Troisième partie de notre chart des livres de la décennie passée. Partial et dans le désordre.
Steve Hodel, L'Affaire du Dahlia Noir, Seuil, 2004.
Voila, un truc pris par hasard. N'etant pas fan de True Crime (a part quelques trucs comme Killing for Company) et assez fan ado de Ellroy, on en attendait pas grand chose. Puis la claque. Difficile d'en dire plus sans gacher le plaisir de la descente aux enfers. On a vu recemment que Steve Hodel a sorti un livre petage de boulons sur le Zodiac killer. A voir, cela pourrait donner une perspective encore plus deroutante sur le present ouvrage.
Gabrielle Wittkop, le Sommeil de la raison, Verticales, 2003.
Dérangeante, macabre, Grand-Guignol ET obscène ..., et pour tout cela fascinante, l'œuvre de Gabrielle Wittkop se situe largement au delà de toute morale. A la manière de Goya dans sa célèbre gravure Le Sommeil de la raison - représentant un homme endormi, cerné de créatures cauchemardesques -, Wittkop nous projette, dans de courts textes cruels et inquiétants, en des temps et des lieux surréels, là où les plus sombres passions se mettent en scène...
Stanley Cavell, La Projection du Monde, Belin, 2000.
Cavell, le sceptique. Celui qui a toujours douté du monde - pas appréhendable, toujours loin de nous -, et ne trouve son compte que dans la projection que lui en donne le cinéma. Un art populaire (il aurait tout aussi bien pu écrire sur le jazz) que ce brillant exégète de Wittgenstein, prof à Harvard, auteur d’une philo ardue, préfère entre tous par qu’il est le reflet de l’acceptation de l’ordinaire. Ses longues descriptions des scènes (écrites de mémoire) sont des moments de bonheur où il traque ce qu’il advient des choses à l’écran. S’il admet Rohmer, Godard ou Malick (sa note de bas de page sur Badlands est un des pics du livre), il n’est jamais aussi brillant que lorsqu'il regarde le cinéma classique hollywoodien (Hawks, Sturges, Vidor) - à tel point qu'il en a même identifié un sous genre : la comédie du remariage. Il voit en ce Hollywood grande forme une philosophie du bien, d’avant le fardeau du sérieux, où se dessine une acceptation de soi et un fin du romanesque. Écrit entre 1972 et 1976, c’est donc là, et dix ans avant les deux tomes indispensables de Deleuze, le premier livre de cinéma jamais rédigé par un philosophe.
J-B Thoret, 26 Secondes ou l'Amerique Eclaboussee, Rouge Profond/Raccords, 2003.
Le 22 février à Dallas aux alentours de 12H25 heure locale, le président Kennedy est assassiné. Du haut d’un muret à droite de Elm Street, Abrahm Zapruder filme la scène avec sa caméra. En 26 secondes et 477 photogrammes, il enregistre le basculement d’une nation dans la terreur.Jean Baptiste Thoret, l’un des critiques de cinéma les plus pertinents de l’époque, traque ici l’impact du Zapruder film sur le cinéma américain, analyse, de De Palma à Pakula en passant par Coppola, le développement d’une esthétique conspirationiste durant les années 70, la contamination (l’éclaboussement ?) de la fiction par l’horreur de la réalité.
Mary Woronov, Snake, Five Star Paperback, 2002.
Premier roman d'une actrice culte aux Etats-Unis en partie grâce aux films de Paul Bartel (Rock’n Roll High School, Eating Raoul), Mary Woronov est surtout l’une des figures emblématiques de la Factory de Warhol, jouant aux côtés de Nico dans Chelsea Girls et "dansant le fouet" avec Gérard Malanga pour le Velvet Underground période Exploding Plastic Inevitable. Snake, road-movie décapant dont l'histoire se dérobe au fil des pages, nous entraîne aux limites de la folie, flottant entre rêves et réalité.... Bienvenu ( ?) dans un monde à la fois inquiétant et envoutant. Reptilien, vraiment.
Dori Hadar, Mingering Mike, Princeton Architectural Press, 2007.
Mingering Mike : roi de la Soul et du Funk à l’âge d’or du Soul Power, seul vrai rival de James Brown, star internationale, il a dominé les années 60-70 avec ses albums-concepts socialement engagés, ses films auto-produits et ses nombreux concerts autour du monde. Mais personne ne s’en souvient. Pourquoi ? Probablement parce que Mingering Mike est d’abord un personnage dessiné au stylo à bille, aux habits coloriés au feutre et dont les disques sont des pièces uniques, découpées dans du carton. Probablement parce qu’il est le fruit de l’imagination délirante et joyeuse d’un garçon timide de Washington, Mike Stevens, qui l’a fait vivre dans le secret de sa chambre pendant dix ans, jusqu’à ce qu’il se lasse de cette carrière imaginaire. Et si Stevens n’avait pas un jour oublié de payer pour le loyer du local de stockage où il avait entreposé les œuvres complètes de Mingering Mike, celles-ci ne se seraient jamais retrouvées sur le marché aux puces où un crate-digger nommé Dori Hadar les découvrit un jour de 2003. Leurs pochettes et leurs rondelles sont aujourd’hui reproduites dans ce livre qui, avec tous ces numéros de catalogue, ces sous-labels et ces logos imaginaires, est un pur délice pour quiconque a un peu baigné dans la collection de disques. Mais ce qui émeut le plus dans l’improbable destin de Mingering Mike, ce n’est pas tant l’extraordinaire inventivité de son créateur, c’est qu’elle n’ait pas eu d’autres admirateurs que lui-même (et ses cousins) pendant plus de 30 ans. Ce qui fait de sa création le fantasme ultime de tout amateur de musique : un génie absolu dont on aurait perdu jusqu’au souvenir, et dont on redécouvrirait tout à coup l’œuvre entière, intacte et inouïe. Regardez, lisez ces disques. Et imaginez.
Gerard Naziri, Nazis on Speed-Drogen im 3rd Reich vol 1-2, Pieper Werner Medienexp, 2002.
ah ah... voila un livre qui "a l'air" d'avoir sa place ici. Cette "Histoire de la Drogue sous le IIIe Reich", c'est un vrai fantasme de nerd plus ou moins rock n'roll ou de punk plus ou moins intello (i.e. l'ensemble de la redaction ?). Fantasme, on en restera la pour l'instant puisqu'on ne lit pas l'allemand. Un reve parmi 50 realites, c'est acceptable.
Rajiv Chandrasekaran, Dans la zone verte, L’Olivier, 2008.
Irak 2004 - Pourquoi ça n’a pas marché, par un journaliste du Washington Post. Encore un non fiction book, mais écrit avec l’acuité féroce d’un JG Ballard. Preuve que la décennie passée a définitivement brouillé les pistes de la narration (comme chaque fois que le monde est en crise, non ?). La guerre en Irak ressemble donc tellement à celle du Vietnam qu’elle a même déjà son grand livre, son Putain de mort. Si jamais c’était celui-ci, sachez qu’il est amer comme l’époque. Qu'il s’ouvre par une description de GI terrorisés à l’idée de sortir de leur enceinte sécurisée et passant leurs après-midi en maillots de bain kakis à plonger dans la piscine aux reflets azur de l’ancien Palais de Saddam Hussein.
Dai Vaughan, Non-Return, Seren, 2005.
Voila une belle injustice de non-traduction... Une autre me direz vous... Mais je ne sais pas si celle la sera corrigee. Pour des livres un peu rock n'roll, un peu "cultes" (le monopole Claro, ou Knockemstiff traduit par Garnier), il y a souvent un petit editeur (modele Allia), un peu comme, en des temps revolus, il y eu des labels indes. La, Vaughan sent trop la litterature (Il est aussi poete-Courage fuyons!), est aussi glamour qu'un Bukowski a jeun et a une visiblite d'ermite en son propre royaume (ou, il est vrai, le peuple et la jeunesse ne lit pas).C'est mal parti pour le Femina. Son bouquin le plus accessible, Non-Return est une histoire de famille multi-portes, floue presque, la langue et le ressenti prenant d'assaut la genealogie. On aime un peu comme on aime le Waltenberg de Kaddour, c'est a dire en se demandant un peu pourquoi.Waltenberg lui, a ete traduit en anglais. Et oui, Si le peuple et la jeunesse britannique ne lit pas, elle n'en a pas moins plutot bon gout. Dont (en esperant) acte.
Compilation: Karine Charpentier, xgatiox, Pierre Evil, Pornochio, Bazooka.