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Wednesday 28 October 2009

Ed Van Der Elsken, Love On The Left Bank, 1956

Il traînait Love On The Left Bank, l’autre soir chez Gilb-r.. occasion rêvée de lui proposer officiellement d’investir dans une galerie de photo DiD/Versatile, aussitôt qu’il sera devenu multimillionaire grâce aux ventes des albums de Jaumet et de Joakim (lol?).
En fait, on ne devrait pas se réjouir que Gilb-r, homme de goût, ait ça chez lui. On devrait se désoler qu’il n’y ait ça QUE chez lui. Car
Love On The Left Bank est un morceau de mur arraché à l’histoire de Paris. Et si on nous bassine à longueur de journée avec l’histoire du punk et de la révolte où que ce soit, de NY à Santiago du Chili, qui ici soupçonne qu’il y ait eu un moment, entre 1952 et 1957, où Paris a été loin devant dans la course à l’électricité? Ok, ça ne s’est pas représenté souvent depuis, et ce livre (épuisé, bien sur, pas réédité, bien sûr, en tout cas pas en France, comme si Paris ne devait surtout pas trop en savoir sur elle-même) en est le témoignage brut, donc bouleversant.
Ed Van Der Elsken a quelque chose comme 27 ans en 1952. Il fait des photos, ses premières (il n’a jamais arrêté, jusqu'à sa mort en 90). Et il les fait avec ce qui l’entoure : un café, un peu maudit, situé 22 rue du Four : Chez Moineau. Là, des garçons, des filles - une fille... dont il tombe dingue raide. Une voyelle. Voyelle, c’est le féminin de voyoux. Pas dans le Littré , mais chez les fugueurs qui occuperont Moineau pendant les cinq six années à venir. «
C’étaient des enfants déracinés venus de tous les coins de l’Europe. Beaucoup n’avaient ni toit ni parents, ni papiers. Pour les flics, leur statut légal était celui de vagabond. On vivait dans la rue, les cafés comme une bande de chiens bâtards. On avait notre hiérarchie, nos codes à nous. Les étudiants, les gens qui travaillaient en étaient exclus.» C’est elle qui dit ça, la fille : Vali Myers. Australienne, artiste, atterri là on ne sait comment, parmi les orphelins de la seconde guerre mondiale. Presque dangereusement belle, 22 ans & l’allure d’aucune autre cette saison-là. On pourra, pour approcher d’une description passable, invoquer les visages de Tina Aumont, de Margareth Clementi, de Nico, de n’importe quelle femme-chat qui peuple le cinéma de Garrel à partir de 68-69. Mais là, on est en 1952, et personne au monde, ni en France ni ailleurs (pas même Edie Parker et Joan Vollmer, les femmes de la Beat génération) ne s’habille comme ça, ne se coiffe comme ça, ne se maquille comme ça. Chez Moineau, outre Vali, il y a Eliane, Michèle B. et autour d'elles une bande de garçons assez sauvages, ivres morts souvent. On a dit (Greil Marcus, entre autres) qu'il s'agissait là peut-être des premiers punks, portant des slogans peints sur leurs vêtements élimés, vendant du hasch, et se faisant coffrer pour ivresse sur la voie publique et cheveux longs. Mais franchement, la culture ils s’en contrefoutaient - ça na valait pas le vin. Il n’y avait pas de mouvement derrière eux. Pas de musique, pas d’art, pas de littérature, pas d'horizon pour Pierre Feuillette, Fred, Mohamed Dahou, Jean Michel Mension - que de la survie.
L’art, chez Moineau, ça n’existe que dans la tête de deux personnes.
Le premier s’appelle Ivan Chtcheglov, il lit, il écrit et détruit ses écrits. En 1952, Ivan apprend à marcher à Guy. La nuit, dans Paris. Il l'initie à la "Dérive". Guy, c’est Debord. Il apprend vite.
A deux, plus d’autres (Serge Berna, Jean Louis Brau, Gil J. Wolman), ils vont fonder l’Internationale Lettriste, publier des bulletins renéotypés, faire des coups. Ed Van der Elsken, pour les beaux yeux en amande de Vali, prend Chez Moineau les photos du Mouvement – qui n’en est pas un. Pas même le temps d'en être un: Trop de dérives, de disputes, de chaos. Très vite ils se brouilleront les uns les autres (trop de vin aussi), il y aura des exclusions à la pelle, tout ce réflexe de gens de parti qui, chez Debord, en dehors de l’admiration que je peux avoir pour la force décapante de sa pensée et l’âpreté de son style seigneurial, m’emmerdera toujours : Sans doute je hais les maîtres – donnez-nous plutôt des héros. Ivan Chtcheglov deviendra fou à lier, interné, délirant. Debord dessinera sans lui, mais à partir de ce qu’Ivan lui aura enseigné, les plans d’une attaque en règle de la société du vide et de l’indifférence transformée en marchandise. «
Mais puis-je oublier celui que je vois partout dans le plus grand moment de nos aventures ; car personne d’autre le valait, cette année-là ? On eût dit qu’en regardant seulement la ville et la vie, il les changeait. Il découvrit en un an des sujets de revendications pour un siècle ; les profondeurs et les mystères de l’espace urbain furent sa conquête.» (Debord, sur Chtcheglov, In Girum…)




Debord avait une expression pour se souvenir de l'année 52, une formule empruntée comme souvent chez lui au dialecte militaire: "On avançait, disait-il, en «
enfants perdus». L’attaque finale de cette brigade légère aura pour nom de code : Internationale Situationniste // I.S.
On connaît les livres (
La Société du Spectacle, en tête), écrits comme on dresse des plans stratégiques, on connait les situations qui ont pris tout le monde de cours (Mai 68...). On connaît mieux encore ce beau film arrogant et blessé, qui en donne l’histoire, entre les lignes : In Girum Imus Nocte Et Consumimur Igni. Nous tournons en rond dans la nuit et sommes consumés par le feu.
Et puis, si jamais on éprouve devant ce programme politique qui n’a fait que s’enfoncer dans le dur, un reste de romantisme, de mélancolie ou de lyrisme, on rouvrira
Love On The Left Bank – et tant pis si Van Der Elsken a voulu monter les photos les unes après les autres comme dans un roman, comme dans un roman-photo… Il y a dans chacun de ses instants saisis, éclairés à la lumière des cafés et des éclairages de villes, un truc qui manque trop souvent à la photographie et qui tient au commencement d’une époque, au brouillon de quelque chose. Où comment s'enregistre, à un moment donné, l'émergence d'une force irréductible à tout, faisant dos au monde, et qui redonne à penser le présent. Et si ça ne suffit pas à calmer notre curiosité, on cherchera une explication plutôt vive et chaude à cette histoire clandestine. Et pour ça, autant ouvrir dare dare La Tribu, un mince mais riche bouquin d’entretien avec Jean-Michel Mension, tête brûlée de chez Moineau, exclu un beau jour de l’IL par Debord, qui le trouva tout à coup « décoratif ». La Tribu n’explique pas les Situs, le livre dit d'autres choses, essentielles au Situationnisme : la vie hors les rangs, l'ivresse hardcore, la liberté. C'est, avec Love On The Left Bank, la chose la plus heureuse qui ait été jamais formulé sur le passage de quelques personnes en 1952 à l’intérieur du «café de la jeunesse perdue» (oubliez en revanche, sur la période, le livre éponyme de Modiano, faible de partout, et pourtant Modiano est un magnifique écrivain…).

Booo… Je vous parle beaucoup (trop, et trop longuement, pardon) de Debord et des Situs en ce moment. Il y a des raisons à cela (des trucs de boulot...), mais l’une d’elle est peut-être que je regarde Paris, la nuit qui tombe de plus en plus tôt, et je ne sais pas où aller -----------






Ed Van Der Elsken, Love On The Left Bank, 1956, réédition Dewi Lewis Publishing, UK, 1999
Jean-Michel Mension, La Tribu, Allia, Paris, 1998
Ivan Chtcheglov, Ecrits retrouvés, Allia, Paris, 2006

11 comments:

  1. Très bel article. Mais à rêver un passé disparu, aussi glorieux soit-il ne risque-t-on pas d'empêcher qu'il se reproduise ?
    Je veux dire, que c'est aujourd'hui qu'il est nécessaire de trouver ceux qui vivent ces expériences.
    Peut-être parmi vous, il y en a qui préfèrent encore l'oubli à la nostalgie...

    En tout cas, et je me répète, beau texte sur la force révolutionnaire du passé comme dirait Pasolini.

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  2. C'est marrant je connaissais ce livre pour l'avoir feuilleté je ne sais où, et je l'avais trouvé beau sans en connaître le contexte (et en ayant en horreur Paris, le folklore rive gauche et les "maîtres").Il doit donc tenir sans sa légende.

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  3. Oui, il tient tout seul (aussi).
    Roland: don't worry, pas de c'était mieux avant ici, ni d'anciens combattants de quoi que ce soit (vraiment pas le genre). Juste un peu de mémoire vive, entre deux saisons - ça ne mange pas de pain, ça réchauffe. D'autres sur ce blog ont prouvé depuis quelques années que question invention de situations ils ne devaient rien à personne. Avancer, on ne voit que ça...
    A Flor de mar, sinon...

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  5. Nan ! Nan ! y'a pas ça que chez Gilb-R, y'a ça chez moi aussi !
    En tout cas bel article sur ce roman-photo !

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  6. Hey, je n'avais pas vu que tu avais relié sur ton blog le Sex & Graffiti. Merci. Surtout, je ne savais pas qu'on pouvait ENFIN voir le film de Mary Ellen Mark sur You Tube. Je le cherche depuis la nuit des temps (au passage, je promets un post, bientôt, sur Ward 81). Bon, je n'ai jamais été chez toi (et pour cause, on ne s'est jamais croisé) mais ton blog c'est un peu chez toi, et j'y retrouve des trucs qui me touchent aussi beaucoup. A un de ces jours, forcément.

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  7. Fichtre ! Quelqu'un d'autre que moi a vu Flor de mar !

    Au plaisir de vous lire...

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  8. hey dude,je savais même pas que tu étais passé chez moi!

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  9. mais pour la galerie,va falloir attendre encore un peu..j'ai encore 2/3 disques à sortir

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  10. Bonjour,
    toujours interessé par van der Elsken?
    Je fais un travail concernant ce livre, si oui contactez-moi sur daphne.keramidas[@]googlemail.com.
    Merci!
    Votre blog est super interessant!

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