Thursday 22 October 2009
Akbar Del Piombo & Norman Rubington, Fuzz against Junk, 1960
Il y a ambiguïté sur la personnalité d'Akbar Del Piombo (juste le meilleur pseudo de tous les temps). Ivan, qui me l’a fait découvrir, est intimement persuadé qu’il s’agit ni plus ni moins d’Alexander Trocchi – et de fait, tout y fait songer : la thématique junk, l’éditeur (Girodias, pour qui Trocchi écrivait des romans pornos sous pseudos), le détournement façon Situ (on pense ici à Fin de Copenhague de Asger Jorn et Guy Debord). Style sec et humour « tongues in cheek ». De la férocité, partout. Mais les infos glanées ça et là sur le net laissent plutôt sous-entendre qu’Akbar Del Piombo et son illustrateur Norman Rubington ne feraient en fait qu’un. C'est pas impossible... Rubington, peintre alors un peu en vogue, spécialiste du grand écart (à la fois prix de Rome 51 et habitué du Chelsea Hôtel) faisait partie de cette coterie d’américains férocement tox réfugiés à Paris dans les années 50 (Trocchi, Burroughs...) et s’agitant autour de la revue Merlin (crée par Trocchi). Sans doute, partageait-il les gouts et les manies de Trocchi (lequel, en 1960, avait quitté Paris pour New York depuis trois ans, même s'il y gardait des amitiés littéraires). Trocchi ou pas, on se demandera quand même pour quelle raison celui qui a déjà son nom sur la couverture pour ses collages emprunterait en plus un nom de plume pour en signer les textes?
Aka Akbar? Il est surtout possible qu’Akbar Del Piombo, qui aimait tant écrire des histoires de harems lubriques, soit un nom ouvert, un nom générique sous lequel se couvraient, quand ça les arrangeaient, plusieurs personnes en même temps(remember Joe Staline, dans Métal...).
L’essentiel n'est pas là: si Fuzz against Junk est, depuis 50 ans, le roman graphique ultime, c'est parce qu’il détourne sans vergogne le trait innocent des vignettes XIXème siècle peuplant les éditions Hetzel des Voyages extraordinaires de Jules Vernes (Rubington utilisait la même méthode de collage que Max Ernst) et le ton badin, très pipe au bec, des Blake & Mortimer, pour les mettre au service d’une imagination dépravée, débordante, accélérée : les vingt-cinq pages où Akbar Del Piombo recense cent farfelues méthodes de fakir pour se défoncer – ruban injectant de l’héroïne liquide directement dans le crâne!, bain de vapeur à l’opium!, méthode dite ophtalmologique! - ridiculisent en beauté toute littérature trash. A ce stade d’inventivité camée, à ce niveau de virtuosité dans l’élaboration de machines de machines, seul Burroughs pouvait rivaliser. Chez Akbar, tout est d'une fumisterie raffinée, chaque page possède une splendeur pré-Monty Python, avec quelque chose en dedans de plus incisif. By Jove! on voudrait pouvoir ingérer ces images à l’heure du thé, dans un club victorien, tout de bois, avec un disque de Lord Sabre en fond discret, oui.
Ps : l’édition Girodias, belle, verte, culte, est devenue rare et (un peu) chère. La réédition française, Mille et une nuits, sous le titre L’Anticame ou les Exploits de Sir Edwin est laide, pas vraiment recommandable, mais elle a l’avantage d’être encore dispo pour une somme ridicule (2 euros, ce genre) .
Akbar Del Piombo & Norman Rubington, Fuzz against Junk/ The Hero maker, The Olympia Press, Paris, 1960.
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