On n’écrit pas de bons livres sur la musique sans avoir la foi. Yves Adrien l’a/vait, Nik Cohn en rêvait, Lester Bangs n’était jamais meilleur que lorsqu’il faisait semblant de ne plus l’avoir, Nick Tosches la déguisait sous une avalanche de faits et de détails crédibles, façon St Thomas. Plus près de nous, Kodwo Eshun, avec toutes ses préciosités de pseudo-shaman à lunettes, l’avait aussi, à une certaine époque, et Dave Tompkins n’a pas pu écrire son étrange histoire du vocoder à travers les âges sans elle. La foi ? mais la foi en quoi ?
Mais en la musique, bien sûr. En sa force, en sa magie, en son mystère - en quoi d’autre ? Chez tous, on retrouve chevillée dans leurs textes et leur écriture cette croyance un peu naïve et pourtant démontrée par l’exemple qu’une chanson peut changer une vie, qu’un disque 45 tours vaut autant qu’un livre de 450 pages pour soulever une société ou, plus simplement, qu’un peu de notre condition humaine, à nous, chacun personnellement, est contenu dans ce morceau tout juste entendu à la radio et composé l’année dernière ou il y a 80 ans, à deux rues d’ici ou à 10 000 kilomètres de chez nous.
Ceux qui ont écrit ce Soul Book dont il ne doit pas beaucoup circuler d’exemplaires en France aujourd’hui (le livre n’est pas traduit et n’a pas été réimprimé depuis sa sortie en 1975) possédaient cette qualité : ils avaient la foi dans ce dont ils parlaient (en l’occurrence et pour faire simple, la soul, de 1960 à 1975) ; et ils l’avaient d’autant plus qu’ils étaient à la fois les seuls et les premiers à le faire ainsi - sans référence autre qu’incidente au rock’n’roll ou à la musique blanche, contrairement aux grands livres pionniers du genre, le Awopbopalopbamboom de Nick Cohn et le Sound of the City de Charlie Gillett : ils écrivaient sur Clyde McPhatter, sur Al Green, sur le Philly Sound, depuis cet angle mort honteux où la critique rock classique avait rejeté les artistes noirs américains qui ont pourtant inventé la musique des faux et vrais dieux devant lesquels elle préférait alors se prosterner (Springsteen, Dylan, les Rolling Stones, les Beatles repreneurs de Motown).
Ce livre n’est cependant pas un livre de connaisseur, de fan pour les fans. Découpé en cinq essais thématiques, il embrasse (presque) toute la diversité des dérivés du R&B et du gospel des années 1960 et du début des années 1970 : il redonne aux déjà oubliés à l’époque Little Willie John, Hank Ballard et Clyde McPhatter la place qu’ils méritent aux côtés des Ray Charles et Sam Cooke, il raconte Motown sans légende ni mépris, il s’arrête à Memphis et Muscle Shoals avant de passer à La Nouvelle Orléans et Miami, et - dans le meilleur chapitre du livre - il décortique les lyrics des chansons de soul, des poétiques miniatures de Smokey Robinson aux doubles sens lascifs et sombres des albums des années 1970.
C’est toujours convaincant, bref mais jamais trop, et cela donne envie de découvrir ou d’écouter des dizaines de disques, des centaines de chansons. Et les erreurs de perspective de la fin du livre, lorsque Clive Anderson fait de Bobby Womack et de Millie Jackson le « futur » de la soul music en route vers les années 1980 (la disco, George Clinton et Michael Jackson passeront par là), ne font que donner à ce petit livre une patine d’authenticité qui n’en rend que plus pertinents le reste de ses développements.
Mais en la musique, bien sûr. En sa force, en sa magie, en son mystère - en quoi d’autre ? Chez tous, on retrouve chevillée dans leurs textes et leur écriture cette croyance un peu naïve et pourtant démontrée par l’exemple qu’une chanson peut changer une vie, qu’un disque 45 tours vaut autant qu’un livre de 450 pages pour soulever une société ou, plus simplement, qu’un peu de notre condition humaine, à nous, chacun personnellement, est contenu dans ce morceau tout juste entendu à la radio et composé l’année dernière ou il y a 80 ans, à deux rues d’ici ou à 10 000 kilomètres de chez nous.
Ceux qui ont écrit ce Soul Book dont il ne doit pas beaucoup circuler d’exemplaires en France aujourd’hui (le livre n’est pas traduit et n’a pas été réimprimé depuis sa sortie en 1975) possédaient cette qualité : ils avaient la foi dans ce dont ils parlaient (en l’occurrence et pour faire simple, la soul, de 1960 à 1975) ; et ils l’avaient d’autant plus qu’ils étaient à la fois les seuls et les premiers à le faire ainsi - sans référence autre qu’incidente au rock’n’roll ou à la musique blanche, contrairement aux grands livres pionniers du genre, le Awopbopalopbamboom de Nick Cohn et le Sound of the City de Charlie Gillett : ils écrivaient sur Clyde McPhatter, sur Al Green, sur le Philly Sound, depuis cet angle mort honteux où la critique rock classique avait rejeté les artistes noirs américains qui ont pourtant inventé la musique des faux et vrais dieux devant lesquels elle préférait alors se prosterner (Springsteen, Dylan, les Rolling Stones, les Beatles repreneurs de Motown).
Ce livre n’est cependant pas un livre de connaisseur, de fan pour les fans. Découpé en cinq essais thématiques, il embrasse (presque) toute la diversité des dérivés du R&B et du gospel des années 1960 et du début des années 1970 : il redonne aux déjà oubliés à l’époque Little Willie John, Hank Ballard et Clyde McPhatter la place qu’ils méritent aux côtés des Ray Charles et Sam Cooke, il raconte Motown sans légende ni mépris, il s’arrête à Memphis et Muscle Shoals avant de passer à La Nouvelle Orléans et Miami, et - dans le meilleur chapitre du livre - il décortique les lyrics des chansons de soul, des poétiques miniatures de Smokey Robinson aux doubles sens lascifs et sombres des albums des années 1970.
C’est toujours convaincant, bref mais jamais trop, et cela donne envie de découvrir ou d’écouter des dizaines de disques, des centaines de chansons. Et les erreurs de perspective de la fin du livre, lorsque Clive Anderson fait de Bobby Womack et de Millie Jackson le « futur » de la soul music en route vers les années 1980 (la disco, George Clinton et Michael Jackson passeront par là), ne font que donner à ce petit livre une patine d’authenticité qui n’en rend que plus pertinents le reste de ses développements.
A ranger à côté du Sweet Soul Music de Peter Guralnick. Et, bien qu’épuisé, le livre est trouvable pour rien sur internet (je l’ai vu à 0,01 £ sur le site britannique d’Amazon).
"..On n’écrit pas de bons livres sur la musique sans avoir la foi..." Exact !!
ReplyDeleteJe dirais même que l'on écrit pas sur la musique, tout simplement, sans avoir la foi (même un "simple" post sur un blog).
Oui, une chanson peut changer une vie ! Oui un groupe peut changer sa façon de voir le monde ou peut aider à le traverser, à supporter le quotidien !!!
Je pense que Lester Bangs est à part car avec lui, ce n'est pas une question d'avoir ou pas la foi en la musique. Son écriture transpire tellement la croyance en la "rock culture" qu'on ne se pose même pas la question. C'est surement le plus grand, la plume la plus virtuose de l'écriture rock !!!