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Wednesday, 26 February 2014

Ekaterina Anokhina, 25 weeks of winter, Peperoni books, 2013




1982, sur le tournage d’"Agatha" Marguerite Duras rappelle : «C’est par le manque qu’on dit les choses. Le manque à vivre, le manque à voir. C’est par le manque de lumière qu’on dit la lumière. C’est par le manque à vivre qu’on dit la vie. Le manque du désir, qu’on dit le désir. Le manque de l’amour, qu’on dit l’amour. C’est une règle absolue».

Que faire de toute la solitude, de toute la souffrance que l’on porte en soi ? Que faire de tout ce manque si ce n’est le traduire sur la peau translucide de la pellicule. Le sublimer par l’image…
C’est bien ce qui se joue dans "25 weeks of winter" de la jeune photographe russe Ekaterina Anokhina.





Des couleurs saturées et floues, des noir & blanc métalliques, parfois granuleux… « 25 weeks of winter » est un livre qu’on ose à peine effleurer par peur de toucher à quelque chose... Car ce petit livre au format et à l’attache fragile, raconte une histoire très intime. Trop intime. L’histoire même d’Ekaterina Anokhina (Ce que nous apprendra plus tard un court texte « Case of patient E », dont la photographe a confié la rédaction à la plume froide et distante d’une psychanalyste, et qu’elle a pris soin de glisser à la fin du livre pour ne pas en perturber la lecture).
Mais pour l’instant, feuilletant le livre, nous ne savons rien encore. Nous ne savons rien, et pourtant… au fil des pages, nous serons troublés. Désorientés. Mal à l’aise. Nous serons frappés par ces lieux à peine identifiables figés dans le froid et la brume, ces corps, ces visages qui se dérobent, fouillant dans le flot des images blanches pour y trouver ce qui n’est pas visible. Oui, ce qui se joue-là à quelque chose à voir avec le manque… On le sent, on le perçoit. D’emblée.



"25 weeks of winter" est le journal en image d’une séparation. L’album d’un amour, et de sa rupture. Et de la difficulté à oublier. Histoire d’un long hiver à apprendre à désaimer, de deux amants perdus dans le silence perçant, ouvrant les vannes des murailles de la mémoire, éclatant les briques suspendues, effractant les brumes opaques sur le grand large des fièvres.
Ici, dans la mélancolie sourde des clichés, plus de langage, plus de tribu, plus de famille. Juste le silence et le sang de métal du chant de la destruction pure. L’expérience de la douleur. Des états limites. Du désespoir et du souvenir tendre. De l’agonie et de la perte. L’expérience de la maladie de l’amour. Du désir pas encore éteint.




Oui, "25 weeks of winter", c’est le temps qu’il faudra à Ekaterina pour défaire cet amour. Le temps de se raccrocher au souvenir encore là, mais où déjà elle ne reconnaitra plus rien. Le temps de s’apercevoir, de vivre soudain avec le sentiment que tout s’échappe, tout fuit, inexorablement, malgré tout. « Quand on est arrivé au bout de tout, disait Céline, et que le chagrin lui-même ne répond plus, alors il faut revenir en arrière parmi les autres ».





Refermant le livre, le soleil serait revenu, vert et cru, irradiant le sol d’une multitude de petites fleurs sauvages aux reflets électriques.
Il ferait toujours aussi froid.
Nous serions au sud de l'hiver.
Et la solitude… la solitude… Rien. La solitude. Rien.



Ekaterina Anokhina, "25 weeks of winter", Peperoni books, 2013.


Thursday, 20 February 2014

Quote : Raymond Bellour, Les rendez-vous de Copenhague, 1966



Pix : Stanley Kubrick, circa 1950.

"Ce fut la nuit d'une autre nuit. Ce fut d'abord le chaos d'une trop grande précipitation, la maladresse que dans son désarroi si grand il ne put éviter, et, dans le désordre du temps retourné, la peur, la peine, surtout le désir fébrile et défait, mêlés à chaque apparition. Puis vint un moment de terrible lassitude après l'évènement issu de l'impossible tenu à bout de bras, désigné dans sa forme et ses détours multiples, reconnu dans son sens et le manque effarant qu'il laisse au coeur. Ce furent alors la fatigue, le grand énervement silencieux du corps et de l'âme brisés. Puis vint l'apaisement, comme un hasard où l'on se roule, où le recueillement commence, où joue la possibilité même de l'impossible, quand le regard a glissé sur ce qui fait la douleur si vive."

Raymond Bellour, Les rendez-vous de Copenhague, Editions Gallimard, 1966, p.234-235.