"And at night, by those same tracks, a man said to me : hey, you know that girl, that movie star with the long blonde twirly hair ?
Nice Tits ? Tell her Mickey’s looking for her.
The man was squatting on the dark concrete, smoking."
William T. Vollmann, Riding toward everywhere, Ecco 2008, New York (p.131)
Friday, 26 March 2010
Thursday, 25 March 2010
Toyohara Yasuhisa, Vanishing Light, 1991-2001
Fascination durable pour les marinas. Les complexes balnéaires. L'architecture en béton armé des studios de location - tentes blanc-cassées & balcons écaillés. Mes vieilles pierres à moi, l’endroit de ma réminiscence. Cette lumière aveuglante passée 11h30 A.M. et ce son de l’air ravalé par les eaux, semblable à un ballon crevé. Le soleil qui ravage tout, les cheveux collés par le sel, et l’iode. Ta serviette est et restera humide, deux filles traînent une démarche de crabe sur le goudron brûlant du parking, tu envies la fatigue sexy de leurs visages assommés par des heures vides à lutter en vain contre l’anesthésie estivale, contre la puanteur plastique des bouées gonflables, le bruit des raquettes. Contre cette odeur de chair cuite et de Taouk graisseux. Ta peau irritée par le pincement des gravillons accolés à la dalle dure sur laquelle tu as choisi de poser ta serviette, tu n’arrives pas à cacher ta tristesse quand à cinq heures du soir la mer remonte par vagues, et que l’ombre gagne sur le sable en redessinant la silhouette d'une roche - l’heure de faire un programme pour ce soir. On rentre? j’ai froid.
(quelques lignes quand même pour vous dire de quoi il retourne dans ce beau livre complètement ignoré. D'abord couve un projet de dingue, comme on les aime: Toyohara Yasuhisa a passé une décennie entière à photographier les japonais à la plage – plages toutes identiques aux nôtres, quoique peuplées de corps qui acceptent encore difficilement de s'exposer à demi nu en public. Mais cette pudeur n’est pas le sujet. Ce qui est saisi ici, c’est la séquence entière d’une journée où il n’y a plus d’actions à proprement parler – à la plage, on ne fait rien – mais des accumulations de mouvements désynchronisés, d’infimes efforts qui se heurtent les uns aux autres et qui ne mènent à rien. Sinon à tenter de s'inscrire dans un espace qui ne nous est plus assigné. Ces corps perdus, chaque photo de Yasuhisa les réinscrit dans un autre cadre (d’une étrange proximité, tel un Garry Winogrand nippon), et sous une lumière lentement déclinante. Qui a grandi avec la Méditerranée en face des yeux refermera ce livre en retenant ses larmes.
On en profitera pour s’interroger: Pourquoi la totalité des photographes occidentaux (je mets à part Claude Nori) se croient-ils obligés de traiter les vacances à la mer sur un ton ironique, sinon émoustillé, quand les asiatiques (et quelques artistes arabes) au cinéma (A Scene at the sea) comme en photographie, ont fait de "l'heure maritime" le sujet d’une mélancolie océanique ?)
Toyohara Yasuhisa, Vanishing Light (1991-2001), Wides Shuppan, Tokyo 2003
(quelques lignes quand même pour vous dire de quoi il retourne dans ce beau livre complètement ignoré. D'abord couve un projet de dingue, comme on les aime: Toyohara Yasuhisa a passé une décennie entière à photographier les japonais à la plage – plages toutes identiques aux nôtres, quoique peuplées de corps qui acceptent encore difficilement de s'exposer à demi nu en public. Mais cette pudeur n’est pas le sujet. Ce qui est saisi ici, c’est la séquence entière d’une journée où il n’y a plus d’actions à proprement parler – à la plage, on ne fait rien – mais des accumulations de mouvements désynchronisés, d’infimes efforts qui se heurtent les uns aux autres et qui ne mènent à rien. Sinon à tenter de s'inscrire dans un espace qui ne nous est plus assigné. Ces corps perdus, chaque photo de Yasuhisa les réinscrit dans un autre cadre (d’une étrange proximité, tel un Garry Winogrand nippon), et sous une lumière lentement déclinante. Qui a grandi avec la Méditerranée en face des yeux refermera ce livre en retenant ses larmes.
On en profitera pour s’interroger: Pourquoi la totalité des photographes occidentaux (je mets à part Claude Nori) se croient-ils obligés de traiter les vacances à la mer sur un ton ironique, sinon émoustillé, quand les asiatiques (et quelques artistes arabes) au cinéma (A Scene at the sea) comme en photographie, ont fait de "l'heure maritime" le sujet d’une mélancolie océanique ?)
Toyohara Yasuhisa, Vanishing Light (1991-2001), Wides Shuppan, Tokyo 2003
Wednesday, 17 March 2010
Quote
"The winter of ‘75 was a particularly cruel season – bitingly cold and bleak, bleak, bleak. I was holed up in an otherwise empty house awaiting demolition somewhere in Islington that Hermine had found to me, God bless her. And there was a heroine famine in the city : I had to spend practically all my waking hours walking around the metropolis in search of a ready source. But the worst of it was music I’d always be hearing wherever I went. One song reigned supreme over Britain’s airwaves at year’s end : Queen’s ‘Bohemian Rhapsody’. Every home in the British seemed to own a copy. Walk down any street and you could hear it wafting out onto the sidewalk like the smell of bad drains. Pub jukeboxes played nothing else. If anyone dared pick another selection, they’d have probably been ejected. The omnipotence of ‘Bohemian Rhapsody’ made it official : prog rock was still the opium of the masses. Hearing it echo around me on daily travels, I felt utterly defeated. Queen’s record shamelessly paraded everything I’d fought against as a rock commentator : it was theatrical, pretentious and meaningless, faux classical music for high-brow poseurs with low-brow attention spans, kitsch masquerading as art. I couldn’t see a way out of it ; I was doomed and so was rock’n roll. Heroin was killing me and Freddie Mercury and his fruity chums had just seen off the later. It was one of those ‘darkest hour befor the dawn’."
Nick Kent, Apathy For the Devil, Faber and Faber, 2010
Nick Kent, Apathy For the Devil, Faber and Faber, 2010
Thursday, 11 March 2010
Eat the document: Serge Daney-Jean-Luc Godard, 1987 (audio)
Le Godard d'Antoine de Baecque, première biographie en Français sur le cinéaste, sort ces jours-ci chez Grasset. On peut traverser ces 1000 pages breathless, comme d'autres ont traversé le Louvres en 5 minutes, ou les parcourir comme Godard aura parcouru le siècle: en le samplant. On peut aussi lire cette bio plus attentivement, de la même façon qu'on lirait un grand roman sur la solitude.
Mieux qu'un quote ou un post analytique, on cherchait ici à DiD une façon exceptionnelle de rendre hommage au cinéaste au détour de ce livre écrit sans lui (il y a longtemps que JLG fait en sorte d'effacer toute matière biographique,et il n'a bien sur prêté aucun concours à son biographe). On a remis la main sur 30 minutes radio d'une incroyable partie de pingpong cinéfolle entre Godard, qui venait de sortir Soigne ta droite, et le critique Serge Daney. L'émission -mythique, toujours épique - s'appelait Microfilms et cette session particulière doit dater de décembre 1987. Tutoiements.
Microfilms : Serge Daney-Jean-Luc Godard, décembre 1987
Antoine de Baecque, Godard (Biographie), Grasset, 2010
Mieux qu'un quote ou un post analytique, on cherchait ici à DiD une façon exceptionnelle de rendre hommage au cinéaste au détour de ce livre écrit sans lui (il y a longtemps que JLG fait en sorte d'effacer toute matière biographique,et il n'a bien sur prêté aucun concours à son biographe). On a remis la main sur 30 minutes radio d'une incroyable partie de pingpong cinéfolle entre Godard, qui venait de sortir Soigne ta droite, et le critique Serge Daney. L'émission -mythique, toujours épique - s'appelait Microfilms et cette session particulière doit dater de décembre 1987. Tutoiements.
Microfilms : Serge Daney-Jean-Luc Godard, décembre 1987
Antoine de Baecque, Godard (Biographie), Grasset, 2010
Wednesday, 10 March 2010
Carl Johan De Geer, Long live the large family, 1970's
Collectionner les livres de photos est une folie plus grande encore que collectionner les disques rares. A New York, à cent mètres de chez Other Music, au 33 Bond Street, il y a Dashwood - un sous-sol. mais classe, boutique presque froide, où se bousculent raretés, indispensables du moment et un nombre affolant de bouquins importés du Japon (on en reparle très bientôt)... Dimanche après-midi, on pouvait pour 25$ se porter acquéreur d’un exemplaire (sur un tirage limité à seulement 250 unités) du dernier catalogue à allure de fanzine que Dashwood vient de publier : Long Live the Large Family. Soit 40 pages softcover, quatre photos noir et blancs par page, provenant toutes d’un premier bouquin de CJ de Geer (Med kameran som trost // The camera as a consolation) publié en 1980 au Danemark. De Geer a mené de front plusieurs vies : artiste, cinéaste, écrivain, créateur de vêtement, présentateur d’un show à la télé, éditeur d’une revue contre culturelle (Puss, qui doit vouloir dire Kiss) un peu gourou devenu vaguement sociologue sur le tard ou je ne sais quoi d’autre... il est peut-être quelque chose comme le JF Bizot danois ou sa caricature.
Je ne sais pas toujours ce que racontent exactement les 76 photos de Long Live the Large Family, je ne sais pas bien si ces enfants qui feuillettent une revue porno dans un bus sont de la même famille que ce sosie de Ricardo Villalobos qui tient un cahier de notes sur un rocher au bord de l’eau. Ni cette fille surprise sous la douche qui se couvre la bouche mais pas le reste, ni cette autre fille qui se lève un matin pour traverser une cuisine en désordre de son seul peignoir blanc, ni celui-là, gigolo maigre et arrogant, qui téléphone à poil et cet autre qui,en un arrangement arty terroriste, a apposé conjointement un appareil photo et une arme à feux. Je ne sais pas non plus qui dort/baise dans ce lit défait ou qui met des pièces dans ce vieux jukebox au fond d'un bar. Je sais juste qu’ils ont tous l’air d'évoluer dans la même ville (Copenhague, sans doute), et d’y vivre intensément la même aventure en noir et blanc : les communautaires années 70. Je ne veux pas en savoir plus, ne veux pas qu'on me dise les noms, les appartenances, les groupuscules, les fonctions. J’aime bien, en fait, que ce livre garde l’instantanéité de son mystère. Qu'il reste immédiat et lointain - anonyme et danois. Mardi soir, Carl Johan De Geer était à Dashwood pour signer les derniers exemplaires de ce petit livre. Mercredi matin, le site de la boutique annonçait l'objet comme d'ores et déjà épuisé.
Long live the dysfunctional family.
Carl Johan De Geer, Long live the large family, Dashwood Books/ Boo-Hooray, NY, 2010
Je ne sais pas toujours ce que racontent exactement les 76 photos de Long Live the Large Family, je ne sais pas bien si ces enfants qui feuillettent une revue porno dans un bus sont de la même famille que ce sosie de Ricardo Villalobos qui tient un cahier de notes sur un rocher au bord de l’eau. Ni cette fille surprise sous la douche qui se couvre la bouche mais pas le reste, ni cette autre fille qui se lève un matin pour traverser une cuisine en désordre de son seul peignoir blanc, ni celui-là, gigolo maigre et arrogant, qui téléphone à poil et cet autre qui,en un arrangement arty terroriste, a apposé conjointement un appareil photo et une arme à feux. Je ne sais pas non plus qui dort/baise dans ce lit défait ou qui met des pièces dans ce vieux jukebox au fond d'un bar. Je sais juste qu’ils ont tous l’air d'évoluer dans la même ville (Copenhague, sans doute), et d’y vivre intensément la même aventure en noir et blanc : les communautaires années 70. Je ne veux pas en savoir plus, ne veux pas qu'on me dise les noms, les appartenances, les groupuscules, les fonctions. J’aime bien, en fait, que ce livre garde l’instantanéité de son mystère. Qu'il reste immédiat et lointain - anonyme et danois. Mardi soir, Carl Johan De Geer était à Dashwood pour signer les derniers exemplaires de ce petit livre. Mercredi matin, le site de la boutique annonçait l'objet comme d'ores et déjà épuisé.
Long live the dysfunctional family.
Carl Johan De Geer, Long live the large family, Dashwood Books/ Boo-Hooray, NY, 2010
Sam Shepard, A mi-chemin, 2002
Lui a eu brièvement son grand moment en France, où au milieu des années 80 il était inévitable entre le scénario palmé d’or de Paris, Texas, son interprétation de beau cowboy fanfaron mais intact aux cotés d’une Kim Basinger pour une fois bonne dans Fool for love un Altman combinant odeurs de crottin et relents de théâtre existentialiste adapté d’une de ses pièces de théâtre, et le volume de nouvelles magnifiques qu’avait publié alors 10/18 : Motel Chronicles/Lune Faucon – un livre que je peux relire en revoyant avec précision la lumière matinale de ces jours d’avril 1987 qui en entouraient la découverte affamée.
Aux Etats-Unis, sa cote est plus constante, il est encore un héros, un peu fatigué comme tous les héros, adulé pour ses pièces (prix Pulitzer en 79, rien moins), ses nouvelles, sa légende (ex de Patti Smith, mari de Jessica Lange, compagnon de route des Stones époque foulards ou du Antonioni Zabriskie). Adulé parce que pour décrire les restes avariés d’un grand American West en passe de disparaître, il n’y pas mieux que Sentimental Shepard, orphelin d’une Amérique de misfits errants sans but défini entre le rodéo, les comptoirs à barfly et l’envie perpétuelle de tout plaquer pour tout recommencer ailleurs. Sa mélancolie tient à peu de choses : là-bas, l’herbe est plus verte et comme tentation on n’a pas trouvé mieux, il va falloir alors une fois encore repartir à la recherche de son propre horizon, inévitablement, ça vous prend aux tripes, quelque chose à vous empêcher de fermer l’œil nuits après nuits, mais l’illusion a la peau moins dure que les doutes et, passé une centaine de kilomètres à rouler sans se retourner dans le désert, les remords, la désillusion reprennent la main. Il n’a jamais raconté que ça : la solitude masculine face à ses décisions, la maladresse malade de l’homme. Open all night.
A mi-chemin est sans doute plus inégal que Motel Chronicles – comme chaque fois que chez Shepard la mythologie le cède un peu au folklore. Mais il n'en est pas moins opérant. Sans doute parce qu’on y entrevoit une fois encore l’immensité du paysage imaginaire américain, l'abime de son horizon. Et on y rencontre les mêmes pages à couper le souffle sur le père (le sien avait l’air de se poser là comme version redneck/fracassée d’Harry Dean Stanton, un parangon de vieux cow-boy gourdineur, désormais cuit finissant ermite dans le désert à ruminer mille gâchis sentimentaux). Le fantôme d’un géniteur volage - et bon qu’à ça : l’abandon chronique- hante toute une bonne partie de ce A mi-chemin, même si son fantôme pourri est planqué cette fois (et on peut le regretter) sous le faux anonymat de la fiction. Mais comme la fiction ici ne trompe personne, on continuera à lire ces brefs textes comme autant de pages d’un journal autobiographique.
Anyhow... Ces jours-ci, un petit peu perdu là sur les routes intérieures nord-américaines, quelque part entre le Canada et l’Amérique, ce livre vaut pour nous comme meilleur compagnon de voyage possible. Ne serait-ce que pour une phrase, une seule phrase qui nous mis à genoux, hier matin même, dans la lumière photogénique d’un bar de Toronto : «La vie, c’est ce qui vous arrive quand vous rêviez de faire autre chose.»
On répète : «La vie, c’est ce qui vous arrive quand vous rêviez de faire autre chose.»
Tout est un peu dit là, non ?
(et un dernier pour la route)
«Cette femme. Quand était-ce, la première fois que je l’ai embrassée ? Et qui je faisais semblant d’être, alors ?"
Sam Shepard, À mi-chemin (Great dream of heaven), traduit par Bernard Cohen, 2002, 10/18.
(New) Journalism (2) – An Internet Reader
La sortie ce mois-ci de la première biographie en français de Hunter S. Thompson redonne un peu d’actualité à la légende de ce Nouveau Journalisme ici évoqué il y a quelques mois. Et rappellera à ceux qui l’auraient oublié, ou apprendra à ceux qui l’ignoreraient, que Thompson n’était pas cette caricature exhibo-nombrilisto-junkie que répercute l’écho blogueur de l’époque ; mais avant tout un journaliste déterminé à se mesurer aux monstres de son temps (Nixon, Ali, l’Utopie des Sixties), doublé d’un styliste halluciné déterminé à écrire en même temps le Grand Roman Américain. Sur papier journal.
Car, si l’on recherche le fil commun qui relierait les grandes figures de la bibliographie hétéroclite du Nouveau Journalisme, le seul qui soit véritablement incontestable est bien celui-là : tous ces textes ont été publiés dans des journaux. C’est-à-dire dans des supports à grand tirage, bon marché et accessibles, mais éphémères ; le jour suivant, le mois suivant, un nouveau numéro chassait l’ancien et l’article disparaissait, pour des mois ou des années, parfois pour toujours s’il n’était pas republié dans un livre. Jusqu’à l’âge de l’internet, du moins ; qui aura eu cet effet proprement miraculeux de faire réémerger de leur néant de papier jauni les archives de la plupart des grands magazines du XXème siècle. Et donc quelques uns des grands textes du New Journalism. Petite sélection, puisée dans la partie 100% gratuite du web :
* Gay Talese, Frank Sinatra Has A Cold, Esquire, avril 1966 : portrait transversal et désormais classique de la star en seigneur de la Renaissance au milieu de ses sujets
* George Plimpton, Zero of the Lions, Sports Illustrated, septembre 1964 : le football américain vu de l’intérieur, littéralement (et douloureusement)
* Tom Wolfe, Radical Chic, New York Magazine, juin 1970 : les Black Panthers chez Leonard Bernstein, en 1970 (de vrais rebellllles, ma chère)
* Tom Wolfe, The Birth of 'The New Journalism' : An Eyewitness Report, New York Magazine, février 1972 : l’article qui deviendra la préface de l’anthologie New Journalism
… et, en guise de bonus beats 00s, l’article que j’ai le plus conseillé depuis trois ans :
* Evan Right, Pat Dollard’s War on Hollywood, Vanity Fair, mars 2007 : sidérant article-fleuve de 20 000 mots sur un impresario de Hollywood devenu war junkie à Bagdad ; absolument stupéfiant, à tous les sens du terme
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