Monday 2 April 2012
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Pix : Elise Cowen
"Un soir de février 1962, ma mère me téléphone. "Ton amie s'est suicidée, dit-elle. C'est dans le journal". Je cours acheter le New York World Telegram. Il y un petit entrefilet-UNE FEMME DE 28 ANS EST RETROUVÉE MORTE.
Elise (Cowen) a sauté par la fenêtre du salon de ses parents à Washington Heights. Elle venait de sortir de l'hôpital psychiatrique de Hillside; ses parents devaient s'occuper d'elle et envisageaient de l'emmener à Miami. Longtemps, je regarde le mot FEMME. Nous avons donc toutes les deux grandi, nous sommes devenues des femmes.
Elle n'est pas partie avec Keith à Mexico trois ans plus tôt. Allen, de passage à Berkeley au printemps, lui a rendu visite. Elle est rentrée à New York peu après. Allen vivait avec Peter Orlovsky dans un appartement de la 2e Rue Est, de nombreuses pièces minuscules où beaucoup de gens passaient la nuit et où le téléphone sonnait en permanence. Il a réussi à loger Elise dans le même immeuble.
Quand Allen acheva Kaddish, le long poème où il évoquait sa mère Naomi, Elise tapa le manuscrit à la machine. "Tu n'en as donc pas encore fini avec elle ?" demanda-t-elle. Question qu'Allen nota dans son journal.
Un autre jour, le 6 décembre 1960, il écrit :
Me réveille à l'instant et plus
belle que poème est Elise debout
à l'aube au milieu de la chambre en
noir planant sous mescaline-
Je commençai à perdre Elise de vue après le départ d'Allen. Elle fut très vite emportée dans une spirale descendante, tourbillonnant dans les sombres remous de l'East Village, expérimentant les drogues qui élargissaient la conscience avant de la faire voler en éclats. Disparaissant du 170 de la 2e Rue Est, elle dériva de chambre meublée en piaule sordide, emportant tous ses biens dans des sacs en plastique.
La méthédrine la flétrit. Une nuit, elle frappa à ma porte pour m'emprunter ma machine à écrire... Quelques semaines plus tard, une ambulance vint la chercher dans un immeuble de l'Avenue D pour la transporter à Bellevue.
Là, dans un placard, on retrouva des carnets. Leo Skir alla les récupérer. Ils contenaient les poèmes qu'Elise n'avait jamais montrés à personne.
Seule
En larmes
Je m'éveillai en larmes
Seule
Dans le parc noir d'un lit.
L'un de ces poèmes, peut-être le dernier qu'elle écrivit, contenait le message adressé à moi et aux autres spectateurs distraits qui croyions la connaître.
Pas d'amour
Pas de compassion
Pas d'intelligence
Pas de beauté
Pas d'humilité
Vingt-sept années suffisent.
Mère-trop tard-années de mesquinerie-
Je suis désolée
Papa-Que s'est-il passé?
Allen-Je suis désolée
Peter-Sainte jeunesse rose
Betty-incarnation de la vaillance féminine
Keith-Merci
Joyce-si fille belle
Howard-bonne chance, mon chéri
Leo-Ouvre les fenêtres et shalom
Carol-laisse les choses arriver
Maintenant s'il vous plaît laissez moi sortir-
-S'il vous plaît laissez-moi entrer
Ses poèmes circulèrent pendant quelque temps. Son suicide fit d'Elise une légende éphémère.
Deux ans plus tard, Allen usa de son influence pour faire publier quelques poèmes dans le City Lights Journal. La petite photo qui les accompagnait venait du passeport qu'Elise n'avait jamais utilisé. Allen écrivit également un texte sur mon amie, en collaboration avec Lucien Carr. D'un vers à l'autre, leurs voix alternent sans qu'on puisse les distinguer :
Quel âge avait cette chère vieille Elise quand elle
s'éclipsa, joyeuse? Quelqu'un que je n'aime pas
aurait dû faire cela à sa place. J'éprouve davantage
de loyauté que d'amour pour Ellipse.
Ses poèmes, ils sont gauches. Mais c'est le genre
de gaucherie qu'ont les êtres directs et
(si cela existe) honnêtes. Et la beauté
des vers écrits que je voyais et qu'elle
voyait, mais qu'aucun de nous ne pouvait voir en
elle...
Lucien ou Allen dit : "Elle avait cette qualité de solitude vigilante."
Je veux croire que ce fut Allen."
Joyce Johnson, "Personnages secondaires, 10/18, 1996.
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Le livre de Joyce Johnson est si beau qu'il mériterait un second post, explicatif. Rien de plus émouvant et de plus lucide n'a jamais été écrit sur la Beat Generation. Les "personnages secondaires", ce sont les femmes - pas toujours très à l'aise avec elles et leurs affirmation, nos amis de bleeker Street.
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