Fukushima a un an. Au rythme où vont les choses, cela devrait nous sembler loin et enseveli. Mais non. On ne se souvient plus de la mort de Ben Laden, de la tuerie d’Oslo, on a déjà tout oublié du Printemps Arabe, mais chaque jour Fukushima se rappelle à nous. Et si Fukushima ne veut pas passer, c’est sans doute parce que cette fois on ne sait pas combien de temps ses effets vont durer. Et Fukushima de durer encore. C’en est même un cauchemar permanent : «Oh tu peux manger tous le poisson que tu veux», me disaient des amis japonais en décembre dans un Tokyo vidé de ses touristes, ce qui à tout prendre semblait préférable aux japonais parce q’au moins cela leur permettait d’encaisser la « punition » Fukushima en l’absence quasi totale de regards extérieurs. «Donc tu peux manger tout le poisson que tu veux, simplement parce qu’ils nous disent que les effets commenceront à se faire sentir dans notre organisme dans quarante ans… et dans quarante ans on sera vieux et quasiment déjà morts, alors… Mais en même temps ils nous mentent sur tout, Alors pas d’autre solution que de faire comme chacun peut…» Cette affolante résignation silencieuse qui régnait en décembre est partout dans les témoignages qui servent de mur porteur à ce court livre que William T.Vollmann a ramené d’une visite kamikaze à Fukushima entre fin mars et début avril 2011, deux semaines après le tsunami et la catastrophe.
Ce livre sort un peu partout dans le monde en même temps, mais déjà Vollmann a demandé à ce que les prochaines éditions US ne portent plus pour titre le très Paris Match « Into the forbidden zone », mais s’intituleront désormais: « When the wind blows from the south (Quand le vent vient du sud).
Ce passage d’un titre ouvertement journalistique à un titre plus poétique et plus écologique, quasi pastoral, est exactement le cheminent du livre, le voyage qu’il entreprend d’une écriture l’autre. Ça commence comme un reportage gonzoïdal, où Vollmann livre un numéro très au point mêlant données scientifiques et mise en scène de lui-même en Tintin de l’extrême - pas son meilleur pour l’heure, trop abonné à son propre cliché. Le déclic arrive en milieu de voyage, quand le paysage du désastre se présente à vue et recouvre progressivement le surmoi du texte. On comprend alors que le vrai livre commence là, et qu’il est un des plus beau de son auteur, un Vollmann très proche au fonds des premières pages des Fusils, qui étaient à couper le souffle. Où plus on s’enfonce dans la mort et la dévastation, plus on approche d’une description calme et insoutenable de la beauté.
William Vollmann est un Thoreau des enfers.
«Le vent frais encore dans mon dos, et le bruit du ruisseau couvrant presque tout le reste, j’examinai un tout jeune oiseau dans l’herbe, la rouille sur une rambarde, des pins taillés, puis contemplai un trottoir absolument vide. Je remontai une autre allée et sonnai à la porte. Elle était verrouillée ; la sonnerie résonna à n’en plus finir.
Pour je ne sais qu’elle raison, je me souviens surtout des bicyclettes appuyées bien en ordre contre les maisons vides qui les tenaient dans l’ombre.
Chaque fois que je le regardais, le chauffeur lançait le moteur avec empressement. Il me rappelait le garçon esseulé qui doit rester sur le trottoir enneigé, à l’entrée des sources chaudes près de Sendai, prêt à s’incliner dès qu’un hôte arrive. Pour finir je lui demandai comment il allait : « je ne suis pas vraiment inquiet, dit-il, mais je me sens un peu mal à l’aise. »
"Et qu’est-ce qui vous met le plus mal à l’aise ? »
« Je vois les voitures, mais pas les gens.»
William T. Vollmann, Fukushima, Dans la zone interdite, Voyage à travers l’enfer et les hautes eaux de l’après-seisme, traduit par Jean-Paul Mourlon, Tristram, Auch, 2012
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"un Thoreau des enfers" waouh! je m'y précipite.
ReplyDeleteJe tremble, pas que de peur, je tremble de tout mon être, de tout ce qui m’entoure, de tout mon univers. Pas d’échappatoire, pas de respiration profonde à tenter, le monde m’échappe, bascule et se fracasse. Les bases s’écartèlent, deviennent failles mortelles. Je ne peux m’accrocher à rien de solide : la mobilité contre-nature menace. L’épilepsie terrestre gronde, gigantesque tonnerre des entrailles. Aucune résistance, pas une prière possible : le hasard et la nécessité tectoniques modèlent l’instant et dessinent la fin. Comme un crépuscule des vies à portée du regard. (La suite sur http://pamphletaire.blogspot.com/2012/03/fukushima-mon-ame-ou-rien.html)
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