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Wednesday, 22 April 2009

James Allen, Hilton Als, John Lewis, Leon F. Litwack, Without Sanctuary: Lynching Photography in America, 2000.

Neuf ans après sa publication, difficile d’oublier ce livre qui occupe une place à part dans ma bibliothèque. J’aurais aimé le ranger aux cotés de ces bouquins crados (Car Crashes, Death Scenes, les Monstres etc…) qu’on achète ado à l’affût des sensations morbides qui nous envoûtaient enfant en feuilletant un dico médical, certains livres d’histoire ou une revue porno (on se brûlait alors les pupilles en regardant des images inexplicables). J’ai donc acheté ce livre pour de mauvaises raisons. Il s’est vengé et m’a sauté à la gorge en me disant «Karine, tu n’es qu’une petite conne, regarde bien, le bout de viande carbonisé au bout de cette branche et bien c’est toi».
Without Sanctuary regroupe donc une centaine de clichés représentant des hommes pendus après avoir été saccagés par une meute. Nous sommes au Etats-Unis au début du siècle et il ne fait pas bon être noir à cette époque-là. Un regard suffisait alors pour que vous finissiez la corde au cou sur la place du village au milieu d’une foule goguenarde vous désignant du doigt comme une créature grotesque dont la vie n’a pas de valeur puisque votre peau n’est pas de la bonne couleur. Je savais tout ça. Ce livre m’a révélé autre chose. Loin d’être des photos volées, les clichés de Without Sanctuary sont des mises en scène : les villageois posent ici fièrement au coté de leurs trophées. Ces images immortalisent un événement social, un lynchage après un procès sommaire, et ont été vendues en tant que carte postales commémoratives au drugstore du coin. Quelqu’un en a acheté un exemplaire, y a griffonné au dos quelques mots (les pire : « This is the barbecue we had last night. My picture is to the left with a cross over it. Your son. Joe » ), avant de l’envoyer fièrement à un parent, un ami, parfois à une petite amie. Des gens ont reçu ces cartes postales dans leurs boîtes aux lettres. Certains ont du rire en les regardant, d’autres ont peut-être pleuré. Ce petit commerce était une propagande visqueuse qui banalisait l’abjecte tout en servant une cause plus vaste : celle de la ségrégation.
L’initiateur de Without Sanctuary (vingt cinq années de recherche), James Allen, ne compile pas ici des images violentes qui font frissonner les gogos mais reconstitue des histoires vraies où il y a des victimes, des bourreaux et des spectateurs. Du sang, de la peur et beaucoup de haine. Une histoire que beaucoup auraient préféré oublier. La publication de Without Sanctuary fut un véritable électrochoc aux Etats-Unis et ailleurs. Ce livre est devenu depuis une véritable arme pédagogique. Il nous a fait grandir (un peu).

Without Sanctuary: Lynching Photography in America, 2000, Twin Palms Publishers



2 comments:

  1. émouvant.

    à mesure que j'avançais dans la lecture de cette chronique, j'ai senti monter la nausée.

    et j'ai repensé à ce petit livre de vercors, "les animaux dénaturés". je ne sais pas pourquoi. p-ê ce lien ténu - ce mince fil - qui sépare ou relie l'homme de / à l'animal.

    T.

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  2. Southern Trees bear strange fruit/ Blood on the leaves and blood on the root....
    Ton texte est absolument émouvant, Karine.

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