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Sunday 29 March 2009

Serge July, Dis maman, c'est quoi l'avant-guerre? 1977-1979



La patronne (comme on le surnommait au service ciné… même s’il est difficile de faire plus hétéro que S.J.) Pendant les sept ans où il fut mon rédac chef à Libé, on ne s’est parlé qu’une fois, brièvement, lors d’un déjeuner à Cannes. Je m’étais tâché la minute avant avec une brochette de poisson arrosée d’huile d’olive, et j’ai passé une partie de la conversation, très sympa au demeurant, à m'enrouler dans une feuille de palmier géante tout en m’aspergeant de sel - c’est ce qu’il y a de mieux pour boire les tâches de gras, ça vaut aussi pour le vin - pour l'avancement, en revanche... Anyhow, un mois après, S.J. négociait la survie de Libé contre son départ, et on a pu assister devant l'annonce de ce mauvais deal à un mélange d’émotion vive et de sentiments confus dans la vis du journal : une partie de la rédaction, la plus jeune souvent, ne savait plus trop quoi penser de July, l’image du grand patron de presse, médiatique mangeur de « caouettes », nous faisait vaguement chier, et l’édito sur le référendum européen avait fini de déterrer la hache de guerre. Les plus anciens, eux, accusaient le coup. Ils se souvenaient que dans une précédente vie, Serge July avait été journaliste.
En juillet 2006, deux mois avaient passé depuis ce départ, j’ai trouvé ce livre de poche dans un puce du sud de la France. Une guerre subite venait de s'abattre sur le Liban, mon billet pour Beyrouth prenait la poussière, obsolète. Impuissant, je regardais Euronews en boucle, et, back to the future, le titre de cette compilation d’article écrits entre 1977 et 1979, semblait tout à coup me parler sans détour de cet été violent. J’étais dans un de ces moments où, maman, on ne voit plus du tout à quoi ça pouvait bien ressembler, « l’avant ». Ce truc, je l’aurais acheté de toute façon (un livre introuvable ne se refuse pas) mais il n’est pas dit que je l’aurais commencé dans l’après-midi. Là, chaque jour de ce mois de juillet de saccage, pour tenir, pour ne pas devenir fou, j’ai replongé dans cette façon Libé de faire du journalisme qui était alors sans équivalent dans la presse quotidienne en France (le gonzo + l’engagement, pour aller très très vite), et qui, parce qu’elle s’étalait sur trois années très très chargées en mutations historiques (le passage aux années 80 s’est joué là, entre 1976 et 1979) traversait une suite de faits qui constitue aujourd’hui, 30 ans après, un imaginaire : Mesrine, assassinat de Pierre Goldman, Bazooka fout la merde (à Libé, à Actuel, à Métal, partout : punks), la RAF, L’IRA, mais aussi l’IRAN (le papier le plus craignos à relire aujourd’hui, puisqu’on sait qu’il n’y avait vraiment pas de quoi se réjouir de la révolution islamistes), Khomeiny, Carter, Giscard, le Palace, Apocalypse Now, Lauren Bacall sur le plateau d’Apostrophe (« Quand tu as besoin de moi, siffle »), l'exécution d’Aldo Moro, le suicide de Robert Boulin, tout se mélange - plaisir. Tout ça écrit à vif, au jour le jour, dans la vitesse du quotidien (qui, j’en reste persuadé, constitue la dope la plus puissante et la plus additive qui soit).
L’histoire, ce n’est pas que ses articles étaient bons, mais bel et bien qu’ils aient autorisé tout un journal à se lâcher totalement. En retour, la façon dont le journal collectivement s’écrivait l’obligeait lui, le redac chef’, à tenir cette rythmique puissante, forcément puisante. Surprise, en 2006 tout ça avait incroyablement passé la rampe du quotidien et celle, plus ingrate, du temps – cela due en partie à cette tension nerveuse farouche, cette urgence comparable au type de décharge immédiate qui ressort, pour prendre un exemple d'époque, d’un titre comme Damaged goods de Gang of Four.
July, on lui en sera grès, n’a jamais essayé de jouer au punk. Il n’a d’ailleurs, je crois, jamais compris grand chose à la musique (c’est du reste un bon cinéphile et un amateur de polar éclairé), mais il a décidé, au moment même où l’extrême gauche vivait un impasse, à Libé comme ailleurs, d’ouvrir le journal à Pacadis, Bayon, aux Bazooka, c’est à dire à des anti babas (le lectorat naturel du Libération première mouture) qui tenaient le laboratoire de l’époque : en goût, en style de vie, en mode graphique comme en écriture. La leçon, si leçon il doit y avoir, est là.
Aussi je tiens ce livre, où il n’est jamais question de musique, comme un livre sur le punk et l’after punk. Il est venu se ranger naturellement, entre Novövision et Mémoires d’un jeune homme chic. Après tout, le bon Dr Thompson n’a jamais rien écrit lui non plus sur la musique et vous le rangez bien aux cotés de Lester Bangs. Vous doutez ? Vous croyez que je m’apitoie, que je vieillis, que le culte du chef me foudroie bien tard ? Mais alors, comme écrivait Daney au moment du suicide d’Althusser «On s’est choisi des maîtres et on s’est débrouillé de les choisir faibles». Disons, pour aller vite, que je garde juste en mémoire à quel point Libé a quand même été un journal, ou une utopie de journal, comme il n’en arrivera sans doute jamais plus. La patronne fout la merde ? Alors enchaîne.

«On écrit pour freiner les dérapages de la pensée. On écrit pour calmer une bouffée de haine, une envie de tuer. On écrit pour essayer de s’y retrouver dans la béance qu’ouvre invariablement la mort lorsqu’elle se produit à vos cotés. On écrit parce que l’effroi du non-sens fait comme un caillot dans la gorge, et qu’on le sent remonter dans le cerveau. On écrit pour retenir le temps qui d’un seul coup vient de prendre une sérieuse avance. Hier, 20 septembre 1979, Pierre Goldman a été assassiné par un groupe « Honneur de la police»".

Serge July, Dis maman, c’est quoi l’avant-guerre ?, Alain Moreau, 1980.

8 comments:

  1. Ce livre, que tu m'a offert il y a plusieurs mois déjà, j'ai tout à fait peur de l'ouvrir. Et ton texte me dit bien pourquoi. Ce soir, sans doute, je m'y mets. Merci.

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  2. Peur? Tu exagères. Pourquoi? Pour le souvenir 2006 (tu te rapelles du sms au moment d'embarquer dans l'avion?) ou parceque Libé 2009 manque à sa place?

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  3. en 1977, juste après la mort de Baader, Libé a publié un supplément reprenant l'intégralité de ses articles de l'époque sur la RAF. couverture Bazooka, contenu incendiaire. non parce que Libé célébrait le martyre de Baader et consorts, mais parce qu'on y lisait au contraire l'éloignement mélancolique de July et des autres de ces desperados post-68, qu'ils renvoyaient dos à dos avec l'Allemagne bouffie de suffisance et d'hypocrisie d'Helmut Schmidt et de Bild Zeitung.

    ça leur valut à l'époque un envahissement par les autonomes mais, relus aujourd'hui, entre deux cocktails Molotov graphiques de Kiki Picasso, ces articles tiennent toujours. comme les livres dont ils parlent, par exemple le témoignage (préfacé par un Cohn-Bendit trentenaire) de Hans-Joachim Klein, ex-RAF qui quitta le groupe vers 75/76 pour une cavale de près de 25 ans, et qui racontait alors la vie et le boulot avec Carlos, ce beauf antisémite subventionné par la RDA...

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  4. Je me souviens aussi de la première fois où je croisais la patronne. C'était en 1998-99, je venais de signer mes premiers papiers. j'avais 23 ans et je vivais dans la peur je crois. Ce jour-là, je descendais la vis au côté de mlb déjà bien atteinte. Elle tenait une canette d'export dans une main et des knacky dans l'autre. July était à la table de conférence, limite les pieds sur le bois précieux. mlb le vit et se mit à hurler "Seeeeerge, je te présente un nouveau pigiste". Il ne m'a pas regardé, il s'est juste gratté les couilles. mlb m'a glissé à l'oreille "maintenant il te connait" et j'ai dit "ahh".
    Puis, tandis que nous tournions le dos pour repartir, July a dit un truc. Il a dit un truc que je n'ai pas saisi, il a dit "bon courage" ou "bonne chance". Dix ans après, je ne sais toujours pas ce qu'il entendait par là.

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  5. Cody, c'est étrange je ne vois pas non plus... Courage? Chance?... (J'essaye par ailleurs depuis hier soir de deviner qui se cache derrière ce commander pseudo, et.... je cale.

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  6. Votre blog est vraiment chouette. ça fait du bien. masi

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  7. Oh mais oui, j'aurais du trouver tout de suite. Content que cette aventure te plaise (et pas contre prendre un verre un de ces quatre). Baci.

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  8. avec grand plaisir Philippe. On se croise très bientôt.

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