Je lis aussi mal l’Anglais que je le parle. Mais parfois, quand j’en ai marre d’attendre qu’on traduise des bouquins que je veux lire depuis un moment, je fais un effort. Il en va ainsi du White Album de Joan Didion. L’an dernier, les éditions Robert Laffont ont eu la bonne idée de rééditer son chef d’œuvre, Play It as It Lays, (en V.F. : Marie avec ou sans rien) ; plongée sidérée dans la psyché d’une actrice californienne qui perd complètement le contrôle sur sa vie et dont la réalité se dissout, se transformant peu à peu en un véritable marécage. La cloche de détresse à Malibu si vous voulez. J’ai toujours été attiré par les livres décrivant avec minutie les dérives mentales, Dostoïevski ou Selby en tête, mais Joan Didion a quelque chose en plus, une acuité face à ses propres névroses qu’elle met toujours au premier plan car intimement liée à « son cher sujet » : le gouffre qui s’est ouvert sous les pieds de l’ intelligentsia et du showbiz West Coast à la fin des années 60 (en attendant « the big one » qui nous débarrassera définitivement de la Silicon Valley et de ses millions de geeks). On retrouve ainsi dans The White Album quelques figurants/acteurs/fantômes/lieux/éléments clefs de cette période crépusculaire: John Phillips, Jim Morrisson, Roman Polanski et Sharon Tate, Linda Kasabian, Ronald et Nancy Reagan, Doris Lessing, Georgia O’Keeffe, des Black Panthers, des féministes, l’eau, le soleil, l’expérience quasi mystique des freeways et la désolation générale d’un état, la Californie, en passe de devenir un non-lieu. Je n’ai peut-être pas tout compris, mais le paysage dépeint en une suite d’essais, courts, concis, d’une intelligence fulgurante, constitue, il me semble, un autoportrait perturbé, parasité par la « disneyification » des esprits dont Joan Didion a su ici diagnostiquer les symptômes. Ceux de notre apocalypse où chacun se conforme désormais aux conventions dramatiques d’un script sans auteur dans l’espoir de devenir quelqu’un d’autre, célèbre de préférence.
« In the big house on Franklin Avenue many people seemed to come and go without relation to what i did. I knew where the sheets and towels were kept but i did not always know who was sleeping in every bed. I had the keys but not the key. »
« As i drove home that day through the somnolent back streets of Hollywood i had the distinct sense that everyone i knew had some fever which had not yet infected the invisible city. In the invisible city girls were still disappointed at not being chosen cheerleader. In the invisible city girls still got discovered at Schwab’s and later met their true loves at the Mocambo or the Troc, still dreamed of big houses by the ocean and carloads of presents by the Christmas tree, still prayed to be known »
Joan Didion, The White Album, First Farrar, Straus and Giroux, 1990.
j'adore aussi ce bouquin, je l'ai lu en anglais i y a quelques annees, j'ahallucine que ce ne soit pas traduit... en parallele, je te conseille "Playland", un livre de son mari, J.G Dunne qui raconte l'histoire d'un mec parti a la recherche d'une actrice du muet disparue... bon, en anglais toujours...
ReplyDeleteautre truc a checker, dans le style "psyche en chute libre", Anna Kavan. En particulier Asylum Pieces (non traduit) ou "Demeures du Sommeil"...
ReplyDeleteAsylum pieces a été traduit en 1983, paru chez Bourgois sous le titre Une représentation à l'asile. Devenu très dur à trouver.
ReplyDeleteA la même époque, 1985, Bourgois faisait paraitre en 10:18 un Joan Didion assez beau, Un livre de raison (A book of common prayers). Disparu de la circulation depuis des lustres.
Thanks. Je note vos recommandations. En attendant je viens de me procurer ce que Joan Didion semble considérer comme le mètre étalon du genre "femme au bord du précipice": Le carnet d'or de Doris Lessing. Je vous en donne des nouvelles dans quelques temps (c'est une somme).
ReplyDeleteJe comptais justement parler ici de "Play It As it Lays" ! Cela dit je pense quand même le faire, c'est pas comme s'il y avait une inflation de choses sur Didion.
ReplyDeleteJ'ai récemment maté "Needle Park", scénarisé par Dunne et elle, et j'ai trouvé que tout ce qu'il y avait de bien dans le film reposait sur les dialogues, le reste étant un peu ni fait ni à faire.
Apparemment "Play It As it Lays" a été adapté au cinéma par Joan Didion, mais le film à l'air introuvable...
ReplyDeleteOui, réalisé par Franck Perry, l'homme qui a quand même fait The Swimmer, le film le plus dingue qui soit. La Cinémathèque n'a pas, je pense, de copie de Play... ça ne passe jamais, et pas de dvd non plus. On croyait qu'on vivait dans une époque formidable, en fait non.
ReplyDeleteLe "Henri Langlois du per to per" est rentré bredouille. Tu me dis en plus que c'est le réalisateur de The Swimmer, là je deviens dingue... Je recherche également désespérément The Pumpkin Eater, si jamais quelqu'un a une copie de ce film...
ReplyDeleteThe Pumpkin eater does not exist in dvd. Future availability is not guaranteed.
ReplyDeleteje sais pas si vous connaissez le site privé karagarga mais play it as it lays et the pumpkin eater ont l'air d'y être disponibles
ReplyDeleteHello Etienne, merci pour l'info. Apparemment on ne s'inscrit pas si facilement sur karagarga, il faut recevoir une invitation, si jamais tu as une solution je suis preneur...
ReplyDeleteOui c'est sur invitation, et il faut avoir uploadé genre 100 go pour pouvoir inviter qqn, mais bon je peux te le graver si tu veux, je suis un peu une médiathèque municipale à moi tout seul en ce moment.
ReplyDeleteça serait fantastique! J'ai pas mal de films de mon coté, je peux te passer ce qui t'intéresse...
ReplyDeletehallelujah! Je viens de trouver les deux films. Merci néanmoins.
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