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Sunday 19 January 2014

Renata Adler, Speedboat (Hors-Bord), 1976



Inutile de chercher bien loin, vous ne trouverez pas, en cette rentrée littéraire, un livre aussi différent que Hors-bord, la traduction française inespérée du Speedboat de Renata Adler. Peut-être parce qu’il date de 1976 (ah oui… 38 years in the dark !). Ce qui ne veut pas dire que la littérature c’était mieux avant, mais veut au moins dire qu’en 1976, les livres ne nous parlaient pas encore de DSK, et c’était déjà ça de gagné. Et puis, peut-être qu’en 1976, les écrivains ne perdaient pas leur temps et leur force à singer les journalistes tout en les méprisant. La littérature américaine flirtait avec le journalisme et vivait cet amour au grand jour. C’était plus sain, et surtout ça inventait plus de choses que ce pauvre Régis Jauffret n’en trouvera jamais, même en se baissant très bas. Renata Adler n’avait pas besoin de se baisser, critique de cinéma star au New Yorker, elle ne s’est pas décidée à écrire des livres pour placer la littérature au-dessus du journalisme. Elle n’a pas publié des livres pour corriger le journalisme. Il suffit de la lire pour comprendre qu’elle a eu besoin de la littérature à un moment précis pour expérimenter sur une séquence longue et dans un montage horizontal une science des images et des faits. Par goût du vertige devant des accumulations de fictions possibles et laissées en jachère. Alors ce livre, comme un enchaînement d’instantanés, de polaroïds sur des scènes, des souvenirs, des affabulations, qui, mis ensemble et sans qu’on y cherche la moindre logique, reconstituent l’ADN névrotique de l’Amérique des années 70. Ce sont des faits, des faits enfilés, scannés. Qui écrit comme ça aujourd’hui ? Pas grand monde. Même pas Joan Didion ou DeLillo, avec qui on a envie de la rattacher. Personne ? Vraiment personne ? Si ! Il y a une page, chaque mois, et c’est le plus précieux des rendez-vous : la dernière page du plus ancien (164 ans !) des grands mensuels chic américain, Harper’s. Cette page indispensable s’appelle Findings, elle tient en une magnifique succession de faits racontés sur deux lignes, accolés sur une page, sans écart ou interstice pour indiquer qu’ils étaient de nature différente jusqu’à ce que ce montage sec en révèle la poétique additionnelle. Exactement ce que Speedboat nous fait, sur un horizon lointain de 247 pages. Avec l’acuité d’une lame en acier trempé (littéralement…).

«Le talent enflammait les colonnes des journaux jusque sur les tables basses. La métaphore de l’agression physique avait pris d’assaut les critiques. « Tripes », un mot que l’on croisait rarement en dehors de la saison de la chasse, était un substantif adoré de la prose littéraire. Les gens en avaient ou en manquaient, disait-on, pour percevoir la beauté ou offrir des distinctions morales inédites. « Saisir aux tripes » et « à vous remuer les tripes » étaient des marques d’approbation. Vous mettre « les nerfs à vif », « faire sortir les yeux de la tête », « broyer le cœur » - le critique sensible était écrasé, empalé, électrocuté. « Brûlant » était encore trop tiède. Ce qui n’avait provoqué qu’une foulure ou une extraction dentaire n’était qu’un chef d’œuvre mineur. « Littéralement », quelle que soit la situation, était à prendre au sens figuratif ; et non littéralement, donc. Ce film vous prendra à la gorge. Ce livre vous fera littéralement tomber de votre chaise.»
(p.177)


On ne résiste pas à vous poster la vo...:
«Talent was blazing through the columns and onto the coffee table. The physical-assault metaphor had taken over the reviews. « Guts » never much a word outside the hunting season, was a favorite noun in literary prose. People were said to have or to lack them, to perceive beauty and make moral distinctions in no toher place. « Gut-busting » and «gut-wrenching » were accolades. « Nerve-shattering », « eye-popping », « bone-crunching » - the responsive critic was a crushed, impaled, electrocuted man. 3searing » was lukewarm. Anything merely spraining or tooth-exctracting would have been only a minor masterpiece. « Literally », in every single case, meant figuratively ; that is not, litterally. This film will literally grab you by the throat. This book will literally knock you out of your chair.»
(p. 81, de la réédition NY reviews Book, 2013)


Renata Adler, Hors-Bord (Speedboat), traduit par Céline Leroy, Edition de l'Olivier, Paris, 2014

pix: Renata Adler par Richard Avedon

2 comments:

  1. J’ai aimé le texte anglais (quelques coquilles cependant). Quoique bonne, la traduction française reste assez littérale dans son ensemble (distinctions morales "inédites" ??) , etc.
    ps: sens "figuratif"? "figuré," non?

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