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Sunday 9 December 2012

Remembering 2012: A Photobook List


On a bourré les urnes, rangé, séparé, repoussé, étalé sur la table, mis les trucs en pile (histoire de voir si ça tient: non), fait montre d'une mauvaise foi exemplaire, tout tenté pour arriver à 10 (raté), copié sur les voisins (mais pas tant que ça, au final), menacé de jeter l'éponge ("mais finalement ça a pas été une si grande année que ça, 2012, non?"), pour arriver à ça: un soit disant Graal du photobook 2012 (according to Pornochio).
Qui a dit "c'était bien la peine" ?


André Cepeda – Rien (Pierre von Kleist)
André Principe – Smell of tiger precedes tiger (Piere von Kleist)
Sao Trindade – Bad liver and a broken heart (Ghost)


Je dois me rendre à l'évidence: mes favoris du moment viennent tous de Lisbonne, et appartiennent peu ou prou à la même bande gravitant autour de Pierre von Kleist. Je sais pas si je dois appeler ça une école ou un mouvement, mais ça n’a que peu d’importance, aucun de ces trois livres ne répètant la même chose, sinon une forme d’âpreté au réel.

Quatre livres en deux ans, et André Principe n’en finit pas de traverser le monde visible pour tenter d'en ordonner les secrets – cela passe par des visages, des marches nocturne, des rencontres et tous ces animaux étranges qu'il photographie nous fixant en silence. J’ai de plus en plus le sentiment qu'André ne cesse de différer ses adieux à une vie post adolescente qu’il voudrait étreindre de toutes ses forces mais dont déjà il compte les secondes.

Sao Trindade est plus jeune j’imagine, du moins sa photographie, à fond dans le truc destroy, le laisse croire : Bad liver and a broken heart (beau titre, piqué à Tom Waits) enchaîne des corps de filles et de mecs (un mec, en fait) roulant par terre, viande saoule de désespoir amoureux ou déchirée aux anxiolytiques. C’est sans doute joué, posé, mais son grain est si intense qu’on croit toujours apercevoir un peu du macchabée qui nous pend a nez si on ne lève pas le pied, un jour ou l’autre.

(ps: voir, depuis, le trailer et les précisions de Ghost en comments.)

Rien, c’est une autre paire de manche encore, peut-être mon livre préféré cette année, un grand album noir et blanc ressemblant d’aspect extérieur à un catafalque. Mais l'intérieur est plus abîmé encore: d'immenses double planches dont je suis incapable de rendre compte par les mots (c’est bon signe quand ça résiste à ce point. Je peux toujours en décrire les composantes (là le corps nu d’une femme mature, là des tuyaux, là des plantes grasses, là une peau de bête dépecée), mais cela ne dit rien de l’effroi qui prend à la gorge en regardant cela, bien que le désir d’y replonger soit désormais quotidien. Il y a chez Cepeda quelque chose du grand Dirk Braekman, redécouvert à la fin de l’année 2011, la même présence malade mais sans la béquille de la séduction dont use parfois un peu trop le flamand (corps de mannequin, etc…).


Sam Falls – Val Verde + Life Size (Karma) + Paint Paper Palms (Dashwood)
Falls, 28 ans, et déjà une vingtaine de livres derrière lui, tous sidérants. On ne sait pas quelle peur de mourir nourrit une telle boulimie de travail, on ne sait rien de ce qui le fait courir. En fait, il va si vite qu’on ne sait plus, à l’heure où il nous faut revenir sur son année 2012, s’il fait encore de la photographie ou s’il est passé déjà à un autre stade, plus étrange : la photographie de sa peinture et de sa sculpture (Life Size laisse supposer ça). Disons qu’il a pour l'heure décidé de ne pas choisir. L’année 2012 lui a appartenu, c’est évident, et pour avoir passé douze mois à chasser ses bouquins (dont certains sont tirés à 50 ex.), je me range comme un soldat derrière ceux qui voient en lui le prochain Warhol potentiel (ça saute aux yeux quand on regarde Paint Paper Palms), ou mieux un taré hippie branché "cabane dans le désert", composant des formes avec des pierres, du sable et des pneus, quelque part entre James Rosenquist et Robert Smithson. On y revient en longueur asap.


William Eggleston – Los Alamos revisited (Steidl)
Plus que jamais en 2012, la parano est de mise en ce qui concerne l’édition des photobooks : le marché est devenu fructueux, et se sature lui-même à coups de faux évènements éditoriaux (Six volumes de Gordon Parks à sortir en décembre, était-ce bien nécessaire ?).
Pas ce coup-là. Autant j’avais beaucoup de suspicion à l’égard du trop gros coffret Eggleston/Chromes que Steidl avait sorti l’an passé (au moins un volume et demi de trop) autant cette version extended (le nombre des planches a été multiplié par trois) de Los Alamos (celui de ses livres que je préférais) est une indispensable leçon d’orgueil administrée à chaque page par le vieux Bill.
On a donc pas rêvé : Il y a donc bien eu un moment, au début des années 70, où Eggleston s’est trouvé à la charnière de toute l’histoire de la photographie de l’Amérique : son passé comme son futur. Il y a là, en l’état, tout Walker Evans, tout Winnogrand, tout Robert Frank, tout Lewis Baltz, tout Robert Adams, mais aussi déjà tout Anthony Hernandez, tout Paul Graham, tout Alec Soth, tout John Gossage et tout Doug Rickard. Vielle canaille, vieux salaud.


Adam Broomberg & Oliver Chanarin – Black Market (Chopped Liver Press)
Hummm, on y reviendra peut-être, même si l’objet (tiré à 100 ex) est sans doute déjà épuisé (où finit de l’être). A l’origine, une VHS trouvée sur un marché aux puces du Caire. Dedans, Al suq al Soda, un film néo-réaliste de 1945 du peintre surréaliste égyptien Kamel el-Telmissany. Mais surprise, les 38 premières minutes de la cassette cachent en fait un porno seventies cairote (il y en a donc eu !) bien bouillant. Le livre est une série de captures franches et chronologiques tirée des deux films, et il est, summum du chic fétichiste, vendu avec une copie de la VHS. Si additif que j’envisage depuis de racheter un magnétoscope (et une télé).


Brad Feuerhelm – Vernacular (Self Publish, Be Happy)
Bien sur, vernaculaire est le mot valise dans lequel on a fait rentrer toute la photographie des quatre dernières années. Le prolifique Erik Kessels et les anglais d’Archive of modern conflict dominent la photo trouvée comme personne, le tétanisant Dead men don’t look like me rassemblé par Paul Schiek a impressionné, tout comme le très vif Stip-O-Gram de l'ami Sébastien Girard. Mais il a fallut attendre Offprint en novembre pour voir surgir ce bijoux d’un autre collectionneur anglais, Brad Feuerhelm, enchaînant 54 photographies trouvées (où ça, aux chiottes?) n’ayant pour lien entre elles que leur sexy éprouvé et leur vulgarité lambda.Pourtant Feuerhelm - monteur génial - arrive à tirer de son séquençage une émotion bizarre : sensation, peut-être, de voir défiler l’époque dans sa part brute et épisodiquement imbécile.



Marten Lange – Another Language (Mack)
Je ne sais pas qui est Marten Lange – je m’en fous. Je ne comprends rien à ce livre – c’est pas grave. On y voit des tortues, du bois, des truites, des rochers, la nature élémentaire – toutes ces choses qui en général me gavent. Alors pourquoi, les matins où je me réveillent à 5h, frappé d’insomnie, est-ce vers ce petit livre gris que spontanément je me tourne en espérant trouver consolation? hein ?



Riydai Takano – A (Superlabo)
Go Itami – Mazime 4 (autoédité)

On se plaint beaucoup, ici ou là, de ce que la photographie japonaise ait en ce moment un mal fou à exprimer autre chose que de la joliesse, du mignon, du kawaii (ça devrait changer en 2013 avec la sortie chez Akaaka du Surrounded myself to the chair of life de Jin Ohashi).
En attendant, deux espoirs, ou plutôt deux mystères: Beaucoup d’intensité et de fugacité - à défaut de grands discours - dans le vivifiant Mazime 4 de Go Itami, capable de passer de la plus grande abstraction à des portraits sensuels, ou accidentels (cf. photo ci-contre). Quant au A de Riydai Takano (bouquin inédit mais tiré d'une session de 1999), il vient - en 11 impressionnantes photos d’un homme fort photographié la quique à l'air sous sa douche, mi cancrelat souffrant mi animal méditant, rampant sur le carreau noir et froid de son bain turc - de jeter un pavé dans la mare de la représentation du corps au Japon. Ah.



Arianna Arcara & Luca Santese – Found photos in Detroit (Cesura)
Un des grands moments de l’expo Anonymes d’Amérique qui avait inauguré le BAL (Impasse de la défense, Paris 18ème) il y a deux ans. C’est enfin un livre : ramassis informel de photographies trouvées dans les rues de Detroit. Des clichés attaqués par l’érosion, la flotte, l’humidité, ou tout simplement par le mépris généralisé à l’égard d’une classe sociale expulsée en masse depuis le credit crunch de 2008. Soit la version photographiée de ce que raconte Mad Mike depuis + de 20 ans.


Arne Schmitt/ Andrzej Steinbach – It was the streets that raised me, streets that paid me, streets that made me a product of my environment (Spector Books)
Celui-là non plus ne veut pas partir, dès mois après son acquisition. Confrontation de photos urbaines (faites à Leipzig en 2009) avec des captures de vidéos hip hop américaine des 80’s. Sentiment étrange d’évoluer dans un non-pays, dans une non-lande, avec la violence américaine (dans son fantasme disproportionné) pour seul référent miteux. Aussi calme soit-il, ce livre laisse un drôle de goût dans la bouche, à bien y réfléchir.


Ute Mahler & Werner Mahler – Mona Lisen, der vorstädte (Meier und Muller)
J'aime plus que de raison les Mahler, couple mythique de la photographie de presse (mais aussi de mode) de l'Allemagne de l'Est des années 70. Toujours en activités, toujours impeccables, ils livrent ici une série de portraits noirs et blancs (d’un clean presqu’angoissant : véritable précipice dans le vide) de 30 jeunes femmes dévisageant le paysage urbain sans grâce dans lequel, Mona Lisa des terrains vagues, elles vivent. Dans un genre similaire (le portrait plein pot), le nouveau John Gossage, She called me by name, est très bien, lui aussi.

Ida Pimenoff – A shadow at the edge of every moment (Kehrer)
«Sometimes you may dream of a person you haven’t seen in years or of someone who is distant in some other way, dead even.» Beaucoup d’attachement pour ce livre impressionniste et discret (les branchés sont passés à côté : c’est pas plus mal), le troisième d’une jeune photographe finlandaise née à Helsinki en 1977. Difficile d’en parler sans bousculer le silence rêveur qui fonde son approche. A ranger doucement, jamais trop loin du Let’s sit down before we go de Bertien van Manen (chef d’œuvre méconnu de l’an 2011) et de l’hallucinant I want to eat de Mariken Wessels


Johan Sundgren – By Lamplight (Journal) Je tiens Journal, maison d’édition basée à Stockholm, comme une des meilleures adresses au monde. Ce livre le prouve : son auteur, un suédois de 40 ans, a bossé quelques mois comme aide sociale auprès de personnes âgées. Ok. Il a établi avec eux un pacte : eux et lui se photographiant à tour de rôle. Ok. Ce qui ne dit toujours pas pourquoi on tient là un nouvel épisode d’une photographie suédoise impudique mais sidérante d’humanité telle que l’a inventée Anders Petersen et perpétuée JH Engström.


Paul Graham – The Present (Mack)
Rencontrer enfin longuement Paul Graham, à New York en juin, fut pour moi un moment journalstique précieux - le genre de moments qui fait croire que l'on a raison de continuer. Durant la conversation, le smart et glacial Graham a évoqué à plusieurs reprises son ami Michael Schmidt, et surtout combien à chaque nouveau livre Schmidt arrive à perdre son public, tout simplement parce qu’il faut des années pour comprendre où il veut en venir. Bien sur, Graham ne citait pas Schmidt par hasard, ultra conscient que The Present, ce livre photo/philosophique qui clôt de façon angoissante sa trilogie américaine (entamée avec American Night et poursuivie par le masterpiece A Shimmer of possibility) serait en 2012 un livre aussi célébré qu’incompris. Ce fut le cas, effectivement, le projet ayant clivé le monde riquiqui de la photographie entre détestation pure, reniement sous les glaviots et adoration embuée. Très très haut dans les sommets de ma liste.



9 comments:

  1. On est bien d'accord, une année vraiment pas terrible !
    Le "Bad liver and a broken heart" est magnifiquement réalisé mais le problème est qu'on sent trop que c'est posé, du coup le livre perd de sa force, puisqu'on ne croit pas une seconde au sujet.
    Le père Noël a intérêt de me descendre du ciel le coffret "Los Alamos".

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  2. Drôlement athlétique, ton père Noël: le truc pèse un homme (et coûte un bras, je sais).
    ça me gène assez peu que "Bad Liver" soit posé, j'aime bien l'idée d'un truc posé qui soit pourtant photographié comme s'il avait passé la nuit à la recherche de tous ceux qui se seraient mis minable.
    Et puis j'adore la façon dont le bouquin est fabriqué, en pièces détachées. Ghost est une petite maison d'édition lisboète (c'est leur seconde sortie), bouquin pas cher (15 euros, env.), esprit D.I.Y, en mode guérrila fuck la crise, ça me va

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    1. On est d'accord, le livre est superbement réalisé !

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  3. Et d'aileurs voilà ni plus ni moins que le trailer de Bad Liver avec un lien pour le commander (18 euros), sachant qu'il n'est tiré qu'à 300 ex. http://www.ghost.pt/BadLiverAndABrokenHeart.htm

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  4. Merci beaucoup pour votre choix et vos commentaires sur le livre de São. Je sais que nous sommes très parcimonieux en infos sur notre site (le livre a été lancé d’un jour à l’autre – nous l’avons reçu le premier jour de Offprint Paris sans avoir eu trop le temps de cogiter sur sa présentation). Il me semble intéressant de pouvoir maintenant vous fournir un peu plus d’infos sur le livre. São Trindade est née en 1960. Elle – c’est une femme – n'a donc plus 21 ans mais son esprit "punk" est resté intact. ‘Bad Liver And A Broken Heart’ est son premier livre. Cette série date de 2005-2006 et fut exposée en 2007 à la galerie KGaleria à Lisbonne. A l'époque nous avions beaucoup aimé la série et nous l'avions mis en haut de notre "wishing list" de notre (possible futur) projet éditorial. Toutes les photos sont posées, elles sont même dessinées avant d'être photographiées. Le livre prend son origine dans un cahier de dessins où São a étudié certaines poses de corps, toutes liées à la notion de décadence, d’abandon et de perte de conscience/contrôle. Cette décadence est cependant plus visuelle que morale. C’est un fait visuel, un état de corps, pas un jugement. São Trindade est probablement plus artiste plastique que photographe, elle utilise la photographie comme un moyen de fixation de ses idées et de ses affects. Dans toutes les photos, c'est le corps de São Trindade qui est à l’image et qui est mis en situation d'autofiction : à circonstances différentes, indices d’activités différentes (piscine, parking, billard, bar, commissariat, rue pavée). L’image de la couverture est une référence directe à Weegee (Hell’s Kitchen) où le revolver est remplacé par un appareil photo (le flash est caractéristique de celui que Weegee utilisait), le gangster est remplacé par le photographe (paparazzo, responsable des images qui composent cette série). L’univers de Weegee convient également très bien à cet univers en noir et blanc, de vie nocturne décadente, « after hours », où le temps s’anéantit dans les corps de ceux pénètrent dans la nuit comme dans un refuge.
    David-Alexandre Guéniot, éditeur – avec Patrícia Almeida – de GHOST http://www.ghost.pt
    PS : « Bad Liver And A Broken Heart » est notre 6ème publication (en 18 mois d’existence).

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  6. Merci David-Alexandre de parler enfin si précisément de Bad Liver, d'en lever le mystère - ce qui me permet de corriger au passage quelques approximations qui flottaient encore dans ma réponse à Crocnique - je maîtrise mal les prénoms portugais et j'imaginais que le photographe en cover en plein remake Weegee état Sao Trindade. Intéressant de regarder le livre à nouveau est de le remettre dans le contexte de son projet. Il est plus mystérieux encore: ce n'est plus la dimension nocturne qui prédomine, mais tout ce qui est expérimenté à partir des poses du corps, cela devient un autre livre encore. Les deux me plaisent. Amitiés et longue vie à Ghost.

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  7. Les meilleurs livres de photo 2012, c'est ça : http://goo.gl/SgfIW / http://goo.gl/WQNc7

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