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C'était au moment de la réalisation à Paris de Peurs du Noir, film d'animation auquel il participait, vers 2006 / 2007. Charles Burns, qui sortait de dix années de travail sur son gigantesque roman graphique Black Hole, confiait qu'il commençait à travailler sur un livre plus court et en deux parties, inspiré par Tintin et William Burroughs, figures qui le suivent depuis longtemps et dont il est un lecteur méticuleux (plutôt qu'un admirateur passif). On lui dénichait alors quelques éditions de ses histoires préférées de Tintin aux belles couleurs vieillies : de beaux albums qu'il emporterait, disait-il, pour les mettre sur sa planche de travail à Philadelphie, à côté d'un exemplaire de Naked Lunch ou d'un autre Burroughs, histoire d'avoir à portée de main quelques totems, quelques objets de secours.
Cette nouvelle bande dessinée, dont un premier volume sortira à la rentrée chez Cornélius sous le titre Toxic (X'd Out pour la V.O.), est fidèle à ce qu'il nous montrait alors : une histoire qui cite Burroughs et Hergé, comme on les croiserait dans un rêve, et qui est surtout habitée par les obsessions de Burns, ses questionnements sur la pratique artistique, la jeunesse dévorante, l'adolescence heurtée, la vie qui se déroule devant soi et dont on ne réussit jamais à capturer qu'un fragment. Histoire de dépression, d'amour forcément perdue, de refuge dans un monde de rêve et de drogues, où l'on croise la scène post-punk californienne et le Tanger de Burroughs / Bowles, mis en enluminures fantasques et très SF, Toxic est un labyrinthe dévorant, dont on devine les contours à mesure qu'avance la lecture. Burns s'y risque à la couleur et son dessin, que l'on disait impeccable en noir et blanc, prend une vie nouvelle, comme un corps rendu à sa chair, comme, aussi, Hergé refaisant Tintin en couleurs et profitant de cela pour réécrire l'histoire, en refaire les détails et les angles. Burns semble bien ici réécrire, avec un scalpel plus aiguisé encore, ce qu'il disséquait dans Black Hole, dont on sent des échos et des appels.
Un seul bémol : le livre, que Burns a voulu fidèle au format des Tintin, s'achève par un (A Suivre) au moment même où l'on était en pleine immersion, que l'on commençait à se saisir des coutures de la trame, le chemin entre le rêve et le réel : un coup d'arrêt presque sadique, mais qui promet une suite encore plus folle - voir l'image finale pour comprendre, qui mène vers une pyramide mi-mummy, mi-dark new age.
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