En 1978, moins de deux ans après qu'Ulrike Meinhof ait été retrouvée morte dans sa cellule au septième étage de la prison de Stuttgart-Stammheim, Dario Fo et Franca Rame ont écrit une courte pièce en un acte intitulée Moi, Ulrike, je crie…
En 1984, ils en proposaient une seconde version, totalement différente dans sa dernière partie. Le léger déplacement, sinon recul, dans la façon dont ils envisagent désormais, en 1984, le cas Meinhof est passionnant. Car on les voit cherchant une formulation possible à cette amertume que portaient en eux tous ceux sur qui la voie pavée de mines du terrorisme s’était refermé comme un "piège" (le mot est d’eux) sans que soit pour autant résolue la question de réveiller, d’une façon ou d’une autre, une société engoncée dans sa propre apathie.
A la question de la fin, je ne suis pas certain de pouvoir répondre Oui.
*Les extraits de la version 1984 sont en italiques.
« Vous avez porté à son comble l’émancipation de la femme : car bien que je sois une femme, vous me punissez exactement comme un homme.Je vous remercie.
Vous m’avez gratifié de la prison la plus dure : aseptisée, froide, mortuaire. Vous me soumettez à la torture la plus criminelle, qui est « la privation des perceptions. (…)
Et si vous m’avez enfermé dans cet aquarium, c’est seulement parce que je ne suis pas d’accord avec votre vie. Non, je ne veux pas être une de vos femmes sous cellophane. Je ne veux pas être tendrement présente, avec de petits rires et des sourires bêtement aguichants, à votre table du samedi soir, dans un restaurant exotique, sur fond de musique stupide mais en haute fidélité. Ni devoir m’efforcer d’être triste ce qu’il faut , et complice, et tout à la fois imprévisible et folle, puis enfantine et sotte, et fouettée et frustrée, maman et putain, et prête au quart de tour à rire pudiquement en fausset de vos trivialités éculées.
Geôliers, juges, politiciens, je vous ai bien eus… vous serez obligés de me tuer en pleine santé… en pleine santé mentale et spirituelle… vous devrez m’assassiner.
Déjà je vous vois accourir pour cacher mon cadavre, arrêter mes avocats à la porte… « Non, on ne peut pas voir Ulrike Meinhof… Oui, elle s’est pendue. » (…)
Nous autres du groupe Baader-Meinhof nous sommes sans doute tombés dans le piège que nous nous sommes construit. Nous nous sommes peut-être isolé nous-même par l’idéologie de la lutte armée.
Mais prenez garde, libres démocrates ! Votre sort ne vaut pas mieux. La peur dont on vous a aspergés avec l’atomiseur « Achtung Terroristen » (« Gare aux terroristes ») a glacé en vous tout mouvement, toute pensée, toute participation à une attitude civilisée. (…) L’Etat a découvert le miroir paralysant de la terreur. Dans ce miroir on voit le reflet de nos cadavres. A ceux qui acceptent ces conditions, qui font le noir dans leur cerveau, qui endorment leur conscience pour vivre sans problème, pour la douceur de vivre, je demande :
Etes-vous sûrs d’être encore vivants ?"
Dario Fo & Franca Rame, Moi, Ulrike, je crie… (1978-1984), in Récits de Femmes IV, traduit par Valeria Tasca, Dramaturgie, Paris, 1986.
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