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Tuesday 10 March 2009

Richard Matheson, Le Jeune homme, la mort et le temps, 1975


Beau titre, inhabituel-lement poétique pour un roman de science-fiction, mais en 1975 l’immense popularité de Richard Matheson, acquise avec l’Homme qui rétrécit et Je suis une légende, pouvait permettre cet écart-là.

Le jeune homme du titre va sur ses 37 ans (c’est flatteur), mais il est condamné par la médecine (c’est insurmontable). Ceux qui me connaissent savent que j’entretiens une obsession maladive pour le temps qui passe et les âges charnières. J’ai eu 37 ans en juillet dernier. L’heure de me faire la remarque que certains de mes héros ont abdiqué à cet âge-là : Jeffrey Lee Pierce, retourné se saouler chez son père dans l’Utah, Epic Soundtracks, retrouvé dans son appartement de West Hampstead à Londres 12 jours après son trépas, Rainer Werner Fassbinder, overdosé par la surabondance de sa propre productivité. D’autres ont héroïquement attendu d’avoir 37 ans pour prendre un nouveau virage: Nicholas Ray (dont on devrait reparler ici même et sous peu) qui en l’année de cet âge franchit pour la première fois le porche d’un studio d’Hollywood. On ne peut pas dire qu’il y fut très heureux, mais il nous reste les films. C'est déjà ça. 36, 37, 38 ans : zone dangereuse... On la passe, ou pas, on se casse, où ça ? Chez les déjà-morts. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Matheson.

Apprenant qu’il est atteint d’une maladie incurable, Richard Collier (qui vivote comme scénariste à Los Angeles) prend le volant de sa Ford Galaxie bleue marine, longe la route de Long Valley, fait ses adieux à Hidden Hills, dépasse le Hollywood bowls, rate l’embronchement de l’autoroute de Harbor, et se perd jusqu’en bordure de mer, échouant dans un hôtel d’une autre époque. Grand, vide, désuet. Il en est le seul client, sinon le dernier. La bâtisse est toute à lui, et les tennis, et l’océan Pacifique, et le bar... Il déambule à loisir dans ce décor Prince-De-Galles, contemplant l’éternité accrochée aux murs, ces dizaines de photographies scéllant à tout jamais le spectacle d’une granndeur passée, ce temps où la salle de bal du Coronado était un lieu de réception chéri du tout Hollywood. Un visage sur une photo l’intéresse, une actrice oubliée du muet, beau minois, grands yeux. Très vite il ne pourra plus se détourner d’elle, foudroyé d'un amour série B, ne pensant plus qu’à ça: se fondre en elle – littéralement. Restant planté là des jours, fixant la photo jusqu’à s'en provoquer des autohypnoses. Pour tenter de la rejoindre, là-bas en 1896 - où il ne sera plus ce vieux jeune homme en sursis, mais où le temps s’ouvrira entièrement à lui. L’infini a tout d'un coup l'étendue d’une photo sépia.

Sorti en hardcover chez Viking Press en avril 1975, soit en pleine vague Rétro, la réputation de Bid Time Return n’a pas dépassé le cercle des amoureux de SF. Deux ans plus tard, un jeune blanc-bec ambitieux, et plus malin que le vieux Matheson ne l’a jamais été, vendra à Kubrick un roman dont il oubliera de dire à quel point il lui avait été inspiré par la première partie du Jeune homme, la mort et le temps: Shining l’enfant lumière.
Stephen King s’est souvenu du vieil hôtel hanté, du couloir d’infini et des lambeaux d’éternité, des morts qui à partir d'une photographie remontent nous visiter – à moins que ça ne soit nous qui tombions en leur abyme.
Il lui a surtout substitué une violence contemporaine, un Barnum terrifiant à base de psychoses oedipiennes, d’enfant sur roulettes, de coups de hache donnés dans la porte et de regards injectés de sang. Un arsenal paranoïaque si loin du livre de Matheson, qui était plus mélodique, et ne songeait au fonds qu’à une chose: s’intoxiquer à coup de souvenirs, et prendre la fuite. Un film adapté du Matheson sortira en 1981 (Somewhere in time, avec Christopher Reeve et Jane Seymour)… soit un an après Shining. La critique l’a jugé avec mépris, comme on juge un plagiaire. Le cocu de l’histoire.


«Je suis assis dans un fauteuil géant sur la mezzanine dominant le hall d’entrée ; devant moi, il y a un lustre énorme d’où pendent des cascades de lumières voilées de rouge et des colliers de cristal. Le plafond est complexe et richement décoré, avec des lambris sombres brillant comme des miroirs. Il règne un silence presque palpable. Qui s’est assis dans ce fauteuil avant moi ? Combien de gens ont contemplé, à travers ces balustres, le va-et-vient des hommes et des femmes qui entraient et sortaient, qui attendaient ou bavardaient. Dans les années 30, 20, 10.»

Richard Matheson, Le Jeune homme, la mort et le temps, Denoël, Présence du futur, 1977

3 comments:

  1. C'est curieux, depuis toujours je reste accroché à certains films d'enfance qui parlent de voyages dans le temps comme 'C'était demain' ou donc 'Quelque part dans le temps' que j'ai revu il y a quelques semaines et qui a le charme d'un film pour grand mère: tisane, dentelle et amour fou. On a des goûts bizarres quand on est gosse. Mais le film tient la route, sans doute à cause du romantisme désuet mais touchant qui s'en dégage.

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  2. Tout aussi curieux : je suis très attaché aussi à Quelque Part Dans le Temps (plus qu'à Nimitz, qui a quelque chose de semblable, au moins dans mon souvenir), vu étant tout gamin et revu récemment. Il parait qu'on serait plusieurs dans ce cas et qu'il existe un fan club de ce film, qui organise des séjours prolongés sur les lieux du tournage, dans l'hôtel. Evidemment, il y a là quelque chose de proustien, superficiellement.

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