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Saturday 5 October 2013

Michka Assayas, Les Années vides, 1990

Chaque jour désormais ressortent en vinyls des disques que j’avais eu l’adolescence d’acheter à leur sortie ou presque, et comme si cela ne suffisait pas, voilà qu’arrivent des rééditions de livres aimés il y a des années à peine, du moins il me semble, mais dont je lis en quatrième de couverture qu’ils sont, ah?, « introuvables depuis longtemps ».
Les Années vides de Michka Assayas ressortent. C’était, en 1990, un court roman autobiographique (70 pages tout au plus) paru chez L’Arpenteur. L’évocation serrée, blanche, d’une éducation sexuelle. Celle d’un adolescent taciturne, presque mutique, initié par une prof de français de C.E.S. dont les bouts de seins ressemblent à «des petites saucisses de cocktails» (ce détail m’est revenu en mémoire, et je suis ravi de le retrouver à sa bonne place, p.31). Tout ça dans la cour d’un lycée de banlieue parisienne des seventies à attendre à chaque printemps que Mai 68 revienne et que se reforment les Beatles. J’avais été surpris, à l’époque, par sa forme passive, son coté monocorde, son atonie (son agonie?) – elle était l’inverse du style fou furieux, rueur dans les brancards, que les anciens critiques rock se croyaient obligés d’arborer au moment de passer au roman. C’était là le livre d’un homme de trente-deux ans qui admirait Modiano, Jünger, et Arno Schmidt. Chaque paragraphe, court, concis, aurait pu servir de légende à un dessin de Floc’h ou de Sempé. Il y pesait tout entier le désenchantement d’une époque de transition (la fin des années 80/les premiers mois des années 90, époque de down généralisé, avant que l’arrivée de la techno ne balaie le ciel).

Je viens de le relire tout de suite après l’avoir racheté, ce midi au café, d’une traite, sans le relâcher (j’avais peur que sa fragilité ne l’effrite). Sa violence sourde m’impressionne soudain. J’ai peut-être enfin l’âge de recevoir en plein visage et dans toute leur dimension de dégoût de soi des choses aussi abruptes que « J’étais né vide, j’arrivais vide, et je voyais des grands possédés par une folie dont j’étais envieux, mais incapable. » On croirait un étang placide traversé en dessous par des courants souterrains inconnus.

«Quand elle parlait de ce qui était «superficiel», j’avais toujours l’impression que c’était de moi qu’il s’agissait. Je la revois avec ses lunettes fumées, sa coupe de cheveux austère, son corps de crevette, je revois ce C.E.S. Jacques-Rivière, avec «ses surveillants sympa», sa «conseillère d’éducation» au maquillage de Cléopâtre et aux cheveux tordus dans un chignon haineux, cette directrice à la tête de pharmacienne hébétée, que j’ai encore envie de frapper à coups de ceinture, et ces «bandes» de mômes imbéciles, déjà contents d’eux, fiers de leur petite virilité minable.» (P. 25)

Michka Assayas, Les Années vides, 1990, réédition Le mot et le reste, Paris, 2013

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