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Disorder in Discipline-



Monday, 31 May 2010

R.I.P. Louise Bourgeois (25 décembre 1911 - 31 mai 2010)


















Sniff, Louise ne sifflotera plus...

«Au départ, mon travail c’est la peur de la chute. Par la suite c’est devenu l’art de la chute. Comment tomber sans se faire mal. Puis l’art d’être ici, en ce lieu. »
(Louise Bourgeois, catalogue de l’exposition Tate Modern/Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, édition française, 2008, sous la direction de Marie-Laure Bernadac et Jonas Storsve)

Audio:
Louise Bourgeois (w/th Ramuncho Matta) - Otte (1995)

Wednesday, 26 May 2010

Didier Lestrade, Chroniques du dance floor, 1988-1999













J’ai acheté ce livre il y a à peine cinq minutes, et déjà je me sens bien. Chroniques du dance floor rassemble des papiers que Didier Lestrade publia sur une décennie (1988-1999) dans Libé. Il y a un mois, à la faveur de travaux chez moi, j’ai trié quatorze ans d’archives : livres, vhs, journaux, magazines. J’ai jeté sans regret la moitié des Libé, ça m’a pris quatre jours entiers mais c’est un temps relativement court en regard de la psychanalyse que ça représente. J’ai vu une décennie et demie défiler. Dans une pochette, il y avait, découpées à la main, les manchettes « House » de Lestrade qui paraissaient un jeudi sur deux (elles s’appelaient tout d’abord disco, à la toute fin des années 80... il fallait vraiment être Lestrade pour tenir à ce titre juste). Hors de question de les jetter, celles-là. Je me suis aussitôt assis par terre et j'ai commencé par relire cette critique où, parlant du premier Motorbass, Didier disait qu’il aurait voulu être leur walkman pour pouvoir entendre toute cette musique surnaturelle que Zdar et De Crecy écoutaient. Puis cette chronique du This time de Chantée Moore où il décrivait « un physique à vous faire changer d’orientation sexuelle ». Ou encore celle-ci, vers 90/91, où il raconta comment, un jeudi soir, alors que Garnier venait de jouer pour la première fois Acid Eifel, les danseurs du Rex se sont arrêtés pour applaudir. J’habitais loin de tout ça, je n’avais jamais écouté rien d'autre que du rock, mais ça m’a semblé un petit peu pour moi (il a fallu quand même que je me décoince de pas mal de mes a–prioris sur le bon goût en musique… le « bon goût »!!!… mon dieu !!). Lestrade nous montrait qu’on pouvait écrire avec émotion, et ses articles nous apprenaient à danser. I mean, il suffisait de le lire et on savait instantanément comment se comporter sur un dance floor. Par exemple, ne pas quitter la piste parce que le dj décide de passer « de la techno avec des voix », dire des bêtises mais avec élégance, s’énerver pour les bonnes raisons, reconnaître (un truc disco d’un truc garage), aimer, pleurer, embrasser, ou juste apprécier danser à coté de quelqu'un… et tout un tas d’autres trucs qui rendirent immensément heureux tout ceux qui voulurent bien s’abandonner à la house music - cette musique que ceux en qui on avait jusqu’ici confiance (les Inrocks) nous décrivaient comme débile, débilitante, pas possible.
Chroniques du dance floor... le titre est heureux. C’est précisément là que ça se passe - le centre du monde et celui de l'écriture de Lestrade. C’est pourquoi ces chroniques restent si irrésistibles, si drôles. Et habillées d’une écriture de folle aussi intense. C’est pourquoi il vaut mieux encore lire ça chez soi ce soir plutôt que de rejoindre n'importe quelle soirée remplie de boulets. Vous avez désormais le choix. Vous savez, quand les gens lisaient ça collectivement, tous les jeudis matins, les soirées étaient mieux. Je ne peux pas m’empêcher d’y voir un rapport de cause à effet.
Pourquoi lire en 2010 des chroniques de maxis introuvables et qui n’intéressent (sans doute) plus personne? Pour les mêmes raisons qu’il était vital de les lire en 1993 même si on avait jamais mis les pieds dans un club digne de ce nom (je veux dire : pas une boite du sud), même si on était incapable de distinguer à l’oreille Detroit de Chicago, même si, en bons hétéros, on ne savait du SIDA que des trucs de prévention mais rien sur la demande d’espoir de ceux qui vivaient l’épidémie comme un camp de mine. On lisait ça (1250 signes hebdo, un coin de page), et on se préparait à quelque chose d’aussi grandiose que l’exagération avec laquelle Didier la décrivait. Le pire, c’est que cette chose-là (la France comme House nation) a plus ou moins fini par avoir lieue (et dans des proportions qui nous ont vite gonflées) et ces cons-là ont viré Didier au moment précis où l’histoire montrait que ces années durant, passées à décrire à douze folles ecstasiées une vibration qui partait de New York pour arriver à son propre corps, il avait eu infiniment raison.



«Ces chroniques étaient plus joyeuses, car j’étais plus jeune. Il est évident qu’on ne regarde pas la musique de la même manière à 50 ans. J’avais 30 ans, alors, ce qui veut dire que je cultivais à travers cette musique une idée du bonheur. Le SIDA était déjà dans ma vie personnelle ; l’amour de ma vie est décédé en 1992 et ces chroniques sont en plein dedans. Mais la house était une promesse d’espérance et je cherchais à me concentrer sur ce que cette musique pouvait nous apporter, en tant qu’individus dans la société. Je voulais faire connaître cette musique et insister sur ce qui n’avait pas été fait en France sur la soul, le punk, la disco ou la Hi-NRG : expliquer pourquoi ces musiques avaient une signification sexuelle, identitaire et intime.» (in avant propos inédit)

Didier Lestrade, Chroniques du dance floor (Libération 1988-1999), L’éditeur singulier, Paris, 2010