Piero Holiczer – L’Underground à Préaux-du-Perche – éditions
Les Bain-Douches d’Alençon (2015)
C’est un petit trésor déniché sur les étals de la libraire
éphémère qui conclut l’exposition Velvet Underground – New York Extravaganza de
la Philharmonie de Paris. Le genre de découverte qu’habituellement on ne fait
qu’en rêve, quand les différents plans étanches de nos vies bien rangées s’inclinent
et s’entrecroisent pour faire naître des rencontres impossibles.
Imaginez : le fils d’un martyr de l’antifascisme
italien, devenu cinéaste underground à New York – où il fut le premier à filmer
le Velvet Underground –, et qui alla s’échouer dans la campagne normande où il
projetait ses films en hommage à Allen Ginsberg dans des salles communales, pour
un public de villageois tout droit sortis des pages du journal Le Perche (les articles sont en facsimile dans le livre).
C’est l’histoire de Piero Holiczer, héros méconnu des
sixties devenu clochard céleste au fin fond de l’Orne, racontée en 70 pages et
presque autant de documents dans cette émouvante brochure éditée par les
Bains-Douches (centre d’art contemporain d’Alençon).
On y voit les flyers surréalistes que Holiczer produisait
pour annoncer ses « festivals » aux habitants de Préaux-du-Perche, ce petit village normand où
il s’était installé à la fin des années 1960 après ses aventures américaines. Là-bas,
il avait croisé Angus McLise, Jonas Mekas, Andy Warhol ; ici, il était
désormais « Piero », l’original qui ne manquait jamais une fête
communale, qui faisait la conversation à tout le monde mais qui vivait
farouchement seul dans sa ferme délabrée ; et ceux qui étaient depuis
longtemps à Préaux se souvenaient qu’un jour de l’été 69 il avait présenté un
film avec des femmes à poil à tous les habitants du village (c’était son film
sur Jeanne d’Arc, il avait fait scandale, mais les gens avaient fini par lui
pardonner).
Ce petit livre nous donne aussi le témoignage de ses
voisins et voisines, qui parlent de ses habitudes étranges – quand il ne faisait pas les
marchés de la région avec sa charrette de livres d’occasion, il régnait sur son
domaine vêtu d’un simple short qui lui donnait un faux air de Tarzan, si Tarzan
avait été un clochard allogène dans la campagne normande. Ecologiste radical
avant l’heure, il ne supportait pas que l’on coupe des végétaux – les fermiers
du coin attendaient qu’il soit parti pour aller tailler en douce les haies
autour de son terrain.
Son histoire est tragique, évidemment. Sa lente dérive le
mena de la marginalité poétique aux rives sombres de la maladie mentale : il
sera interné pendant six mois en hôpital psychiatrique pour avoir planté un
rival avec un tournevis ; et il finit sa vie renversé par un camion en
1993, alors qu’il roulait sur les routes du Perche avec sa mobylette.
Piero Holiczer (1937-1993), un destin à la Nico, à la Angus McLise, à la Barbara Rubin, ces étoiles filantes de l’Underground qui se sont
toutes éteintes loin, très loin de New York, bien des années après leur moment
d’incandescence au cœur des sixties tumultueuses. Dans l’exposition sur le VU, Piero
Holiczer a son totem, comme Nico, comme Angus McLise, comme Barbara Rubin (qui
joue les premiers rôle dans l’histoire alternative des débuts du Velvet que j’ai
donnée au magazine de la Philharmonie, ici).
De lui on parle encore, parce qu’il a produit quelques œuvres
qui n’ont pas été perdues, parce qu’il a été là à un moment décisif de l’histoire
subculturelle du siècle écoulé, quand d’autres ne sont plus que des silhouettes
floues dans la mémoire de ceux qui se souviennent encore de cette époque. Il y a
au début du livre une très belle lettre de Jean-Jacques Lebel, cette figure
trop peu célébrée de l’Underground français, qui parle de « Piero »
comme faisant « partie de cette
tribu d’ombres flottantes qui peuple [ses] souvenirs, avec d’autres nommés Dave
Berry, Jacques Gabriel, Mason Hoffenberg, Roz Payne, Pierrot Blachier, Nina
Thoeren, Charles Henri Ford, Candida Schell, Bernard Saby, Serge Bricianier,
Etienne O’Leary, Emilio Villa, Christian Lagant, Bob Thompson, qui n’ont laissé
que de fragilissimes traces, quasiment imperceptible ». Recherchez
chacun de ces noms sur Internet, et c’est toute une histoire alternative du 20ème
siècle que vous découvrirez, entre conseillisme, surréalisme et psychédélisme.
Aujourd’hui, un sentier de promenade de Préaux-au-Perche
passe au lieu-dit « Les Friches », là où était la maison de Piero
Holiczer. Sa masure est toujours là, en ruine. Les gens du coin l’appellent « la
maison du poète ». On peut toujours y voir une presse à imprimer, qui ne
marche plus depuis longtemps.