
Vous n’avez pas envie de lire quelque chose de long et d’élaboré sur le nouveau Bret Easton Ellis, juste savoir si vous pouvez y aller et la réponse est : oui, carrément. Suite(s) Impériale(s) (le titre américain, Imperial Bedrooms, n’était déjà pas très heureux mais y avoir rajouté ces parenthèses de chochottes, quelle idée pourrie…) étant ce que cet enfoiré a fait de mieux depuis Glamorama. Ou depuis les vingt-cinq premières pages de Lunar Park (avant que Lunar ne devienne une effarante suite de dialogues pour sitcom). La concentration, cette fois, a payé (le livre est court, ramassé sur deux cent vingt-cinq pages, qui plus est imprimées en caractère 22 comme si le lectorat de Ellis avait tellement abusé de crystalmeth durant ces dernières années qu’il en aurait au passage perdu la vue - et l’odorat aussi : je ne sais pas comment font les gens de Robert Laffont mais ce livre, à mon grand désarroi, ne sent rien). Fuck la rentrée littéraire : Il vous reste quelques jours encore pour confronter ce monument de paranoïa et de dévastation au miroitement chloré de la piscine de votre hôtel (compter deux après-midi). Mais si votre vie mondaine n’a pas attendu septembre pour déjà reprendre (on vous plaint) et qu’il y a urgence ce soir, au restaurant de briller (« encore un repas de merde à 60 euros », dirait la lucide Karine Charpentier), glissez d’un air las qu’on y cite aussi bien Elvis Costello qu’Altered Images, mais aussi (hélas) Bat for lashes ou Beck, ce qui est plus inquiétant pour qui désirait hier encore être réincarné en I :pod d’écrivain américain lancé… Entre le hors d’oeuvre et le plat principal, faites remarquer, la bouche en cul, qu’Ellis a pas mal levé le pied sur le name dropping et le placement de produits (désormais, ses personnages se définissant mois par ce qu’ils portent ou écoutent que par le désarroi qui les gagne) mais que son tempérament de camé se reporte désormais sur l’envoie frénétique de SMS (vous-même, tout en disant ça, envoyez des SMS en mangeant…).. Qu’il s’agit là, d’une suite de miroirs - les plus effrayants et les plus acérés qui soient (tous les personnages, on ne vous la fait pas, sont potentiellement des extensions malades et incestueuses de Clay, le héros de Moins que zéro catapulté scénariste 20 ans après, Clay étant lui même un double de B.E.E.), qu’il s’y dévoile assez abruptement ce que l’on a toujours su, au fonds : que les films n’étaient fait que sur des histoires de culs et de fric. N’oubliez pas de conclure en rajoutant, à l’adresse de la jeune femme à côté de vous, qu’il s’agit peut-être du plus beau texte écrit récemment sur Los Angeles, c'est à dire sur l’amertume.
« Les panneaux publicitaires numériques brillant dans la brume grise semblent tous dire non et les poinsettias qui occupent la plate-bande centrale de Sunset Plaza sont mourants et le brouillard ne cesse d’envelopper les tours de Century City et le monde est en train de se transformer en film de science-fiction – parce que rien de ce qu’il est n’a quoi que ce soit à voir avec moi en réalité. C’est un monde où se défoncer est la seule option. Tout devient plus vague et abstrait depuis que chacune de mes lubies et chacun de mes désirs, qui ont été constamment satisfaits cette dernière semaine de décembre, ont maintenant disparu, et je ne veux pas les assouvir avec quelqu’un d’autre, parce qu’il n’y a pas de substitution possible – les sites porno d’adolescentes ont l’air différents- retouchés en quelque sorte, plus rien ne fonctionne, ça ne marche plus, et j’ai donc recrée dans ma tête, heure par heure, les séances de sexe qui ont eu lieu dans la chambre pendant ces huit jours passés avec elle, et quand j’essaie d’échafauder un scénario que j’ai négligé par paresse, il en sort un truc moitié sincère moitié ironique, je suis distrait par le simple fait que Rain ne réponde pas à mes messages ou à mes SMS, et puis, trois jours seulement après son départ, ce n’est plus, officiellement, une distraction mais un obstacle. Les ecchymoses sur ma poitrine et sur mes bras, les marques des doigts de Rain et les égratignures sur mes épaules et mes cuisses commencent à s’effacer, et je cesse de répondre aux divers e-mails des gens qui sont de retour en ville puisque je n’ai aucune envie d’entendre les commérages sur Kelly Montrose ou de me moquer des rumeurs concernant les Oscars ou d’entendre parler des projets de chacun pour Sundance, et je n’ai aucune raison de retourner aux séances de casting à Culver City (puisque ce que je veux s’est déjà produit), et sans Rain ici tout se décompose entièrement et il est impossible de rester calme, c’est une chose que je ne peux pas contrôler. » (p. 92-93)
Bret Easton Ellis, Imperial Bedrroms, Suite(s) Impériale(s), 2010, Robert Laffont, traduit par Pierre Guglielmina.