Monday, 31 December 2012
Bertrand Fleuret, Landmasses and Railways, 2009 + Antony Cairns, LDN, 2011
Nous ne l’avons pas fait exprès, nous ne serions même pas fichus de le faire exprès. Nous ne nous sommes pas concerté, ni n’avons tiré de plans sur la comète (tout ce fonctionnement de blog normal qui nous est absolument étranger), mais voilà : nous avons posté 66 articles en 2010, 66 articles en 2011 et celui-ci sera le 66ème de l’année 2012. Les asiles sont remplis de mecs branchés numérologie.
Pour ce 66ème post (in extremis), il aurait été plus facile d'envoyer un quote ou une belle image de pin up en guise de carte de vœu. Ou bien finir ce maudit post sur le Tarnac de David Dufresnes (bouquin essentiel de cette année, pour nous) qu’Ivan et moi projetons d'écrire un jour, mais si possible pas dans dix ans quand vous n’en aurez plus rien à foutre. Il m’aurait été tout aussi simple de ressortir des archives un texte que j’ai écrit au mois juillet et qui – allez savoir pourquoi - ne parle que de froid et de neige. Mais voilà, nous sommes le 31 décembre, et il fait onze degrés.
Alors regardons les choses en face, les seuls livres que nous voulons ouvrir aujourd’hui, à l'heure du bilan terminal, sont des livres qui inventent un autre monde, des livres de fuite totale.
Landmasses & Railways, par exemple. Dire qu’il a été photographié à Berlin durant des mois n’est même pas une information. Ce pourrait être un laboratoire ou une station orbitale, ou une cité expérimentale sur Mars (le garçon ne cite pas pour rien Sun Ra comme source d’inspiration principale, à coté de Solaris, Sans Soleil et Soudain l'été dernier). On y retrouverait tous les détails de notre monde (des scarabées aux montres en passant par les tapis persans) mais dans un désordre total, si bien que l’univers contenu ici est rendue sous la forme d’une énigme épaisse qu’il est difficile de décoder. Quand la reconnaissance ne joue plus, c’est tout le langage qui est dissout, et avec lui la vue : Qu’est-ce que voir quand on ne reconnaît pas ?
Il y a un chapitre que j’aime bien dans ce livre. Il se nomme An Empty Building. L’immeuble en question est une sorte de tour de bureau ultra moderne (ou du moins l’idée que pouvaient s’en faire les architectes au début des années 70), avec son hall vide, ses salles de réunion king size désertées. Dans un couloir, à force de déambuler, Fleuret tombe nez à nez avec un chat, noir et menaçant. Le dernier habitant, c'est lui.
Etrangement, la sortie de Landmasses and Railways en 2009 n'a pas fait de vagues, le livre était presque mort né - son éditeur américain était, semble-t-il, sur le point de fermer. C'est sa beauté étrange qui l'a sauvé de l'oubli. Il est aujourd'hui devenu chez les amateurs pointus de photobooks un objet de culte (hautement soutenu par la librairie Schaden à Cologne), dont on attend impatiemment la suite. En 2013?
Science fiction quotidienne encore, avec un autre livre de photo assez rare, LDN, publié à 100 copies il y a moins de deux ans par les anglais de Archive of Modern Conflict, d’habitude spécialisés dans la used photography, mais qui là ont magistralement édité 18 planches d’un photographe contemporain, Antony Cairns, qui sont comme des radioanesthésies d’une ville, Londres, vidée et cramée par la radioactivité. On pense à Lynch, à Ballard, à Kraftwerk, à Burial, ou à Sandwell District. Ce ne sont plus que des buildings, des couloirs de métro, des surfaces de béton ou des portions d’autoroute sans humanité, sans lumière, sans air respirable.
J’ai mis un moment à comprendre pourquoi AMC avait sorti ce livre qui ne correspond à rien de leur catalogue -on dirait plutôt, quand on le tient, le dossier médical d’une société malade - mais une fois mis à coté du Landmasses & Railways de Bertrand Fleuret, le sens même de publier LDN chez AMC saute aux yeux : Fabriquer aujourd'hui de fausses archives de demain et collecter des images anonymes venues d'un passé proche, cela revient au même. C'est la même impression d'un monde qui a été rayé de la carte. Hier ou dans le futur, qu'importe. Tout ça n’étant jamais qu'un peu de temps solarisé.
La post apocalypse commence là maintenant, ici et avec eux.
Happy new year to you.
Bertrand Fleuret, Landmasses and Railways, J&L Books, Atlanta, 2009
(le livre est aussi téléchargeable gratuitement en pdf sur www.bertrandfleuret.com, même si l’effet est plus fort avec le jeu d’imprimerie)
Ps: A peine ce post en ligne, on apprend qu'Archive Of Modern Conflict sort cette semaine une suite à LDN, qui se nomme LPT, encore une fois éditée à 100 copies "handmade", dont le désign -tout en métal - à l'air plus dingue encore.
L'intégralité des photos des deux livres est visible sur le site de l'artiste:
http://www.antony-cairns.co.uk/
Antony Cairns, LDN, Archives of Modern Conflict, Londres, 2011
www.amcbooks.com
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