Allez, le voici, ce texte sur Gir/Moebius que pornochio m’avait commandé ici. Un texte en forme d’anthologie alternative pour tous ceux qui auraient lu les titres les plus emblématiques du Maître (la trilogie sacrée La mine de l’Allemand perdu 1&2 / Le garage hermétique / L’Incal) sans aller forcément plus loin, ou qui auraient envie d’entrer dans son oeuvre par quelques portes dérobées.
Ce qui est encore la meilleure manière d’y pénétrer. Ceux qui le feront auront en effet la surprise de passer d’un cul de sac au bout d’un couloir au compartiment luxueux d’un « magnifique train à vapeur », ou d’un astéroïde expansé à trois niveaux à la station de métro Opéra à Paris, et la surprise plus grande encore de ne pas en être étonné, comme le rêveur porté par le flot aléatoire de son rêve. Parce que, à son meilleur, le talent du Moebius se situe dans la continuité floue du songe, dont il est l’un des très rares artistes à savoir restituer avec une douce évidence la logique courbe et hachurée. Et c’est ce que l’on retrouvera dans ces quelques livres :
1. Le Bandard Fou, les éditions du Fromage, 1974 : le premier album officiellement signé Moebius, oeuvre hénaurme comme le chibre turgescent de cet habitant à gros nez de la planète Souldaïn-du-Cygne qui en est le héros. Dit comme ça, ça ressemble aux grasses plaisanteries ultra-régressives du Gotlib de Rhââ Lovely (et ça ne fait donc pas envie), alors que c’est au contraire la matrice de tout ce qui va suivre : Le Garage Hermétique sortira de là - littéralement, puisque les deux albums se répondent en quelques allusions transparentes - mais aussi John DiFool, dont le Bandard est un prototype burlesque. Et puis, sur chaque page de gauche de l’album, il y a ce type qui se transforme en oeuf dégueulasse avant d’exploser, sans aucune raison, sans aucune explication, pure fantaisie graphique et jubilatoire.
2. Les Yeux du chat, Les Humanoïdes Associés 1978 : première collaboration livresque de Moebius et Jodorowsky, une vingtaine de pages en noir et jaune belles et sombres comme des gravures fin de siècle. Un chef d’oeuvre muet d’art graphique et de narration cruelle que les deux futurs auteurs de l’Incal réaliseront à contre-emploi, avec un Jodorowsky à son plus sobre, et un Moebius qui ne fait pas vibrer le vide mais joue au contraire avec le plein, avec ces cases majestueuses en pleine page lestées d’encre noire et de cartons collés.
Ce qui est encore la meilleure manière d’y pénétrer. Ceux qui le feront auront en effet la surprise de passer d’un cul de sac au bout d’un couloir au compartiment luxueux d’un « magnifique train à vapeur », ou d’un astéroïde expansé à trois niveaux à la station de métro Opéra à Paris, et la surprise plus grande encore de ne pas en être étonné, comme le rêveur porté par le flot aléatoire de son rêve. Parce que, à son meilleur, le talent du Moebius se situe dans la continuité floue du songe, dont il est l’un des très rares artistes à savoir restituer avec une douce évidence la logique courbe et hachurée. Et c’est ce que l’on retrouvera dans ces quelques livres :
1. Le Bandard Fou, les éditions du Fromage, 1974 : le premier album officiellement signé Moebius, oeuvre hénaurme comme le chibre turgescent de cet habitant à gros nez de la planète Souldaïn-du-Cygne qui en est le héros. Dit comme ça, ça ressemble aux grasses plaisanteries ultra-régressives du Gotlib de Rhââ Lovely (et ça ne fait donc pas envie), alors que c’est au contraire la matrice de tout ce qui va suivre : Le Garage Hermétique sortira de là - littéralement, puisque les deux albums se répondent en quelques allusions transparentes - mais aussi John DiFool, dont le Bandard est un prototype burlesque. Et puis, sur chaque page de gauche de l’album, il y a ce type qui se transforme en oeuf dégueulasse avant d’exploser, sans aucune raison, sans aucune explication, pure fantaisie graphique et jubilatoire.
2. Les Yeux du chat, Les Humanoïdes Associés 1978 : première collaboration livresque de Moebius et Jodorowsky, une vingtaine de pages en noir et jaune belles et sombres comme des gravures fin de siècle. Un chef d’oeuvre muet d’art graphique et de narration cruelle que les deux futurs auteurs de l’Incal réaliseront à contre-emploi, avec un Jodorowsky à son plus sobre, et un Moebius qui ne fait pas vibrer le vide mais joue au contraire avec le plein, avec ces cases majestueuses en pleine page lestées d’encre noire et de cartons collés.
3. Major Fatal, Métal Hurlant #6, 1976 : le prologue au Garage Hermétique, un récit d’une dizaine de pages publié dans Métal par JP Dionnet en même temps que le premier épisode du Garage lui-même. Si je devais choisir une bande pour expliquer le style Moebius des 1970s, ce serait celle-là. Tout y est onirique : l’histoire absolument linéaire et pourtant sans queue ni tête, les dialogues empreints d’une sagesse absconse (« Le temps mange la ville », dit l’un. « Chacun son tour », répond l’autre), les références distordues (« Obladi-Oblada, c’est le bluz du cheval »), cette ville immense et déserte dans laquelle les personnages déambulent à la recherche du Major Grubert... Tout y est onirique, mais cet onirisme est une pure création graphique. Car cette histoire n’est pas une histoire, c’est un dessin, un dessin total dont le style flottant contamine jusqu’aux textes de Moebius qui, avec leur lettrage précipité et leur orthographe aléatoire, nourrissent autant cette impression d’irréalité hyperréaliste que les humanoïdes variables en costumes de cow-boys qui peuplent son récit.
4. Sur l’étoile, Les Humanoïdes Associés / Citroën 1983 : la première histoire de Moebius que j’ai lue, une aventure de SF commandée par Citroën en 1983, pleine de tuyaux rouillés et de poésie mécanique, dont Moebius fera par la suite le cycle des Mondes d’Edena, une série mineure au dessin rond et apaisé, loin des transes graphiques de ses oeuvres des années 1970. Mais paradoxalement, c’est peut-être parce qu’elle est une oeuvre de commande que Sur l’étoile conserve encore un peu de cette magie, avec sa traction avant roulant dans un désert extraterrestre, et sa mystérieuse pyramide aux allures d’Incal Lumière.
5. Blueberry, Ballade pour un cercueil, Dargaud 1974 : le dessin de Gir n’y a pas l’élégance désolée du diptyque de La Mine, ni la complexité presque mathématique de Nez Cassé, mais l’album fourmille de moments de bravoure claustrophobe (on comprend que Gir ait eu envie des grands espaces désertiques de Moebius après un tel récit qui ne se passe que dans des grottes, des églises closes, ou pendant la nuit), et l’histoire est un pur plaisir sadique, typique de cette époque où Charlier et Giraud prenaient leur pied à enfoncer toujours plus profondément le malheureux Blueberry. Mais surtout, c’est cet album qui débute par cette dizaine de pages signées Charlier qui prétendent donner une biographie sérieuse au lieutenant Myrtille, de sa naissance à sa mort à Chicago le 5 décembre 1933, au milieu de clichés d’époque où figure « l’unique photographie connue de Blueberry ». Photo toute petite et pas très ressemblante, mais c’est exactement pourquoi on peut (veut) y croire.
4. Sur l’étoile, Les Humanoïdes Associés / Citroën 1983 : la première histoire de Moebius que j’ai lue, une aventure de SF commandée par Citroën en 1983, pleine de tuyaux rouillés et de poésie mécanique, dont Moebius fera par la suite le cycle des Mondes d’Edena, une série mineure au dessin rond et apaisé, loin des transes graphiques de ses oeuvres des années 1970. Mais paradoxalement, c’est peut-être parce qu’elle est une oeuvre de commande que Sur l’étoile conserve encore un peu de cette magie, avec sa traction avant roulant dans un désert extraterrestre, et sa mystérieuse pyramide aux allures d’Incal Lumière.
5. Blueberry, Ballade pour un cercueil, Dargaud 1974 : le dessin de Gir n’y a pas l’élégance désolée du diptyque de La Mine, ni la complexité presque mathématique de Nez Cassé, mais l’album fourmille de moments de bravoure claustrophobe (on comprend que Gir ait eu envie des grands espaces désertiques de Moebius après un tel récit qui ne se passe que dans des grottes, des églises closes, ou pendant la nuit), et l’histoire est un pur plaisir sadique, typique de cette époque où Charlier et Giraud prenaient leur pied à enfoncer toujours plus profondément le malheureux Blueberry. Mais surtout, c’est cet album qui débute par cette dizaine de pages signées Charlier qui prétendent donner une biographie sérieuse au lieutenant Myrtille, de sa naissance à sa mort à Chicago le 5 décembre 1933, au milieu de clichés d’époque où figure « l’unique photographie connue de Blueberry ». Photo toute petite et pas très ressemblante, mais c’est exactement pourquoi on peut (veut) y croire.
6. Inside Moebius, Stardom 2001-2008 : il n’y a quasiment que des oeuvres des années 1970 dans la sélection précédente, alors que Moebius n’a pas arrêté de créer jusqu’à sa mort, revisitant ses classiques (deux suites du Garage, une d’Arzach, une série avortée Après l’Incal...), continuant Blueberry (avec un cycle au ralenti sur le règlement de comptes à OK Corral, 24 heures en 5 albums dans lesquels Blueberry passe quasiment tout son temps au lit - un pur pari moebien) et s’inventant de nouveaux défis (reprendre le XIII de Van Hamme, passer un an dans le dessin de presse à La Vie...). De cette période très productive mais pas vraiment fascinante, je garderais les Inside Moebius, petits carnets inégaux où il joue avec ses personnages et son image, dans son cher désert « B » plein de « plans », de « passages » et « d’extérieurs internes ».
Merci Pierre. J'aime - entre autre - le soin que tu as mis à poster ce voyage alternatif un mois jour pour jour après la mort de Giraud. Je crois que les Yeux du chat reste mon préféré parmi ta liste. Sans doute parce que, de mémoire, ça a du être la première fois que mon cerveau d'enfant a été excité à l'idée de trouver un livre rare: jusqu'à ce que les Humanos le réédite en un format cheap (dans un collection qui devait au mois s'appeler les yeux de la tête), les Yeux du chat était réputé in-trou-va-ble. Je me suis mis à chercher. Grosse modo, j'ai donc la même vie aujourd'hui qu'à l'âge de dix ans. Glurp!
ReplyDelete