Sunday, 18 July 2010
Don McNeill – Moving Through Here – Knopf 1970
Une fois refermées les Chroniques du Dance-Floor (bouffées de souvenirs syncopés : Rythm King et la folie ACIEEED, Go de Moby, le premier maxi des Jedi Knights, « Deep ! Deep ! Deep Inside ! Deep ! Deep ! Don’t Stop ! » de Hardrive, tous ces samedis après-midis à parcourir les bacs des disquaires, un bout de papier griffonné de titres dans la main), une chose au moins est sûre : au XXème siècle, l’air du temps se lisait sur papier journal, et de préférence régulièrement. Parce que, lorsqu’on s’oblige à écrire toutes les semaines ou tous les quinze jours, on écrit d’abord sur ce qui est là ; et c’est comme cela que l’on encapsule l’époque : en parlant aussi des choses pas importantes, des enthousiasmes passagers, du bruit ambiant.
C’est ce que j’ai toujours recherché dans les vieux journaux que je persiste à accumuler : un peu des contradictions et de l’énergie enfuie des moments éphémères dont ils témoignent – le Punk anglais dans Sniffin’ Glue, le glam et le krautrock dans les pages Mozik du premier Actuel, les Cent Fleurs du hip-hop entre Golden Age et G-Funk dans The Source. Et si je veux respirer l’air du Lower East Side de 1967, c’est avec Don Mc Neill que je le fais. En le suivant dans les chroniques hebdomadaires qu’il donna au Village Voice sur la vie de ce petit espace centré sur le parc de Tompkins Square, entre le Village de la bohème folk et les rives porto-ricaines de l’East River, où j’ai habité pendant quelques mois, un peu moins de trente ans plus tard.
Mc Neil avait 22 ans ; c’était un ami du nerd pop Paul Williams, qui fonda le premier fanzine rock américain, Crawdaddy (j’ai découvert l’existence de ce livre dans une note de bas de page de la réédition des premiers numéros de cette feuille un peu trop sérieuse, où débuta pourtant le très frappé Richard Meltzer) ; il fréquentait les gens qu’il fallait (Ginsberg, Ed Sanders, Herbert Huncke qui lui raconta ses souvenirs de junk devant un Coca – celui qui initia Burroughs à l'héroïne ne prenait jamais d’alcool) ; il était là où il fallait être (au premier Be-In de New York, le jour où les gangs porto-ricains ont attaqué les hippies à Tompkins Square, à l’enterrement de Hippie à San Francisco en octobre 67) et il parlait de ce dont il fallait parler (de la drogue, des adolescents paumés qui débarquaient chaque semaine dans les grandes villes, du rêve hippie qui s’étiolait déjà, de la politique des Diggers et de ce poseur d’Abbie Hoffman).
Et il le fait comme personne d’autre ne le faisait à l’époque : non pas en surplomb comme un Tom Wolfe chez les Merry Pranksters, ni en démagogue populiste façon Jerry Rubin, mais en pair empathique, engagé mais jamais dupe. Ses articles sont comme une balade dans la rue, on en respire les odeurs, on passe devant le Free Store des Diggers et le commissariat de la 5ème rue Est, on rentre dans les librairies, dans les salles de spectacle, à ce meeting radical-chic des Black Panthers où plusieurs centaines de Blancs se font incendier par Leroi Jones et Bobby Seale, on croise des filles un peu trop jeunes pour traîner là toutes seules, et des types louches un peu trop vieux pour traîner avec elles, on essaye de se renseigner sur ce mystérieux STP dont tout le monde dit en ville que ce serait le nouveau LSD. Mc Neill a l’oeil, il a le style, et il a l’attitude : ce qu’il décrit n’est pas l’apogée de l’utopie hippie, mais déjà sa décomposition, ses profiteurs et ses victimes. C’est une vision à rebours de l’enthousiasme naïf que suscita le Summer of Love, un 1967 qui annonce déjà 1969. Voici ce qu’il écrit sur San Francisco à l’automne 1967 :
There’s not much reason now to go to Haight Street unless it’s to cop. The street itself has a layer of grease and dirt which is common on busy sidewalks in New York but rare in San Francisco, a film that comes from bits of lunch, garbage, and spilled Coke ground into the cement bit the heels of Haight Street strollers. It is not a pleasant place to sit, yet hundreds do, huddled in doorways or stretched out on the sidewalk, in torn blankets and bare feet, bored voices begging for spare change, selling two-bit psychedelic newspapers that were current in the spring, and dealing, dealing, dealing. The dealing is my strongest impression of Haight Street. The housewives with their Brownie cameras miss the best part of the show.
Subscribe to:
Post Comments (Atom)
Wow.. je ne le connaissais pas du tout (ne serait-ce même que de nom). Je cours m'enquérir de ça derechef. Une fois encore, merci Pierre.
ReplyDeleteMc Neil est mort un an plus tard, noyé alors qu'il se baignait avec des amis. ce livre est un hommage posthume, préfacé par Ginsberg et postfacé par Paul Williams. dans la petite préface de Ginsberg (plus "friendly uncle" que jamais), il y a ce souvenir fulgurant du jour où St. Mark's Place résonna de ce cri stupéfiant : "Vengeance on the murderers of Jacques de Molay !"
ReplyDeleteQuel superbe texte que vous nous proposez-là, Mr Evil !!
ReplyDeleteDon Mc Neill : encore un écrivain qui m'est totalement inconnu. Mais après la critique de ce livre d'une telle virtuosité stylistique, comment ne pas s'empresser de se le procurer afin de le dévorer.
Lower East Side, 1967, Hippies, San Francisco, drogues, apogée de l’utopie hippie.....autant d'éléments source de fascination !
Bravo pour votre plume et merci de la découverte !
A + + !!!!!!!!!