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Thursday 4 August 2011

Michael Herr, Walter Winchell, 1990

Pour nous... Celui-ci est tellement « pour nous » qu’on est tous passé à coté! Walter Winchell est le dernier roman en date de l’écrivain le plus rare de tous les Etats-Unis: Michael Herr. Comme ce livre date de 1990 (je mets à part son Kubrick paru en 2000, qui était une version extended de son article pour Vanity Fair), et que depuis un bail, Herr vit retiré à Delhi (pas Delhi en Inde, Delhi dans l’état de NY), clamant haut et fort qu’il n’a plus rien à foutre de la littérature, il semblerait que l’homme soit perdu pour la cause. Correspondant de guerre pour Esquire, Herr en a tiré en 1977 Putain de Mort (Dispatches en VO), le grand récit terminal sur le Vietnam en même temps qu’une tentative défigurée à vouloir définir un héroïsme cassé. Putain de Mort est ce bouquin que l’on se refile entre nous à DinD, comme un talisman. Souvenez-vous de la première phrase, à partir de quoi cette sangsue malade ne vous lachaît plus : «Pour les sorties de nuit, les médecins vous donnaient des pillules, la Dexedrine, et son haleine de serpents morts gardés trop longtemps dans un pot. Moi je n’en ai jamais eu besoin, un léger contact ou n’importe quel bruit du même genre m’excitait à haute dose.» Pas pour rien que ces Viet articles pour Esquire l’ont amené à travailler sur les scripts d’Apocalypse Now et de Full Metal Jacket (dont il était aussi l’un des producteurs).

Walter Winchell n’est pas à proprement parler un roman. Ce devait être à la base un scénario pour la MGM. Comme le dit Herr dans sa préface, il est «un peu plus qu’un scénario et un peu moins qu’un roman". Et tout y est au présent de l’indicatif. « C’est peut-être juste un roman avec une caméra dedans. ». Mais le film ne s’est pas fait - hélas. Peut-être parce que le personnage de Walter Winchell (réel... Herr restant en cela fidèle à sa position de non-fiction writer) n’excitait plus grand monde la fin des années 80. Son nom ne résonnait plus avec quoi que ce soit. A vrai dire, il est même coriace de croire que Winchell fut l’un des hommes les plus célèbres des années 40. On dit qu’il y avait approximativement 140 millions (oui cent quarante millions) d’Américains qui se réveillaient le matin en lisant sa chronique dans les gazettes et mangaient le soir en écoutant Winchell vitupérer des horreurs à la radio. Wintchell était un beau salaud. Son physique pouvait rappeler celui de James Cagney dans The Roaring Twenties (Les Fantastiques années 20) de Walsh : même air de teigne, même intensité dans l’hystérie, les yeux toujours à deux secondes et demie de l’implosion. Walter Wintchell était un méchant. Il avait commencé en écumant les cabarets minables sur la fin des années dix à vouloir refiler à qui n’avait pas un sou un numéro de claquettes foireux. Par ici la sortie. En 1925, WW qui n’a jamais écrit une ligne de sa vie ni lu le moindre livre, redresse l’économie de plusieurs journaux en vendant des ragots. Il est ce qu’on appelle un échotier. Les rédactions le méprisent mais il les tient par les couilles : sans lui, le papier ne se vend pas, en tout cas pas autant. Personne n’ose se dresser contre lui. Depuis le Storck Club, le cabaret le plus huppé de NY, situé 53ème rue est, il défie le monde, le grand monde, celui des producteurs, hommes d’affaires, actrices et demie mondaines. Il en est le prince, le dictateur et le petit rapporteur. Certains disent qu’on lui doit l’engagement de l’Amérique dans la seconde guerre mondiale. Lui, tout du moins, le croyait. La fin de la guerre marquera sa chute. La télévision aussi : il passait mal. Il s’accrochera, présentant The Walter Winchell File, sorte de Faites entrer l’accusé teinté d’Incorruptibles. Épitaphe : «Il s’est montré aussi gentil qu’il le fallait en grimpant l’échelle et tout à fait odieux en redescendant.» Tout est dit.

On lit Herr et on entend le type. On lit Herr et on voit le film. Il ressemble à une version réussie de Cotton Club, où la cruauté règnerait en maître, plus du coté de Scorcese que de Coppola, donc. On peut lire encore WW comme un récit de guerre, mais où la parole serait une arme et le Stork Club une tranchée depuis laquelle des centaines d’ennemis en smoking et robe longue tireraient des salves de tous cotés. Les producteurs n’ont jamais aimé que les héros soient principalement connus pour être de sales types. Les producteurs ont tort.

«La vie de club n’était pas plus excitante. Souviens-toi, Sherm… La moitié des gens finissaient dans les cabinets. Il y avait des macs, des maîtres chanteurs, Dieu sait quoi… Damon disait que leur pères leur avaient laissé un coffre au lieu d’un cerveau. Ils claquaient tout…
-Je sais. Mais quand ils ont commencé à venir…
-Oh, ils ont été perdus dès l’instant où ils ont eu leur photo dans le journal.
-Mais c’était formidable de les voir ici. Ils vidaient mes réserves d’alcool. C’étaient des emmerdeurs. Mais bon dieu, comme ils étaient beaux! »

(p.176)



Michael Herr, Walter Winchell, traduit par Elisabeth Peellaert, La découverte, Paris, 2003.

2 comments:

  1. Super article. Je vais être un peu court dans le compliment, mais c'est vraiment pertinent (percutant) ce que vous écrivez.
    C'est comme un noir et blanc surexposé au mois d'août.

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  2. Pour ceux qui auraient aimé être à Khe Sanh au côté de Michael Herr :

    http://crocnique.wordpress.com/2011/08/26/david-douglas-duncan-i-protest/

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