Saturday, 21 February 2009
Collectif – Komintern : L’histoire et les hommes – Dictionnaire biographique de l’Internationale communiste – Les Editions de l’Atelier, 2001
C’est un gros ouvrage de 600 pages à la mise en page sommaire, qui doit prendre la poussière dans les bibliothèques des facs d’histoire, d’où personne, sans doute, n’a jamais imaginé le faire sortir pour le plaisir.
Et c’est un tort : il y a 100 films d’aventures ou 1 000 romans dans ce livre ; Roda-Gil y aurait trouvé plus qu’une poignée d’idées de chansons, Pierre Christin quelques héros tragiques à magnifier. Mais on y trouvera aussi l’empreinte glacée de la dictature ; le goût amer des espoirs brisés ; la furie de l’idéologie « mise au poste de commandement » ; la Sibérie du goulag, la Hongrie de Bela Kun, l’Espagne républicaine, l’Europe sidérée par le Pacte germano-soviétique. Et 500 histoires de vie proprement extraordinaires. Des vies de salauds, des vies de héros, qui parfois se confondent, en fonction des revirements de l’Internationale Communiste ou de leur propre conscience.
Démonstration. Ouvrons le dictionnaire au hasard. Presque à coup sûr, on tombera sur une vie qui épouse les tourments, les passions, les tragédies du XXème siècle :
Page 146, Raoul Beck (1897-1943) : exclu du PCF en 1935 à la demande du Komintern pour lui faire animer un réseau clandestin d’aide aux républicains espagnols, puis un réseau d’espionnage en France occupée ; arrêté par la police française, fusillé par la Gestapo en 1943.
Page 350, Joseph Jacob (1896-1976) : il mena de dangereuses missions pour l’Internationale dans l’Italie fasciste de 1925 ; écarté dans les années 1930, il rejoignit Doriot en 1941 et sera condamné en 1945 à l’indignité nationale
Page 581, Marc Willems (1906-1968) : dirigeant du PC belge au début des années 1930 (à moins de 30 ans !), il est contraint à l’auto-critique et rappelé à Moscou en 1935 ; ouvrier dans une usine soviétique, il se distingue par son zèle stakhanoviste ; purgé en 1937 il est envoyé au goulag où il restera jusqu’en 1955 ; jamais rentré en Belgique, il meurt en URSS en 1968
Il n’y a aucun romantisme dans ces destinées toutes entières marquées par la politique, par la froide rationalité de la raison d’Etat, par la dure réalité du communisme soviétique – son fanatisme mâtiné de bureaucratie, son cynisme arrogant, la brutalité avec laquelle il broyait les hommes, les idées, les pays. Il n’y a aucun romantisme dans ces destinées, mais il y a du romanesque. Parce que ces hommes n’étaient pas n’importe quels communistes : ils étaient ceux qui sautaient d’un pays à un autre, la police bourgeoise à leurs trousses, pour exporter la révolution ; ils étaient ceux qui vivaient le choc entre les mots d’ordre édictés à Moscou et la complexité des réalités locales, à Shanghai en 1927, en France en 1934, ou à Barcelone en 1937 ; ils étaient ceux qui faisaient le sale travail – remettre au pas les déviants, éliminer les traîtres ou les souvenirs d’un passé devenu honteux – et souvent, pour cette même raison, ils finissaient par devenir eux-mêmes des proies, un sale travail à faire pour d’autres qu’eux, plus jeunes et plus dévoués au Chef.
La Révolution bolchevique fut un désastre pour la gauche russe, dès le début, mais il est difficile de ne pas vibrer à ses dix premières années, vues du point de vue du Komintern : à cette époque, Moscou n’était pas encore la capitale du nouvel empire russe, mais s’imaginait toujours comme le foyer ardent de la Révolution mondiale. Un homme nouveau y était en train de naître, dont la patrie était une Idée, et non un Etat, et les kominterniens étaient l’incarnation de cet homme nouveau. Du moins le crurent-ils tous, jusqu’à ce que, pour la plupart, un changement de ligne de trop ne finisse par leur déciller les yeux – et leur laisse le choix, s’ils n’étaient pas déjà morts, entre la rupture dramatique (et dangereuse) avec toute leur vie d’avant, ou la lâche abdication de l’apparatchik. Tel était le prix à payer : leur vie, leur confort, ou leur conscience.
Après la guerre, le communisme international devint cette mécanique bureaucratique alliant le conformisme culturel le plus extrême à l’efficacité militaire des services secrets. Il ne s’agissait plus de faire la révolution mondiale, mais de consolider l’impérialisme soviétique. Le système n’avait plus besoin d’aventuriers de la révolution, mais de technocrates de la manipulation – ces agents du KGB qui se sont si bien reconvertis à l’économie de marché et à la « démocratie dirigée » de la Russie d’aujourd’hui. Komintern : L’histoire et les hommes parle d’une toute autre époque, dont ces quelques 500 notices ne donne que le squelette ; où sont les romanciers, les cinéastes, les artistes qui sauront en restituer la chair et l’âme ?
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ReplyDeleteon a retrouvé une définition inédite dans les placards de correction : "l'URSS, ça tiendra" signé Hélène Carrère d'Encausses
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