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Disorder in Discipline-



Saturday, 5 May 2012

Marguerite Duras/François Mitterrand, Le Bureau de poste de la rue Dupin, 1985-86

Maintenant qu’elle est en voie de s’achever, on sait combien la campagne fut nulle et non avenue. Avec pour acmé ces trois heures, mercredi, d’un débat dont la couleur devait ressembler à celle d’une huître malade. Peux-on aller plus bas que cinq minutes de discussion à couteaux tirés sur les horaires de piscine ? J’aimerais bien, une fois de temps en temps, avoir à voter pour quelqu’un et non pas seulement contre quelqu’un.
L’antidote a cette campagne/course à la bêtise, c'est peut-être bien la réédition, à pic, des entretiens Duras/Mitterrand réalisés pour l’Autre Journal, d’abord en juillet 1985 puis en février-mars 1986 (soit durant la campagne électorale qui allait faire perdre au PS les élections législatives, laissant place à une situation inédite et malsaine : la cohabitation).
Idée de génie de Michel Butel d’avoir organisé le premier entretien chez Duras, dans l’appartement du 5 de la rue St Benoit, ce même appartement où, en 1943, Mitterrand et elle se sont rencontrés pour la première fois pour entrer en résistance : le lieu ici inter-agit sur la parole. Celle de Mitterrand n’a soudain plus cette raideur de prince vénitien dans laquelle le costume de chef d’état l’avait déjà congelé, non c’est la parole en séduction d’un éternel jeune homme perpétuellement sibyllin, opaque, jouant deux trois quatre partitions à la fois. Marguerite, comme toujours, fait petit fille, petite fille très anisée mais petite fille quand même, et c’est bien.
Les quatre autres entretiens auront lieu à l‘Elysée, ils sonneront d’une toute autre musique : comme le regard d’une ancienne complice (Duras) sur un homme (Mitterrand) qui fut son ami et qui n’est plus l’ami de personne, qui s’est éloigné jusqu’à devenir impénétrable. Chacune de ses paroles alors vaut de l’or.

-Que ce soit la conclusion de Mitterrand sur les fonds marins du Cap Ferret – «un des endroits du monde où la dépression, la fracture du globe est la plus profonde, au fond du golfe de Gascogne. Ce qui provoque naturellement des courants violents, des tourbillons très dangereux. Comment ne pas aimer ?» - où comment décrire en quelques lignes au travers d’un paysage ses propres contradictions…

-Que ce soit son analyse d’une France « peuple paysan » qui continue de voter exactement comme votent ses 8% d’agriculteurs (ça fait tout drôle en 2012 de lire ça dans une main et de tenir dans l’autre la couv’ de Libé sur le vote FN rural - "il est vilaine").

-Ou que ce soit sa mélancolie de sphinx se demandant qui avait pu être le dernier égyptien à avoir su lire les hiéroglyphes, et comment ça peut mourir du jour au lendemain une langue, enfin non seulement une langue mais le sens des mots.

C’est la bonne question, tant il faudrait pouvoir mesurer jusqu’où la langue politique en a encore pris un coup ces quatre derniers mois, avec deux dernières semaines particulièrement nauséabondes. Une sous pensée descendue si bas que pour réentendre ça (mais qui voudrait réentendre ça?), il nous faudrait un sonar.
C’est bien : un jour, dans ces fonds marins boueux, on lira (ou pas) les grands entretiens Nicolas Sarkozy/Marc Levy. Ou les échanges François Hollande/Aurélie Filippetti. Vendus avec une corde pour se pendre ou un sachet pour vomir.



« MD – Est-ce que vous vous souvenez de la peur, de la peur qu’on vivait constamment ?
FM- Plus que de la peur, c’était de l’angoisse.
MD- La peur de mourir, la peur d’être abattu, chaque nuit.
FM – Mais on le faisait. Alors on peut appeler ça comme on veut, mais on le faisait. Peut-être parce que ça nous intéressait, que la curiosité l’emportait sur la peur. C’était la débandade générale à l’époque ; dans la plupart des mouvements de résistance, les chefs avaient été arrêtés ; les organisations étaient décimées. Le débarquement n’aurait pas eu lieu, et la libération de Paris, c’est certain qu’une nouvelle génération se serait levée ; mais celle-là, la notre, était à bout de forces. Donc, on est resté là. Et même on restait à Paris. On aurait pu aller se retirer pendant six mois dans un coin d’Auvergne, personne ne nous aurait trouvés ; Mais non, on est tous restés là…
(…)
MD- Vous savez, je n’ai jamais su où vous dormiez, où vous habitiez.
FM- J’ai dû habiter dans une dizaine d’endroits. J’ai habité quand même chez Marie-Louise, pendant un moment. (…) L’action délivre, toujours. Mais en même temps, si tout d’un coup il y a une nouvelle alerte et qu’il semble qu’il n’y ait plus aucune chance d’échapper, ce qu’il y a alors d’absolument tragique c’est la mort, non, plus que ça, la fin. La fin de l’aventure, la fin des amis, la fin de cette vie quand même passionnante. »


Marguerite Duras/François Mitterrand, Le Bureau de poste de la rue Dupin et autres entretiens, Folio, 2012.

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