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Monday 30 January 2012

Archive of Modern Conflict: The Corinthians, 2009 + Soviet Beauty Queens, 2011

Archive of Modern Conflict… Certains noms sont dotés d’une puissance abrasive. Ils sonnent bien - bien en bouche, bien sur la langue, bien contre le palais, avant de rejaillir mieux encore, parfaitement acérés, sous la forme de livres de photos à la beauté inquiète. Archive of Modern Conflict est cette maison d’édition basée à Londres dirigée par Ed Jones et Timothy Prus, deux type que l’on décrit systématiquement comme mystérieux, laconiques (ils l’ont encore prouvé récemment en répondant du bout des lèvres aux questions du blog photo-eye).
On sait d’eux ce que l’on doit savoir : qu’on leur doit des livres rares et beaux (deux adjectifs qui sont ici en passe de devenir des synonymes - doit-on s'en plaindre ou s'en réjouir?) comme ceux toujours étrange et, de plus en plus liquides de Stephen Gill, ou encore The World from my front porch, un bel album où le photojournaliste Larry Towell mettait en perspective ses images de guerre avec les photos de sa ferme, de sa femme, de ses gosses, reproduisait des pages du cahier de chansons que tenait son père, et photographiait sous forme de séries la somme des petits objets étranges q’il se surprend à ramener à chaque fois du front : ainsi, de Gaza des poignées de portes et des clés de maisons détruites par Tsahal.


On sait surtout, depuis deux ou trois ans qu’Archive of Modern Confict sait mieux que quiconque sur cette planète présenter, éditer, mettre en séquence de façon extraordinaire tout un pan méprisé de la photographie : photographie vernaculaire, photos de famille trouvées sur les marchés aux puces, photographies anonymes et délaissées, jetées, froissées, finissant leur course dans les marchés aux puces, quand ce n’est pas dans le caniveau. Used photography. Photos usées jusqu’à la corde, mais sans prétention artistique, Innocentes alors ?
Jusque là, ce sont surtout l’allemand Joachim Schmid et le hollandais Erik Kessels (Bazooka devrait en reparler ici bientôt) qui ont fait le travail d’interroger l’innocence supposée de ces photos « déjà-là ».
Jusqu’à ce qu’en 2007, AMC publie Nein, Onkel (347 photographies inédites -et dérangeantes- des troupes nazis déconnant au quotidien… prix 2008 du livre de photo historique aux rencontres d’Arles). Premier uppercut. Mais c’est en mai 2009 qu’Archive of Modern Conflict trouera le ciel de l’édition avec The Corinthians, une série d’incroyables kodachromes retraçant l’Amérique. Laquelle ? celle de la banalité rayonnante des sixties. Le livre tirait son fil rouge (complètement arbitraire, donc jouissif) d’un épître du Nouveau testament, où Paul rappelait aux corinthiens que Dieu saura, au jour venu, se montrer clément envers ceux qui l’ont aimé, donc servi. S’en suivaient des pages et des pages d’un bonheur sournois, où l’on pouvait voir des types frappés de coups de soleil kodachromiches (la peau rouge sang) faire cuire des entrecôtes sur des barbecues pendant que leurs filles faisaient cuire leur jambe sous le soleil joyeux de la Californie. L’hiver, c’étaient les arbres de noël, la chasse aux élans, les chiens… Tout ça sans l’ombre d’un doute, jusqu’au soir où on a marché sur la Lune, et quelque chose alors de la croyance totale en Dieu s’est rompu à jamais. Tout à coup, le ciel était vide.
Histoire de pousser l’épatant de la chose plus loin encore, le livre était désigné lui-même tel un kodachrome : ses épaisses pages enserrées dans un carton blanc bordé rouge, évidé à l’intérieur pour laisser paraître l’image.


Cette année, Archives of Modern Conflict s’est associé avec Dashwood (la meilleure libraire à New York en ce qui concerne les livres de photos, on en avait déjà parlé ici) pour éditer à 500 exemplaires seulement Soviet Beauty Queens, un livre qui cache ses obsessions fétichistes sous une excuse historique de taille : les concours de beauté étaient, du temps du règne communisme, bannis d’URSS. Ils ont fait leur apparition vers 1988, et sont devenus instamment le symbole de la perestroïka. La Pravda condamnait, Eltsine laissait faire. Et les filles de se presser en masse aux titres de Miss pour savoir laquelle serait la plus belle (en body). Beaucoup ressemblaient à Kim Wilde, ou à Debbie Harry (ou à Kim Wilde tentant désespérément d’imiter Debbie, vous croyez que je ne vous entends pas derrière, les méchantes ?). A Leningrad (désormais St Petersbourg), une école s’était même montée pour apprendre à ces beautés slaves à devenir reines des podiums. Toutes les photos de Soviet Beauty Queens proviennent des archives de cette école, les albums des années 88-89-90. En feuilletant cette série de portraits de reines de beauté séquencée avec un art de la double page qui frôle l’indécence, un ami s’est d’abord écrit « Mon Dieu, qu’est-ce qu’elles ont l’air malheureuse»… avant d’admettre que cette tristesse vague les rendait plus sexy encore…
...Tu disais : un conflit moderne?



The Corinthians, Archive of Modern Conflict, London, 2009
Soviet beauty Queens, Archive of Modern Conflict/Dashwood, New York, 2011


le site d'AMC
le site de Dashwood Books

1 comment:

  1. Dans les années 1920, Paul Eluard se passionnait pour les cartes postales fantaisistes : « Ce n'est pas de l'art, tout juste la petite monnaie de l'art, mais qui donne parfois l'idée de l'or. »

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