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Saturday, 28 February 2009

Ishiuchi Miyako, Endless Night 2001, 1978-2001




Une collection de murs lépreux, de vernis écaillés, de cuirs foutus. Sur les pans de la devanture en vieux bois de cyprès, on a posé des clôtures. On pourrait presqu'entendre la voix de Jean Noël Picq dans Une sale histoire, le film d’Eustache : «je suis retourné dans ce café, mais il était entouré de palissades, ça ressemblait à la fermeture d’un théâtre porno... ».
Endless night est le genre d’objet rare pour lequel on peut aller très loin. L’exemplaire que je tiens entre les mains, il m’a fallu aller le chercher sur place, à Tokyo, à la Rat Hole gallery, une galerie de photos du quartier d’Omotesando qui vend assez peu de livres, 250 à tout casser, mais pour lesquels on se damnerait. Précision d’usage: les gens du Rat Hole demandent en général aux photographes de leur signer les exemplaires en vente. C’est ainsi que je regarde la signature, nerveuse, atypique pour une japonaise, d’Ishiuchi Miyako, cette femme que je n’ai jamais rencontrée, sur laquelle je ne sais rien (elle est inconnue en Europe) sinon qu’elle a commencé à faire des photos au mitan des années 70, qu’elle est née en 1947 tout comme les modèles féminins dont elle photographie chaque année les mains et les jambes. Elle n’a donc jamais photographié que ça : les marques du temps, sous toutes ses formes. Ce livre sur des lieux de nuits fermés depuis longtemps n’y échappe pas : c’est une série de photos d’une cruauté infinie sur le temps qui passe, sur le désir qui s’éteint, sur la détérioration des pulsions intimes. L’architecture des bordels, leur rococo, leur fonctionnalisme exigu, leur parfum de sordide , tout cela qui intéresse de prime abord, sinon excite, ne fait pas illusion longtemps : Endless night épie la mort au travail, afterhour.
Cette série sur la nuit endormie, Ishiuchi Miyako l’a entreprise de 1978 à 1980, mais elle a attendu 2001 pour en développer les négatifs, les exhumant quelque temps après la mort de sa mère. C’est dans le sillage de cette absence-là que ce projet, laissé en sommeil pendant 20 ans, prenait désormais sens pour elle. Les japonais sont des gens patients. D’une patience exquise et vénéneuse.

L’ensemble tient en 87 photographies noir et blanc : cabarets louches, bars mal famés, love hôtels des Akasen-ato (quartiers rouges, en japonais) de Tokyo, d’Osaka, de Sendai ou de Nagoya - des lieux de nuits saisis brutalement en pein jour. Ces emblèmes de l’industrie du plaisir (pas forcément illicite, au Japon ces endroits permettent juste de s’aimer en dehors de l’exiguïté du domicile conjugal) sont vidés de leurs couleurs, de leur énergie, du désir qui d'ordinaire les habite. Regardés mais au moment où il ne le fallait pas, froidement, à la lumière de l’après-midi, à l'heure de la fermeture, ou au crépuscule de leur vie, quand l’endroit, faute de clientèle ou pour satisfaire des versements de fonds crapuleux, a cessé depuis longtemps d'exister. Maison close. Ça n’a pas marché, plus de rires arrosés de saké bière, plus d’entraîneuses pour croiser leurs jambes sur les banquettes en simili skaï. Une crasse obstinée a fini par s’incruster dans les interstices des carreaux de faïence. L’hygiénisme en règle autrefois pue désormais le cafard. Il n’y a plus d’amour qui tienne. La lumière blanche du jour a jeté toute sa dureté sur ces endroits rouges.

(…à les regarder, ces clichés hantés appellent à remettre le même disque, encore et encore: Endless sleep, hit creepy de Jody Reynolds sorti chez Demon en 1958. Les japonaises aiment tellement le rockabilly…).



Ishiuchi Miyako, Endless Night 2001, WIDES shuppan Co ; Ltd, Tokyo, 2001.

3 comments:

  1. roman opalka travaille bcp sur la notion du temps. et c'est très bien et je recommande.

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  2. je viens de le trouver!
    la journée commence bien..

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  3. Pornochio, si tu es passé à paris Photo, j'espère que tu n'as pas loupé la Third Gallery Aya qui montrait pour la première fois en Europe des tirages grand format de Endless Night, Apartment et Yokosuka Story, splendide !

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