Thursday 3 February 2011
Jaime Semprun, Andromaque, je pense à vous !, Encyclopédie des Nuisances 2011
C'est peut-être le dernier livre que l'on lira sous le nom de Jaime Semprun. C'est en tout cas le premier à être publié depuis le décès du fondateur de l'Encyclopédie des Nuisances. Une plaquette, plutôt, presque un faire-part, 27 pages réunissant quelques fragments épars d'une succession dont nous sommes les légataires inconsolables.
Le livre réunit trois textes de nature variée : une bouleversante élégie de Paris écrite en 2000 a l'occasion de l’anniversaire de la mort de la mère de l'auteur, la comédienne Loleh Bellon, un essai étrange sur la peinture, sans aucun nom de peintres, selon cette manière précieuse des stylistes post-debordiens, et un bouquet de thèses contre l'escroquerie de l'art contemporain.
Des trois, c'est le texte le plus faible. De par sa forme même, notes de travail en vue d’un essai à peine ébauché, dont il ne restera à jamais que cette succession d'affirmations sans surprise contre les petits et grands marchands de la Duchamp, Inc. Il manque à ces esquisses le style de Semprun, qui aurait transformé ces plates condamnations en aphorismes crépusculaires, et peut-être aussi un peu de fantaisie, de cette jubilation qu'avait par exemple Baudrillard lorsqu'il se moquait de la réalité nulle de l'art dit contemporain.
On dira que c'est parce que Semprun était un pro-situ de la deuxième époque, un "politique", quoi, stratège en chambre d’une insurrection qui ne vint pas, plutôt qu’un "artiste" un peu raté à la Pinot-Gallizio.
"Notes sur des tableaux", le deuxième texte du recueil, vient pourtant démentir partiellement cette image. Sans un exemple, sans une reproduction (trop d'images distrait le spectateur ?), il se remémore les paysages anciens de "ce monde encore construit "a la main"", de ce "monde englouti" dont le souvenir persiste par la magie de cet art tranquille et simple, la peinture. Et le texte se termine ainsi sur une stupéfiante célébration - pour qui se souvient des textes de l'IS du début des années 1960 - de la peinture comme représentation de l'Atlantide des paysages et des gestes perdus : "Cette Atlantide, il nous en reste un goût, irremplaçable, mais qui peut encore être dit – quoique la représentation soit là plus efficace que les mots".
Mais le véritable joyau, le trésor qui fait pleurer de rage la perte de Semprun, ce sont ces pages magnifiques qui ouvrent le livre, toutes en longues phrases mélancoliques sur un Paris qui s'échappe comme la vie. Tout à coup, c'est un Semprun lyrique et débordant d'émotion que l'on découvre, loin du prosateur glacial de l’Encyclopédie des Nuisances. Et l'on pense aux travellings vénitiens de Debord dans In Girum Imus Nocte…, dont ce texte extraordinaire partage la nostalgie à la fois douce et tranchante. L’Eneide renaît sur les rives de la Seine et à la plaine Monceau, on passe le square du Vert Galant, perdu dans des rêveries psycho-géographiques où passent les fantômes de Breton et de Baudelaire à qui il emprunte son titre, qui est aussi celui de ce volume en forme d’épitaphe.
"Là-haut, à Montmartre, la foule devant la baraque foraine se mettrait à vivre peu à peu, comme de l’eau chante dans la casserole et s’évapore. Il y aurait toujours, non loin des boues diamantifères de la place Clichy, l’atelier de la rue Fontaine : "avec vue sur le Néant", avait dit André Breton en montrant par la fenêtre le cabaret qui portait ce nom ; et entre Montmartre et les quais, tout un monde : le chaos des vivantes cités."
Jaime Semprun
Andromaque, je pense à vous !
Subscribe to:
Post Comments (Atom)
Qui, en France, écrit encore cette langue éternelle, corsetée et libre et magnifique?
ReplyDeleteJ'avais découvert l'EDN avec Baudoin de Bodinat et sa Vie sur Terre.
Beau souvenir.