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Sunday 6 January 2013

Joan Didion, le Bleu de la nuit (Blue Nights), 2011


















Le titre pourrait être celui d’un Garrel période héraldique. Et comme chez lui, il n’est ici question que de douleur et d’expérience mais rendues en matière et en atmosphère. Quatre ans après avoir adressé un livre à la mémoire de l’homme qu’elle a aimé toute sa vie (L’Année de la pensée magique), Joan Didion écrit sur la disparition de sa fille. Pas une ligne de complaisance, pas une plainte. C’est dans le sec des images invoquées par son écriture que vient se loger l’émotion. On se demande encore comment une telle force littéraire est possible.

En voici la première page :

«Sous certaines latitudes, pendant un certain laps de temps à l’approche et au lendemain du solstice d’été, quelques semaines en tout, les crépuscules rallongent et bleuissent. Cette période de nuits bleues n’existe pas en Californie subtropicale, où j’ai passé la plus grande partie de l’époque dont je vais parler ici et où les jours finissent vite, engloutis par le rougeoiement du soleil couchant, mais elle existe à New York, où je vis aujourd’hui. On en remarque les prémices quand le mois d’avril touche à sa fin et que commence le mois de mai, un changement de saison, pas vraiment un redoux – pas du tout un redoux, en vérité – mais soudain l’été paraît proche, une possibilité, voire une promesse. On passe devant une vitrine, on marche vers central Park, on se retrouve baigné d’une lumière bleue ; c’est la matière même de la lumière qui paraît bleue, et pendant une heure environ ce bleu s’épaissit, s’intensifie alors même qu’il s’assombrit puis s’estompe, se rapprochant pour finir du bleu des vitraux de Chartres par beau temps, ou du bleu des rayonnements Cerenkov émis par les barres de combustible dans les bassins des réacteurs nucléaires. C’est le moment de la journée que les français appelaient autrefois « l’heure bleue ». Pour les anglais, c’était « the gloaming ». le mot lui-même, gloaming, résonne et se réverbère en une myriade d’échos – gloaming, glimmer, glitter, glisten, glamour -, autant de déclinaisons de la lumière dont les consonances glissantes font surgir des images de maison aux voltes clos, de jardins enténébrés, de rivières frangées de verdure dont les méandres se faufilent parmi les ombres. Quand vient la saison des nuits bleues, on a l’impression que les journées n’en finissent jamais. Et à mesure que la saison des nuits bleues se rapproche de son terme (inexorable, inéluctable), on est saisi d’un frisson, d’une appréhension physique, maladive, lorsqu’on s’en avise pour la première fois : la lumière bleue s’en va, déjà les jours raccourcissent, l’été n’est plus là. Ce livre s’appelle « Le bleu de la nuit » parce qu’à l’époque où j’ai commencé à l’écrire, j’avais l’esprit tourné vers la maladie, vers la fin des promesses, le déclin des jours, l’inévitable assombrissement, l’agonie de la clarté. Le bleu de la nuit, c’est le contraire de l’agonie de la clarté, mais c’est aussi son avertissement. »

Joan Didion, le Bleu de la nuit (Blue nights), traduit par Pierre Demarty, Grasset, 2013

Joan Didion dans DinD
The White Album

L'Amérique

Play it as it lays (par Philippe Garnier)

Maria avec ou sans rien

L'année de la pensée magique

Vous pouvez entendre et voir Joan Didion lire ce passage dans cette vidéo un tantinet illustrative, bien que dirigée par Griffin Dunne, son neveu, qui fut accessoirement l'acteur principal du meilleur Scorcese: After Hours:



8 comments:

  1. J'espère qu'on aura le droit à un beau papier dans le supplément d'un certain hebdo.

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  2. Je rêverais surtout d'une interview, mais j'ai peur de crever l'oreiller à force de rêver trop fort.

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    1. Bien sûr, c'est aussi à ça que je pensais, surtout que la dame commence à être âgée.

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  3. (Je croyais que le meilleur Scorcese était The King of Comedy.)

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  4. Les Scorcese fans aiment les deux ensemble - en général, ce sont les deux que tu n'aimes pas quand tu as quinze ans et que tu viens de te prendre Raging Bull, casino ou Taxi Driver dans la tronche. Perso, je dois avouer que After Hours est celui des deux à l'intérieur duquel je me sens le mieux - j'adore justement le café, l'after hours, totalement métallique où il échoue deux ou trois fois dans la nuit. Dommage qu'un tel endroit n'existe pas à Paris, je peux te dire que les textes tomberaient plus vite.

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  5. Le meilleur Scorses, c'est Kundun, son film bouddhiste !
    Non, je plaisante...

    Joli papier. Belle citation.

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  6. Oh mon dieu, Kundun (je l'avais complètement oublié celui-là). xgatitox voue une adoration pour American Boy, que l'on nous vend comme un documentaire mais qui est quand même une heure de drug stories inimaginables - et xgatitox a raison: c'est effectivement puissant.

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