J'appris que, pour celui qui se prostitue, il y a toute une variété de rôles à jouer: le jeune-chômeur-en quête-de-travail; le-jeune-à-la-dérive-et-qui-s'en-fout; le-prostitué-endurci-facile-à-lever; le-jeune-perdu-dans-la-grande-ville-et-qui-veut-qu'on-l'aide. Des autres dans la rue j'appris aussi très vite la technique: la démarche, le jargon, mélange d'argot de jazz, de bistrot et de la drogue - le regard presque dédaigneux et indifférent, mais en même temps aguichant; la tenue négligée.
Et j'appris aussi que, pour se prostituer dans la rue, il convenait de para^tre presque illettré.
Le marin du Y.M.C.A. avait été le premier à me le dire. Avec Mr King, je m'étais contenté de suivre mon instinct. Mais ce fut un type rencontré à Times Square qui devait me l'apprendre sans ambiguïté. Tandis qu'il m'étudiait, assis dans son appartement, je feuilletais un roman de Colette. Le type se leva, visiblement en colère. "Tu aimes lire? me demanda-t-il vivement. - Oui, répondis-je. - Alors je regrette, je ne veux plus de toi, dit-il, les vrais mâles ne lisent pas!" Son désir pour moi évanoui, il me donna hâtivement quelques dollars. Quelques instants plus tard, je le revis à Times Square en conversation avec un autre type...
Aussi décidai-je que dorénavant je jouerais les idiots. Et je m'aperçus que, dans la rue, le succès d'un prostitué était en relation directe avec son manque apparent de sensibilité - son air de "dur". Je porterais donc ce masque.
John Rechy - Cité de la nuit, Gallimard, 1993 p.71
Thursday, 9 August 2012
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Merci Karine... Sur tes conseils, je l'ai emporté dans mes bagages... Lire ça la nuit à Naples, piazza Bellini, a aussi du sens...
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