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Sunday 20 December 2009

Patrick Modiano, Du plus loin de l'oubli, 1996


Je voudrais trouver le moyen de vous parler de Modiano, mais les jours passent sans que je sache comment procéder. Peut-être je me trompe, peut-être l’image de l’éternel jeune homme français sous influence Nouvelle Vague, sentimental par essence, vous séduira… Mais je vous connais un peu maintenant, et j’en doute. Et puis Modiano n’est pas si sentimental que ça, c’est une couverture qui lui permet d’avancer, sous des allures de fausse douceur, dans le dur de l’histoire : les rafles à Paris à l’époque où Pétain pactisait avec ses amis nazis, et cet autre massacre dont personne ne veut endosser la responsabilité, et qui s’appelle l’oubli. Modiano écrit blanc. Livres courts, livres secs, livres décidés, livres concis : chaque mot est à sa place, portés par une obsession de précision (à la limite de la folie pure, c'est pourquoi il me fait penser, toujours, au détective malade errant dans les ruelles sordides du XIIIème que l'on rencontre dans Brouillard au pont de Tolbiac de Léo Malet) : adresses, numéros de rues, livrets de famille, pédigrée, odeurs.
Je n’aime pas me raconter, je ne crois pas qu’on fasse des blogs pour ça, mais on ne s'approche vraiment de Modiano qu’à travers une description des lieux dans lesquels on l’a invité à nous accompagner. C’est une écriture de saison et de compagnie, sans doute faut-il qu’il fasse froid (il existe aussi des Modiano de juin/juillet, d'une tristesse ensoleillée), sans doute son style givré appelle-t-il une vision brouillée par l’humidité glacée et inspire-t-il la volonté de se réfugier dans un café, un de ceux - de plus en plus rares - qui ouvrent à l’aube, ou bien les cafés de 15h, à l'heure où tombent sur les insomniaques des effondrements propres aux après-midi vides... Là on sait qu’il est un partenaire d’exception. Il ne pardonne rien, il cherche. Il n’a jamais écrit que des polars tordus, entêtés, trop parcellaires pour la Série Noire. J'ai lu d'une traite Dora Bruder, livre central, déchirant, cœur d’œuvre, mais surtout je l'ai lu dans un café des Gobelins (je veux dire par là que, sans explication aucune, j'ai fait 30 minutes de métro juste pour aller le lire à cet endroit exact de Paris). Je pensais au départ envoyer à message à une personne pour qu’elle me rejoigne, mais entre temps j'ai commencé le livre, assez vite j'ai su que je n’appellerais pas, que je ferais le mort et ne sortirais du café qu'une fois le livre achevé, à la nuit tombée.
Ma solitude volontaire (autre chose qu’une paranoïa quotidienne) m’incite à taire le nom d'un autre café, près de St Michel celui-ci, où un soir de décembre il y a deux ans j’ai lu, en planque comme toujours, celui des Modiano que je préfère, mais qu’on ne cite jamais, un Modiano mineur dit-on (mais Modiano écrit tout en mode mineur...): Du plus loin de l’oubli. Casting: un narrateur faible, timoré, adolescent, qui survit en revendant des livres chez Gibert, un couple de jeunes gens étranges, inquiets, une odeur d’éther sur ses vêtements à elle, une liaison qui se passe de mots, des voyages express et nocturnes à Dieppe ou à Forges-le-Eaux pour se refaire au casino, des histoires de société secrètes qui n’ont rien à proposer que le secret de leur propre existence indéfinie. Ces silhouettes anciennes et floues qui disparaissent dans la brume des quais de Seine : la fin des années 60. L’oubli est rattrapé au vol, mais il réchappe une fois encore. La main de l'écrivain, qui trente ans plus tard se croyait capable de tout dire du souvenir, subitement relâche sa proie, laisse faire l'enlisement... « la main qui efface est la même que celle qui écrit »… C’est Godard qui nous a appris ça. Il l’avait vu dans M le Maudit, et sans doute l’avait-il lu dans l’Évangile. Oh et puis "le cinéma, cette boite à conserver, ne fabriquera jamais en réalité que de l’amnésie" avait pris position de dire André Delons, un beau surréaliste oublié à son tour, car disparu très jeune, en mer (la guerre). Je crois savoir que Patrick Modiano est cinéphile.


«Le clocher de l’église se découpait dans le cadre de la fenêtre, et aussi les branches d’un marronnier dont je regrettais qu’elles ne fussent pas couvertes de feuillage mais il faudrait attendre encore un mois le printemps. Je ne me rappelle plus si je pensais à l’avenir, en ces temps-là. Je crois plutôt que je vivais au présent, avec de vagues projets de fuite, comme aujourd’hui et l’espoir de les retrouver, Jacqueline et lui, tout à l’heure, au café Dante.»

Patrick Modiano, Du plus loin de l’oubli, Gallimard, 1996.

5 comments:

  1. Vendu ! Pas besoin de paquet cadeau c'est pour ma conso personnelle !!!

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  2. Passé l'hiver, qu'allons-nous faire ?

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  3. Du plus loin de l'oubli est le premier Modiano que j'ai lu. C'était à Gemmayé. Depuis, je les ai tous lus mais celui-ci reste mon préféré. Peut-être parce-que c'était le premier. En tout cas, c'était assez étrange de dévorer tous ces livres à 4000km des cafés parisiens. Cela renforçait la nostalgie et la mélancolie qui s'échappaient des livres de Modiano. Avant de revenir en France, je n'envisagais Paris qu'à travers le filtre modianesque. Le retour fut brutal.

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  4. Oui, Manu, i know. c'est un métier pas facile que de ziguezaguer avec la réalité.

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