sebald, Austerlitz, Actes Sud, 2002.

Hedi Kaddour, Waltenberg, Gallimard, 2005.

Stanley Cavell, La Projection du Monde, Belin, 2000. ?

Arthur Danto, La Madone du futur, Seuil, 2003.

Robert Fisk, La Grande guerre pour la civilisation, La Découverte, 2005.

Alain Badiou, Le Siècle, Seuil, 2005.

Hans Ulrich Obrist, Conversations, Manuella éditions, 2008.

John Barker, Futurs, Grasset, 2005 ***.

J-B Thoret, 26 Secondes ou l'Amérique éclaboussée, Rouge Profond/Raccords, 2003.

Co-ed, Le Troisième Oeil-La Photographie et l'Occulte, Gallimard, 2004.

Beatriz Preciado, Le Manifeste Contra-Sexuel, Balland, 2000.

Dominique Baqué, Histoires d’ailleurs (Artistes et penseurs de l’itinérance), Editions du regard, 2006

Sean O' Brien, The Drowned book, Picador, 2007***.

Co-ed, Russian Criminal Tattoo Encyclopedia, vol 1-3, Fuel, 2003-2009.

Rajiv Chandrasekaran, Dans la zone verte , L’Olivier, 2008.

Dai Vaughan, Non-Return, Seren, 2005.

Theodore Roszak, La Conspiration des Ténèbres, Le Cherche Midi, 2004.

Philippe Garnier, Freelance, Flammarion, 2009.

Chuck Pahlaniuk, Lullaby, Vintage, 2002.

Mary Woronov, Snake, Five Star Paperback, 2002.

Dori Hadar, Mingering Mike, Princeton Architectural Press, 2007.

Gerard Naziri, Nazis on Speed-Drogen im 3rd Reich vol 1-2, Pieper Werner Medienexp, 2002.

Campbell/Olsen/Walden, the Narcotic Farm, Abrams, 2003 ***.

Joseph Vacher, Ecrits d'Un tueur de Bergers, A Rebours, 2007.

John Savage, Teenage- The Creation of Youth 1875-1945, Chatto & Windus, 2007.

Alex ross, The Rest is Noise, Fourth Estate, 2008.

Arlette Farge, Quel bruit ferons-nous ? , Les Prairies ordinaires, 2005.

Craig Clevenger, The Contortionnist's Handbook, Fourth Estate,

Carl Wilson, Let's Talk About Love, Continuum, 2008.

Georges A Reisch, How the Cold War Transformed osophy of Science, Cambridge university Press, 2005.

Louis Skorecki, Les violons ont toujours raison, PUF, 2000.

Conrad Williams, The Unblemished, Virgin books, 2008.

Mike Davis, Le Stade Dubaï du Capitalisme, Les Prairies Ordinaires, 2006.

Simon Reynolds, Rip it up and Start Again, allia, 2007.

Don de Lillo, Cosmopolis, Actes Sud, 2003.

Charles Stross, Iron Sunrise, Orbit, 2005.

Cedric Lagandré, L'Actualité Pure, PUF, 2009.


Liste compilée par Pierre Evil, Pornochio, Karine Charpentier, Bazooka et xgatitox.

Saturday, 6 February 2010

Lisbonne/Salinger, un aller-retour, par Louis Skorecki


Voilà, Discipline in Disorder a un an. On sait qu’il nous faut continuer en restant nous-même (sait-on faire autre chose ?), comme on sait aussi que c’est en invitant des gens qui nous inspirent à intervenir librement ici que l’on avancera... Il y a longtemps que l’on voulait demander quelque chose à Louis Skorecki. On n’osait pas, Et puis Louis aime bien dire qu’il lit peu, qu’il relit toujours les mêmes livres... Parmi eux Salinger. Sur lequel il n’a, je crois, jamais officiellement écrit (en fait si… un papier pour Libé dans les années 80 mais qui, pour des raisons obscures, n’a jamais paru). Salinger est mort jeudi dernier – mort d’un fantôme. Louis l’a appris en revenant du Portugal, où la Cinémathèque montrait ses films (Les Cinéphiles, Eugénie de Franval, Skorecki déménage..). Dans la foulée, ce texte. Que l’on ouvrira comme on ouvre un cadeau d’anniversaire. Merci Louis.

Lisbonne/Salinger, un aller -retour
Je reviens de Lisbonne, j'ai montré mes films à la cinémathèque devant une vingtaine de spectateurs très attentifs .... merci à Luis Miguel Oliveira et à ses deux collaboratrices .... au même moment, JD Salinger mourait ... je suis triste ... les mots me manquent ... Ce que j'ai le plus lu et relu dans ma vie, ce sont les aventures de la famille Glass .... Franny and Zooey, Nine stories, Raise high the roofbeam carpenters, Seymour, an introduction ... comme je lisais et relisais Raymond Chandler il y a longtemps .... et comme je n'ai jamais cessé de relire Lolita en anglais ... les enfants Glass faisaient de la radio-réalité, les parents Glass étaient des héros de vaudeville, comme les black minstrels, comme Emmett Miller, comme Charlie Chaplin à Londres, aussi, le même Chaplin qui ravira au jeune Salinger la femme de sa vie, la belle Oona o'Neil (JD Salinger insultera plus tard, à coup de lettres rageuses, le "vieil homme dégoûtant" qui lui avait volé sa fiancée, la trop jeune Oona ...) ... c'est la fin d'un monde, un monde d'images et de mots, de mots parlés, rimés, et encore parlés.
Parler le monde, Salinger le faisait mieux que tout le monde, dans la langue la plus ordinairement poétique, la plus ramassée, la plus bavarde qui soit. il faisait en anglais, en américain plutôt, ce que le russe Nabokov bricolait au même moment avec des bribes d'anglo-américain de collège, ce que Céline faisait également de son côté, avec un côté plus noir mais tout aussi lumineux au fond .... cet ordinaire poétique de la langue américaine, Salinger en a fait des énigmes, des bouts rimés, des koans ... on connaît le son de deux mains qui applaudissent, mais il n'est pas important de savoir ce qu'est le son d'une main, une seule ... le plus important est d'imaginer une petite fille qui bouge les lèvres dans le noir sans qu'un seul son ne sorte de sa bouche, répétant à l'infini une seule et même phrase, un mantra gamin pour extraterrestre urbain ... le lecteur finira bien par croire que cette prière là, faite de mots silencieux, lui permet, à elle, à lui, de flotter au dessus du sol et d'entendre voler les poissons, les poissons- banane, les poissons-chat ... et même les poissons-rat.
On garde Salinger pour soi, on n'en parle jamais, ni à ses éditeurs, ni à ses amis ... .... en fait chaque lecteur de Salinger pense qu'il n'y a que lui pour le lire, il pense qu'il est le seul ... ses lecteurs se comptent un à un, sur les doigts d'une main, sans que ça se sache, sans qu'ils n'en sachent rien, jusqu'à ce que ça fasse des millions de lecteurs uniques, à s'additionner sans jamais se toucher ... Je n'ai parlé de Salinger qu'une seule fois, dans un coin perdu de Bretagne, il y trente ans, avec deux amis que j'avais alors, Pierre Trividic et Pascale Ferran, et je me suis émerveillé tout haut, pour la première et la dernière fois de ma vie, de ce petit miracle: deux autres personnes, deux êtres humains, partageaient mon amour, un amour oblique et frontal à la fois pour les enfants butés et les jeunes adultes de J.D Salinger ... c'est tout juste si on ne se récita pas des bribes de phrases tout haut, en plein jour, dans le vent ... des années plus tard, en voyant son premier film, Petits arrangements avec les morts, j'ai su que Pascale Ferran -et Pierre Trividic qui venait d'en écrire le scénario et les dialogues- seraient parmi les seuls à avoir abordé de front, avec tout le sérieux de l'enfance, l'univers buté des nouvelles bavardes de Salinger ...
Encore un mot, peut-être le dernier. la religion bouddhiste n'a qu'une importance maniaque, répétitive, décorative, dans les textes de Salinger. c'est juste un rituel comme un autre. il y en a de plus bêtes. Et pourtant, je suis passé de ces exercices zen plus pittoresques qu'immatériels, auxquels se livrent ses personnages, Franny surtout si je me rappelle bien, à la lectures de vrais contes zen (en anglais aussi, il n'y avait rien en français), avec le même amateurisme enthousiaste dont ses personnages faisaient preuve. les rituels m'intéressant décidément plus que les religions elles-mêmes, je suis passé du bouddhisme zen aux contes hassidiques (Martin Buber, Rabbi Nachman .. et même Elie Wiesel), puis aux délires philosophiques abstraits des soufis de l'islam (Ibn' Arabi surtout), et enfin, in extremis, aux merveilles d'érudition chrétiennes d'un juriste juif trop peu connu, Jacob Taubes dont le seul livre (c'était un professeur, un orateur), Théologie politique de Paul, est devenu mon livre de chevet, malgré une sorte d'hermétisme lacanien qui me séduit plus qu'il ne me rebute. des rituels religieux, je suis passé à un moment aux écrits de Leroi-Gourhan sur la préhistoire (surtout son petit livre rouge sur la religion des hommes préhistoriques), mais là, je ne suis pas sûr qu'il y ait un rapport avec Salinger. Encore que ...


post scriptum. Cette famille glass, ce mot là, ça tisse quoi? Dire d'abord que la célébrité de Salinger s'est faite sur un malentendu pré-Glass, sur Catcher in the rye, sur les gros mots poétiques mais convenus de Holden Caufield. je ne l'ai jamais vraiment aimé, ce livre là ... trop américain, trop conventionnel, trop doucement décalé, révolté, parlé/parlé/parlé ... avec les Glass c'est différent: d'où viennent-ils? où vont-ils? leurs mots sont légers, presque immatériels, d'une pure musicalité de la langue parlée, hors réalisme, hors théâtre, hors cinéma, hors tout -la même immatérialité musicale que celle de l'étranger Nabokov dans Lolita, celui qui écoute d'une oreille distraite, étrangère, les étudiants, les fillettes, les nymphettes ... et les papillons.
L.S.

Thursday, 4 February 2010

Quote

"Alors il se mit à aller et venir derrière elle, tout doucement, la regardant et pliant un peu les genoux, et tout le monde rit encore ; et puis il fit virevolter sa badine, et avec l’extrémité recourbée il releva jusqu’aux genoux les jupes de la fille, tout à fait de cette façon qui dégoûte maman, et il lui regarda les jambes avec avidité ; et tout le monde rit très fort ; mais elle, elle prétendait qu’elle ne s’en était pas aperçue. Alors il fit un moulinet avec sa canne, et tout à coup, il s’accroupit et remonta son pantalon, puis de nouveau il souleva la jupe de la fille si haut qu’on voyait sa culotte, avec les volants qui bouffent tout autour, comme les plis des rideaux, et tout le monde s’esclaffait, et furieuse, elle se retourna brusquement et lui flanqua un coup en pleine poitrine, et il s’assit les jambes raides, à s’en faire mal, et tout le monde s’esclaffa encore ; et elle s’éloigna le long de la rue, l’air hautain, oubliant son tramway, et ce qu’elle pouvait rager, comme disait mon père en jubilant ; et voilà Charlot le derrière sur le trottoir, et à son air écoeuré on voyait bien qu’il se rappelait les œufs, et tout à coup on s’en rappelait aussi. La tête qu’il pouvait faire, la lèvre retroussée au-dessus des dents, avec un petit sourire dégoûté, ça vous donnait tout à fait l’impression de sentir des œufs cassés dans le pantalon, comme la fois avec le beau costume de piqué blanc, quand les œufs cassés dégoulinaient sur les jambes du pantalon et sur les chaussettes, à se sentir tout honteux et tout drôle, il avait fallu rentrer à la maison, et les gens qui regardaient ; et le père de Rufus qui riait à s’en décrocher la mâchoire, maintenant, comme tout le monde, et Rufus avait de la peine pour Charlot, s’étant trouvé récemment dans la même situation mais il subissait la contagion et riait à son tour."

James Agee, Une mort dans la famille (A Death in the family, 1938), traduit par Jean Queval, Flammarion, 1975.

Merci à Louis Skorecki.