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Tuesday 26 January 2010

Rappin’ and Stylin’ Out / Communication in Urban Black America – Edited by Thomas Kochman – University of Illinois Press, 1972


Ça pourrait être un sketch de Dave Chappelle, le Richard Pryor dérangé des années 2000 : dans le Harlem de Superfly, une université proposerait un diplôme de ghettology, avec des cours de dozens et de pimp walk, un module sur les différents formes de street hustles, et l’intégrale d’Iceberg Slim au programme de la section littérature, le tout avec l’accent funky d’une blaxproduction American International Pictures. Et ce livre en serait le manuel de classe, complet avec schémas et textes à étudier.

Sauf que Rappin’ and Stylin’ Out est un vrai livre. Publié par l’Université de l’Illinois en 1972 sous la supervision de Thomas Kochman, « associate professor of speech » (qui, aujourd’hui, dirige un cabinet de consultants en management de la diversité à destination des entreprises, d’après Google). Et sur plus de 400 pages et une vingtaine d’essais, les chercheurs réunis par Kochman voyagent dans la culture noire américaine des grands centres urbains du début des années 1970. Avec leur langage et leurs méthodes de scientifiques militants (touchant parfois au surréalisme pur : plusieurs pages de graphiques et d’équations sur la structure des dozens, c’est-à-dire les vannes sur « ta mère », des tableaux comparatifs sur les greasers et les gowsers – les versions blanches et noires des petits loubards du Chicago d’il y a 40 ans), le livre pourrait rebuter, comme ces essais verbeux sur la culture populaire que produit de temps en temps l’université française.

Mais c’est tout le contraire. Bien sûr, beaucoup de ces textes n’évitent pas le jargon académique. Mais ils regorgent surtout de précieux petits morceaux d’époque : quelques inscriptions saisies sur les murs de la ville ou dans les chiottes d’un bar qui annoncent le raz de marée graffiti en train de monter ; une radiographie de la structure des Vice-Lords, le gang noir dominant de Chicago ; des analyses en photos des différentes attitudes adoptées par les mecs et les filles de la rue noire (dont une sélection peut être consultée dans la fiche du livre sur le site américain d’Amazon) ; des retranscriptions de discussions, de blagues ; quelques poésies sauvages. Autant d’éclats d’un monde dont la caricature et la récupération para-tarantinesques ont fini par faire oublier qu’il fut réel. En plus d’être funky.

Et, cerise sur la gâteau, après avoir doctement analysé tant de signes et tant de pratiques éphémères, le livre se termine en s’ouvrant sur de purs moments de jouissance baaadasssss, en proposant des extraits de textes du maquereau littéraire Iceberg Slim (justement), de H. ‘Rap’ Brown, l’un des artisans du virage Black Power du syndicat étudiant SNCC, qui explique (et démontre par l’exemple) comment il a gagné son surnom, de Melvin S. Brookins et de Woodie King Jr., qui offrent chacun une variation sur le thème du player et de son approche du Game. Vingt ans plus tard, Snoop Dogg et Ice-T revendront tous ces mots, ces attitudes et ces histoires à la petite-bourgeoisie blanche, qui ne cessera plus d’en redemander (et cette chronique en est la preuve). Mais ce n’est pas un sketch de Dave Chappelle : c’est un authentique petit trésor subculturel, à savourer tout en (ré)écoutant le Hustler’s Convention de Lightnin’ Rod.

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