La meilleure façon d’achever rapidement le cadavre de l’année 2010, ce sera encore de vous parler, avec une percée d’avance, du premier bon livre de 2011. Un livre dans lequel revient de façon obsédante le mot… "Alligator". Un livre rare, écrit en 1979. Un roman bref que William Burroughs envisageait comme un scénario. Sa vision de ce que sera New York en 2014: Une ville inondée, livrées aux alligators et aux dealos, aux épidémies de variole, de lèpre et de cancer. La paranoïa des uns venant frapper à la porte de la panique des autres. Prolifération, partout. Son titre seul fait rêver : Blade Runner (a movie). Ridley Scott le lui piquera pour son film de 1983, adapté d’un autre gros parano: Philip K. Dick. Cette expression de Blade Runner, Burroughs l’avait lui-même empruntée, et avec ça quelques situations, à un auteur de science fiction besogneux mais honnête, Alan E Nourse. Ce roman de SF de gare de 1974 signé Nourse, The Bladerunner, Burroughs l’a samplé, repris, exagéré, réécrit (le cut-up, on s’en aperçoit mieux à la lecture de ce livre, n’a jamais été qu’une technique de contamination de l’écriture par l’écriture). Il lui a injecté quelques systèmes viraux de son choix, ces bacilles pourris qui font le jus de sa langue, la plus tranchante et jaunâtre qui soit. Dîtes 33.
Il a apposé sur ces images de catastrophe, de pédés portes lame et de médecins clandestins, tout le sens du désordre d’une civilisation photographiée en plein collapse. Il y a surtout injecté partout son sens de l’humour impitoyable. Il n’y a rien qui fasse plus peur que le rire de Burroughs. Il frappe partout, en permanence. Il entraîne toute sorte d’exagération. Il a quelque chose de contaminé. Je ne sais toujours pas quel sourire ont les alligators.
C’est Tristram qui publiera ce texte le 6 janvier… eux qui avaient baptisés en 1992 leur seul cd de voix d’écrivains les Alligators souriants. Tout se tient. Ne croyez pas toutefois la publicité qui voudrait que le Porte Lame soit inédit en français... il avait déjà été publié une fois, dans une traduction de la grande Sylvie Durastanti, c’était à l’intérieur d’un livre collectif, beau, essentiel (mais hélas épuisé de chez épuisé), l’Anthologie du cinéma invisible, aux éditions Jean-Michel Place, en 1995 – on vous en parlera vite de celui-là, c’est promis.
En attendant, un peu de lèpre et de violence, pour finir l’année en beauté – ou la démarrer dans le fracas.
« Billy dans le métro. Inondés, les tunnels des niveaux inférieurs sont devenus des canaux. L’essentiel du ravitaillement de New York transite ici par bateau, et par des motrices à vapeur et des draisines au niveau supérieur. Les stations sont désormais des marchés éclairés par des lucarnes en verre armé. Leur chiche lumière grise se fond dans la noirceur d’encre des tunnels et canaux obscurs. Ici, la lumière est une ressource précieuse, qu’il faut conserver et protéger. Un homme allume un instant sa torche et des ombres se rapprochent de tous cotés. Il dégaine son pistolet : « Touchez pas à ma lumière, crevures. »
Les gangs diesel vendent une électricité de contrebande produite par les groupes électrogènes du métro. La concurrence est serrée et la guerre des gangs est permanente. Lower Manhattan est souvent privée de courant. Les torches à dynamo sont très demandées et se vendent pour 200 dollars.
Billy traverse les étals de primeurs et les marchés aux fleurs. Une meute de chiens sauvages déboule d’un tunnel obscur. Le pistolet sonique de Billy les réduit à l’impuissance et ils se pissent dessus de frayeur. Les porte-lame les distancent au sprint puis arrêtent une gondole. Ils donnent une adresse.
« C’est mon vieux fourgueur d’héro. Il deale du pop, maintenant, à ce qu’on me dit. »
Lampe au carbure sur la proue de la gondole. Des alligators glissent hors des stations de métro et s’enfoncent dans l’eau ténébreuse que fendent des ailerons de requin… Droit devant, une lueur : une torche éclaire une jetée privée. Le dealer s’est creusé un bunker en abattant les cloisons d’un certain nombre de guichets et de toilettes.
Il hoche la tête tristement avec un affreux sourire italien… "Si c’était de l’héro, du Blues ou même du pop… mais le B-23… je marche pas ! Barrez-vous, ça vaudra mieux. »
William S. Burroughs, Le Porte-lame (Blade Runner, a movie, Blue Wind Press 1979) traduit par Bernard Sigaud, Tristram, 2011
Friday, 31 December 2010
Thursday, 30 December 2010
Quote
"Chacun de ceux qu'il prenait pour cible le méritait largement.
D'un autre coté, il pouvait être drôle, tendre et doux, le plus souvent quand on s'y attendait le moins. C'était un homme aux aspects très divers, souvent contradictoires, et le souvenir qu'en ont gardé les gens qui l'ont approché est naturellement fonction de celui de ces aspects qu'ils ont pu connaître. Comme quelqu'un l'exprima: comment un homme qui inspira autant d'amour et de loyauté, a-t-il pu être un tel salopard?
Voilà une question intéressante."
Nathaniel Benchley, Vie et mort de Humphrey Bogart, Lherminier, 1979
D'un autre coté, il pouvait être drôle, tendre et doux, le plus souvent quand on s'y attendait le moins. C'était un homme aux aspects très divers, souvent contradictoires, et le souvenir qu'en ont gardé les gens qui l'ont approché est naturellement fonction de celui de ces aspects qu'ils ont pu connaître. Comme quelqu'un l'exprima: comment un homme qui inspira autant d'amour et de loyauté, a-t-il pu être un tel salopard?
Voilà une question intéressante."
Nathaniel Benchley, Vie et mort de Humphrey Bogart, Lherminier, 1979
William Eggleston, Horses and Dogs, 1994
William Eggleston est un chien. Quand on lui pose des questions sur son art, en bon southerner il répond qu’il prend moins de photographies que la moyenne des humains sur cette terre. Il rôde en ville, aperçoit un truc qui lui plait, le prend. Une photo seulement. Jamais deux. La capture unique. Pas de planche contact pour Eggleston - qui va jusqu'à prétendre que la majorité de ses photos ont été exposées (mais peu de gens savent que la première personne à l’avoir exposé, à Memphis,était la mère d’Alex Chilton. Ce qui explique en partie pourquoi Eggleston a fait certaines des pochettes de Big Star et se retrouve à jouer du piano sur la cover de Nature boy sur Third/Sister lovers). Il dit pouvoir laisser passer des mois sans ressentir le besoin de faire une photo. Son caractère réputé orageux aurait épuisé des hordes d’assistants (dont un, Tav Falco, préfèrera finir par faire du rock). Lui, voudrait nous faire croire qu’il s’en fout, de ça comme du reste. Fumier.
Horses & Dogs est un livre de 1994, devenu assez rare, publié dans cette incroyable collection qu’était A Smithonian series (des livres flexibles, vendus le prix d’une bouteille de vodka, mais à l’intérieur ce sont des tirages d’une qualité insolente). Eggleston a volontairement choisi pour eux le sujet d'étude le plus nul qui soit : des chiens et des chevaux. Qui voudrait acheter un livre avec des photos de chiens ? Toute l’arrogance d’Eggleston est résumée là, car vous ouvrez le livre et ce n’est que démonstration d’une supériorité totale sur tout : l’espace, le sujet, la composition, la lumière (visiblement, ce type a des yeux qui ne sont pas équalisés de la même manière que nous autres, il possède la balance chromatique la plus aigu qui soit).
Il n’a pas besoin de se cacher derrière un paravent de cynisme comme Martin Parr. L’humanisme lui semble assez étranger. Il est une sorte d’animal du détachement. L’espace s’offre à lui, et il n’a jamais douté une seconde qu’il n’avait qu’à se servir. Tout n’est qu’une histoire de concentration.
Quand on lui demande, comme chez Michel Drucker, pourquoi les chiens, il répond juste « They seem to be everywhere ». Gary Winnogrand lui a un jour confié qu’on pouvait faire une bonne photo sur n’importe quoi. En l’occurrence, lorsqu’il prend en photo des chiens, des chevaux, ce «n’importe quoi» fait tout de même ressortir ce qu’il reste de sauvage dans un monde qui voudrait tout domestiquer. Les chevaux d’Eggleston, dans leur enclos, ont l’air ailleurs. Ils rêvent d’Apalaches. Ses chiens se répartissent en deux races : ceux qui errent, prêts à mordre. Et ceux qui font semblant d’être chez eux en ce jardin. Qui sait à quoi ils songent vraiment, à quelle dernière vengeance ?
Physiquement, William Eggleston ressemble beaucoup à William Burroughs. Même élégance cassante. Même voix nasillarde. Le même orgueil de gentlemen farmers devenus, par la force des choses, des parasites sociaux, avec ce que cela suppose de dédain assumé - celui des derniers de la race profitant d’une époque sans héroïsme. L’interviewant une fois (et c’est une drôle de paire de manches que d’interviewer Eggleston : vous parlez, vous meublez, et lui daigne de temps à autre, décrocher une phrase. Si possible assassine), il en était venu à parler de Bob Dylan, avec qui il a un temps traîné. Enfin... parler... il a seulement balancé, comme si il s'agissait d’un simple pote de défonce, «Bob is ok. » Ah? c’est tout?… Bob is ok… William Eggleston est juste un putain d’enfoiré.
William Eggleston, Horses and Dogs, Smithsonian Institution Press, Washington, 1994.
Horses & Dogs est un livre de 1994, devenu assez rare, publié dans cette incroyable collection qu’était A Smithonian series (des livres flexibles, vendus le prix d’une bouteille de vodka, mais à l’intérieur ce sont des tirages d’une qualité insolente). Eggleston a volontairement choisi pour eux le sujet d'étude le plus nul qui soit : des chiens et des chevaux. Qui voudrait acheter un livre avec des photos de chiens ? Toute l’arrogance d’Eggleston est résumée là, car vous ouvrez le livre et ce n’est que démonstration d’une supériorité totale sur tout : l’espace, le sujet, la composition, la lumière (visiblement, ce type a des yeux qui ne sont pas équalisés de la même manière que nous autres, il possède la balance chromatique la plus aigu qui soit).
Il n’a pas besoin de se cacher derrière un paravent de cynisme comme Martin Parr. L’humanisme lui semble assez étranger. Il est une sorte d’animal du détachement. L’espace s’offre à lui, et il n’a jamais douté une seconde qu’il n’avait qu’à se servir. Tout n’est qu’une histoire de concentration.
Quand on lui demande, comme chez Michel Drucker, pourquoi les chiens, il répond juste « They seem to be everywhere ». Gary Winnogrand lui a un jour confié qu’on pouvait faire une bonne photo sur n’importe quoi. En l’occurrence, lorsqu’il prend en photo des chiens, des chevaux, ce «n’importe quoi» fait tout de même ressortir ce qu’il reste de sauvage dans un monde qui voudrait tout domestiquer. Les chevaux d’Eggleston, dans leur enclos, ont l’air ailleurs. Ils rêvent d’Apalaches. Ses chiens se répartissent en deux races : ceux qui errent, prêts à mordre. Et ceux qui font semblant d’être chez eux en ce jardin. Qui sait à quoi ils songent vraiment, à quelle dernière vengeance ?
Physiquement, William Eggleston ressemble beaucoup à William Burroughs. Même élégance cassante. Même voix nasillarde. Le même orgueil de gentlemen farmers devenus, par la force des choses, des parasites sociaux, avec ce que cela suppose de dédain assumé - celui des derniers de la race profitant d’une époque sans héroïsme. L’interviewant une fois (et c’est une drôle de paire de manches que d’interviewer Eggleston : vous parlez, vous meublez, et lui daigne de temps à autre, décrocher une phrase. Si possible assassine), il en était venu à parler de Bob Dylan, avec qui il a un temps traîné. Enfin... parler... il a seulement balancé, comme si il s'agissait d’un simple pote de défonce, «Bob is ok. » Ah? c’est tout?… Bob is ok… William Eggleston est juste un putain d’enfoiré.
William Eggleston, Horses and Dogs, Smithsonian Institution Press, Washington, 1994.
Wednesday, 29 December 2010
Une liste (de 2010)
(pix : Mike Brodie)
Ce fut tout sauf facile... DinD au maximum du doute : as-t-on raison ou pas de faire une telle liste ? Bazooka et Karine étaient assez pour, Pierre éloigné par l’écriture de son propre livre, Gatitox accaparé… moi, emmerdé. Une liste DiD 2010, mais une liste comment ? Le best of de l’année écoulée, n’est-ce pas le propre même de ce que l’on a toujours essayé d’éviter ici (par haine du temps inscrit et des hiérarchies) ? Mais si le jeu est nécessaire pour faire le point à un moment donné, qui mettre ? Les grands oubliés ? Ceux que vous connaissez déjà, parce qu’on les a défendus aussitôt durant l’année (Nakahira, Dodge, Lestrade, Ellis, Agee, Bolano, Davidson, Burns), voire avant, car si on voulait crâner un peu, on rappellerait qu’en 2009 on (Gatitox, surtout) vous parlait déjà de Knockemstiff, de London Orbital, de The Rest is noise, ou de Zebulon… ? Une liste 2010 pour dire que Don DeLillo est un génie (super... mais pour ça, lisez juste les Noms, avant toute chose) ? Ou une liste piégée truffée de rééditions, juste pour s’apercevoir que, par pur anticorps, nous nous sommes tenus à (bonne) distance de la rentrée littéraire. Et donc, obligatoirement, de certains titres qui, à les voir, là cette après-midi chez Gibert ou chez Compagnie, avaient quand même, pour deux ou trois d’entre eux, un petit intérêt – à partir du moment où on laisse le soufflet médiatique retomber de lui même -, mais ceux-là on ne les mentionnera pas encore, nous qui ne les avons toujours pas achetés…
Au final - et sur le fil - une liste. Volontiers lacunaire. Une photo vide de sens.
Il n’y a pas eu vote. Pas eu de vrai classement avec décompte des points. Pas eu d’échanges d’enveloppes bourrées de narcodollars (hmm dommage). Pas eu de bourrage des urnes. Juste des noms de livres, comme sauvés de la pile. Ils vous donneront peut-être envie d’y aller à votre tour - puisque c'est ça, l'idée. La plupart méritent mieux que de finir dans ce classement : ils méritent un post entier, sinon rien. On peut toujours rêver que cette liste soit comme le trailer de textes à venir en 2011 (j’en entends rire au fond: des promesses, des promesses, toujours des promesses...). Mais en vrai, elle ne servira qu’à une chose : vous démontrer que même en lisant chaque jour, de tout, on n’a rien lu, ou si peu. Que nous ne sommes pas des surlecteurs, que nous ne valons pas mieux que vous, et qu’à ce titre, cette liste (aussi fière soit-elle) n’a aucune légitimité, si ce n'est, peut-être, d’appeler en comments vos propres listes.
En attendant, voilà la notre - dans le plus complet désordre.
Donald Ray Pollock – Knockemstiff (Buchet Chastel)
Doug Rickard – A New American Picture (Schaden White Press :le BAL) (une rupture épistémologique dans l'histoire de la photographie. peut-être le livre le plus important en ce domaine pour les dix ans à venir. 200 ex only!)
Hans Magnus Enzensberger – Hammerstein ou l’intransigeance (Gallimard)
Takuma Nakahira - For a language to come (photo) (Osiris)
Rodrigo Fresan – le Fond du ciel (Seuil) / Mantra (Passage du Nord Ouest)
Iain Sinclair – London Orbital (Inculte)
Alejandra Pizarnik - Journal (José Corti)
Hilda Doolittle – Pour l’amour de Freud (Des femmes)
Alan Pauls – Histoire des cheveux (Bourgois)
Don DeLillo – Omega Point (Acte Sud)
Ralf Marsault - Résistance à l’effacement (Presse du réel)
Laëtitia Donval – Nerves (photo) (autoédité à 170 exemplaires)
Pauline kael – Chroniques américaines/ Chroniques Européennes (Sonatine)
Jim Dodge – L’oiseau Canadèche (Cambourakis)
Roberto Bolano - Le 3ème Reich (Bourgois)
Antoine De Baecque – Jean-Luc Godard, biographie (Grasset)
Marilyn Monroe – Fragments (Seuil)
Ishiuchi Miyako – Sweet Home Yokosuka (photo) (PPP éditions)
Mireille Havet : Heroïne, cocaïne ! la nuit s’avance (Claire Paulhan)
Familiar feelings – sobre el grupo de Boston (Xunta de Galicia)
James Agee : Brooklyn existe (Bourgois)/ le Vagabond d’un nouveau monde (Capricci)
Reinhard Jirgl - Renégat (Quidam)
Susan Sontag – Renaître (Bourgois)
Alex Ross – The rest is noise (Acte Sud)
Didier Lestrade – Chroniques du Dance floor (l’éditeur singulier)
Jean Narboni – Pourquoi les coiffeurs ? (Capricci)
Charles Burns – Toxic (X’d out/Cornelius)
Dulce equis negra (n°10 ; revue de photo absolument dingue publiée en argentine)
Bruce Davidson – Inside/Outside (Steidl) (photo)
Julio Cortazar – Crépuscule d’automne, poésie (José Corti-)
Roberto Arlt : Les 7 fous (Belfond)/ Eaux fortes de Buenos Aires (Asphalte)
Leonor Fini/André Pieyre de Mandiargues – L’ombre portée, correspondance (le Promeneur)
Hédi Kaddour – Savoir-vivre (Gallimard)
Wendy Guerra – Poser nue à la Havane (Stock)
Franck Smith – Guantanamo (Seuil)
Jean Genet – La Sentence (Gallimard)
Studs Terkel – Races (histoires orales d’une obsession américaine) (Amsterdam)
Mick Brown – Phil Spector, le mur du son (Sonatine)
Michael Boehlke & Henryk Gericke -Too much future (Allia)
Bret Easton Ellis – Imperial bedrooms (Robert Laffont)
Raymond Carver – Débutants (L’Olivier)
Rudolph Wurlitzer – Zebulon (Bourgois)
Sunday, 26 December 2010
Quote
« Aller au-devant, rompre, ne rien admettre, détruire et rejeter tout ce qui, même de très loin, menace une seconde l'indépendance, voici mes lois. Ce n'est pas une politique de conciliation, c'est exactement une révolte. Je ne mangerai pas de votre pain. Je serai abracadabrante jusqu'au bout. »
Mireille Havet, Journal 1927-1928 :« Héroïne, Cocaïne! La nuit s'avance... », Editions Claire Paulhan, 2010.
Mireille Havet, Journal 1927-1928 :« Héroïne, Cocaïne! La nuit s'avance... », Editions Claire Paulhan, 2010.
Friday, 24 December 2010
A message to you, rude readers...
All of us, at DInD, we wish you a Merry Christmas.
Washington Phillips - I am born to preach the gospel
Homer Quincy Smith - I want Jesus to talk with me
-pix: Shelby Lee Adams, Leatherwood, Kentucky, 1992-
Tuesday, 14 December 2010
The Paris Review Interviews
Profitant d’une petite pause entre deux chapitres (on en reparlera peut-être, j’espère, l’année prochaine), je reviens à DinD. Par l’internet, comme souvent, cette bibliothèque dont je ne me lasse pas de l’incroyable profondeur des rayonnages infinis. Cet automne, c’est une nouvelle section de la galerie des périodiques qui s’est ouverte.
J’ai déjà dit mon amour des vieux journaux, et de leurs archives (je suis le genre de type qui, après avoir vu Les portes du paradis, va rechercher dans les archives du New-York Times l’article évoquant la « Guerre du Wyoming » qui inspira la fresque de Cimino). J’aurais pu par exemple détailler mes dérives parmi les articles millésimés de Time Magazine, qui sont tous en ligne, et gratuitement, depuis quelques années (de 1923 à 2010 : on trouvera par exemple ici celui sur le massacre de la Saint-Valentin, l’un des plus hauts (mé)faits d’Al Capone), ou la photothèque de Life Magazine, dont les couvertures en noir et blanc me faisaient rêver ado aux forties ligne claire à la Floc’h (mais dont le site est aujourd’hui absolument hideux, et impose de filtrer systématiquement ses recherches pour ne pas se retrouver avec des kilomètres d’inintéressants clichés de tapis rouges des années 2000).
C’est de l’ouverture d’un incroyable trésor dont je veux parler : la mise en ligne de toutes les interviews de la Paris Review, cette revue fondée entre autres par Georges Plimpton lorsqu’il dérivait expatrié à Paris avec Alexander Trocchi au début des années 1950. La plupart des grandes plumes de la littérature occidentale s’y sont livrées, dans un format théâtral assez inhabituel, et c’est un plaisir sans cesse renouvelé de sauter d’un Burroughs de 1965, plus Harvard du junk que jamais, à Hemingway décrit par Plimpton au milieu d’un capharnaüm où les écrits de Napoléon sur la campagne de Russie voisinent avec des jouets mécaniques, une petite tortue en métal « et un petit modèle réduit d’un biplan de l’US Navy (avec une roue qui manque) », en passant par un Houellebecq et un Crumb tous récents, et Borges, et Cocteau, et Ginsberg, et Mailer, et Huxley, et Nabokov (et je n’ai même pas fouillé les décennies 1970, 1980 et 1990…). Il y a là de quoi passer des heures devant son écran, ou épuiser toute l’encre de son imprimante, pour ceux qui ne conçoivent la lecture que sur papier.
Sunday, 28 November 2010
Quote
«Là où j’ai grandi, pendant la prohibition, il y avait, dans la même rue, vingt et un saloons et bars clandestins. J’ai appris à conduire à treize ans, pour pouvoir ramener mon père sain et sauf après ses tournées nocturnes dans les bars et chez les bootleggers. Parfois, je l’attendais dans la voiture en me masturbant. A quatorze ans, j’ai appris qu’il avait une maîtresse. A quinze ans, j’ai fait du gringue à cette fille, sans succès. J’avais seize ans lorsqu’une nuit mon père a disparu. Je suis parti à la recherche de sa maîtresse, que j’ai trouvée dans un speakeasy en face d’une brasserie que mon père avait construite. Elle m’a conduit dans une chambre d’hôtel. Il était étendu là dans sa sueur et son vomi. Je l’ai ramené à la maison et l’ai soigné toute la nuit.
Doc Rhodes est venu le matin. C’était un drogué. Avant de partir à l’école, je l’ai vu chauffer quelque chose dans une cuiller et l’aspirer dans une seringue. Pendant le cours de latin, je passais de l’assoupissement à la surexcitation. J’ai demandé qu’on m’excuse. Je suis allé à la salle de billard S&H, où je me suis exercé au billard à trois bandes. Le téléphone a sonné. Ma mère m’avait retrouvé. Mon père était mourant.
Quand je suis rentré chez moi, il était mort. Je n’avais jamais mis les pieds dans une église catholique, mais j’ai fait une génuflexion à ses cotés, je l’ai embrassé, et j’ai passé la nuit dans un bain turc. »
Nicholas Ray, Journal datant du début des années 70 in Action (sur la direction d'acteur), Yellow Now, 1992
Doc Rhodes est venu le matin. C’était un drogué. Avant de partir à l’école, je l’ai vu chauffer quelque chose dans une cuiller et l’aspirer dans une seringue. Pendant le cours de latin, je passais de l’assoupissement à la surexcitation. J’ai demandé qu’on m’excuse. Je suis allé à la salle de billard S&H, où je me suis exercé au billard à trois bandes. Le téléphone a sonné. Ma mère m’avait retrouvé. Mon père était mourant.
Quand je suis rentré chez moi, il était mort. Je n’avais jamais mis les pieds dans une église catholique, mais j’ai fait une génuflexion à ses cotés, je l’ai embrassé, et j’ai passé la nuit dans un bain turc. »
Nicholas Ray, Journal datant du début des années 70 in Action (sur la direction d'acteur), Yellow Now, 1992
Tuesday, 23 November 2010
Jim Dodge, L'oiseau Canadèche, 1984
Nouvelle traduction française (après celle, perdue de vue, du Point Virgule en 85) de Fup, un court roman de 100 pages de Jim Dodge daté de 1984 – son tout premier à vrai dire. 100 pages stylistiquement trempées dans le Vieux Râle, un whisky indien qui aurait le pouvoir de rendre immortel, et traversées de visions célestes façon Steinbeck on acid. 100 pages sur un trio far west plus que tardif, voire oublié (on est quand même à l’orée des années soixante-dix, mais personne ne semble s’en être rendu compte dans ce patelin) composé d’un orphelin de 22 ans obsédé par les clôtures, de son grand père centenaire joueur et imbibé et d'une cane si obèse qu’il faut lui marchander une place quand on l’emmène voir un film au drive-in. Ça pourrait être niais, naturaliste emmerdant, c’est mortel – à vrai dire la parfaite rampe de lancement psychédélique pour qui voudrait se jeter dans Stone Junction (livre culte par ici, un putain de roman de secte, Karine) ou le post-Beat Not fade away (toujours pas traduit en France - gatitox, ça te tente pas?). Dommage qu'Howard Hawks (décédé en 1977) n’ait pas eu la santé de fer d’un Manoel de Oliviera (102 ans le mois prochain, toujours vert) pour filmer ces derniers innocents à la taille voulue : à hauteur d’homme, à hauteur d’homme.
« Titou – c’est le nom que Jonathan Adler Makhurst II porta par la suite – n’avait pas gardé beaucoup de souvenirs de la mort de sa mère, mais ceux qu’il avait conservés étaient terriblement vivaces. Son réveil sur le siège avant de la voiture, tout seul, les perles de pluie sur le pare-brise… Il avait appelé sa maman. Il avait eu bien du mal à ouvrir la portière. Il avait appelé « Maman ! maman ! maman ! » en s’avançant sur la jetée… Il pleurait en l’appelant. Il lui restait l’image des croûtons de pain détrempés, des trous dans la rambarde de bois pourri – sa mère qui flottait, la face contre l’eau, comme si elle cherchait, au fond du lac, quelque chose qu’elle aurait laissé tomber… Un gros oiseau nageait tout autour de son corps. Il y avait eu ce bruit d’explosion, d’eau et d’ailes, soudain, quand il s’était mis à hurler. »
Jim Dodge, Fup (L’oiseau Canadèche), traduit par Jean-Pierre Carasso, Cambourakis 2010.
Tuesday, 16 November 2010
eat the document: Jean Genet, Interview BBC2, 1985
On peut le regretter : la récente édition en poche Folio de l’Ennemi déclaré, le recueil d’entretiens et d’interventions de Jean Genet est une version raccourcie par rapport à celle que Gallimard avait fait paraître en Blanche en 1991. Pourquoi ? On ne sait pas. Certes, on y trouve l’indispensable entretien Genet/Fichte publié dans le Stern en 1975, mais plus de trace en revanche de la dernière interview donnée par Genet, pour un film de la BBC2 tourné à l’été 1985. Entretien sec et brutal, fait en français mais que nous republions en anglais et sans vergogne: déjà un début pour combler le manque. Bon, l’idéal serait de l’entendre, mais le document filmé semble introuvable (si l'un de vous a un lien...). Il doit pourtant exister: car il y a trois ans, au Pornfilm festival de Berlin, V.O. un film expérimental de William E. Jones en faisait sa base sonore pendant que défilaient des scènes de préliminaires de pornos gays seventies (feat. Pete Berlin, la Garbo queer, ou encore des folles néo Bronson errant comme des punks dans le métro new yorkais!) : V.O. est un chef d’œuvre de found footage comme on en voit cinq par décade, mais qui le sait, qui a vu ça ?Il serait urgent de projeter V.O. un de ces jours à Paris, ou ailleurs. Mais en attendant, hé hé, vous pouvez déjà le voir ici sur Viméo. Enjoy the words and the movie, one in another.
"Jean Genet: I believe that my criminal record contains fourteen convictions for theft. Which amounts to saying that I was a bad thief, since I was always getting caught.I was in prison, I was locked up. I said yesterday that in one trial I could have been given life imprisonment. I would never have gotten out of prison. So I was convinced that no one would read my book. I could say what I wanted, since there would be no readers. But it turns out that there were readers.
Nigel Williams: Monsieur Genet, you were born in 1910. Is that right?
Jean Genet: Yes.
NW: In Paris?
JG: Yes.
NW: But you didn’t know your parents, I believe?
JG: At the time? No. Not now either.
NW: Were you not raised in a family?
JG: Yes, I was, but not in my own.
NW: Was it difficult to live in a family that wasn’t your own?
JG: You’re asking me to speak of my childhood feelings. To speak of this in an adequate way, I would have to do a sort of archeology of my life, which is absolutely impossible. I can only tell you that the memory I have of it is the memory of a difficult period, indeed. But by escaping from the family I escaped from feelings I might have had for the family and from the feeling the family might have had for me. I am therefore completely – and I was from very early on – completely detached from all family feeling. That’s one of the virtues of the French Public Welfare system, which raises children quite well precisely by preventing them from becoming attached to a family. In my opinion, the family is probably the first criminal cell, and the most criminal of all.
If you like, now at my age, I do see the child I was. But I see him among other children who were kids like me, and all their struggles, all their humiliations, and all their courage seem rather derisory to me, rather distant…
JG: I had indeed stolen before, but I wasn’t sent to Mettray for theft. I was sent to Mettray because I took the train without a ticket. I took the train from Meaux to Paris without a ticket. And I was sentenced to three months of prison and to the Mettray colony until the age of twenty.
NW: Do you think that if you had paid for that train ticket, your life would have been completely changed?
JG: Listen… Do you believe in God?
NW: Sometimes.
JG: Well, ask him. Ask him if my life would have been completely changed. Me, I don’t know.
JG: I think that at Mettray the relations between the older brother (who was in a position of authority) and the colonists, the other young people like me (who were bound by relations of submission), I think this was a spectacle the guards enjoyed quite a lot. You could say that the guard were the first spectators, and we, we were the actors. And they delighted in the pleasure of seeing.
NW: Was the discipline at Mettray very harsh?
JG: Oh! The discipline was very, very strict. I assume it was a military discipline. Does Mettray interest you?
NW: Very much.
JG: You see, Mettray was created in 1840, under Louis-Philippe. It was at the beginning of France’s colonial voyages throughout the world. The French empire, which you have certainly heard about – France still had a navy of sailing ships, and Mettray was used to provide sailors. In the courtyard of the Mettray colony, there was a huge sailing boat, and we learned how to handle boats on land. But in any case the discipline wasn’t even a military discipline, it was the discipline of sailors. For example, we slept in hammocks; all the boys my age, all those who were being punished, slept in hammocks. The language we used among ourselves was a language that came from sailors. It was sailors’ slang.
NW: In your books you spoke of the love in the colony. For you, did love begin with a boy?
JG: Did you say “love (l’amour)”? I thought you said “death (la mort)”!
NW: Love, I want to talk about love, not death!
JG: Right, okay. What was the question?
NW: For you, love didn’t start with the family, but with a boy, I believe…
JG: No! Not with a boy, but with two hundred! What are you talking about?
NW: With two hundred?
JG: Well, one at a time…
NW: But didn’t you have a favourite, a special one?
JG: Oh! Favourites, special ones, you know, there were so many!
NW: Did you engage in a politics of homosexuality?
JG: But is there a homosexual politics? How could you think that while I was still a child – let’s say that I felt my first sexual attractions around the age of thirteen or fourteen – how could you think that at such an age I could have decided to make homosexuality a political issue?
NW: Yes, of course, I understand. But now, in our era, it’s a political question. Because you were one of the first to talk about it in…
JG: What are you talking about! What are you talking about! Listen, you had Oscar Wilde… If we think of England alone, you had Oscar Wilde, Shakespeare, Byron, and so many others… What are you talking about!
NW: Were you proud of that?
JG: Of Byron and Oscar Wilde? I was never proud of Byron!
JG: The French refused me since they put me in prison, and at the same time I wanted nothing other than this: to be chased out of France, to escape from the oppressive French atmosphere and to know a different world. There weren’t many passports, but when you finished military service they gave you a booklet that had more or less the same format as a passport. I added a photograph to it and when I presented it to the customs officers, as soon as it had two or three stamps on it, the booklet was valid!
NW: Did you start stealing because you were hungry?
JG: You could say that two things were involved together (since you like this word, “involved”): on the one hand there was hunger, real hunger, meaning a stomach demanding food, and then on the other hand there was the game. It’s amusing to steal, much more amusing than answering questions for the BBC!
NW: But it wasn’t funny when you caught by the cops, was it?
JG: When I was caught by the cops, obviously that was… a fall into the abyss. It was the end of the world. When a policeman’s hand… You see, like that… (He moves forward and places his hand on Nigel Williams’s shoulder.) That, I knew what that meant.
NW: Oh! It still frightens me. When I was a kid I stole, but… I’m still afraid of the police.
JG: Yes, but the hand that comes from behind, that comes down on your shoulder.
NW: Not very pleasant, is it!
JG: No. But you have to pay for the pleasure you take in stealing.
NW: Yes.
JG: You have to pay for everything.
NW: During the period of the Occupation, were you happy with the presence of the Germans in France?
JG: Thrilled! I was thrilled! I hated France so much – and still do – so much that I was utterly thrilled that the French army had been beaten. It was beaten by the Germans, it was beaten by Hitler. I was very happy.
NW: Is it still like that? Are you not at all proud of being French or of writing in French?
JG: God, no! Oh, no!
JG: I was telling you that I started writing my first book on pieces of paper that were supposed to be used for making paper bags. And I wrote about the first fifty pages or so of Our Lady of the Flowers on this paper. Then I was summoned to the law courts for a hearing on my case – I forget which theft it was for – and I left the papers on the table. The shop foreman had keys, he could enter the cells at any moment, and while I was in court he went into my cell and saw the papers covered with writing. He took them and handed them over to the director of La Santé Prison – since you’re confusing the two words love and death, I’ll tell you that the director of La Santé was called Monsieur Amor. The papers were given to him, and the next evening when I came back to my cell, they were gone. So the beginning of my novel had disappeared. I was called to the director’s office the next day and he gave me three days of confinement in my cell and three or six days of dry bread. And they just dumped my papers. Well, what did I do? When I left the cell after three days were up, I went to the supply room and ordered a notebook, which was within my rights. I hid under the covers and tried to remember the sentences I had written, and I started over on what I had done.
NW: Let’s imagine that we met the writer Jean Genet himself. Would it be the real Jean Genet that we’d meet?
JG: Is there a fake one running around? Is there a fake Genet somewhere out there in the world? Am I the real one? You’re asking me if I’m the real one. Well, where is the fake one?
NW: Okay, I understand.
JG: Perhaps after all I am an imposter who never wrote any books. Perhaps I am a fake Jean Genet, as you say.
NW: Have you always felt like someone who is separated, set apart?
JG: Listen, you’re there, I’m here, and at this moment I feel separated too. I have always felt separated, whether in the Morvan or in your house.
NW: But have there ever been any moments when you didn’t feel separated?
JG: No.
NW: Never in your whole life?
JG: No.
NW: Even, I don’t know, when you were with someone, even in love? You believe that man is always alone?
JG: Man, I don’t know, I don’t want to generalize. But me, yes.
NW: And has that caused you anxiety?
JG: Not at all. What would cause me anxiety would be if there were no distance between you and me.
NW: And how can one get closer to another human being?
JG: I prefer not to get closer.
NW: You prefer always to keep at a distance.
JG: Oh, yes.
NW: But why?
JG: What about you, do you prefer to keep at a distance?
NW: Not always, no.
JG: And why is that?
NW: Because I like the experience of being with someone, of being involved with someone.
JG: Well, I don’t!
NW: It’s a little bit like the game you play in your plays?
JG: The last play I wrote was written thirty years ago. You’re speaking to me of something I’ve completely wiped from my memory: the theater.
JG: I practically never went to the theatre. I had seen a few plays, but not many. Not many, and they were plays by Alexandre Dumas… But it wasn’t really very difficult, because – as I explained to you yesterday, I think – my behaviour in society is oblique. It’s not direct. It’s also not parallel, since it intersects an crosses through society, it crosses through the world, it sees the world. It’s oblique. I saw the world from an angle, and I still see it from an angle, though perhaps more directly now than twenty-five or thirty years ago. The theatre, in any case the theatre that I prefer, is precisely the kind that grasps the world from an angle.
You could say what interests me is to do work that is as good as possible. (The cameraman is asking me to position myself in a certain way.) Of course in this sense I became interested in the work, but I didn’t look at it and ask: was this a new kind of work, this theatre? I don’t know, and it’s not my place to say, but in any case, it amused me. It’s a theatre that, if it wasn’t new, was certainly awkward. And being awkward, perhaps it had something new about it. Because it was awkward.
JG: I was in the theatre that was occupied by the students in May ’68. It wasn’t just any theatre, but the one where The Screens had been staged. If they had been real revolutionaries, they wouldn’t have occupied a theatre, especially not the National Theatre. They would have occupied the law courts, the prisons, the radio. They would have acted as revolutionaries do, the way Lenin did. They didn’t do that. So what happened? That theatre is like this, right? It’s more or less round, a theatre in the Italian style. On the stage there were young people holding placards and giving speeches. These speeches came from the stage into the hall and then came back to the stage – there was a circular movement of revolutionary speeches that went for the stage to the hall, the hall to the stage, the stage to the hall, the hall to the stage… it went on and on and never went outside the theatre, you see? Exactly, or more or less, the way the revolutionaries in The Balcony never leave the brothel.
NW: Did it make you laugh to see that?
JG: It neither made me laugh nor… I’m just saying that’s how it was.
NW: But you weren’t really for the revolutionaries?
JG: You mean the pseudo-revolutionaries.
NW: Or for the real revolutionaries, like Lenin?
JG: I’d rather be on Lenin’s side, yes.
JG: I had a dream last night. I dreamed that the technicians for this film revolted. Assisting with the arrangement of the shots, the preparation of a film, they never have the right to speak. Now why is that? And I thought they would be daring enough – since we were talking yesterday about being daring – to chase me from my seat, to take my place. And yet they don’t move. Can you tell me how they explain that?
NW: Yes. Uh… How they…?
JG: How they explain that. Why they don’t come and chase me away, and chase you away too, and then say, “What you’re saying is so stupid that I really don’t feel like going on with this work!” Ask them.
NW: Okay, sure. (He speaks to the technicians and translates Genet’s question into English.)
JG: The sound man too.
NW: (Nigel Williams asks the sound man, Duncan Fairs, who answers that he doesn’t have much to say at the moment, that the people who work every day lose their sense of objective judgment about what they’re doing and remain prisoners of their personal world. He adds that the technicians always have something to say after the filming, but that if they spoke in front of the camera it would cost a lot of money and would be very expensive for the film production company.) Is that what interested you about your dream: disrupting the order of things? In a certain way you wanted to disrupt the order that exists in this little room?
JG: Disrupt the order of things?
NW: Yes.
JG: Of course, of course. It seems so stiff to me! I’m all alone here, and here in front of me there are one, two, three, four, five, six people. Obviously I want to disrupt the order, and that’s why yesterday I asked you to come over here. Of course.
NW: Yes, it’s like a police interrogation?
JG: There’s that, of course. I told you – is the camera rolling? Good. I told you yesterday that you were doing the work of a cop, and you continue to do it, today too, this morning. I told you that yesterday and you’ve already forgotten it, because you continue to interrogate me just like the thief I as thirty years ago was interrogated by the police, by a whole police squad. And I’m on the hot seat, alone, interrogated by a bunch of people. There is a norm on one side, a norm where you are, all of you: two, three, four, five, six, seven, and also the editors of the film and the BBC, and then there’s an outer margin where I am, where I am marginalized. And if I’m afraid of entering the norm? Of course I’m afraid of entering the norm, and if I’m raising my voice right now, it’s because I’m in the process of entering the norm, I’m entering English homes, and obviously I don’t like it very much. But I’m not angry at you who are the norm, I’m angry at myself because I agreed to come here. And I really don’t like it very much at all.
NW: But your books are taught in the schools, right here in England.
JG: Oh! What are you talking about?
NW: It’s true. I myself studied Genet at the university.
JG: Hmmm.
NW: Do you like that?
JG: There’s both a feeling of vanity.. and at the same time it’s very unpleasant. Of course, there is this double… this double imperative almost. Is the camera rolling?
NW: Yes, it’s rolling.
JG: Good. Ask me questions then, since the system says that I’m the one who’s supposed to interrogated.
NW: You’re not living in France now, right?
JG: No. In Morocco.
NW: You have a house in Morocco.
JG: No.
NW: You’re “hanging out” there with friends, if I can use that term?
JG: No, I live in a hotel.
NW: Why Morocco?
JG: Can I ask you a question? Why not Morocco? And why this question? Because you want to transform me again, you too, into a myth, because you belong to your – what’s it called – BBC, huh?
NW: Or else perhaps because there is another reason, because you have an affinity with the country, the people, because you like the landscape…
JG: Oh! You know, I like all the landscapes. Even the most destitute, even England…
NW: You can live anywhere?
JG: Yes, yes, yes. Absolutely. Of course.
NW: It really doesn’t matter.
JG: No…
NW: And what do you do with your days there?
JG: Ah! Yes… You want to bring up the problem of time? Well, when it comes to time, I’ll answer the way Saint Augustine did: “I’m waiting for death."
Jean Genet interview with Nigel Williams, filmed in London in the summer of 1985 for BBC2.
"Jean Genet: I believe that my criminal record contains fourteen convictions for theft. Which amounts to saying that I was a bad thief, since I was always getting caught.I was in prison, I was locked up. I said yesterday that in one trial I could have been given life imprisonment. I would never have gotten out of prison. So I was convinced that no one would read my book. I could say what I wanted, since there would be no readers. But it turns out that there were readers.
Nigel Williams: Monsieur Genet, you were born in 1910. Is that right?
Jean Genet: Yes.
NW: In Paris?
JG: Yes.
NW: But you didn’t know your parents, I believe?
JG: At the time? No. Not now either.
NW: Were you not raised in a family?
JG: Yes, I was, but not in my own.
NW: Was it difficult to live in a family that wasn’t your own?
JG: You’re asking me to speak of my childhood feelings. To speak of this in an adequate way, I would have to do a sort of archeology of my life, which is absolutely impossible. I can only tell you that the memory I have of it is the memory of a difficult period, indeed. But by escaping from the family I escaped from feelings I might have had for the family and from the feeling the family might have had for me. I am therefore completely – and I was from very early on – completely detached from all family feeling. That’s one of the virtues of the French Public Welfare system, which raises children quite well precisely by preventing them from becoming attached to a family. In my opinion, the family is probably the first criminal cell, and the most criminal of all.
If you like, now at my age, I do see the child I was. But I see him among other children who were kids like me, and all their struggles, all their humiliations, and all their courage seem rather derisory to me, rather distant…
JG: I had indeed stolen before, but I wasn’t sent to Mettray for theft. I was sent to Mettray because I took the train without a ticket. I took the train from Meaux to Paris without a ticket. And I was sentenced to three months of prison and to the Mettray colony until the age of twenty.
NW: Do you think that if you had paid for that train ticket, your life would have been completely changed?
JG: Listen… Do you believe in God?
NW: Sometimes.
JG: Well, ask him. Ask him if my life would have been completely changed. Me, I don’t know.
JG: I think that at Mettray the relations between the older brother (who was in a position of authority) and the colonists, the other young people like me (who were bound by relations of submission), I think this was a spectacle the guards enjoyed quite a lot. You could say that the guard were the first spectators, and we, we were the actors. And they delighted in the pleasure of seeing.
NW: Was the discipline at Mettray very harsh?
JG: Oh! The discipline was very, very strict. I assume it was a military discipline. Does Mettray interest you?
NW: Very much.
JG: You see, Mettray was created in 1840, under Louis-Philippe. It was at the beginning of France’s colonial voyages throughout the world. The French empire, which you have certainly heard about – France still had a navy of sailing ships, and Mettray was used to provide sailors. In the courtyard of the Mettray colony, there was a huge sailing boat, and we learned how to handle boats on land. But in any case the discipline wasn’t even a military discipline, it was the discipline of sailors. For example, we slept in hammocks; all the boys my age, all those who were being punished, slept in hammocks. The language we used among ourselves was a language that came from sailors. It was sailors’ slang.
NW: In your books you spoke of the love in the colony. For you, did love begin with a boy?
JG: Did you say “love (l’amour)”? I thought you said “death (la mort)”!
NW: Love, I want to talk about love, not death!
JG: Right, okay. What was the question?
NW: For you, love didn’t start with the family, but with a boy, I believe…
JG: No! Not with a boy, but with two hundred! What are you talking about?
NW: With two hundred?
JG: Well, one at a time…
NW: But didn’t you have a favourite, a special one?
JG: Oh! Favourites, special ones, you know, there were so many!
NW: Did you engage in a politics of homosexuality?
JG: But is there a homosexual politics? How could you think that while I was still a child – let’s say that I felt my first sexual attractions around the age of thirteen or fourteen – how could you think that at such an age I could have decided to make homosexuality a political issue?
NW: Yes, of course, I understand. But now, in our era, it’s a political question. Because you were one of the first to talk about it in…
JG: What are you talking about! What are you talking about! Listen, you had Oscar Wilde… If we think of England alone, you had Oscar Wilde, Shakespeare, Byron, and so many others… What are you talking about!
NW: Were you proud of that?
JG: Of Byron and Oscar Wilde? I was never proud of Byron!
JG: The French refused me since they put me in prison, and at the same time I wanted nothing other than this: to be chased out of France, to escape from the oppressive French atmosphere and to know a different world. There weren’t many passports, but when you finished military service they gave you a booklet that had more or less the same format as a passport. I added a photograph to it and when I presented it to the customs officers, as soon as it had two or three stamps on it, the booklet was valid!
NW: Did you start stealing because you were hungry?
JG: You could say that two things were involved together (since you like this word, “involved”): on the one hand there was hunger, real hunger, meaning a stomach demanding food, and then on the other hand there was the game. It’s amusing to steal, much more amusing than answering questions for the BBC!
NW: But it wasn’t funny when you caught by the cops, was it?
JG: When I was caught by the cops, obviously that was… a fall into the abyss. It was the end of the world. When a policeman’s hand… You see, like that… (He moves forward and places his hand on Nigel Williams’s shoulder.) That, I knew what that meant.
NW: Oh! It still frightens me. When I was a kid I stole, but… I’m still afraid of the police.
JG: Yes, but the hand that comes from behind, that comes down on your shoulder.
NW: Not very pleasant, is it!
JG: No. But you have to pay for the pleasure you take in stealing.
NW: Yes.
JG: You have to pay for everything.
NW: During the period of the Occupation, were you happy with the presence of the Germans in France?
JG: Thrilled! I was thrilled! I hated France so much – and still do – so much that I was utterly thrilled that the French army had been beaten. It was beaten by the Germans, it was beaten by Hitler. I was very happy.
NW: Is it still like that? Are you not at all proud of being French or of writing in French?
JG: God, no! Oh, no!
JG: I was telling you that I started writing my first book on pieces of paper that were supposed to be used for making paper bags. And I wrote about the first fifty pages or so of Our Lady of the Flowers on this paper. Then I was summoned to the law courts for a hearing on my case – I forget which theft it was for – and I left the papers on the table. The shop foreman had keys, he could enter the cells at any moment, and while I was in court he went into my cell and saw the papers covered with writing. He took them and handed them over to the director of La Santé Prison – since you’re confusing the two words love and death, I’ll tell you that the director of La Santé was called Monsieur Amor. The papers were given to him, and the next evening when I came back to my cell, they were gone. So the beginning of my novel had disappeared. I was called to the director’s office the next day and he gave me three days of confinement in my cell and three or six days of dry bread. And they just dumped my papers. Well, what did I do? When I left the cell after three days were up, I went to the supply room and ordered a notebook, which was within my rights. I hid under the covers and tried to remember the sentences I had written, and I started over on what I had done.
NW: Let’s imagine that we met the writer Jean Genet himself. Would it be the real Jean Genet that we’d meet?
JG: Is there a fake one running around? Is there a fake Genet somewhere out there in the world? Am I the real one? You’re asking me if I’m the real one. Well, where is the fake one?
NW: Okay, I understand.
JG: Perhaps after all I am an imposter who never wrote any books. Perhaps I am a fake Jean Genet, as you say.
NW: Have you always felt like someone who is separated, set apart?
JG: Listen, you’re there, I’m here, and at this moment I feel separated too. I have always felt separated, whether in the Morvan or in your house.
NW: But have there ever been any moments when you didn’t feel separated?
JG: No.
NW: Never in your whole life?
JG: No.
NW: Even, I don’t know, when you were with someone, even in love? You believe that man is always alone?
JG: Man, I don’t know, I don’t want to generalize. But me, yes.
NW: And has that caused you anxiety?
JG: Not at all. What would cause me anxiety would be if there were no distance between you and me.
NW: And how can one get closer to another human being?
JG: I prefer not to get closer.
NW: You prefer always to keep at a distance.
JG: Oh, yes.
NW: But why?
JG: What about you, do you prefer to keep at a distance?
NW: Not always, no.
JG: And why is that?
NW: Because I like the experience of being with someone, of being involved with someone.
JG: Well, I don’t!
NW: It’s a little bit like the game you play in your plays?
JG: The last play I wrote was written thirty years ago. You’re speaking to me of something I’ve completely wiped from my memory: the theater.
JG: I practically never went to the theatre. I had seen a few plays, but not many. Not many, and they were plays by Alexandre Dumas… But it wasn’t really very difficult, because – as I explained to you yesterday, I think – my behaviour in society is oblique. It’s not direct. It’s also not parallel, since it intersects an crosses through society, it crosses through the world, it sees the world. It’s oblique. I saw the world from an angle, and I still see it from an angle, though perhaps more directly now than twenty-five or thirty years ago. The theatre, in any case the theatre that I prefer, is precisely the kind that grasps the world from an angle.
You could say what interests me is to do work that is as good as possible. (The cameraman is asking me to position myself in a certain way.) Of course in this sense I became interested in the work, but I didn’t look at it and ask: was this a new kind of work, this theatre? I don’t know, and it’s not my place to say, but in any case, it amused me. It’s a theatre that, if it wasn’t new, was certainly awkward. And being awkward, perhaps it had something new about it. Because it was awkward.
JG: I was in the theatre that was occupied by the students in May ’68. It wasn’t just any theatre, but the one where The Screens had been staged. If they had been real revolutionaries, they wouldn’t have occupied a theatre, especially not the National Theatre. They would have occupied the law courts, the prisons, the radio. They would have acted as revolutionaries do, the way Lenin did. They didn’t do that. So what happened? That theatre is like this, right? It’s more or less round, a theatre in the Italian style. On the stage there were young people holding placards and giving speeches. These speeches came from the stage into the hall and then came back to the stage – there was a circular movement of revolutionary speeches that went for the stage to the hall, the hall to the stage, the stage to the hall, the hall to the stage… it went on and on and never went outside the theatre, you see? Exactly, or more or less, the way the revolutionaries in The Balcony never leave the brothel.
NW: Did it make you laugh to see that?
JG: It neither made me laugh nor… I’m just saying that’s how it was.
NW: But you weren’t really for the revolutionaries?
JG: You mean the pseudo-revolutionaries.
NW: Or for the real revolutionaries, like Lenin?
JG: I’d rather be on Lenin’s side, yes.
JG: I had a dream last night. I dreamed that the technicians for this film revolted. Assisting with the arrangement of the shots, the preparation of a film, they never have the right to speak. Now why is that? And I thought they would be daring enough – since we were talking yesterday about being daring – to chase me from my seat, to take my place. And yet they don’t move. Can you tell me how they explain that?
NW: Yes. Uh… How they…?
JG: How they explain that. Why they don’t come and chase me away, and chase you away too, and then say, “What you’re saying is so stupid that I really don’t feel like going on with this work!” Ask them.
NW: Okay, sure. (He speaks to the technicians and translates Genet’s question into English.)
JG: The sound man too.
NW: (Nigel Williams asks the sound man, Duncan Fairs, who answers that he doesn’t have much to say at the moment, that the people who work every day lose their sense of objective judgment about what they’re doing and remain prisoners of their personal world. He adds that the technicians always have something to say after the filming, but that if they spoke in front of the camera it would cost a lot of money and would be very expensive for the film production company.) Is that what interested you about your dream: disrupting the order of things? In a certain way you wanted to disrupt the order that exists in this little room?
JG: Disrupt the order of things?
NW: Yes.
JG: Of course, of course. It seems so stiff to me! I’m all alone here, and here in front of me there are one, two, three, four, five, six people. Obviously I want to disrupt the order, and that’s why yesterday I asked you to come over here. Of course.
NW: Yes, it’s like a police interrogation?
JG: There’s that, of course. I told you – is the camera rolling? Good. I told you yesterday that you were doing the work of a cop, and you continue to do it, today too, this morning. I told you that yesterday and you’ve already forgotten it, because you continue to interrogate me just like the thief I as thirty years ago was interrogated by the police, by a whole police squad. And I’m on the hot seat, alone, interrogated by a bunch of people. There is a norm on one side, a norm where you are, all of you: two, three, four, five, six, seven, and also the editors of the film and the BBC, and then there’s an outer margin where I am, where I am marginalized. And if I’m afraid of entering the norm? Of course I’m afraid of entering the norm, and if I’m raising my voice right now, it’s because I’m in the process of entering the norm, I’m entering English homes, and obviously I don’t like it very much. But I’m not angry at you who are the norm, I’m angry at myself because I agreed to come here. And I really don’t like it very much at all.
NW: But your books are taught in the schools, right here in England.
JG: Oh! What are you talking about?
NW: It’s true. I myself studied Genet at the university.
JG: Hmmm.
NW: Do you like that?
JG: There’s both a feeling of vanity.. and at the same time it’s very unpleasant. Of course, there is this double… this double imperative almost. Is the camera rolling?
NW: Yes, it’s rolling.
JG: Good. Ask me questions then, since the system says that I’m the one who’s supposed to interrogated.
NW: You’re not living in France now, right?
JG: No. In Morocco.
NW: You have a house in Morocco.
JG: No.
NW: You’re “hanging out” there with friends, if I can use that term?
JG: No, I live in a hotel.
NW: Why Morocco?
JG: Can I ask you a question? Why not Morocco? And why this question? Because you want to transform me again, you too, into a myth, because you belong to your – what’s it called – BBC, huh?
NW: Or else perhaps because there is another reason, because you have an affinity with the country, the people, because you like the landscape…
JG: Oh! You know, I like all the landscapes. Even the most destitute, even England…
NW: You can live anywhere?
JG: Yes, yes, yes. Absolutely. Of course.
NW: It really doesn’t matter.
JG: No…
NW: And what do you do with your days there?
JG: Ah! Yes… You want to bring up the problem of time? Well, when it comes to time, I’ll answer the way Saint Augustine did: “I’m waiting for death."
Jean Genet interview with Nigel Williams, filmed in London in the summer of 1985 for BBC2.
Monday, 1 November 2010
Jacques Monory, Diamondback, 1979
Artiste-dandy, auteur d'une peinture fondamentale, voire cathartique, Jacques Monory est l'une des figures tutélaires de la Figuration narrative. Il a couvert le siècle en journaliste glacé et distant faisant rentrer dans sa peinture l'information, la photographie, l'imagerie et le cinéma. Surtout le cinéma. Qu'il a pratiqué en amateur, de la même façon qu'il a écrit une poignée de romans noirs postmodernes : Diamondback (1979), Eldorado (1991), Angèle(2005)...
Sa peinture trouve son prolongement dans ses livres faits de ruptures, de maximes rapides dont la trame est largement autobiographique... L'intrigue tient du polar, du roman noir : « J'aime les romans noirs, bien glacés. Transporter ma vie dans un pareil tourisme sanglant m'en débarrasse à mesure, et mon plaisir prend des formes inattendues. »
Diamondback dépeint dans des tonalités sombres et distantes l'histoire d'un tueur à gages – Monory? Son double allégorique? - au bord de la fêlure évoluant dans une permanente pénombre.
Roman noir théorique, au rythme saccadé semblable à celui de certains films hollywoodiens des années 1950 – White Heat de Raoul Walsh, et surtout Gun Crazy de Joseph H. Lewis (film fétiche auquel Monory n'aura de cesse de faire référence à travers une oeuvre fantasmée), tout l'univers monorien y est campé : sa fascination pour les revolvers, le tir comme oeuvre d'art ultime (il pratique en amateur régulier dans un club à Versailles), les coups de balles, les meurtres, les vies brisées, l'amour fou, la vitesse, une atmosphère électrique, décalée et envoûtante... en proie au vertige... Une vie menée à bout de souffle : Vite! C'était le cri d'armes des surréalistes, ce sera aussi chez lui un clin d'oeil au film de cet autre dandy, autre peintre, Daniel Pommereulle, son ami intime avec lequel il co-signera un livre-expérimental à l'énigmatique titre : Rien ne bouge assez vite au bord de la mort (1969).
Le roman monorien éveille une inquiétante étrangeté aux contours iconiques où les mots servent la transposition fictionnelle, et où le récit établie un lien métonymique avec la peinture.
S'improvisant philosophe, il s'interroge sur l'état mental du monde, la question du sens, la mort... pour au final s'écrier : « A quoi bon? ».
Oui, c'est vrai... après tout : A quoi bon?
« Il se sentait fragile. Il aurait bien aimé avoir ce petit produit chimique tant rêvé, pour cerveaux paresseux, ouvrant les autres programmations de ce putain d'organe. Fatigué des gymnastiques et diététiques variées pour prolongation sénile, il ne pourrait pas toujours passer au travers des tirs.(...)
Pour lui, c'était toujours bancal. Dérapage dans l'incertain. Il avait pensé parfois qu'il n'aurait qu'à rassembler les visions dispersées, à relever et totaliser en images sa vie pour entrer lui-même dans le monde des images et devenir immortel. Le monde aurait été comme un roman policier ; la douleur absente, agencement merveilleux, il aurait nagé passionnément dans l'abstraction, les meurtres conceptuels, le courage sans traumatismes, les femmes objets nickelés et un peu mortels, une froide morale. Mais le roman était dans un anglais qu'il connaissait mal, chaque mot vague, souvent incompréhensible, où tout n'était que chasse et capture. »
Pix : Jacques Monory, USA 76, Fusil.
Jacques Monory, Diamondback, Christian Bourgois, 1979.
Sa peinture trouve son prolongement dans ses livres faits de ruptures, de maximes rapides dont la trame est largement autobiographique... L'intrigue tient du polar, du roman noir : « J'aime les romans noirs, bien glacés. Transporter ma vie dans un pareil tourisme sanglant m'en débarrasse à mesure, et mon plaisir prend des formes inattendues. »
Diamondback dépeint dans des tonalités sombres et distantes l'histoire d'un tueur à gages – Monory? Son double allégorique? - au bord de la fêlure évoluant dans une permanente pénombre.
Roman noir théorique, au rythme saccadé semblable à celui de certains films hollywoodiens des années 1950 – White Heat de Raoul Walsh, et surtout Gun Crazy de Joseph H. Lewis (film fétiche auquel Monory n'aura de cesse de faire référence à travers une oeuvre fantasmée), tout l'univers monorien y est campé : sa fascination pour les revolvers, le tir comme oeuvre d'art ultime (il pratique en amateur régulier dans un club à Versailles), les coups de balles, les meurtres, les vies brisées, l'amour fou, la vitesse, une atmosphère électrique, décalée et envoûtante... en proie au vertige... Une vie menée à bout de souffle : Vite! C'était le cri d'armes des surréalistes, ce sera aussi chez lui un clin d'oeil au film de cet autre dandy, autre peintre, Daniel Pommereulle, son ami intime avec lequel il co-signera un livre-expérimental à l'énigmatique titre : Rien ne bouge assez vite au bord de la mort (1969).
Le roman monorien éveille une inquiétante étrangeté aux contours iconiques où les mots servent la transposition fictionnelle, et où le récit établie un lien métonymique avec la peinture.
S'improvisant philosophe, il s'interroge sur l'état mental du monde, la question du sens, la mort... pour au final s'écrier : « A quoi bon? ».
Oui, c'est vrai... après tout : A quoi bon?
« Il se sentait fragile. Il aurait bien aimé avoir ce petit produit chimique tant rêvé, pour cerveaux paresseux, ouvrant les autres programmations de ce putain d'organe. Fatigué des gymnastiques et diététiques variées pour prolongation sénile, il ne pourrait pas toujours passer au travers des tirs.(...)
Pour lui, c'était toujours bancal. Dérapage dans l'incertain. Il avait pensé parfois qu'il n'aurait qu'à rassembler les visions dispersées, à relever et totaliser en images sa vie pour entrer lui-même dans le monde des images et devenir immortel. Le monde aurait été comme un roman policier ; la douleur absente, agencement merveilleux, il aurait nagé passionnément dans l'abstraction, les meurtres conceptuels, le courage sans traumatismes, les femmes objets nickelés et un peu mortels, une froide morale. Mais le roman était dans un anglais qu'il connaissait mal, chaque mot vague, souvent incompréhensible, où tout n'était que chasse et capture. »
Pix : Jacques Monory, USA 76, Fusil.
Jacques Monory, Diamondback, Christian Bourgois, 1979.
Thursday, 28 October 2010
Quote
"J'ai beaucoup vu Chaplin et sa femme. C'est très intéressant (pour le dire en deux mots) de voir à quoi ressemble un vraie génie - je suis convaincu qu'il en est un. Il y a peu, ou pas, de mystère ni de surprise. C'est un homme très actif, autodidacte, intéressant, aimable. En lui se mêlent la tendresse, la sensibilité et la froideur, qui parfois me perturbe, qui vous repousserait je pense. Il n'a aucune prétention. Le "génie" est un mélange de cette autodiscipline folle, de maitrise technique, de dur labeur, de sentiments incandescents, d'intuition au travail. Il puise ses racines dans l'émotion, l'intuition. Ce dont il a le plus besoin est la discipline.
Je n'ai pas un gramme (de discipline)."
James Agee, Le Vagabond d'un nouveau monde, (The Tramp's New World), traduit par Pauline Soulat, Capricci, 2010.
Je n'ai pas un gramme (de discipline)."
James Agee, Le Vagabond d'un nouveau monde, (The Tramp's New World), traduit par Pauline Soulat, Capricci, 2010.
Tuesday, 26 October 2010
Félix Guattari, Les Années d'hiver, 1980-1985
Une amie hier se demandant par mail à quoi ça rime au fond sa folie de vouloir faire des films… Clo vendredi tard dans la nuit parlant de DiD comme d’un échappatoire pour chacun de nous, chaque jour plus acculés à écrire des choses alimentaires, l’aberration d’une proposition tombée (pshittttt...) en fin de semaine - à prendre ou à laisser… Humm, l’hiver a de l’avance cette année. Aussi, est-ce vraiment une coïncidence si ma main, lundi matin, a pris ce livre (sur lequel un vrai post explicatif viendra le jour où Flore aura fini sa thèse) et s’il s’est ouvert, comme par hasard, sur ces lignes bienfaitrices? Philosophie, tu disais? Elles proviennent d’un entretien de 1985 avec Michel Butel, le fondateur de l’Autre Journal – mensuel à coté duquel j’étais un peu passé à l’époque (trop jeune, trop loin) mais dont je n'ai de cesse récemment de croiser le chemin d'anciens journalistes (Sélim, où es-tu, que fais-tu?…). A ce titre, ce post/quote est aussi une manière de célébrer ma rencontre avec l'un d'eux, Manu B. - les garçons avec qui il est possible de partir à la recherche de bars véreux (en général tenus par des libanais) servant des hectolitres d’alcool dans les rues hypocrites d’Abu Dabi ne sont pas légions, après tout…
«On est tous à la merci de cette stupeur qui vous prend à la gorge et vous étouffe littéralement. On est tous alors semblables à Swann, à moitié fou après sa séparation d’avec Odette, et qui fuyait comme la peste tous les mots susceptibles d’évoquer, même indirectement, son existence.
C’est pourquoi chacun reste cramponné à ses échafaudages sémiotiques ; pour pouvoir continuer à marcher dans la rue, se lever, faire ce qu’on attend de lui. Sinon tout s’arrête, on a envie de se jeter la tête contre les murs. C’est pas évident d’avoir le goût de vivre, de s’engager, de s’oublier. Il y a une puissance extraordinaire de l’ « à quoi bon !» C’est bien plus fort que Louis XV et son « après moi le déluge » !
Est-ce que ça vaut le coup de continuer tout ça, de reprendre le legs des générations antérieures, de faire tourner la machine, d’avoir des gosses, de faire de la science, de la littérature, de l’art ? Pourquoi pas crever, laisser tout en plan ? C’est une question ! C’est toujours à la limite de s’effondrer…
La réponse, bien sûr, est à la fois personnelle et collective. On ne peut tenir dans la vie, que sur la vitesse acquise. La subjectivité a besoin de mouvements, de vecteurs porteurs, de rythmes… »
Félix Guattari, Les Années d’hiver 1980-1985, Les Prairies ordinaires, Paris, 2009 (édition originale Barrault, 1986), p.120.
«On est tous à la merci de cette stupeur qui vous prend à la gorge et vous étouffe littéralement. On est tous alors semblables à Swann, à moitié fou après sa séparation d’avec Odette, et qui fuyait comme la peste tous les mots susceptibles d’évoquer, même indirectement, son existence.
C’est pourquoi chacun reste cramponné à ses échafaudages sémiotiques ; pour pouvoir continuer à marcher dans la rue, se lever, faire ce qu’on attend de lui. Sinon tout s’arrête, on a envie de se jeter la tête contre les murs. C’est pas évident d’avoir le goût de vivre, de s’engager, de s’oublier. Il y a une puissance extraordinaire de l’ « à quoi bon !» C’est bien plus fort que Louis XV et son « après moi le déluge » !
Est-ce que ça vaut le coup de continuer tout ça, de reprendre le legs des générations antérieures, de faire tourner la machine, d’avoir des gosses, de faire de la science, de la littérature, de l’art ? Pourquoi pas crever, laisser tout en plan ? C’est une question ! C’est toujours à la limite de s’effondrer…
La réponse, bien sûr, est à la fois personnelle et collective. On ne peut tenir dans la vie, que sur la vitesse acquise. La subjectivité a besoin de mouvements, de vecteurs porteurs, de rythmes… »
Félix Guattari, Les Années d’hiver 1980-1985, Les Prairies ordinaires, Paris, 2009 (édition originale Barrault, 1986), p.120.
Monday, 25 October 2010
Takuma Nakahira, For a Language to Come, 1970
Je regarde ces photos depuis deux jours déjà (j’en suis tombé amoureux au premier coup d’œil), et plus le temps passe et moins je me sens capable de désigner ce monde sur lequel elles sont censées nous renseigner. Je reconnais des éléments parmi le trouble, mais je reconnais avant toute chose le trouble. Je peux dire là la fièvre, là le sentiment de panique, là le tremblé, là la colère mais pas le reste. Devant elles, j’ai perdu le nom des choses.
Takuma Nakahira commence à appeler une photographie une photographie quand une voiture n’est plus tout à fait une voiture. Ni un corps un corps. J’ai lu quelque part que Takuma Nakahira a été entre 1977-79 alcoolique au point de ne plus voir grand chose et de ne se souvenir de rien. Avant cela, il avait été hospitalisé en 1973 pour avoir abusé de narcoleptiques qui lui procurait le sommeil. Je ne sais pas s’il s’en servait pour travailler – j’ai envie de le croire. Il semblerait bien, à voir ces photos qui précèdent de cinq ou huit ans ce double ravage éthylique et chimique : le principe d’ensevelissement de sa vision et de sa reconnaissance y est déjà à l'oeuvre. Et si jamais avec lui la photographie se risquait à être « un langage à venir », parions que ce langage aurait la phonétique absurde d’un bégaiement, du mot qui trébuche contre sa propre consonance au point de n’être plus qu’un phonème se cognant dans la bouche. Ici, et pour la première fois, la photographie est coupée de ce langage qui lui servait jusqu’alors à désigner le monde. Voici le commencement d'autre chose : Grainy, Blurry, and Unfocused.
Ce livre est la toute première réédition à l’identique (limitée à 1000 exemplaires, somptueuse, avec des tirages d'une densité hallucinante) d’un livre paru à Tokyo en novembre 1970. A cette époque, Takuma Nakahira avait trente deux ans, il était diplômé du département d’espagnol de l’université de Tokyo, s’était passionné pour la révolution cubaine, écrivait des essais sur le cinéma et la photographie (sous influence Barthes/Godard) tout en se lançant à corps perdu dans la pratique de la photographie avec une rage politique qui lui fit tenir les reines théoriques et esthétiques du plus sauvage des mouvements que la photo nippone ait connu : Provoke - à la fois nom de guerre, nom de bande et non d’une revue.
L’idée derrière Provoke étant d’abattre la barrière entre le photographe et le monde, déposséder le photographe de sa propre maîtrise, l’abandonner à l’inconscience jusqu’à lui faire atteindre un point (désespéré ?) de résistance contre le paysage et l'architecture. Provoke menait une guerre civile du sensible contre le visible. For a Language to Come marquait à la fois l’apogée du style Provoke en même temps qu’il signait la dissolution du mouvement en tant que tel.
Quarante ans après, sa force semble en être décuplée. Même si Daido Moriyama, son frère d’arme au sein de Provoke (un génie total, mais ça vous le savez) nous a depuis beaucoup habitué à cette saturation des signes, à ce brouillard. Mais une telle force d'injonction ne s'évapore pas, on est toujours vierge devant cette qualité de noir qui s'empare de l'image, la domine jusqu'à en faire autre chose qu’une simple empreinte du réel: la rendre (au sens vomitif du terme) méconnaissable, plus nue que nue : scalpée.
Regardez ces deux filles, leur peau à vif.
En 1974 Gilles Deleuze, que Michel Cressole accusait de garder longs ses ongles de la même façon que Garbo portait des lunettes noires et Marilyn une robe rose au corsage plissé, lui répondit que si on observait l’extrémité de ses doigts, on verrait qu’il lui manque les empreintes digitales ordinairement protectrices; si bien que toucher du doigt un objet et surtout un tissus lui était une douleur nerveuse qui exigeait la protection d’ongles longs. Les photos de Takuma Nakahira sont comme un doigt (majeur brandi ?) de Deleuze à qui l’on aurait arraché un ongle avant de l’obliger à appuyer de toute sa douleur sur le déclencheur de la caméra.
Chef d'oeuvre, pas moins.
Takuma Nakahira, For a Language to Come, Osiris, Japon, 2010
Takuma Nakahira commence à appeler une photographie une photographie quand une voiture n’est plus tout à fait une voiture. Ni un corps un corps. J’ai lu quelque part que Takuma Nakahira a été entre 1977-79 alcoolique au point de ne plus voir grand chose et de ne se souvenir de rien. Avant cela, il avait été hospitalisé en 1973 pour avoir abusé de narcoleptiques qui lui procurait le sommeil. Je ne sais pas s’il s’en servait pour travailler – j’ai envie de le croire. Il semblerait bien, à voir ces photos qui précèdent de cinq ou huit ans ce double ravage éthylique et chimique : le principe d’ensevelissement de sa vision et de sa reconnaissance y est déjà à l'oeuvre. Et si jamais avec lui la photographie se risquait à être « un langage à venir », parions que ce langage aurait la phonétique absurde d’un bégaiement, du mot qui trébuche contre sa propre consonance au point de n’être plus qu’un phonème se cognant dans la bouche. Ici, et pour la première fois, la photographie est coupée de ce langage qui lui servait jusqu’alors à désigner le monde. Voici le commencement d'autre chose : Grainy, Blurry, and Unfocused.
Ce livre est la toute première réédition à l’identique (limitée à 1000 exemplaires, somptueuse, avec des tirages d'une densité hallucinante) d’un livre paru à Tokyo en novembre 1970. A cette époque, Takuma Nakahira avait trente deux ans, il était diplômé du département d’espagnol de l’université de Tokyo, s’était passionné pour la révolution cubaine, écrivait des essais sur le cinéma et la photographie (sous influence Barthes/Godard) tout en se lançant à corps perdu dans la pratique de la photographie avec une rage politique qui lui fit tenir les reines théoriques et esthétiques du plus sauvage des mouvements que la photo nippone ait connu : Provoke - à la fois nom de guerre, nom de bande et non d’une revue.
L’idée derrière Provoke étant d’abattre la barrière entre le photographe et le monde, déposséder le photographe de sa propre maîtrise, l’abandonner à l’inconscience jusqu’à lui faire atteindre un point (désespéré ?) de résistance contre le paysage et l'architecture. Provoke menait une guerre civile du sensible contre le visible. For a Language to Come marquait à la fois l’apogée du style Provoke en même temps qu’il signait la dissolution du mouvement en tant que tel.
Quarante ans après, sa force semble en être décuplée. Même si Daido Moriyama, son frère d’arme au sein de Provoke (un génie total, mais ça vous le savez) nous a depuis beaucoup habitué à cette saturation des signes, à ce brouillard. Mais une telle force d'injonction ne s'évapore pas, on est toujours vierge devant cette qualité de noir qui s'empare de l'image, la domine jusqu'à en faire autre chose qu’une simple empreinte du réel: la rendre (au sens vomitif du terme) méconnaissable, plus nue que nue : scalpée.
Regardez ces deux filles, leur peau à vif.
En 1974 Gilles Deleuze, que Michel Cressole accusait de garder longs ses ongles de la même façon que Garbo portait des lunettes noires et Marilyn une robe rose au corsage plissé, lui répondit que si on observait l’extrémité de ses doigts, on verrait qu’il lui manque les empreintes digitales ordinairement protectrices; si bien que toucher du doigt un objet et surtout un tissus lui était une douleur nerveuse qui exigeait la protection d’ongles longs. Les photos de Takuma Nakahira sont comme un doigt (majeur brandi ?) de Deleuze à qui l’on aurait arraché un ongle avant de l’obliger à appuyer de toute sa douleur sur le déclencheur de la caméra.
Chef d'oeuvre, pas moins.
Takuma Nakahira, For a Language to Come, Osiris, Japon, 2010
Wednesday, 20 October 2010
Quote
"Dépéris ou bien crée ton langage."
Johann Gottfried Herder, Traité sur l'origine des langues (Abhandlung über den Ursprung der Sprache), 1772, réédition Allia 2010.
Johann Gottfried Herder, Traité sur l'origine des langues (Abhandlung über den Ursprung der Sprache), 1772, réédition Allia 2010.
Wednesday, 13 October 2010
Lefort, Robrieux, Semprun - Trois morts
Leurs écrits m’ont accompagné depuis 15 ou 20 ans. Pas de la même manière, ni avec la même application de ma part (de Lefort, je n’aurais lu qu’un livre (La complication, 1998), et quelques articles ou interviews, de Robrieux, quatre ou cinq, je ne sais plus (sa biographie de Maurice Thorez, et trois ou quatre tomes de son Histoire intérieure du Parti Communiste Français), et de Semprun, à peu près tout, de ses lettres à Debord dans la Correspondance de Champ Libre à tous ses textes pour L’encyclopédie des Nuisances, le fascicule puis la maison d’édition). Semprun est mort le 3 août dernier, Robrieux le 1er octobre et Lefort le 3 octobre.
Pourquoi ai-je envie de les réunir dans ce billet ? Parce que, chacun à leur façon, ils dessinent une histoire alternative de la gauche, et du XXème siècle ; et une certaine idée de la droiture dans le débat d’idées. Le premier dont j’ai entendu parler fut Robrieux. Je lus ses aventures à l’UEC en pleine déstalinisation dans le volume 1 de Génération, l’excitante (mais maspérisatrice) histoire de la génération 68 de Hamon et Rotman, dévorée à 15 ans l’année de sa sortie, en 1988 ; et je l’ai retrouvé cinq ans plus tard en lisant son Histoire intérieure du Parti Communiste Français, ce livre d’histoire en forme de roman-fleuve, épopée tragique, monstrueuse et fascinante de cette machine à broyer les héros et les intelligences que fut le communisme français. Et la lecture de son Thorez ne peut que vous laisser imaginer ce que Hollywood aurait pu faire de cette destinée (un mauvais film, probablement, comme tous les biopics, mais sur une histoire réellement extraordinaire).
Semprun, j’ai dû le découvrir dans le catalogue de Champ Libre. J’aimais le relire, tous les trois ou quatre ans lorsqu’il sortait le dernier chapitre de ses considérations désabusées sur l’époque, aux éditions de l’Encyclopédie des Nuisances. Il avait ce style géométrique du Debord stratège, général fataliste d’une armée fantôme en lutte contre l’évolution irrésistible du monde. Peut-être l’aimais-je davantage pour des raisons esthétiques que politiques, et peut-être avais-je tort. Mais une chose est sûre : l’imbécillité ambiante a beaucoup gagné de sa disparition.
Quant à Claude Lefort, j’ai croisé son nom en fouillant dans les à-côtés de l’histoire des situs, du côté de Socialisme ou Barbarie, cette aventure admirable et solitaire de l’époque où Aragon était le ministre des Lettres Françaises, et où l’antistalinisme de gauche vous condamnait à la mort sociale. Il était antitotalitaire comme Simon Leys l’était, et non comme les Glucksmann-Lévy prétendaient l’être ; sa pensée était subtile et vive, et autrement plus convaincante que celle d’un Furet sur la nature du phénomène stalinien : point « d’illusion » mais un pouvoir, que ses détenteurs exerçaient avec zèle. On trouve ici une longue interview qu’il donna au journal l’Anti-mythes, en 1975. C’est passionnant, et tout y est déjà (notamment son analyse très fine de l’inévitable bureaucratisation des militants professionnels).
Tuesday, 12 October 2010
Yasujiro Ozu, Carnets 1933-1963
Shinji Aoyama était à Paris début juillet pour quelques jours. Il venait présenter Sad Vacation, la suite d’Eureka, qui est avec son magnifique Eli Eli (deux types font du noise sauvage pour que le bruit blanc empêche une épidémie de suicide !), ce que le cinéma japonais contemporain nous a offert de plus beau et de moins rassurant (à tous points de vue) ces dix dernières années. Il serait tant que ça se sache un peu plus par ici.
Shinji est aussi venu présenter un cinéaste inconnu en France, Sadao Yamanaka, surnommé à Tokyo « le Jean Vigo Japonais », un homme qui ne fit que trois films dans les années 30 et mourut, comme Vigo, trop vite. La soirée est presque fraîche, Jun nous a rejoint, on mange en fausse terrasse d’un restaurant chinois de Belleville, le vin est rouge, et de plus en plus rouge, et vient enfin après deux heures à se donner des nouvelles d’amis dans un anglais malhabile le moment où, comme toujours avec Shinji, ça décolle. Ça se remarque à de petites choses, il parle en fermant complètement les yeux et en renversant la tête, il s’exprime soudain en japonais, Jun fait la passerelle en rajoutant une ou deux idées théoriques au passage.
On parle, comme souvent, d’un livre qui nous est cher à nous trois : les carnets intimes que Yasujiro Ozu aura tenu durant trois décennies, des années 3O à sa mort en 1963. Ozu : l’un des dix plus grands cinéastes classiques, mais encore le premier moderne. Ozu, maître total (le seul?) est une obsession pour nous tous, qui plusieurs fois firent ensemble (guidés par Abi-san) le pèlerinage jusqu’à sa tombe, au cimetière de Kita-Kamakura, à 30 bornes de Tokyo, y déposer comme le veut la tradition des bouteilles de saké et de bière japonaise: Ozu, St Buveur. Ce cimetière et la petite gare qui le borde, il est possible de les apercevoir dans deux films d'Ozu (Printemps tardif et Eté précoce). Il avait donc filmé de son vivant le siège de son éternité. Il vivait là, dans cette banlieue minuscule, jolie mais morne, entouré de cerisiers majestueux à en crever. Tout comme vivait là Setsuko Hara, son actrice (et sans doute le grand amour -secret- de sa vie), et le fidèle Chishu Ryu, acteur et alter-égo de toujours. Sur la tombe du maître, un signe – Mu. Qui, une fois traduit, veut dire RIEN. Rien de Rien. Tchi. Néant total. Vide. Toute la filmographie d’Ozu dévisagée en un idéogramme.
A propos de rien, ou de coquille vide, Shinji me dit qu’il commence à en avoir assez d’être invité dans les festivals occidentaux en tant que « cinéaste japonais ». Qu’il en a marre aussi d’entendre parler de « cinéastes iraniens », « thaïlandais"... qu’il s’agit peut-être d’une défaite collective des cinéastes et des critiques – viendra-t-il celui qui, après Godard, après Oliveira (Shinji m’avouant qu'à chaque fois qu’il se pose une question de mise en scène, il s’aperçoit que le vieux Manoel se l'est déjà posée) symbolisera tout le cinéma et non pas seulement une production nationale ?
On cherche du coté des exilés volontaires, en commençant par l’Allemagne (Herzog, Schroeter, Wenders) en faisant un zigzag par l’Italie (Pasolini, Antonioni) à la poursuite des motivations intimes de ceux qui sont allés filmer d’autres pays. Pour quelles raisons d'ailleurs?: Pour découvrir le monde? pour aller vérifier les autres images? pour se coltiner à ses mythes? ou par haine féroce de sa propre terre? Dans ce magma des chemins, le nom d’Ozu revient vite - Lui qui pourtant n'a jamais filmé que quelques quartiers de Tokyo et de ses environs... Mais voilà, Ozu a été à la fois le Japon et le Cinéma - leur signe pur à chacun. Et comme il a voulu enregistrer la permanence des choses, il n'a jamais fini que par en capturer son contraire : la moindre variation du monde, son oscillation.
Et Yamanaka, le Vigo japonais fauché trop tôt ? "Lui, il a été plus international encore, glisse Shinji, paupières closes. Il a été le premier à filmer des gens de dos au Japon. Le premier, avant Naruse, à filmer la marche et pas la course. Et le premier à choisir la brise contre la tempête. Il a surtout été le premier à vouloir dialoguer avec les cinéastes américains des années 30, avec Walsh, avec Ford. » Ce qui nous ramène aux Carnets d’Ozu. Jun, Shinji comme moi sommes d’accord : les plus beaux passages, plus fascinants encore que le nombre astronomique de bouteilles de saké que Ozu engloutissait tout en en reportant scrupuleusement le nombre sur ses carnets (ce qui en fait un livre de vie et d’alcool à la fois), ce sont tous ces passages du début des années 30 où Ozu, encore jeune homme, s’épanouissait dans le Tokyo moderne, rejoignait deux ou trois autres cinéastes ou critiques de cinéma dans le quartier rénové de Ginza pour aller voir en salle des films américains, Scarface par exemple, et apprendre auprès d’eux. «Moi, je ne serais calmé que le jour où je réaliserai un film aussi rugueux et sensuel que le Toni de Jean Renoir. Mais pas avant. Je crois maintenant que cette internationale des cinéastes me manque », regrette Shinji, définitivement saoul comme un polonais. Il est le dernier grand punk cinéaste, un chef sioux sans réserve. Le cinéma indépendant à peut-être inventé les cinéastes solitaires, les festivals et la critique ont peut-être inventé les cinéastes nationalisés (de grès de force), je viens surement de passer une des plus belles nuits cinéphiles d'un été plus étrange que les autres (moi qui parle si peu souvent de cinéma), et le vin était rouge.
« Lundi 4 avril 1955.
Vapeurs tenaces de l’alcool que j’ai bu hier.
Appel de Shigéko, tôt ce matin, pour me dire qu’elle venait cet après-midi. Elle est venue seule à 16h. On a bu du saké, et on a préféré dîner à la maison, plutôt que de sortir. Elle est repartie vers 22h, et je l’ai accompagnée à la gare. De retour à la maison, je me suis remis à boire, et j’ai immédiatement sombré dans l’ivresse. »
Yasujiro Ozu, Carnets 1933-1963, Traduction de Josiane Pinon-Kawataké, Editions Alive, 1996
Shinji est aussi venu présenter un cinéaste inconnu en France, Sadao Yamanaka, surnommé à Tokyo « le Jean Vigo Japonais », un homme qui ne fit que trois films dans les années 30 et mourut, comme Vigo, trop vite. La soirée est presque fraîche, Jun nous a rejoint, on mange en fausse terrasse d’un restaurant chinois de Belleville, le vin est rouge, et de plus en plus rouge, et vient enfin après deux heures à se donner des nouvelles d’amis dans un anglais malhabile le moment où, comme toujours avec Shinji, ça décolle. Ça se remarque à de petites choses, il parle en fermant complètement les yeux et en renversant la tête, il s’exprime soudain en japonais, Jun fait la passerelle en rajoutant une ou deux idées théoriques au passage.
On parle, comme souvent, d’un livre qui nous est cher à nous trois : les carnets intimes que Yasujiro Ozu aura tenu durant trois décennies, des années 3O à sa mort en 1963. Ozu : l’un des dix plus grands cinéastes classiques, mais encore le premier moderne. Ozu, maître total (le seul?) est une obsession pour nous tous, qui plusieurs fois firent ensemble (guidés par Abi-san) le pèlerinage jusqu’à sa tombe, au cimetière de Kita-Kamakura, à 30 bornes de Tokyo, y déposer comme le veut la tradition des bouteilles de saké et de bière japonaise: Ozu, St Buveur. Ce cimetière et la petite gare qui le borde, il est possible de les apercevoir dans deux films d'Ozu (Printemps tardif et Eté précoce). Il avait donc filmé de son vivant le siège de son éternité. Il vivait là, dans cette banlieue minuscule, jolie mais morne, entouré de cerisiers majestueux à en crever. Tout comme vivait là Setsuko Hara, son actrice (et sans doute le grand amour -secret- de sa vie), et le fidèle Chishu Ryu, acteur et alter-égo de toujours. Sur la tombe du maître, un signe – Mu. Qui, une fois traduit, veut dire RIEN. Rien de Rien. Tchi. Néant total. Vide. Toute la filmographie d’Ozu dévisagée en un idéogramme.
A propos de rien, ou de coquille vide, Shinji me dit qu’il commence à en avoir assez d’être invité dans les festivals occidentaux en tant que « cinéaste japonais ». Qu’il en a marre aussi d’entendre parler de « cinéastes iraniens », « thaïlandais"... qu’il s’agit peut-être d’une défaite collective des cinéastes et des critiques – viendra-t-il celui qui, après Godard, après Oliveira (Shinji m’avouant qu'à chaque fois qu’il se pose une question de mise en scène, il s’aperçoit que le vieux Manoel se l'est déjà posée) symbolisera tout le cinéma et non pas seulement une production nationale ?
On cherche du coté des exilés volontaires, en commençant par l’Allemagne (Herzog, Schroeter, Wenders) en faisant un zigzag par l’Italie (Pasolini, Antonioni) à la poursuite des motivations intimes de ceux qui sont allés filmer d’autres pays. Pour quelles raisons d'ailleurs?: Pour découvrir le monde? pour aller vérifier les autres images? pour se coltiner à ses mythes? ou par haine féroce de sa propre terre? Dans ce magma des chemins, le nom d’Ozu revient vite - Lui qui pourtant n'a jamais filmé que quelques quartiers de Tokyo et de ses environs... Mais voilà, Ozu a été à la fois le Japon et le Cinéma - leur signe pur à chacun. Et comme il a voulu enregistrer la permanence des choses, il n'a jamais fini que par en capturer son contraire : la moindre variation du monde, son oscillation.
Et Yamanaka, le Vigo japonais fauché trop tôt ? "Lui, il a été plus international encore, glisse Shinji, paupières closes. Il a été le premier à filmer des gens de dos au Japon. Le premier, avant Naruse, à filmer la marche et pas la course. Et le premier à choisir la brise contre la tempête. Il a surtout été le premier à vouloir dialoguer avec les cinéastes américains des années 30, avec Walsh, avec Ford. » Ce qui nous ramène aux Carnets d’Ozu. Jun, Shinji comme moi sommes d’accord : les plus beaux passages, plus fascinants encore que le nombre astronomique de bouteilles de saké que Ozu engloutissait tout en en reportant scrupuleusement le nombre sur ses carnets (ce qui en fait un livre de vie et d’alcool à la fois), ce sont tous ces passages du début des années 30 où Ozu, encore jeune homme, s’épanouissait dans le Tokyo moderne, rejoignait deux ou trois autres cinéastes ou critiques de cinéma dans le quartier rénové de Ginza pour aller voir en salle des films américains, Scarface par exemple, et apprendre auprès d’eux. «Moi, je ne serais calmé que le jour où je réaliserai un film aussi rugueux et sensuel que le Toni de Jean Renoir. Mais pas avant. Je crois maintenant que cette internationale des cinéastes me manque », regrette Shinji, définitivement saoul comme un polonais. Il est le dernier grand punk cinéaste, un chef sioux sans réserve. Le cinéma indépendant à peut-être inventé les cinéastes solitaires, les festivals et la critique ont peut-être inventé les cinéastes nationalisés (de grès de force), je viens surement de passer une des plus belles nuits cinéphiles d'un été plus étrange que les autres (moi qui parle si peu souvent de cinéma), et le vin était rouge.
« Lundi 4 avril 1955.
Vapeurs tenaces de l’alcool que j’ai bu hier.
Appel de Shigéko, tôt ce matin, pour me dire qu’elle venait cet après-midi. Elle est venue seule à 16h. On a bu du saké, et on a préféré dîner à la maison, plutôt que de sortir. Elle est repartie vers 22h, et je l’ai accompagnée à la gare. De retour à la maison, je me suis remis à boire, et j’ai immédiatement sombré dans l’ivresse. »
Yasujiro Ozu, Carnets 1933-1963, Traduction de Josiane Pinon-Kawataké, Editions Alive, 1996
Thursday, 30 September 2010
Quote
Jeudi froid
Arbre bleu
Perce-neige aux impossibilités d'écrire
L'inaccessible virgule qui précède le mot
Nuit
Riche sous ma chevelure
Je prie gravement
Je rêve
Une large bande d'ombre
Coupe
Ton visage de sa mauvaise certitude
La tristesse tombe au ralenti
Odeur de mégot
Ovaire inactif
Tango
Ma dépouille pose nue
Sans surcharge de chaînes
Ni vain désespoir
Il ne peut y avoir de cloison entre la neige et la pluie.
Joyce Mansour, Prose et poésie, éditions Actes Sud 1991.
Sunday, 26 September 2010
Jerry Berndt, Insight, 1967-1989
Son père tenait un café dans le Wisconsin.
Lui s’est contenté de faire l’essentiel de ses photographies des années soixante et soixante-dix dans les bars de Boston, considérant ces lieux comme une « zone de combat ». Avec soi-même, avec la solitude, avec le whisky, avec l'ombre qui gagne du terrain. Les photos de Jerry Berndt ont ceci de paradoxal qu’il est nécessaire, pour en apprécier les contrastes, de les exposer à la pleine lumière du jour - quand elles ne font que condenser le bruit mat et solitaire de la nuit. Sur le mur de l’une d’elles, on peut lire l’inscription The war is over. La guerre est finie. Et comme en dessous on y voit un pochard éberlué, assis sur un carton posé à même le caniveau, en pleine léthargie petit matin, on devine que la guerre a été une fois de plus perdue.
Jerry Berndt, Insight, Steidl, 2008
Sunday, 5 September 2010
Eat the document: Roberto Bolano, El Burro, 1994
El Burro. En espagnol, l’âne. Vaut aussi pour abruti, idiot. Mais encore : le plus beau poème de Bolano, publié pour la première fois en 1994 dans Los Perros romanticos - les Chiens romantiques -, et bien entendu toujours inédit en France. Comme à DiD, nous sommes des chiens, voici l’intégralité du poème, un peu pour vous, un peu pour humilier toute idée de rentrée littéraire.
EL BURRO
A veces sueno que Mario Santiago
Viene a buscarme con su moto negra.
Y dejamos atràs la ciudad y a medida
Que las luces van despareciendo
Mario satiago me dice que se trata
De une moto robada, la ùltima moto
Robada para viajar por los pobres tierras
Del norte, en direcciòn a Texas,
Persiguiendo un sueno innombrable,
Inclasificable, el sueno de nuestra juventud,
Es decir el sueno mas valiente de todos
Nuestros suenos. Y de tal manera
Còmo negarme a montar la veloz moto negra
Del norte y salir rajados por aquellos caminos
Que antano recorrieran los santos de México,
Las poetas mendicantes de méxico,
Las sanguijuelas taciturnas de Tepito
O la Colonia Guerrero, todos en la misma senda,
Donde se confunden y mezclan los tiempos :
Verbales y fisicos, el ayer y la afasia.
Y a veces suno que Mario Satniago
Viene a buscarme, o es un poeta sin rostro
Una cabeza sin ojos, ni boca, ni nariz,
Sòlo pile y voluntad, y yo sin preguntar nada
Me subo a la moto y partimos
Por los caminos del norte, la cabeza y yo,
Extranos tripulantes embarcados en una ruta
Miserable, caminos borrados por el polvo y la lluvia,
Tierra de moscas y lagartijas, matorrales resecos
Y ventiscas de arena, el ùnico teatro concebible
Para nuestra poesia.
Y a veces sueno que el camino
Que nuestra moto o nuestro anhelo recorre
No empieza en mi sueno sino en le sueno
De otros : los inocentes, los bienaventurados,
Los mansos, los que para nuestra desgracia
Ya no estàn aquì. Y asì Mario Santiago y yo
Salimos de ciudad de México que es la prolongaciòn
De tantos suenos, la materializaciòn de tantas
Pasadillas, et remontamos los estados
Siempre hacia el norte, siempre por el camino
De los coyotes, y nuestra moto entonces
Es del color de la noche. Nuestra moto
Es un burro negro que viaja sin prisa
Por las terras de la Curiosidad. Un burro negro
Que se desplaza por la humanidad y la geometria
Y la risa de Mario o de la cabeza
Saluda a los fantasmas de nuestra juventud,
El sueno inombrable e inùtil
De la valentia.
Y a veces creo ver una moto negra
Como un burro negro alejàndose por los caminos
De tierra de Zacatecas y Coahuila, en los lìmites
Del sueno, y sin alcanzar a comprender
Su sentido, su significado ùltimo,
Comprendo no obstante su mùsica :
Una alegre canciòn de despedida.
Y acaso son los gestos de valor los que
Nos dicen adiòs, sin resentimiento, ni amargura,
En paz con su gratuidad absoluta y con nosotros mismos.
Son los pequenos desafìos inùtiles-o que
Los anos y la costumbre consintieron
Que creyéramos inùtiles- los que nos saludan,
Los que nos hacen senales enigmaticas con las manos,
En medio de la noche, a un lado de la carretera,
Como nuestros hijos queridos y abandonados,
Criados solos en estos desiertos calcàreos,
Como el resplandor que un dia nos atravesò
Y que no habiamos olvidado.
Y a veces sueno que Mario llega
Con su moto negra en medio de la pesadilla
Y partimos rumbo al norte,
Rumbo a los pueblos fantasmas donde moran
Las lagartijas y las moscas.
Y mientras el sueno me transporta
De un continente a otro
A través de una ducha de estrellas frias e indoloras,
Veo a la moto negra, como un burro de otro planeta,
Partir en dos las tierras de Coahuila.
Un burro de otro planeta
Que es el anhelo desbocado de nuestra ignorancia,
Pero que también es nuestra espranza
Y nuestro valor.
Un valor inombrable e inùtil, bien cierto,
Pero reencontrado en los margenes
Del sueno màs remoto,
En las particiones del sueno final,
En la senda confusa e magnética
De los burros y de los poetas.
Thursday, 2 September 2010
Bret Easton Ellis, Imperial Bedrooms, 2010
Vous n’avez pas envie de lire quelque chose de long et d’élaboré sur le nouveau Bret Easton Ellis, juste savoir si vous pouvez y aller et la réponse est : oui, carrément. Suite(s) Impériale(s) (le titre américain, Imperial Bedrooms, n’était déjà pas très heureux mais y avoir rajouté ces parenthèses de chochottes, quelle idée pourrie…) étant ce que cet enfoiré a fait de mieux depuis Glamorama. Ou depuis les vingt-cinq premières pages de Lunar Park (avant que Lunar ne devienne une effarante suite de dialogues pour sitcom). La concentration, cette fois, a payé (le livre est court, ramassé sur deux cent vingt-cinq pages, qui plus est imprimées en caractère 22 comme si le lectorat de Ellis avait tellement abusé de crystalmeth durant ces dernières années qu’il en aurait au passage perdu la vue - et l’odorat aussi : je ne sais pas comment font les gens de Robert Laffont mais ce livre, à mon grand désarroi, ne sent rien). Fuck la rentrée littéraire : Il vous reste quelques jours encore pour confronter ce monument de paranoïa et de dévastation au miroitement chloré de la piscine de votre hôtel (compter deux après-midi). Mais si votre vie mondaine n’a pas attendu septembre pour déjà reprendre (on vous plaint) et qu’il y a urgence ce soir, au restaurant de briller (« encore un repas de merde à 60 euros », dirait la lucide Karine Charpentier), glissez d’un air las qu’on y cite aussi bien Elvis Costello qu’Altered Images, mais aussi (hélas) Bat for lashes ou Beck, ce qui est plus inquiétant pour qui désirait hier encore être réincarné en I :pod d’écrivain américain lancé… Entre le hors d’oeuvre et le plat principal, faites remarquer, la bouche en cul, qu’Ellis a pas mal levé le pied sur le name dropping et le placement de produits (désormais, ses personnages se définissant mois par ce qu’ils portent ou écoutent que par le désarroi qui les gagne) mais que son tempérament de camé se reporte désormais sur l’envoie frénétique de SMS (vous-même, tout en disant ça, envoyez des SMS en mangeant…).. Qu’il s’agit là, d’une suite de miroirs - les plus effrayants et les plus acérés qui soient (tous les personnages, on ne vous la fait pas, sont potentiellement des extensions malades et incestueuses de Clay, le héros de Moins que zéro catapulté scénariste 20 ans après, Clay étant lui même un double de B.E.E.), qu’il s’y dévoile assez abruptement ce que l’on a toujours su, au fonds : que les films n’étaient fait que sur des histoires de culs et de fric. N’oubliez pas de conclure en rajoutant, à l’adresse de la jeune femme à côté de vous, qu’il s’agit peut-être du plus beau texte écrit récemment sur Los Angeles, c'est à dire sur l’amertume.
« Les panneaux publicitaires numériques brillant dans la brume grise semblent tous dire non et les poinsettias qui occupent la plate-bande centrale de Sunset Plaza sont mourants et le brouillard ne cesse d’envelopper les tours de Century City et le monde est en train de se transformer en film de science-fiction – parce que rien de ce qu’il est n’a quoi que ce soit à voir avec moi en réalité. C’est un monde où se défoncer est la seule option. Tout devient plus vague et abstrait depuis que chacune de mes lubies et chacun de mes désirs, qui ont été constamment satisfaits cette dernière semaine de décembre, ont maintenant disparu, et je ne veux pas les assouvir avec quelqu’un d’autre, parce qu’il n’y a pas de substitution possible – les sites porno d’adolescentes ont l’air différents- retouchés en quelque sorte, plus rien ne fonctionne, ça ne marche plus, et j’ai donc recrée dans ma tête, heure par heure, les séances de sexe qui ont eu lieu dans la chambre pendant ces huit jours passés avec elle, et quand j’essaie d’échafauder un scénario que j’ai négligé par paresse, il en sort un truc moitié sincère moitié ironique, je suis distrait par le simple fait que Rain ne réponde pas à mes messages ou à mes SMS, et puis, trois jours seulement après son départ, ce n’est plus, officiellement, une distraction mais un obstacle. Les ecchymoses sur ma poitrine et sur mes bras, les marques des doigts de Rain et les égratignures sur mes épaules et mes cuisses commencent à s’effacer, et je cesse de répondre aux divers e-mails des gens qui sont de retour en ville puisque je n’ai aucune envie d’entendre les commérages sur Kelly Montrose ou de me moquer des rumeurs concernant les Oscars ou d’entendre parler des projets de chacun pour Sundance, et je n’ai aucune raison de retourner aux séances de casting à Culver City (puisque ce que je veux s’est déjà produit), et sans Rain ici tout se décompose entièrement et il est impossible de rester calme, c’est une chose que je ne peux pas contrôler. » (p. 92-93)
Bret Easton Ellis, Imperial Bedrroms, Suite(s) Impériale(s), 2010, Robert Laffont, traduit par Pierre Guglielmina.
« Les panneaux publicitaires numériques brillant dans la brume grise semblent tous dire non et les poinsettias qui occupent la plate-bande centrale de Sunset Plaza sont mourants et le brouillard ne cesse d’envelopper les tours de Century City et le monde est en train de se transformer en film de science-fiction – parce que rien de ce qu’il est n’a quoi que ce soit à voir avec moi en réalité. C’est un monde où se défoncer est la seule option. Tout devient plus vague et abstrait depuis que chacune de mes lubies et chacun de mes désirs, qui ont été constamment satisfaits cette dernière semaine de décembre, ont maintenant disparu, et je ne veux pas les assouvir avec quelqu’un d’autre, parce qu’il n’y a pas de substitution possible – les sites porno d’adolescentes ont l’air différents- retouchés en quelque sorte, plus rien ne fonctionne, ça ne marche plus, et j’ai donc recrée dans ma tête, heure par heure, les séances de sexe qui ont eu lieu dans la chambre pendant ces huit jours passés avec elle, et quand j’essaie d’échafauder un scénario que j’ai négligé par paresse, il en sort un truc moitié sincère moitié ironique, je suis distrait par le simple fait que Rain ne réponde pas à mes messages ou à mes SMS, et puis, trois jours seulement après son départ, ce n’est plus, officiellement, une distraction mais un obstacle. Les ecchymoses sur ma poitrine et sur mes bras, les marques des doigts de Rain et les égratignures sur mes épaules et mes cuisses commencent à s’effacer, et je cesse de répondre aux divers e-mails des gens qui sont de retour en ville puisque je n’ai aucune envie d’entendre les commérages sur Kelly Montrose ou de me moquer des rumeurs concernant les Oscars ou d’entendre parler des projets de chacun pour Sundance, et je n’ai aucune raison de retourner aux séances de casting à Culver City (puisque ce que je veux s’est déjà produit), et sans Rain ici tout se décompose entièrement et il est impossible de rester calme, c’est une chose que je ne peux pas contrôler. » (p. 92-93)
Bret Easton Ellis, Imperial Bedrroms, Suite(s) Impériale(s), 2010, Robert Laffont, traduit par Pierre Guglielmina.
Thursday, 26 August 2010
Quote
"Juillet.
Juillet torride.
L'air est épais, palpable, moite et visqueux. Sur la chaussée, l'asphalte fond et colle aux talons. Le soleil implacable éclabousse les trottoirs et lave le ciel de toute couleur. Mais il n'y a pas beaucoup de ciel, dans ce quartier. Ce n'est qu'une mince bande bleuâtre, pâle comme des blue-jeans délavés, coincée entre les toits des immeubles sordides.
La rue est silencieuse. Il n'est que neuf heures moins vingt, et c'est dimanche matin.
Nulle brise ne soulève les papiers gras dans le caniveau, avec quelques boîtes de conserve et des planches arrachées à des cageots d'oranges. Du linge immobile sèche aux fenêtres. la chaleur écrase tout.
Des cloches sonnent, au loin, car c'est dimanche. Mais la lourdeur de l'atmosphère ne porte pas leur son, qui reste plat et sans joie. Un métro aérien passe en grondant. Les cloches se taisent. la rue est rendue au silence accablant.
Deux personnes vont mourir dans cette rue, aujourd'hui."
Ed Mc Bain, Mourir pour mourir (See them die, 1960), traduit par Louis Saurin, 10/18, 1990
Juillet torride.
L'air est épais, palpable, moite et visqueux. Sur la chaussée, l'asphalte fond et colle aux talons. Le soleil implacable éclabousse les trottoirs et lave le ciel de toute couleur. Mais il n'y a pas beaucoup de ciel, dans ce quartier. Ce n'est qu'une mince bande bleuâtre, pâle comme des blue-jeans délavés, coincée entre les toits des immeubles sordides.
La rue est silencieuse. Il n'est que neuf heures moins vingt, et c'est dimanche matin.
Nulle brise ne soulève les papiers gras dans le caniveau, avec quelques boîtes de conserve et des planches arrachées à des cageots d'oranges. Du linge immobile sèche aux fenêtres. la chaleur écrase tout.
Des cloches sonnent, au loin, car c'est dimanche. Mais la lourdeur de l'atmosphère ne porte pas leur son, qui reste plat et sans joie. Un métro aérien passe en grondant. Les cloches se taisent. la rue est rendue au silence accablant.
Deux personnes vont mourir dans cette rue, aujourd'hui."
Ed Mc Bain, Mourir pour mourir (See them die, 1960), traduit par Louis Saurin, 10/18, 1990
Quote
"Contempler ces stiffs autour de leurs feux, c'est regarder un cimetière. C'est à peine s'il y a de la place pour circuler entre les tombes. Pas d'épitaphes gravées dans le marbre par ici. Les épitaphes sont ces sillons qui creusent leurs joues. ces hommes sont des morts. Le jour, ce sont des fantômes qui errent dans les rues. La nuit, ce sont des fantômes qui dorment enveloppés dans le journal d'hier, en guise de couverture. Ce sont des fantômes qui gémissent et qui s'agitent pendant toute la nuit. Je les observe. De temps en temps, une tâche blanche se lève du sol. C'en est un qui ne peut pas dormir à cause des rats et du froid. C'est un fantôme agité. À moins que cela soit les crampes qui rongent l'estomac, qui l'empêchent de se reposer et de dormir. Le sol est dur. Dur et humide. Il y a bien des choses qui empêchent un fantôme de se reposer, dans cette jungle. Moi-même, je suis un fantôme agité."
Tom Kromer, Les vagabonds de la faim, Christian Bourgois, 2000
Tom Kromer, Les vagabonds de la faim, Christian Bourgois, 2000
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1935,
Alfred A. Knopf,
Waiting For Nothing
Wednesday, 25 August 2010
Alberto Garcia-Alix/Xila, No me sigas… Estoy perdido (1976-1986)
La photo ci-dessus porte un titre qui a le mérite d’être net : Esperando al dealer. En attendant le dealer. Ce que le sous-titre ne dit pas, c’est que ce garçon de Madrid rogné par le manque se prénomme Willy. Et sa copine, dont on ne sait pas, spatialement, si elle est à ses cotés ou si elle se sent très seule, a pour prénom Reyes. Willy était le petit frère du photographe Alberto Garçia-Alix et il mourut au début des années 80 d’une overdose, soit quelque temps après que cette photo ne fut prise. Willy et Alberto étaient frères mais ce n’est pas seulement pour cela qu’il n’y a aucune distance dans cette photo aux regards si honnêtement maudits et au monde derrière si intangible : juste qu’Alberto Garcia-Alix était lui-même à ce moment précis sévèrement dedans. Comme durant toutes les années que couvre ce livre, et qui vont de la fin du Franquisme 1976 jusqu’au moment où la Movida est devenue un folklore à touriste : 1986, Soit une décade lâchée à l’imagerie du rock n’ roll : fix me, demande la photo au bain révélateur… Fix me, demandent uns à uns les acteurs du petit monde de ces photographies.
Ceux qui ont connu l’Espagne des années 80 – et Madrid a toujours eu plus mauvaise réputation encore que Barcelone- savent combien les Espagnols ne rigolent pas avec la défonce qu’ils ont toujours envisagé comme un défi (on dit que que ça n’a plus rien de comparable, mais après-demain je m’envole pour Madrid : où il est toujours conseillé d’aller vérifier les choses par soi même…). De toute façon, les Espagnols n’ont jamais rigolé ni avec les rituels, ni avec les amours, ni avec les disques qui se situaient dans le dur du truc (pourquoi croyez-vous que des spécimens hautement toxiques tels que les Spacemen 3 ou les Scientists n’étaient pour ainsi dire vénérés que là-bas?), ni avec la panoplie vestimentaire (le vestiaire que déploient ici les photos relève de l’hallu) : du cirque rock considéré comme une tauromachie. Comme il n’y a pas de hasard, la première photo de Garcia-Alix pour laquelle j’eus le choc était un portrait tardif (circa 1988) de Johnny Thunders exposé à Arles il y a quatre ans. Un simple portrait mais dans lequel pouvait se lire une compréhension mutuelle entre le musicien et son photographe. Elle se passait de mots, Sad vacation.
« No me sigas… Estoy perdido » (« Ne me suis pas.. ; je suis perdu ») est le moto que Garcia Alix se fit tatouer sur le bras au pire moment du n’importe quoi de ses vingt ans, une façon indélébile de « se maudire lui-même » : c’est ainsi que le raconte son ami Xila dans le texte qui accompagne ce livre composé de photos chacune plus surpuissantes - et ce, en dépit du fait qu’elles étaient faites par un branleur madrilène qui ne savait pas encore qu’il était photographe (comment pouvait-il le savoir : tout le monde lui refusait d’exposer ses photos ?). Il avait juste trouvé ça – qui aurait pu être chose : la réparation de moto, par exemple – à quoi se raccrocher.
Il existe pas mal de bouquins de Garcia-Alix en circulation, mais celui-ci est de loin mon préféré, tout simplement à cause de ce texte de Xila que je pourrai relire vingt fois et qui me touchera toujours. C’est peut-être une chose bizarre d’aimer un livre de photos autant sinon plus pour le texte qui en soutient les images – qui préfère l’esclave au maitre ? -, mais le témoignage de Xila possède quelque chose d’authentiquement émouvant. Sa façon de raconter une génération n'est pas si éloignée des Détectives Sauvages.
Xila fut depuis la fin du franquisme et l’apparition du punk rock (1975) l’ami, voire l’ombre de Garcia-Alix, celui qui ne se défonçait pas mais qui était toujours là, dans la pièce à coté, notait tout, se souvenait de tout, des rires, des disques qui passait à telle ou telle occasion, des prénoms des nombreuses petites amies, des modèles de moto, du commencement comme de la fin, mainte fois frôlée, d’une vie qui aurait du finir très mal mais qui a trouvé la photographie sur son chemin. Ce qui explique sans doute que Garcia-Alix soit toujours vivant, de même que Ceesepe l’illustrateur soit lui aussi en vie (on reparle bientôt de Barcelona by night, promis), quand tant d’autres de cette bande des quartiers de la Latina, de Legazpi ou de la Puerta de Toledo ont été fauchés. La discipline au milieu du désordre.
Et puis on entend là, coincé entre les lignes de ce beau texte et entre les mailles de ces photographies nues, la transformation d’une génération entière de garçons et de filles qui ont subitement, et sans qu’aucun mot d’ordre n’ait été donné, troqué le punk pour le rockabilly originel. Tout comme aujourd’hui, il est permis de se reposer de tant d'insomnies technoïdes en remettant en début d’après-midi sur la platine le rock primitif... Toujours lui, encore lui… Pourquoi lui ? No lo sé, guapa, no lo sé...
«Ceesepe fit à cette époque sa première exposition. Les Rolling Stoens jouèrent à Madrid et Alberto se perça une oreille pour y accrocher un anneau. Les amies se trémoussaient avec leurs chaussures des années 50 achetées au Rastro, et la Bovia était toujours notre port d’attache le dimanche. Pour le reste de la semaine, de nouveaux bars s’ouvrirent. La musique sonnait plus fort, et David grandissait heureux en écoutant Gene Vincent. Fernando faisait claquer ses doigts. Il sifflait. Il riait. Rosa l’aimait. Et Guillermo cousit son nom de guerre dans le dos de son blouson de cuir : Willy. Tout le groupe se lança sans parachute dans ce tourbillon amené par les temps nouveaux.
Mais le bonheur n’eut qu’un temps. Peu à peu la consommation d’opiacés devient plus quotidienne et commença à causer des problèmes entre rires et foires.»
Alberto Garcia-Alix – Xila : No me sigas… Estoy perdido (1976-1986), No Hay Penas/La Fabrica/Kamel Mennour, 2006
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