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Disorder in Discipline-



Tuesday, 5 January 2010

Yuichi Jibiki, Tokyo Street Rockers, 1978-1981; Anders Petersen, Gröna Lund, 1973

Deux livres de photos mortels, sur lesquels il ne va pas falloir s’endormir. Deux instantanés, deux incunables qui soudain ressurgissent, mais pour un temps seulement (tirages ultra limités) avant de redisparaître... C’est rageant, mais ça aiguise la curiosité.

Hier encore, on ne soupçonnait rien de l'existence de ce Tokyo Street Rockers, ça ne l'a pas empêché de se rendre indispensable dans la minute même. Il s’agit d’un livre japonais, dans les 200 pages par là, format manga, noir et blanc, un livre un peu mode sûrement, enfin comme les japonais aiment les faire, mais pourtant impossible de s’en détacher : voici la chronique au soir le soir de cette poignée de groupes (inconnus ou presque ici) qui, fin 70, ont fondé la new-wave japonaise : Friction, Lizard, Non-Band, Zelda, The Stalin, Auto-Mod (ce dernier, grand adepte naturiste de la roulade dans le vomi, la farine et le soja, sévit encore, dans le circuit gothique, courant désormais désespérément après le cirque Manson) …Une photographie au présent de l’indicatif mais qui passe sans dégat la barre du temps. Des vignettes modestes, sans surmoi artistique, une sincérité élégante comme il arrive d'en croiser dans les pochettes intérieures des disques (c'est dire si on ne sous-estime pas ces photos-là)... Du cliché rock, mais fondé sur des détails justes, des choses qui comptent : belle allure, intensité partout, sols parsemés de canettes d’Asahi écrabouillées, éclairage malingre jeté sur des salles de concert perraves (le Loft à Shinjuku, légendaire quand même). L'esthète qui sommeille en vous goûtera ces cuirs noirs lovés contre des imperméables vynils, le détachement de filles moins évasives qu’il n’y paraît marié à l’effervescence de garçons moins rassurés qu’il ne veulent le dire, ce circuit de ruelles, d’impasses, ces bandes courant de palissades en derniers sous-sols de parking. A Tokyo en 1978, une arrogance inédite fait son apparition sur les jeunes visages, et cette nouvelle force tranche à vif avec la lumière phospho chimique émanant des premiers distributeurs de revues X installés à la sortie des Seven/Eleven.
Et pour nous, en 2010, cette impression vive de retrouver là, catapultés par dessus l’enlisement des utopies, les restes des frustrations kamikazes que l’on peut croiser tout au long des 3h de l’hallucinant United Red Army de Koji Wakamatsu (l’un des très grands films de l’année, enfin dispo en DVD. Signalons aussi que grâce à nos amis de la revue Bidoun, le film que Wakamatsu a tourné au Liban en 1970 sur les liens entre la URA et le FPLP du palestinien Georges Abache est en streaming sur Ubu). En 78, l'auteur du livre Yuichi Jibiki avait presque 30 ans, et c'était là son premier bouquin de photo. En 1981, il poursuivait son engagement dans le punk en lançant un label (recherché) Telegraph Record (allez voir sur Discogs, y a des choses qui font envie, les 45 tours des Pablo Picasso par exemple) dont il avait aussi pris en charge le graphisme, puis dans les années 90’s une revue : Eat. N’allez pas croire que son travail photo est de l'ordre de l'anecdotique: en suivant une improbable émergence punk au Japon, ce type a réalisé sans s'en douter l'exact pendant tokyoïde à l’extraordinaire (et à jamais perdu) I’m a cliché - la même chose, mais sur le Punk français.


Anders Petersen avait lui aussi 30 ans ou presque quand, entre 72 et 73, il photographia les gosses qui à Stokholm zonaient le soir dans le Luna Park de Gröna Lund. Des gosses en veste de jean cloutées (remember Rainer Foxie Fassbinder dans Le Droit du plus fort) qui les font ressembler à des roadies de Scorpions, des loubs qui tirent à la carabine pour impressionner des girlfriends aux yeux vides. Des vieux aussi, qui sentent la Suède profonde: insulaire, étriquée. Dans l’histoire de la photographie, Anders Petersen constitue avec Daïdo Moriyama et Antoine D’Agata une trinité qui peut paradoxalement réclamer sans rougir son titre de sainte : sainteté dans la dissolution comme dans la pure violence, sainteté saintement cramée. Gröna Lund a beau être le premier livre de Petersen, toute sa puissance est déjà là. Mais chez lui, tout a immédiatement été là! Il avait déjà du génie à revendre quand dès 1967, encore photographe amateur, il tirait le portrait de l’ivresse provinciale et claustrophobe qui imprégnait le Café Lehmitz à Hambourg (chronologiquement c'est celui-là le premier livre, mais il faudra attendre 1978 pour qu'il soit édité. Si vous ne l'avez pas, sachez que c'est un livre parsemé de miracles, parmi lesquels la photo qui en 1985 servira de cover au Rain Dogs de Tom Waits). A Gröna Lund, les adolescents ont remplacé les vieux tapins et les clodos du Lehmitz. A Gröna Lund, les adolescents s’ennuient le dimanche. Mais face à eux, à leur jeunesse de déjà-morts, Petersen reste le même : il garde pour lui cette façon de se saisir des gens plus qu’il ne les photographie, cette volonté de vouloir tirer d’eux des parcelles d’amour abandonné, un peu de solitudes et quelques haines immédiates.
Déjà là aussi, son habilité au tirage à capter la lumière pour rapidement la laisser tomber,glisser, comme s'il la regardait se noyer lentement dans le noir abyssal qui, lui, en revanche s’étend sur les deux tiers restants de la surface. Ce n’est plus une image qui s’imprime, se révèle, c'est une photographie qui s'avance vers nous avant de tomber à la renverse.
L’édition originale Suède 1973 de Gröna Lund s’échange, paraît-il, dans les 800$. Annan Iman en a tiré à Paris en novembre 300 exemplaires, numérotés et signés par l’auteur, tarifés à 45 euros (big up à Crocnique pour avoir signalé le premier et à temps cette réédition). On pouvait en voir encore quelques-uns la semaine dernière. Mais, au train où vont les choses, dans quelques jours ce sera comme si cette réédition n’avait jamais existé. La spéculation peut commencer.

Yuichi Jibiki, Tokyo Street Rockers 1978-1981, Little More Books, Japon, 2009 (www.littlemore.co.jp)
Anders Petersen, Gröna Lund, Aman Iman Editions, 2009

7 comments:

  1. Vous connaissez certainement le titre de Peter, Bjorn et John "Nothing to worry about", il illustrerait bien votre article...

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  2. C'est celui dont le clip avait été tourné à Tokyo, n'est-ce pas? Sauf erreur, il en existe un remix instrumental dingue, genre lourd, inquiétant, par Zongamin. Alors là oui, je prends.

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  3. salut Pornochio,sais tu comment je pourrais me procurer une copie du Petersen par hasard?

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  4. Hello Gilb-R, heu... je te fais un mail perso (si tu ne veux pas te faire cramer par un lecteur)

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  5. Pornochio, salop ! Amis lecteurs de DiD, le Petersen est dispo à la Galerie VU à Paris !
    Dépêchez-vous avant que Pornochio les achètent tous pour vous les revendre à 500 € sur Ebay !!!
    En plus il refile le filon à un mec qui ne prend même pas la peine de lire ses posts sur ce blog (Eugene Richards), un comble !

    Sinon, mercredi, je suis allé faire les soldes (rayon bouquins et pas chiffons !) au temple de la hype qui ne l'est plus vraiment et queud': sûrement pas le pathétique livre de photos de Lou Reed sur NY, ni le Sutherland pas terrible - édition limité pourrave soldé à 75 € (une blague ?), le seul truc que j'ai eu en main un petit bout de temps avant de le reposer était ce Meyerowitz sur les roux et rousses (je suis fétichiste pour plein de trucs mais les rousses me laissent indifférent !). Donc peau de balle...enfin presque : il y avait heureusement cette pile de Tokyo Street Rockers dans le coin non soldé qui me faisait de l'oeil...

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  6. He hé oui, c'est bien dans le Temple de la hype (Colette, donc) que j'ai trouvé le Tokyo... et j'ai eu la main heureuse puisque j'ai aussi eu en solde, et pour le prix de deux cafés crèmes, un délicieux Conversation with Marlon Brando dont je vous parlerai bien un de ces jours. A vrai dire, oui, j'avoue, c'est ignoble, j'aurais du donner mon filon pour Gröna Lund: j'ai trouvé le mien àBbeaubourg. la grève de 3 semaines avait gelé les ventes, il en restait donc, surprise, trois il y a 10 jours. Cet aprem', il n'y avait plus rien. Je suis con, j'aurais du tous les acheter, les mettre au coffre, prospérer, les revendre le prix d'une demie Cadillac à Gilb-R. Je n'ai aucun sens des affaires, je suis le déshonneur du Liban.

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  7. hello
    merci au passage pour le tuyau vers le film sekigun/fplp de wakamatsu et adchi. united red army est effectivement un très grand film qui m'a moi aussi claqué à la figure. j'en ai modestement fait la critique ici:
    http://noreille.wordpress.com/2009/12/25/united-red-army-%E2%80%93-koji-wakamatsu/

    et bien sûr, merci pour tout le reste.

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