On aime bien par ici les histoires de junky, de caniveau, de descente aux enfers. Ces histoires qui finissent mal (overdose, suicide, abandon, trahison...) à l'aube, au crépuscule, rarement en plein soleil, à l'heure de la messe ou à celle du thé. Une seringue dans le bras, un couteau dans le dos: voilà, c'est fini. Pas de rédemption, pas de deuxième acte. Le néant, c'est tout. On aime bien ces voyages immobiles, ce romantisme poisseux qui grésille au creux des petites cuillères, ces images misérables éclairées à la lumière des réverbères qui font frétiller nos pupilles de jeunes filles rangées. La drogue fait partie de nos vies car elle occupe nos esprits. Si l' on se laisse parfois tenter, ce n'est pas pour ce qu'on nous vend (toujours la même histoire), mais pour ce qu'on nous offre: une dramaturgie, sans doute un rituel, dans laquelle nous ne sommes plus que des voyeurs. Nous sommes ici dans la fiction, nous jouons gentiment avec des allumettes sans nous brûler les doigts. D'autres ne jouent pas, ne regardent pas leur vie comme une série B, souffrent et tentent d'échapper à la mort.
The Narcotic Farm raconte en textes et en images, l'histoire de la première institution américaine, The United States Narcotic Farm, ouverte en 1935 à Lexington dans le Kentucky, ayant pour but de soigner et de comprendre l'addiction aux drogues dures. The Narcotic Farm fonctionnait à la fois comme un centre de cure pour des volontaires au bord du gouffre (c'est souvent leur dernière solution) et comme une prison pour drug addicts. Pour la première fois les junkies ne sont plus considérés comme des sujets pathologiques mais comme des gens normaux. Noirs, blancs, cadres, fermiers, la drogue touche ici tout le monde. Pour s'en sortir il faut arriver à se parler. Mais si l'utopie fonctionne dans les premières années, à partir des années 50 The Narcotic Farm s'engage dans un programme d'expérimentations de drogues sur des détenus volontaires (l'un d’eux témoigne: "Later on I came to grips with the fact that I was used. Being a young man, I was very vulnerable in the sense that if it's about drugs, I wanted drugs") qui deviennent dès lors de véritables cobayes humains. Cette dérive culmine jusqu'au scandale: au plus fort de la guerre froide la CIA subventionnait The Narcotic Farm pour faire des expérimentations sur le LSD afin d'élaborer une drogue capable de contrôler les esprits. The United States Narcotic Farm doit fermer ses portes à la fin des années 70.
Ce livre magnifique (iconographie incroyable, mise en page impeccable) raconte avec tact et humanité le destin de ces hommes et d’une institution qui a échoué à les soigner. En le refermant on se demande encore quelle est leur place dans le monde. Nulle part ? Ailleurs ? A coté ? De l’autre coté ? Aucune idée.
The Narcotic Farm: The Rise and Fall of America's First Prison for Drug Addicts
Nancy D. Campbell, JP Olsen, Luke Walden, Abrams 2008
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oh la, je commande direct...
ReplyDeleteAujourd'hui, tu ouvres un centre rehab et c'est de suite la ferme des célébrités...
ReplyDeleteJe plaisante: livre indispensable en tout point
je viens de le recevoir, effectivement indispensable...
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