Tuesday, 21 August 2012
Marguerite Duras, Les petits chevaux de Tarquinia,1953
Pix : Michelangelo Antonioni, La Notte.
« Pleurer, il faut que ça ait lieu aussi.
Si c’est inutile de pleurer, je crois qu’il faut quand même pleurer ; Parce que le désespoir, c’est tangible. Ça reste. Le souvenir du désespoir, ça reste. Quelquefois ça tue. » Ecrire.
Relire un Duras est toujours une expérience forte, intense. Une expérience sans limites.
C'est à Palerme, à la terrasse d’un café près de l’église Santa Anna, sur la Piazza Croce dei Vespri, que je relie « Les petits chevaux de Tarquinia ». Où Duras met en scène ses vacances passées, en 1952, dans le sud de l’Italie, au bord de la mer, avec l'écrivain Elio Vittorini et sa femme. C'est dans une ambiance de farniente, de Dolce Vita au charme venimeux, qu'une torpeur s'installe peu à peu au sein des couples. Dans cette petite station balnéaire, aux confins du monde, où, dans la chaleur de l'été brûlant, il n'y a rien à faire, ou si peu. Sinon se laisser emporter par l'écoulement lent du temps des vacances, rythmé par les repas, les siestes, les baignades, les insomnies, les bals, les bribes de conversations autour d'un bitter campari, les échanges à peine voilés des regards...
C'est dans ce mélange de sensualité et d'ennui, que des couples se font et se défont, ne sachant que faire d'eux et de leurs libertés. Ne sachant qu'être sans l'amour de l'autre. Et où seul compte le désir de l'autre. Le désir d'être désiré.
Un livre qui parle du secret de l'amour. Un amour toujours fragile, en naissance, vécu avec un étonnement et un frisson toujours nouveaux. Un amour au secret toujours troublant.
Un livre qui raconte le désespoir de l'amour, de l'amour absolu. Qui dit cette quête de l'impossible équilibre entre un homme et une femme. Et que Duras décrit dans une langue feutrée, discrète, secrète et suave. Passant du désir au silence. Et du silence au désir.
C'est, aussi, un livre sur le sentiment de solitude. Sur l'ennui. Sur la mort qui rôde. Celle du jeune démineur, déchiqueté par l'explosion d'une mine, dans la montagne. Et dont les parents ne parviennent pas à faire le deuil. Un livre où l'atmosphère est pesante.
Et c’est à Palerme, dans cette ville sacrificielle, ravageuse et morbide, que "Les petits chevaux de Tarquinia" prennent un sens plus tragique encore. Que ce sentiment de solitude et de désespoir amoureux durassien se déploie avec violence.
Duras écrit : « on ne trouve pas la solitude, on la fait » (Ecrire). Mais parfois, la solitude vient, insidieuse. Imprenable.
C'est, ici, à Palerme, où il y a les immensités de ciel, de montagnes. Où il y a la mer à perte de vue. Le vide des ruelles. Qu'un sentiment diffus et invisible me saisit. Celui d'être seule jusque dans ma propre solitude. Et me plonge dans une torpeur, un dépouillement qui me ramène aux fondements de mon être, aux assises de mon existence : à l'amour, au désir, au manque. A ma difficulté d'exister.
Palerme, c’est une solitude de ma vie entière. Inconcevable. Dangereuse.
C’est,ici, que je regarde la mer jusqu’au rien.
Et relire, à Palerme,« Les petits chevaux de Tarquinia», restera, pour moi, comme le souvenir du désespoir. Le deuil noir de toute ma vie.
Il est dix heures et demi du soir en été, et sur cette place déserte où la chaleur est accablante, je n'attends plus qu'une chose : la brise du soir. Je n'espère plus qu'une chose : un peu de pluie et de fraîcheur.
"Ce que je sais, dit Diana, c'est que jusqu'ici je n'ai jamais couché qu'avec des hommes aux idées claires et que ça ne m'a pas réussi. C'est des hommes qui ne savent ni la portée ni la signification de l'amour.
-Qu'est-ce que c'est que la portée et la signification de l'amour ? demanda Sara.
-Mais précisément, comment veux-tu que je le sache ? dit Diana en riant. Elle ajouta : Au fond, tu vois, la littérature, c'est une fatalité comme une autre, on n'en sort pas.
-C'est bien pratique, la fatalité, dit Sara.
-Mais on peut parler quand même dit Diana.....-Quand même, c'est vrai l'intelligence, chez moi, c'est une fixation comme une autre, dit Diana." (page 73)
Marguerite Duras, "les petits chevaux de Tarquinia", Gallimard, 1953.
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J'aime bien votre texte. Je me souviens que "Le ravissement de Lol.V.Stein" avait eu sur moi un effet hypnotique, que le livre m'avait plus ou moins contaminé et injecté ses valeurs, son atmosphère. Si bien, que j'en étais sorti grisé, devenu durassien quelques jours comme il arrive parfois avec les grandes oeuvres qui vous changent.
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